Opaline marchait depuis maintenant plus d'une demi heure dans un interminable couloir qui ne semblait pas avoir d'issue. Elles ne s'étaient pas reparlées depuis le début de la recherche pour la chambre de la petite princesse. En réalité, Opaline n'osait interrompre Lain, qui paraissait visiblement très occupée par ce qu'elle faisait. Un silence assez pensant reniait entre ces deux êtres. Néanmoins, il fut interrompu quand Lain ouvrit une chambre sans écriteau (donc sans personne pour l'habiter) et indiqua à la petite fille d'entrer. Cette dernière fit ce qu'on lui avait dit de faire, suivit de sa nouvelle amie. La chambre où allait maintenant vivre la fillette était très simple : une peinture blanche qui s'écaillait par endroit recouvrait les murs, un petit bureau composé d'une table en pin et d'une chaise de la même matière reposait dans un coin, le lit fait comme à l'armée était composé d'un drap de laine teint en rose et d'une taie d'un couleur indéfinie entre le orange et le rouge.

* Je vais devoir revoir la déco si je veux vivre ici *

Opaline s'assit alors sur le matelas puis dit à Lain :

" Merci de m'avoir accompagnée jusqu'à cette chambre "

Ses remerciements étaient sincères, bien qu'elle doute que son interlocutrice le croit. Ne sachant pas quoi faire, elle tourna la tête vers Lempicka, sa lapine et vit que cette aventure l'avait bien épuisée, elle aussi : la petite boule de poil dormait comme un bébé. Elle caressa doucement son pelage et songea au fait qu'elle l'avait enfin retrouvée après deux mois d'absence. Son cœur s'emplit de joie et elle esquissa un sourire. Son alter ego astral représentait tout pour elle et dans le futur, allait l'aider à contrôler son pouvoir. Toutefois, ce pouvoir ne s'étant pas encore manifester, elle était loin de se douter que sa meilleure amie avait d'autre fonction que de la consoler quand elle le désirait.

Après avoir déposé ce gracieux baiser sur la joue de la petite, celle-ci rougit. Pour une petite de cette âge, n'avait-elle pas l'habitude de recevoir ce genre de bisou ? Peut-être était-ce un trop grand élan d'affection et que la petite fille trouvait cela mal venu..
Les couleurs finirent par disparaître des joues de la fillette et elle demeura un instant pensive. Peut-être réfléchissait-elle à la bonne manière de lui annoncer que cette bise était une mauvaise idée... Ou bien au moyen de lui dire poliment qu'elle voulait rester seule, sans Lain pour l'embêter.
Soudain, elle la vit sourire et Opaline lui attrapa le bras affectueusement en posant sa tête sur son épaule. Ce brusque geste de gentillesse la rassura et un bonheur sans pareil s'insinua en elle. Ce genre de bonheur qui vous enveloppe doucement, une sorte d'allégresse aveuglante et même presque dangereuse. Elle l'avait envoûtée et charmée. Cela lui fit presque peur. La dernière personne qu'elle avait adulée s'était révélée être détestable.

" J'aimerai beaucoup que tu restes… auprès de moi. Tu pourras surement m'aider à mieux comprendre certaines choses dont je n'arrive pas à capter le sens. "

Lain ferma les yeux. Elle était à présent plus qu'heureuse. En pleine extase devant cette princesse oubliée qui l'enchantait et lui faisait oublier le monde extérieur. Il n'existait plus qu'elle et le pauvre logiciel qu'elle était. Un rêve ?
** Who knows ? **
Il lui arrivait quelque fois de penser dans d'autres langues que sa "langue maternelle". Enfin, maternelle... Bref.
Elle la prit alors sur ses genoux et un doux sourire se dessina sur son visage.
La petite semblait un peu perdue. Par quoi ? Sûrement par ce qu'il lui arrivait. Elle se posait de nombreuses questions et malgré le fait qu'elle était indéniablement précoce, elle ne pouvait y trouver des réponses. Elle était ravie de pouvoir l'aider dans sa quête de la vérité, une quête périlleuse et semée d'embûches.

" Je me ferai un plaisir de te renseigner ! A présent, tu es ma protégée. Tu peux me demander absolument tout. Je t'écoute Opaline, pose toutes les questions que tu veux. "

La petite était avant tout quelqu'un qu'elle affectionnait et aimait beaucoup avant même d'être son amie. Elle la considérait un peu comme sa propre fille et jouait le rôle d'une mère qu'elle aurait bien aimé avoir...

Sa réponse rassura la petite fille : elle voulait bien l'aider, tant mieux ! Après tout, si elle désirait passer [à contre cœur] sa vie ici, il fallait bien qu'elle sache quelques petits renseignements sur ce…ce… Soudain, elle se rendit compte qu'elle ne savait même qu'elle était ce bâtiment où ils se trouvaient. Un château, un manoir ou un pensionnat ? Avec autant de chambre, cela ne pouvait être qu'un pensionnat, mais de quoi, là demeurait la question. Habitaient ici que des filles ou un mélange des deux sexes ?? Sans doute, Opaline était là pour un but précis : un don qu'elle possédait. Seulement, elle ne se rappelait pas dans quelle matière elle dominait les autres. Bien sur, elle travaillait dur à l'école mais elle supposa que ce n'était pas le cas. A part la poésie, elle n'excellait pas en grand-chose. Aucunes solutions ne lui vint à l'esprit, alors elle posa sa première interrogation…

- Dans quel lieu sommes-nous ? Et pourquoi ? Que dois-je savoir sur ma nouvelle existance ?

Des hypothèses pour le moins funèbres lui vinrent à l'esprit. Inquiète, elle caressa le pelage de sa lapine pour se détendre. Doux comme de la soie, ce dernier l'avait toujours apaisée comme une peluche ou un doudou. Quand elle faisait des cauchemars ou lorsque qu'elle était triste, la seule présence de Lempicka arrivait à lui faire oublier tous ses soucis. La fillette tourna la tête sa meilleure et fidèle amie, laquelle ouvrit ses mignons petits yeux brillants. Ce qu'elle pouvait l'aimer cette boule de poil…

* Moi aussi, je vous aime, maitresse. *

D'où venait cette voix, à la fois tendre et maternelle ? On aurait dit celle d'une mère qui essaie de rassurer son enfant. Opaline, eut un flash-back et se remémora ses dernières pensées : c'était Lempicka qui lui avait donc parlé ! Impossible, mis à part dans les rêves, les mangeurs de carottes n'avaient pas la faculté d'adopter le langage des humains… Inconsciemment, elle chercha le regard bienveillant de Lain, celui-ci qui semblait connaître la clé des mystères. Dans ses yeux, elle ne vit pas qu'elle avait entendu quoique ce soit… Sombrait-elle dans la folie ?

- Dans quel lieu sommes-nous ? Et pourquoi ? Que dois-je savoir sur ma nouvelle existence ?

C'était vrai, elle n'avait aucune idée d'où elle était ! Lain l'avait prise sous son aile et s'était "envolée" avec elle sans rien lui expliquer. Et maintenant, il était bien normal que la petite se demande où elle se trouvait emprisonnée. Elle la questionnait sur le pourquoi du comment.. Même elle-même ne savait pas trop quelle était la raison de cet enfermement. Même pas du tout. C'était sûrement un secret qui ne serait jamais dévoilé. Bien gardé. C'était le moins qu'on puisse dire d'ailleurs.
Quant à sa nouvelle existence.. Lain était là depuis si peu de temps qu'elle était incapable de vraiment décrire ce qu'elle vivait depuis le jour fatal. Elle errait en quête de choses nouvelles. Elle découvrait ce nouvel endroit si étrange et où elle resterait jusqu'à la fin des temps. Pas à la fin de ses jours, non, non, jusqu'à la fin du monde. Puisqu'elle ne mourrait sans doute jamais...

