Ce n'est que devant la tombe de Père et Mère que j'ai remarqué que quelque chose n'allait pas. D'abord, la toiture. Les formes ne correspondaient pas, et on aurait dit qu'il y avait plus de sommets qu'à l'origine. Le manoir semblait même plus grand. C'était flagrant même dans l'obscurité et le léger brouillard des landes. Depuis un an, la maison avait changée.
Mr. et Mrs Jefferson, mes tuteurs, ne m'avaient jamais parlé d'un quelconque changement apporté à la maison familiale. Une sensation malsaine me donna la nausée, mais la curiosité fut la plus forte. Guidé par ma chandelle que je tenais du bout des doigts, je m'avançais vers la demeure qui n'était plus la mienne, et qui, dévoilée par le halo fragile de la flamme vacillante, ressembla de moins en moins à mes souvenirs. Les briques, les fenêtres, l'architecture, tout était différent.
La porte elle, était entrouverte. Un peu de lumière filtrait par cette ouverture, ainsi qu'une douce chaleur parfumée d'odeurs de cire et d'épices. Silence.
Je ne me rappelle pas avoir voulu entrer. Mais un coup de vent brusque a éteint ma chandelle, et je me suis retrouvé dans le noir. J'ai fermé les yeux, très fort.


Je suis dans le manoir.
Derrière moi, la porte s'est refermée. Mon regard se porte sur la flamme à nouveau vive dans ma main. Des lampes éclairant les murs, je décide d'éteindre la mienne pour l'économiser. Où suis-je ?
Cet endroit ne ressemble en rien au manoir que j'ai connu. Bizarrement, ça me rassure... J'ai peur que l'esprit de mes parents rôdent encore dans le lieu où ils sont... Partis.
Il y a de longs couloirs dont je n'aperçois pas le bout, avec de longues taches d'ombre à certains endroits, ce qui me fait frissonner.
Au vu du sublime escalier, il doit y avoir plusieurs étages ici. Peut être trois, je ne pense pas plus que quatre... Le mobilier semble entretenu, de bon goût, et la tapisserie aux teintes sobres est en bon état. Quelques toiles d'araignées dans certains endroits, premiers habitants vivants que je rencontre ici. Au moins il n'y a pas de souris. C'est en tout cas quelqu'un d'aisé qui habite ici, peut être une autre famille qui a investit mon ancienne maison. Des gens de l'aristocratie... Ou des étrangers?
Retirant mon chapeau haut-de-forme, un peu perdu, mon regard se plonge sur des inscriptions annotées sur un panneau.
Je commence ma lecture, et n'en croit pas un mot. Ça me rappelle de bons livres que j'ai lu il n'y a pas si longtemps. Cependant, chaque phrase retient mon attention, et une partie de moi devient peu à peu inquiète, alors que mon imagination s'emballe.

C'est à peine si j'entends la porte s'ouvrir.

J’étais seule dans cette forêt lugubre et après une lutte incessante entre le soleil et la lune, la nuit apparut finalement. Habituellement il y aurait dut y avoir des animaux par ici. Pourtant il n’y avait pas âme qui vive, ainsi je me retrouvais seule. Etrangement je n’avais pas peur, au contraire, car je savais que si je mourrais ce ne serait pas important. Au fond, qui se soucierait d’une fille dont la vie s’était résumée, durant ces derniers mois, à rester esseulé dans une demeure vide sans manger pendant des jours ou alors s’empiffrer à n’en plus finir ?
Assise sur l’herbe fraiche, je contemplai avec froideur ce qui semblait être un infime croissant de lune. Les étoiles étincelaient sous la voute céleste, rien ne semblait vouloir gâcher ce moment de plénitude. Une soudaine envie de pleurer me serra la gorge. Comme ce jour-là, je sentis mes larmes monter et envahir petit à petit mes prunelles pour rendre ma vision floue. Je reportai à nouveau mon attention sur le croissant de lune, mais mes larmes –devenues à présent trop abondantes – ne me laissèrent pas voir plus longtemps ; tout comme ce jour d’ailleurs. Ce jour où tu as fermé les yeux, où tu as rejoins les anges. Ce jour où tu m’as dit adieu…



J’essuyai d’un revers de main les perles sur mes joues. Pas le temps de s’apitoyer, si je me faisais voir par ici, j’étais fichue. Je me relevai en reprenant Candice et continuai mon chemin à travers les bois. Un silence de mort régnait dans cette paisible végétation. Des reflets argentés sur des vitres m’apparurent un peu plus loin.

*Surement une vieille habitation abandonnée*

J’avançai donc comme le loup qui guette sa proie et me cachai derrière quelques feuillages pour épier les lieux. En réalité ce n’était pas qu’une simple et vieille habitation. D’accord, elle était vieille même carrément décrépit mais c’était un véritable manoir qui s’offrait à moi. Si je pouvais me cacher ici ce serait idéal pour ne jamais être retrouvée. Il devait y avoir de nombreux refuges secrets à l’intérieur, n’importe qui s’y perdrait, c’était parfait. Après avoir attendu durant une bonne heure je sorti enfin de ma planque et m’approchai contentieusement jusqu’à la grande porte. Mon instinct me disait de ne surtout pas rentrer et pourtant une autre partie de moi-même m’incitait à y aller. Et puis qu’est ce que je risquais à rentrer là-dedans ? C’est pourquoi, sans plus attendre je franchis le seuil. J’eus à peine fais quelques pas à l’intérieur que la porte se referma dans un son grave et glacial à vous en sortir l’âme par la bouche. Je fixai toujours celle-ci tout en reculant et percuta quelque chose qui, selon la dureté du choc était une personne, d’ailleurs un peu plus petite que moi. Je me retournai vivement - tout comme elle - et vit un jeune garçon aux airs assez sympathiques. Mais cela signifiait que ce manoir était habité, je devais donc partir immédiatement. Je marchai doucement jusqu’à la porte comme si de rien était et essaya de l’ouvrir, en vain.

*On dirait bien que je suis coincée ici*

Je me retournai donc avec un faux air réjoui - qui malheureusement laissait bien apparaître mon angoisse - et m’approcha du jeune homme.


-Bonsoir. Tu habites ici ?

Ce que je pouvais être stupide d’être rentrée comme ça. Maintenant j’allais surement passer un sale quart d’heure. Comme quoi, il faut toujours écouter son instinct…

Trop absorbé par les caractères écrits à la main dont le sens m'échappait, je ne remarquai même pas la nouvelle personne qui venait d'entrer, et me bouscula de coté, manquant de me faire chuter.
Mon chapeau tomba à terre, et je m'empressai de le reprendre et de l'épousseter d'un revers de la main, le tenant fermement contre moi, le visage tourné vers la jeune femme en face de moi.
Je restais alors quelques secondes médusé, tant son apparence m'intriguait. Une jolie peau blanche, contrastant avec des cheveux un peu teintés de vert, ce que je n'avais encore jamais vu. Et ses yeux... Rouges, mais pas comme si l'origine en était une maladie ou la fatigue. Une couleur naturelle.
Elle est très maigre, et son visage semble exprimer de l'amertume, ce genre d'alerte qu'ont les gens tristes qui recherchent un nouvel espoir. Elle est malheureuse, c'est flagrant. Tiens, elle repart.

Bizarrement, la porte ne s'ouvre pas, comme indiqué sur le panneau. Peut être que Dieu m'impose une épreuve. Le Clerc m'a souvent dit que la volonté divine pouvait se manifester des façons les plus obscures pour l'esprit humain. Le tout est de l'accepter et de se résigner à surmonter cette épreuve. C'est à peu près le discours qu'il m'a dit après la mort de Père et Mère.

La demoiselle a une jolie voix. En revanche, je ne trouve rien à lui répondre, et mon regard se détache d'elle rapidement, gêné, mes doigts triturant le haut-de-forme.

- Je... Je ne sais pas.

