Qui a éteind la lumière ?

+

Loup fredonnait.
Dansait, aussi.
Et c'était pas du joli, joli.

- Sexbomb, sexbomb ...

La jeune femme effectua une pirouette assez peu élégante, manqua de s'exploser le nez contre un vicieux lampadaire et rattrapa son coup en s'y aggripant comme une bernique à son caillou. Elle passa sa jambe droite autours du poteau et tenta si bien que mal d'effectuer un tour complet à la manière sensuelle d'une stripteaseuse comme elle avait tant vue à la télé.( dans les clips musicaux, hein. C'est tout de même une jeune et innocente enfant de quinze ans ) Le résultat fut assez catastrophique, et elle ne masqua son ridicule qu'en posant un genou au sol et en terminant son interprétation de Tom Jones en un théatral :

- You my sexbomb !

Son cri de passion se perdit dans le silence nocturne de la rue, alors qu'elle se relevait en saluant un public imaginaire. Non, non, elle n'était pas bourrée. L'adolescente cligna des yeux en constatant qu'elle avait pas mal dérivé de son chemin lors de sa superbe prestation et fronça les sourcils. Elle ne connaissait pas cet endroit. Son haussement d'épaule balaya ses doutes, et elle s'engagea dans la ruelle d'un pas assuré et encore étrangement dansant.

Haut dans le ciel, la lune couvait la grande enfant de son œil rond, accompagnée de sa myriade d'étoiles scintillantes. Il était bien vingt-deux heures passée et la température ne dépassait pas les cinq degrés. La demoiselle ne semblait pourtant pas s'en soucier : simplement vêtue d'un débardeur blanc un peu sale et d'un jean délavé éraflé sur les genoux, elle n'avait même pas pris la peine de mettre des chaussures. Qui se promène le soir en chaussette en dansant toute seule sur du Tom Jones improvisé ? Loup bien sûr.

La gamine ferma les yeux et entama une nouvelle chanson, plus douce et inquiétante cette fois. La mélopée qui s'échappait de ses lèvres semblait dénuée de parole, jolie aussi, malgré la voix éraillée de son interprétatrice. Oh que la scène aurait put être romantique si elle ne s'était pas pris de plein fouet le mur de pierre qui lui barrait le passage. Loup rouvrit les yeux, aussi surprise que frustrée et de sa bouche s'échappa une série de juron plus grossiers les uns que les autres. Qu'est-ce que ce mur foutait là ? Ça apparaît pas comme ça un mur. Ou alors ça fait du bruit quoi, en trimbalant ses trucs et ses machins tout lourds !

Loup fusilla du regard une des nombreuses briques qui lui faisait face, comme si sont courroux pourrait transpercer la pierre. Chose qu'elle espérait d'ailleurs secrètement. Et ça marcha pas du tout, en fait. Enfin pas comme elle l'espérait vu qu'à la place de la parois minérale, apparut, une ... porte. Un grand portail sombre, entrouvert, dont les pointes hérissées de pics se dressaient vers les cieux comme dans toutes entrées de film d'horreur qui se respecte. Sauf qu'elle ne réagit pas du tout comme toute héroïne à peu près normales. Ses grands yeux chocolats s'écarquillèrent de surprise et sans accorder un instant à l'étrange phénomène qui venait de se produire, elle se précipita à l'intérieur en étouffant un Waaaaaah de gamine émerveillée.

C'était grand, sombre, froid, et ça faisait un tout petit peu peur. Soudain, 'immense porte claqua dans un bruit de tonerre, et à la place d'être sombre, le hall fut noir. Trèèèèès noir.

- EH ! QUI A ÉTEIND LA LUMIÈRE !?

Bien sûr, personne ne lui répondit, et elle poussa un soupir irritée, avant de commencer l'exploration de la bâtisse à tâtons. S'en suivit un quart d'heure où résonnèrent des bruits non identifiés de chutes, de jurons assez imaginatifs et de sons très reconnaissables d'objets qui se cassent. A la fin de son exploration, profondément frustrée de ne trouver aucun interrupteur ni rien qui aurait put produire une source de lumière et de se cogner à chaque meuble composant la pièce, elle s'assit par terre, et bouda. C'est ainsi que lorsqu'elle sentit quelque chose se frotter son genou de façon assez pressante, elle bondit sur ses pieds et rugit, hors d'elle.

- AH OUAIS, C'EST COMME ÇA, HEIN ! QUAND JE NE ME COGNE PAS VOUS, QUE JE DÉCIDE D'ÊTRE ENFIN COMPRÉHENSIBLE ET DE M'ASSOIR POUR PAS VOUS EMBÊTER, VOUS VENEZ CARRÉMENT ME CHERCHER ! ALORS LA, C'EST LA GUERRE !

Pensait-elle s'adresser à un fauteuil ?
D'un geste aussi courageux que dérisoire, la jeune femme dressa un poing serré au dessus de sa tête, pivota sur ses hanches et frappa l'objet-non-identifié qui avait osé l'interrompre dans ses ruminations. Sauf que tout ne se passa pas comme prévu. Déjà, ce ne fut pas du bois que ses phalanges raidies rencontrèrent, mais un ... Nez. Et le meuble en question lâcha une assez bonne imitation d'un grognement de douleur.
Oh-oh.

+

« Lily, chérie ? Réveille-toi !
- MAMAN ? Il n’est que sept heures du matin !
- Oui, mais aujourd’hui, tu vas à la patinoire à pied, répliqua Mme D. Teste, décidée.
- C’est une blague ? C’est quoi… tu as enfin compris que t’as besoin de chirurgie plastique ?
- Ne sois pas désobligeante, s’il te plaît.
- Benh nan… ça m’plaît pas, moi !
- Tu ferais mieux de partir maintenant, tu risques d’être en retard !»

Lily regarda sa mère, ignorant la petite voix qui avait remplacé sa conscience et lui proposait quelques moyens plutôt radicaux pour ne pas aller à pied. Finalement, elle se leva, résignée, jeta sa mère à la porte et s’habilla en tenue de Patineuse. Justaucorps bleu ciel à bretelles fines, volants qu’elle aurait volontiers arrachés et un énorme élastique assorti à la tenue autour de son chignon serré. Pour elle, mourir consistait à arrêter le Patinage, peut être était-ce la seule chose qu’elle pensait plus réussie qu’elle-même. Peut être, parce que ce n’était pas encore une certitude. La jeune fille enfila un jogging par-dessus sa tenue de sport et traversa la maison en coup de vent. En coup de vent…bruyant. Vous voyez, le genre qui claque toutes les portes sur son passage et fait même des détours pour en claquer plus, qui répond pas (ou sans grande conviction) au en-revoir passionné de sa mère... Le genre bruyant mais quand faut pas quoi !
A droite ou à gauche ? Ce fut la grande question ultra-pas importante de Lily lorsqu'elle fut sortie et eut le choix entre ces deux directions. A droite où à gauche ? Sur un haussement d'épaules elle tourna à gauche, c'est là que personne irait : les rues étaient sombres par là ! Et prendre les petites rues lui permettrait de couper le centre-ville et donc, d'arriver plus vite à la patinoire. Déjà, le soleil d'hiver se levait et ses rayons froids éclairaient quelques parcelles des allées suivantes.
Pendant que ses pas de danseuses l'éloignait de sa maison, une idée de vengeance naquit en elle ; sa mère devait payer pour l'avoir laisser aller à pied, alors quoi de meilleur qu'une petite frayeur pour culpabiliser ? Mouhaha ! En moins de trois minutes vingt-deux, elle avait trouver un super moyen de ne plus devoir trouver la Patinoire toute seule : elle s'arrêtera dans un endroit et (pour la première fois de sa vie) sèchera le cours de patinage, puis attendrait que sa mère la joigne sur son portable après que celle-ci aura reçu un bel appel de son coach alarmé qui se demanderait où elle serait passée ! Qu'elle était intelligente, la petite Lily ! Elle-même s'impressionnait.
Mettant son plan à exécution, elle se mit en quête d'un établissement public qui lui offrirait la possibilité de ne pas s'ennuyer. Elle marchait, marchait, tournait, revenait sur ses pas pour tourner de l'autre côté... elle commençait à désespérer lorsqu'une énorme bâtisse noire apparut devant elle. Apparut ? Non ! Aucune chose aussi grande ne pouvait apparaître ainsi ! Et puis, Lily avait un sens si développée de l'orientation qu'elle se pouvait se perdre dans le centre commercial de la ville. Elle devait se tromper, après tout, qui a dit qu'elle faisait attention à la direction qu'elle prenait ? Un sourire diabolique s'inscrivit sur ses lèvres lorsqu'elle aperçut le panneau "bar des vengeances" près d'une fenêtre cassée, sans doute par un ballon, en haut du bloc sombre.
Après une ou deux hésitations, elle inspira, ouvrit la porte et se retrouva dedans. Dans quoi en faite ? Parce qu'à part du noir, du noir et...du noir, ben... y avait pas grand chose en faite. La porte s'était refermée sans un bruit, sans un soupçon alors que la luminosité de la pièce n'avait pas changé : entièrement et inlassablement emplit de noir.

« EH ! QUI A ÉTEIND LA LUMIÈRE !? »

Lily sursauta en entendant une autre voix. Était-ce sa conscience qui lui parlait ? Elle secoua la tête, tentant de se persuader elle-même qu'elle n'était pas folle. La voix était étrangement proche. Alors, avançant telle une aveugle, elle se permit d'explorer les quatre coins de la pièce, se cognant contre les murs et sursautant à chaque bruit d'objet qui se brisait sans qu'elle n'en eut touché un seul.

« AH OUAIS, C'EST COMME ÇA, HEIN ! QUAND JE NE ME COGNE PAS VOUS, QUE JE DÉCIDE D'ÊTRE ENFIN COMPRÉHENSIBLE ET DE M'ASSOIR POUR PAS VOUS EMBÊTER, VOUS VENEZ CARRÉMENT ME CHERCHER ! ALORS LA, C'EST LA GUERRE ! »

Non. Là, c'était sure : il y a avait quelqu'un d'autre dans la pièce. C'était obligé, ou alors elle serait obligée d'aller voir un psy en revenant chez elle. Si elle avait raison, ce qui était sans doute le cas comme souvent, ce n'était pas elle la malade : c'était plutôt celle qui parlait toute seule et sans se rendre compte qu'elle paraissait totalement stupide apparemment.
Elle n'a...

« AIEEE ! »

Cette fois, elle en convenait, ces paroles venaient d'elle, et de son nez, certes. Sans qu'elle ne l'ait vu venir (dans l'noir en même temps --') son membre, celui qui dépassait du reste de son corps (ne vous méprenez pas, Lily est une fille), s'ensanglanta après avoir subi une affreuse et brulante douleur.

« QUI EST L'HORRIBLE ET STUPIDE PERSONNE QUI A EU L'AMABILITÉ SINCÈRE DE M'ENVOYER UN DE CES POINGS DANS L'NEZ ? »

Si elle avait su, elle aurait reporté sa vengeance à plus tard.

+

Un meuble qui parle.
Déjà, on peut s'avouer discrètement que c'est pas très commun, et de plus possesseur d'un nez, carrément inexistant. Mais la très chère Loup semblait continuer à y croire dur comme fer et ses grands yeux écarquillés témoignait de sa surprise. Quoi, quoi, quoi ? Qu'entendait-elle ? Elle venait peut être d'assassiner le dernier représentant d'une espèce en voie de disparition qu'étaient le fauteuil parlant ? Elle ne broncha pas, pétrifiée de sa haute trahison, persuadée que d'ici à peine quelque seconde l'équipe du NCIS au grand complet allait débarquer pour venir l'arrêter, lui mettre les menottes ( Miam ! ) et la conduire dans leurs quartier Général. Elle resta stupidement immobile, les bras ballants, la bouche entrouverte, jusqu'à ce que ce nouveau délire ne lui monta au cerveau. NCIS = Beau gosses = Bonne affaire. Un sourire enfantin déchira son visage, et elle posa un genou à terre, avant de déclarer d'un ton solennel, sans écouter les hurlements de protestation du pauvre meuble torturé qui lui hurlait sa surprise et sa douleur.

« Pardonne moi, cher et noble fauteuil, je ne voulais pas te frapper, j'ai un instant crut à une provocation. Mais grâce à ton courageux sacrifice, je vais enfin pouvoir rencontrer mes idoles.

Elle continua sur un ton de confidence, sans se rendre compte de son ridicule.

- En plus ils vont me passer les menottes, Mamamia !

Loup posa une main sur le cœur, ouvrit la bouche pour commencer un funeste discourt qui saluerait le courage, la noblesse et la fougue avec laquelle il avait combattu et repoussé la mort quant une sorte de long truc poilu, n'apparaisse à côté d'elle, jambe d'un quelque chose non-identifié. Un gros quelque chose. Un trèèèès gros quelque chose même, car lorsqu'elle se releva d'un bond, le quelque chose en question détala dans un bruit chaotique et méconnaissable.

- Fauteuil ? Tu ... tu n'es pas mort ?

Elle était définitivement stupide.
La jeune femme fronça tout de même les sourcils, en proie à un étrange mal de tête, dut à une trop grande réflexion. Le meuble mort, qui était allongé agonisant juste devant elle avait bougé - sans bruit - pour se placer à sa droite et s'était fait pousser au minimum quatre pattes étant donné le rythme du et la mélodie du galop. Mouais, réponse plausible. Rejetée lorsque un grognement irrité retentit là où le meuble sois-disant mourrant se trouvait au départ. S'était-il dédoublé.

- Dis moi, gentil meuble, sussura-t-elle d'une voix faussement amicale, un peu frustrée que ni Gibbs, ni Dinozzo ne soit venue lui passer les menottes, pourrais-tu m'expliquer pourquoi tu était là, et après là, en étant toujours là.

Tès clair.

+

«Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaargh ! MAIS OÙ SUIS-JE TOMBÉE ? SONT-ILS TOUS FOUS ICI ? Faut qu'j'arrête de parler à une fille qui sait même pas compter jusqu'à 3. Et voilà qu'je parle toute seule... Naaan ! »

Durant tout le temps qu'elle mit à avaler ses paroles, un silence incroyable était tombé dans la salle toujours obscure. Lily se tenait la tête de peur qu'elle ne tombe, manque de lucidité présente, et fermait les yeux dans l'espoir que peut être, c'était un rêve. Ça ne pouvait être que ça.
Elle soupira un bon coup puis se reprit, un léger sourire aux lèvres :

« Sache, jeune fille stupide et violente, que le fauteuil en question te précise au passage qu'il parle aussi et, comme SuperMan, peut courir plus vite que la lumière. »

Hélas, son sourire disparut aussi lorsqu'elle s'aperçut que son l'imbécile ne répondait pas. Lily n'était pas vraiment connue pour sa patience et sa délicatesse pourtant elle fit un effort :

« TU SAIS CE QU'IL TE DIT LE FAUTEUIL QU'EST PAS UN FAUTEUIL ? IL TE DEMANDE D'ALLER TE FAIRE VOIR ! JE M'APPELLE LILY, JE SUIS VIVANTE ET DEPUIS TOUT A L'HEURE JE SUIS CLOUÉE AU SOL PARCE QUE AU CAS OÙ TU N'AVAIS PAS REMARQUÉ, C'EST MON PIED LE TRUC MOU SOUS TA CHAUSSURE ! »

A court de souffle, Lily se rendit compte une fois de plus combien crier était apaisant. Mais étrangement et pour la première fois de sa vie, elle craignit. Quoi ? vous allez me demander... Elle craignait la réponse de cette abrutie et se demandait combien de temps elle pourrait tenir sans la tuer. Vingt secondes tout au plus si elle continuait ainsi.
La question restait tout de même importante et mystérieuse, comment pouvait-on être aussi bête ? Était-ce possible seulement ? Cela devait être une blague parce qu'on nait avec un minimum de cerveau tout de même ! Lily ne comprenait toujours pas pourquoi l'enfoiré-de-chouchouteur-d'en-haut pouvait créer des êtres aussi dénués d'intelligence potentielle. Na-na ! Pas possible.

Lily secoua la tête sur cette dernière conviction : on ne pouvait pas être aussi bête.

+

Loup était une personne très tolérante.

Elle supportait les profs de techno aux haleines putrides et aux bombardement de postillons jaunâtre. Elle supportait quand ses cours de sport étaient remplacés par du Français ou de la géo. Elle supportait avec courage les bisou baveux et les câlins cauchmardesque de tantine. Ou pire encore, quand on remplaçait Dr House par un match de foot. ... Nan pas ça, mais passons.

Oui, Loup était décidément très tolérante.

Mais il y avait une chose, la chose ultime qu'elle ne supportait pas – après les copines de Gibbs, les racistes des nains et les écolos qui veulent arrêter la production de chocolat -, c'est la trahison.

- Tu n'es pas un fauteuil parlant.

Comment une phrase aussi stupide pouvait-elle exprimer autant de peine et de colère mêlés ?

La traîtrise la frappa pourtant en plein coeur et elle alla jusqu'à en oublier l'étrange dédoublement du sois-disant meuble, trop profondément meurtrie. De colère, elle releva les yeux pour fixer l'endroit ou se tenait sûrement la menteuse, et se redressa de toute sa hauteur, lançant d'une voix claire et assurée.

- Lumière.

Et ... Il ne se passa absolument rien. Autant tenter le tout pour le tout.

- Euh ... S'il vous plaît ?

La pièce s'illumina. Grande, hautaine, sûrement du siècle de Louis XVI, ce genre de bâtiment était du genre qu'on remarque. Et le problème, c'est qu'elle ne l'avait jamais remarqué. Ok, elle avait parfois tendance à se montrer un petit peu stupide. Voir plus qu'un petit peu. Mais quand même. Puis, une silhouette svelte attira son attention. Menue, musclée, droite et aérienne, l'adolescente qui se tenait devant elle avait tout d'une sportive. Ses cheuveux bruns noués en un chignon serré et sa bouche fine et pincée témoignait une personnalité visant la perfection, incapable d'admettre ses erreurs. Ayant sûrement l'âge de Loup, elle était très belle, style de personne à qui tout sourit. La lueur de ses grands yeux bleu marine contredisait l'arrogance de son visage. Cette fille souffrait, éventuellement male dans sa peau. Bonjour, je suis désolée de t'avoir frappé. Alors, comment va la vie ?

- Ah t'as vraiment une sale gueule. J'aurais du frapper plus fort.

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