Adossée à un arbre, Anya contemplait l’eau immobile en face d’elle. D’un noir d’encre, elle semblait une mare de goudron venue lécher la rive d’herbe verte. Enfin, « verte », c’était vite dit ; avec la nuit, le sol aurait très bien pu se colorer en violet que la jeune femme n’en aurait rien su. Cela faisait cependant quelques petites heures maintenant – du moins était-ce l’impression entretenue par son esprit – qu’elle était assise sur cette herbe verte à regarder décliner le soleil puis scintiller les étoiles, et le tapis herbeux ne semblait pas disposé à changer de couleur.
Ça lui aurait fait une belle jambe, tiens.
Depuis qu’elle avait franchi la porte du Pensionnat ce matin, Anya réfléchissait beaucoup mais de façon peu intelligente. Ainsi, penser à la tête que devait être en train de tirer son père ou encore à cet oiseau en quête de ver de terre sous ses yeux n’avait d’utilité que la distraction momentanée, et ne résolvait en rien des problèmes plus existentiels ; mais après tout, question de priorité. La jeune femme ne pensait nullement à ce qu’elle allait bien pouvoir manger dans les prochaines heures, si l’endroit était assez sûr pour qu’elle y fasse un somme, ou encore où est-ce qu’elle se trouvait ; pourquoi ne croisait-elle personne alors qu’elle savait qu’il y avait des gens en cet endroit – du moins, qu’il aurait dû y en avoir.
Aussi, lorsque des bruits de pas se firent entendre derrière elle, la faisant brusquement basculer hors de ses pensées, c’est la surprise qui prit place dans son esprit avant tout autre émotion. La jeune femme n’était cependant pas stupide et savait très bien que se découvrir pour se trouver dans le champ de vision – et d’attaque - d’une personne dont elle ignorait tout relevait plus de l’inconscience que de l’indifférence charismatique qu’elle affectionnait. Elle resta donc adossée à son arbre, sans bruit ; elle entendit des craquements, perçut de faibles étincelles et en conclut que quelqu’un tentait de craquer une allumette, sans succès.
« Y a… Y a quelqu’un ? Je sais que vous êtes là ! Répondez ! J’ai une arme sur moi et je n’hésiterai pas à m’en servir ! »
Anya avait dû émettre un quelconque bruit, ne serait-ce qu'en écrasant une brindille, qui l'avait trahie aussitôt. Souriant, dans une attitude plutôt condescendante, devant la panique croissante de la jeune fille – car il s’agissait bien d’une jeune fille qui se tenait là -, elle se leva et défroissa quelque peu ses vêtements. Elle fixa quelques instants le halo de lumière formé par une allumette finalement allumée, fit un pas en avant puis dit :
« Bonsoir. Je ne suis pas armée, je m’apprêtais simplement à dormir. »
C’était un semi-mensonge, puisqu’elle n’avait pas prévu le moins du monde de plonger pour le pays des rêves, pour autant il lui aurait été fort possible de s’endormir par mégarde. Surtout, elle se fichait bien de ce qu’elle pouvait raconter à cette inconnue nerveuse, dans un Pensionnat perdu au milieu, semblerait-il, des lieux et des époques, où personne ne la connaissait et ne voulait la connaître. Elle ne demandait d’ailleurs rien de plus que d’être laissée en paix jusqu’au matin ; ensuite, elle aviserait. Il fallait avouer que la nuit ne prêtait guère à des expéditions hasardeuses concernant la recherche d'informations.
La nuit, c'est le royaume des morts.