" Nous sommes dans un pensionnat. Le Pensionnat Interdit. Je n'en suis pas sûre, mais.. pratiquement. Je ne sais pourquoi nous sommes ici, emprisonnées à jamais, malheureusement.. ou non.
Tu n'as pas grand chose à savoir sur ta nouvelle existence. Enfin.. Au moment où tu es rentrée, tu as reçu un don, un pouvoir qui t'est propre. Le mien est de rendre fou en projetant des hallucinations. Nous verrons bien le tien. Autre chose, quand tu étais petite, normalement, tu t'es imaginé.. un ami maintenant oublié. Et il devrait à présent revenir. Moi, je ne sais pas encore quel est le mien. Le tien est sûrement cette boule de poil qui dort sur ton épaule.
A propos de ta vie de prisonnière, la meilleure solution pour l'instant, est d'errer dans le Pensionnat afin de découvrir le manoir où tu resteras pour la vie. Ce que je fais. "

Opaline caressa sa lapine comme pour se rassurer et se détendit. Visiblement, cet animal lui faisait perdre toute nervosité. Soudain, la petite bête ouvrit ses paupières et la petite sembla tout à coup très étonnée. Elle avait ouvert de grands yeux et avait posé son regard sur la bestiole puis avait regardé Lain d'un air interrogateur, en quête d'une réponse. Elle n'en avait aucune bien évidemment, elle ne connaissait pas la question. Comme l'autre paraissait visiblement dépitée, elle posa sa main sur la petite tête de la fillette et lui ébouriffa les cheveux comme pour la tranquilliser.

" Euh.. Tu veux peut-être que je t'aide ? .. "

La petite était tout retournée par elle ne savait quoi. Mais elle lui viendrait en aide !

- Lempicka a parlé, j'en suis sûre.
Es-ce que c'est cela mon don ? Pouvoir parler avec elle ?

Lain fut à peine étonnée. Quelques secondes à peine. Depuis son arrivée et même un peu avant, elle avait pris l'habitude de ne s'étonner plus de rien. Un animal qui parle ? Pourquoi pas après tout... Mais ce n'était sûrement pas son don. Non, car, cela reviendrait à dire que tous pensionnaires auraient un don unique qui serait de communiquer avec son alter ego. Et cela n'était pas possible : ceux qui les retenaient lâchement prisonniers n'y verraient aucun intérêt.
** Ce sont des tortionnaires qui s'amusent. Ils assistent à un long spectacle dont ils sont les organisateurs. **
Elle n'était évidemment pas prête à dire ce qu'elle venait de penser haut et fort. La petite, malgré sa précocité, restait une enfant de 10 ans, aussi sensible que tous les bambins de son âge. Peut-être même plus. Ainsi, elle le lui dirait... Plus tard. Même si elle se doutait que Opaline le soupçonnait.

"Non, ce n'est pas ton don. Il est sûrement bien plus élaboré ! Je pense que tu le découvriras bien assez tôt... Oui, bien assez tôt..."

C'était les yeux vides qu'elle avait dit ça. Oui. Si le pouvoir de la jeune princesse venait à être utilisé c'était qu'elle en aurait besoin et Lain se doutait bien que ce ne serait pas dans des circonstances habituelles et douces. Et elle craignait plus que tout que sa petite protégée ait à se battre ou à affronter un quelconque danger.
Non, elle n'avait pas du tout envie de connaître le pouvoir de la fillette. Peut-être une pointe de curiosité qui fait que nous sommes humains ( oui, mais me direz-vous, elle ne l'est pas : on lui aura mis quelques cellules la rapprochant un peu plus des Hommes ).
Ainsi donc, malgré son anxiété, luisait cette petite lueur qu'était l'envie de savoir.

" Peut-être même le saurons-nous tout de suite ! "

Elle n'avait peut-être pas tort...