Lienna n’avait pas l’habitude de se lever tôt lorsqu’elle était à Montréal. Au pensionnat… et bien il était difficile de savoir si son habitude était restée car elle regardait rarement à travers la fenêtre. La jeune femme rabattit les draps d’un coup de pied en grognant. Kuma-kuma imita sa maîtresse et s’ébroua en se levant du sol. Elle ne rêvait jamais. Son cœur battait la chamade. Elle ne rêvait jamais. Mais cette fois-ci elle s’était réveillée.
D’une main molle et fatiguée, la rouquine passa son visage en revue. Front, sourcils, yeux, nez, bouche, menton; tout était là et dans le bon ordre si ses souvenirs étaient bons. Voilà plusieurs jours qu’elle passait à répéter la même routine. Le matin (ou du moins, le moment où elle se levait), elle montait Kuma-Kuma et, ensemble, ils « galopaient » jusqu’aux cuisines où elle mangeait jusqu’à ce qu’elle soit attirée par autre chose. La semaine dernière, une souris parlante lui avait parlé avec un vocabulaire des plus inusités. Comme une sorte de français très soutenu. Vraiment bizarre.

-Mademoiselle je ne puis m’empêcher de voir
De vous un reflet autre que celui d’hier soir !
Voilà que ce qui chez vous était roux hier
Aujourd’hui vient effleurer les tons de la terre.
À présent veuillez pardonner cette intrusion
Car je dois vous laisser sans plus de sommation.

À bien y réfléchir, Lienna aurait dû lui demander plus d’explication, mais elle avait un demi sandwich-mayonnaise-saucisse-jambon-salami-cornichon-tomate-arachide-confiture dans la bouche et le reste de son repas dans les bras. Impossible pour elle de prononcer autre chose qu’un : « Fe ‘oua ‘u Fff’arle? » peu éloquent alors que le rongeur prenait la fuite dans un trou de souris. Il y a eu un couinement de pudeur offensée et des excuses en alexandrins alambiqués.

La jeune femme se brossa les dents et leva les yeux vers le miroir.
Quelque part, un nain vert aux oreilles pointues ressentit un trouble dans la force, comme si un million de voix… ou une seule c’était élevée puis c’était éteinte aussitôt. Mais qui croirait qu’une seule personne puisse émettre un son pareil de toute façon !
Lienna se releva fébrilement en s’accrochant à l’évier de la salle de bain. Impossible. Comment et surtout depuis quand ?

Non ! Pire encore, comment s’en procurer? Elle ouvrit tous les tiroirs. Un tampon, un séchoir, une boîte de conserve contenant des haricots rouges qu’elle avala pour se calmer légèrement. Kuma-Kuma pressa doucement son nez contre la main de la jeune femme. Sa teinture était partie. La pluie ? Peut-être cette douche qu’elle avait prise la fin de semaine (ou le mardi ? C’était peut-être une lundi… ). Elle croyait que c’était peut-être juste de drôles de menstruations. C’était bizarre aussi qu’elles soient si courtes.

-Fuck, man ! Check ça ! Mes cheveux sont bruns ! J’vas faire quoi avec ça ! Y as-tu de la teinture quelque part ? Cherche Kuma !

L’ours poussa un grognement pour lui indiquer qu’un ours pouvait difficilement rechercher quoi que ce soit et qu’il était mieux placé pour éventrer un saumon. Son ventre gronda pour confirmer ses dires.

-J’aurais dû être plus imaginative quand j't'ai imaginé, hein?

L’ours gronda et grignota le reste de ses haricots. L’adolescente fouilla ses tiroirs et s’emmêla tant bien que mal un fichu sur la tête. Elle avait l’air louche, mais pas brunette ! Oh ça non ! D’un geste digne du plus grand cavalier de film western, Lienna enfourcha son ours et ils sortirent de la pièce sous le regard effaré de sa compagne de chambre que la jeune fille n’avait tout simplement jamais vu car elle ne se classait pas dans la catégorie « potentiellement à manger ».
Arpentant les couloirs avec un air de guerrière nordiques Lienna lança la partie de chasse au canardau lapin à la teinture rouge. Comment s’y prendre pour chasser la teinture ? On ouvre l’œil et on renifle bien ! Si elle parvenait à voir les nuances de l’odeur de teinture… Bleu poudre aux reflets de gris ? Orange-bleu ? Ou un vert petit pois malade.

Rien. Elle reconnaissait toutes ses odeurs. Non. Non. Non !

-Là ! Elle pointa ce que n’importe qui désignerait comme étant le vide, mais qui était un parfum. Plus particulièrement un parfum qu’elle ne connaissait pas. Un noir livide ! CHAAAAAAAAAAAARGEZ !

Quelque part, un cor de chasse retentit sans qu’on en sache la réelle signification.