AccueilAccueil  RechercherRechercher  Dernières imagesDernières images  S'enregistrerS'enregistrer  ConnexionConnexion  
-39%
Le deal à ne pas rater :
Pack Home Cinéma Magnat Monitor : Ampli DENON AVR-X2800H, Enceinte ...
1190 € 1950 €
Voir le deal

Partagez | 
 

 Au fond de l'inconnu, pour trouver du nouveau ! [post unique]

Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Aller en bas 
AuteurMessage
Invité
Invité


+

Au fond de l'inconnu, pour trouver du nouveau ! [post unique] _
MessageSujet: Au fond de l'inconnu, pour trouver du nouveau ! [post unique]   Au fond de l'inconnu, pour trouver du nouveau ! [post unique] Icon_minitimeJeu 24 Mar 2011 - 21:16


" Assez vu. La vision s'est rencontrée à tous les airs.
Assez eu. Rumeur des villes, le soir, et au soleil, et toujours.
Assez connu. Les arrêts de la vie. - Ô Rumeurs et Visions !
Départ dans l'affection et le bruit neufs !"
Départ - A. Rimbaud

24 mars 1940
M'en aller.

La destination était secondaire ; une obscure bourgade de Bretagne nommée Landerneau-la-Forêt, où ma tante s'était réfugiée en compagnie des deux jumeaux, Édouard et Louis. Je ne fuyais pas l'Occupation omniprésente dans la capitale ni les croix gammées accrochées aux bâtiments, juste des souvenirs trop douloureux. Paris sans mon ami n'avait plus le moindre sens. Les passants, les vagues connaissances, l'appartement, les boulevards : tout m'indifférait à présent. Ma mère eut un drôle de regard brumeux quand je lui annonçai la nouvelle. Elle me tendit une enveloppe avec un air presque triste.

- Une lettre de Thomas, elle est arrivée hier., précisa-t-elle.

Après un instant de silence, elle me serra longuement dans ses bras. Elle avait une certaine raideur, mais aussi beaucoup de tendresse. J'en fus étonnée : moi qui étais persuadée que nous n'étions plus que des étrangères ! Mais pas de temps pour les regrets. Cette fuite m'était nécessaire. Je fis rapidement ma valise. De toute façon, je m'habillais en veuve, mes robes se ressemblaient toutes. Alors que j'allais quitter ma chambre sans autre forme de procès et peut-être pour toujours, mon regard s'accrocha au petit livre abandonné sur un coin de mon bureau. J'hésitai un instant, me mordillant la lèvre, puis rouvris l'étui du violoncelle - quelques partitions, papier, lettre de Thomas, enveloppes, timbres et plumier s'y étaient cachés pêle-mêle. J'ajoutai le mince recueil, je n'allais pas abandonner tous mes souvenirs. Puis, sans plus tergiverser, je fermai la porte et partis pour la gare.

Saint-Lazare grouillait de monde. Quelques Allemands surveillaient les voyageurs, en arrêtaient parfois pour contrôler les papiers ou les laissez-passer. Je baissai furtivement la mantille que j'avais "empruntée" à ma mère et pressai le pas. Nul ne prêta attention à cette jeune fille en habit de veuvage qui marchait encombrée par une lourde malle et un violoncelle. Mon sens de l'orientation ne me fit pas défaut et je trouvai sans encombre le quai. J'attendis un peu sous un soleil trop chaud pour la saison. J'étouffai dans ma lourde robe, mon violoncelle pesait lourd sur mon bras. Je sentis ma vision se brouiller lorsqu'arriva le train devant me conduire à Landerneau. Non, ce n'était pas le moment de s'évanouir ! Je partais, je quittais enfin l'atmosphère délétère de Paris pour aller m'enterrer dans un petit village, y lire et y jouer de la musique tout mon soûl jusqu'à ce que finisse la guerre et que je puisse retrouver Thomas. J'allais enfin pouvoir oublier l'ami trop vite envolé ; il me manquerait, pourtant.
Les wagons défilaient les uns après les autres tandis que le train freinait. Je m'essuyai les tempes que j'avais glacées. Le sol cessa de tourner, et le train s'arrêta enfin tout à fait.

Je me retrouvai alors tout à fait en face d'une porte bien étrange. Plusieurs pensées tentèrent en même temps de traverser mon cerveau malgré la migraine qui me vrillait les tempes. Depuis quand ils font des portes en bois pour les trains de voyageurs ? D'accord, je voyageais en première classe, mais tout de même, on n'avait jamais vu des portes en bois massif, ornées d'arabesques sculptées sur des lignes nationales. Cela devait peser diablement lourd, et puis ce n'était pas commode d'ouvrir des doubles battants aussi imposants à chaque gare. Et bon Dieu, quelle était la nécessité d'un heurtoir ?! On ne frappait jamais aux portes des trains, que je sache. En tout cas, s'il y avait des gens pour le faire, il était rare qu'ils s'arrêtent. Alors, à moins de vouloir perdre un bras, quel idiot serait allé frapper avec ce morceau de métal figurant une gargouille sur la porte en bois massif - cela ressemblait même à de l'olivier ! - d'un wagon ferroviaire ? Il devait décidément y avoir des gars qui ne tournaient pas rond, à l'administration. Dans le même instant, j'eus le temps de noter que la porte ne semblait pas tout à fait solidaire du train : elle dépassait de quelques centimètres au dessus et ne suivait pas l'arrondi de la paroi en-dessous. Plus étrange encore : toutes les personnes qui avaient attendu à mes côtés s'étaient dirigées vers l'une ou l'autre des portes tout à fait normales, métalliques, qui encadraient ma porte en bois ; tout à fait comme si cette dernière n'était réelle que pour moi. Toutes ces considérations me passèrent très rapidement par la tête, n'aboutissant qu'à une seule conclusion :