Mes yeux parcourent une nouvelle fois l'espace environnant, mais aucun souvenir de ma maison ne me revient. Rien ne correspond.

- Je croyais... Mais non. Il est écrit que nous sommes prisonniers.
Vous... Vous êtes déjà venue ici, mademoiselle.. ?

Implicitement, je donne le ton de façon à ce qu'elle comprenne que j'aimerais pouvoir attacher un nom à sa personne. En parallèle, je lui montre le panneau d'affichage en face de moi, la regarde à nouveau, puis baisse les yeux et malaxe à nouveau les bords de mon couvre-chef. Toujours un peu inquiet, je force mon esprit à rester calme et à attendre que la jeune femme ait fini de lire, et réagisse en conséquence. Je ne sais pas trop quoi faire...

- Vous... vous y croyez, vous ?

Décidément j’avais véritablement le don de me mettre dans des situations délicates. Je me retrouvais coincée dans un manoir qui, à première vue, n’avait pas l’air habité pourtant la présence du jeune garçon me disait tout le contraire. Il avait l’air inquiet, ce qui était normal puisqu’une étrangère venait de rentrer. Aucune importance, je voulais juste sortir le plus vite possible. Il prit la parole pour m’indiquer qu’il ne savait pas s’il vivait en ces lieux. C’était tout de même étrange de ne pas savoir cela mais à priori, il était surement atteint d’une malade comme celle dont on entendait souvent parler et que l’on nommait la malade d’Alzheimer. Il se tourna vers l’immensité du hall et mes yeux firent de même. L’espace était vraiment grandiose, un peu sombre mais tellement attirant. Il y avait quelques tableaux pittoresques, l’un représentait une vieille femme faisant la lecture à un groupe d’enfant assis autour d’elle pendant qu’une autre – quelque peu plus jeune - restait à l’écart dans un coin plus sombre de la toile. On y pouvait sentir un vague sentiment de mal-être. Sur un autre à droite du grand escalier était peint la typique scène de chasse, un tableau des plus ennuyeux d’ailleurs. Pour finir, il y en avait un qui devait bien faire 3 mètres de haut. Il représentait une jeune femme en robe datant du XVIIème siècle, elle avait une étrange expression comme si derrière son apparence jovial se cachait un démon. Elle ressemblait assez à la Joconde. Un lustre immense au centre de la pièce donnait une touche d’élégance à la pièce. Il était constitué de cristaux et de bougies qui semblaient n’avoir jamais été allumées. Je n’eus pas le temps de continuer plus longtemps dans ma contemplation car il reprit rapidement la parole. Selon ce qu’il venait de dire je me devais de préciser qu’en faite il n’était pas malade, juste étourdi je présume.

-Non, c’est la première fois que je viens ici.

Soudain, je me rendis compte de ce qu’il venait de dire. Prisonniers ? Qu’est ce que cela voulait dire, on ne pouvait pas être enfermés juste en posant le pied ici. Il me montra le panneau en face de nous et je m’y approchai rapidement. Après avoir relu une fois, puis deux fois et encore une autre fois, je me tournai vers la porte et tentai au nouveau de l’ouvrir. Rien à faire, elle ne bougerait pas. Et ce n’est pas en forçant dessus que ça allait changer quelque chose. Je revins près du jeune homme.

-Apparemment, nous sommes bel et bien prisonniers.

Elle lui adressa un sourire embarrassé et lui tendis la main.

- Oh désolée. Je m’appelle Pandore. Pandore Lacroix. Et toi tu dois être Allan Moonlight, je me trompe ?

Attendez une minute… Comment étais-je capable de savoir cela ? Ces terres étaient vraiment de plus en plus étranges. Je commençai à paniquer et je suppose que cela se voyait énormément. Je fixai Allan pendant quelques instants sans savoir quoi faire et autre chose m’apparut.
Je connaissais donc à présent son nom, son prénom et ce qu'il était, je suppose, capable de faire. Alors c’était ça mon "pouvoir" …