- Bizarre., soufflai-je.

J'avais développé lors de mon enfance solitaire la désastreuse habitude de parler toute seule pour rassembler mes esprits. J'oscillai actuellement entre deux options : aller vers une autre porte et continuer sans encombre mon trajet jusqu'à Landerneau. Ou pousser ces lourds battants et me retrouver dans une situation potentiellement dangereuse, inédite en tout cas. Un frisson d'excitation me parcourut le dos. La porte s'entrouvrit en grinçant, comme une invitation. Que risquai-je, dans le pire des cas ? Qu'ils soient des Allemands. Je m'excuserais platement, je changerais de wagon, et puis voilà. Sinon ? Eh bien, une bonne surprise peut-être. La curiosité fut plus forte, je pris mon violoncelle et passai la porte. Un grand bruit résonna derrière moi, mais je n'y prêtai pas attention, trop obnubilée par le spectacle qui s'offrait à mes yeux. Elle était là, la bonne surprise. Une pièce aux dimensions d'un hall de manoir s'offrait à mes yeux. Je restai bouche bée. C'était magnifique, indescriptible. Des fauteuils tendus de velours damassé, des tapisseries, un escalier baigné de lumière - Un escalier ? Depuis quand ils faisaient des escaliers dans les trains ? Et puis, la pièce dans laquelle serait rentré deux fois mon appartement, palier compris, n'avait clairement pas les dimensions d'un wagon ferroviaire. Dans quel guêpier m'étais-je fourrée ?

- Excusez-moi, lançai-je d'une voix nouée. Excusez-moi, il y a quelqu'un ?, repris-je un peu plus fort. S'il vous plaît ? Je parlais d'une voix assurée désormais, répercutée par l'écho. Il y aurait forcément quelqu'un qui m'entendrait. Je cherche le wagon restaurant, s'il vous plaît !

Et en plus, j'avais perdu ma valise. Ah, quelle chance décidément ! Je me dirigeai vers la porte. Peut-être le train n'avait-il pas encore quitté le quai. Je savais bien que c'était inutile, que je venais de passer dans une réalité autre - rien d'autre n'aurait pu expliquer les dimensions de la pièce. Mais je devais tout de même essayer. Je tirai, je poussai sur la poignée. Rien. Puis je criai, je tambourinai. La porte refusait obstinément de bouger. Épuisée par ma migraine, déboussolée, j'abandonnai après une ou deux minutes d'efforts infructueux. J'avisai alors le panneau de liège où étaient punaisées quelques notes "à l'attention des nouveaux arrivants". A mesure que je les parcourais du regard, je sentais mon sang se glacer dans mes veines, mes tempes me lancer. Ce n'était pas possible, non. Malheureusement, je sentais au fond de moi que je venais d'être faite prisonnière. A tout jamais.

Je restai assise, prostrée, sur une marche de l'escalier durant un temps qui me parut infini. Puis, une fugace pensée me traversa l'esprit, m'arrachant une esquisse de sourire. Je me décidai à bouger, à partir explorer les couloirs de ma prison. J'étais déjà presque résignée ; cette effarante nouvelle - je ne reverrai jamais plus ma famille, jamais plus Thomas, jamais plus le Luxembourg - me laissait étrangement calme et sereine. Après tout, je n'avais que peu de choses à regretter : un ami au front, un cousin dans le maquis. Je ne saurais jamais ce qu'ils deviendraient, je n'aurais jamais à affronter l'annonce de leur mort. Je pourrais toujours les garder jeunes, heureux, rayonnants dans mon esprit. Ils ne seraient jamais défigurés, jamais traumatisés par la guerre. Personne d'autre qu'eux ne m'attendait. Aussi pus-je accepter, étonnamment sereine, ma nouvelle réalité. Je tirai un trait sur mon passé et partis en exploration, un demi-sourire au coin des lèvres.

Je n'avais pas perdu mon violoncelle.
Revenir en haut Aller en bas
 

Au fond de l'inconnu, pour trouver du nouveau ! [post unique]

Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Revenir en haut 
Page 1 sur 1

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
xX || Pensionnat Interdit || Xx :: .:: Hors-Jeu ::. :: Tiroirs scellés :: Archives :: Sujets de PI v.2-
Sauter vers: