On perd la gagne, la superbe [Libre]

La porte se referme derrière Chelsea. A priori, ce n'est pas la clinique où est hospitalisée sa mère. Dans une clinique, on trouve généralement une ou deux secrétaires à l'entrée qui vous font des sourires cons et factices, un sol en carrelage blanc et une odeur de médicament et de détergeant. Ici, il y a un hall de manoir assez ancien, un sol en parquet qui craque, un tapis dans des couleurs chaudes et ça pue le vieux. La belle rousse est sans doute tombée par accident chez un riche particulier.
Elle s'assoit dans un fauteuil de velours vert. En soit, elle s'est doutée de son erreur dès son arrivée au grillage, mais elle n'a pas réagi : la photo de la clinique qu'elle a trouvé sur le net montrait bien une vieille bâtisse, retirée dans les bois, retapée en un espace médicalisé pour vieux mourants. elle est encore sous l'influence de son dernier joint, et puis elle n'est pas si sûre de vouloir la revoir, sa mère. Elle ne lui a pas parlé depuis, quoi, deux ans ? Cette nulle a bien essayé de contacter sa fille, mais ce fut en vain. Il n'y a eu que l'annonce que lui a fait Matthew la veille. Coma.
Chelsea se relève de son fauteuil, au bout de quelques minutes. Bon, on ne va pas rester ici trop longtemps, même si s'arrêter ici l'arrange : sa voiture est pratiquement à court d'essence, alors qu'elle est à plusieurs kilomètres de la ville la plus proche ; il pleut des cordes, un orage menace, et elle n'aime pas conduire sous une forte pluie ; en plus, elle risque d'attraper froid par ce temps, vu sa tenue - un micro-short taille haut en daim brun sombre, un chemisier en dentelle blanc, des plumes de toutes les couleurs dans les cheveux, un collier en forme d'attrape-rêve, douze centimètres d'escarpins assortis au short.
Elle a promis qu'elle viendrait à l'hosto... Et puis, merde, même si cette créature lui a bouffé son enfance, c'est sa mère.
La jeune femme attache ses cheveux en une queue de cheval haute qui laisse un bon paquet de mèches folles en toute liberté autour de son visage, puis elle retourne à la porte du manoir. Il faut mieux partir avant que les proprios ne se rendent compte de sa présence, ça la foutrait mal.
...
La porte ne s'ouvre pas. Chelsea ressaie, mais la porte ne bouge pas d'un centimètre. La maigre rousse commence à s'agiter, à secouer en vain la poignée, et elle n'obtient toujours aucune réaction. Quelques coups de pied ne marchent pas non plus. C'est quoi ce délire ?
La rouquine commence à paniquer. Comment est-ce possible ? Elle n'a vu personne venir toucher à la serrure la porte pendant qu'elle était assise. Elle n'a pas entendu le bruit d'un verrou. Ce n'est pas croyable, comme une histoire, une porte ne se ferme pas d'elle-même !
Elle retourne s'asseoir dans le fauteuil vert. Qu'est-ce qui se passe, bordel ? On la séquestre, là, mais comment ? Comment est-ce que ce qui vient de se produire est faisable ? Y aurait-il un fou furieux qui l'aurait vu et admiré dans les magazines et qui, en la voyant s'introduire dans sa demeure, décide de l'enfermer ? Ce scénario ne tient pas la route, et de toute façon, comment on fait pour verrouiller cette putain de porte comme ça ?!
Sa tête bascule en arrière, elle commence à paniquer. Chelsea ne sait pas quoi faire. Sa main gauche commence à gratter son bras droit, tandis que sa main droite s'attaque furieusement à son cou. Elle flippe, elle stresse. Elle ne sait pas ce qu'elle va faire, comment sortir. La personne qui la séquestre ne risque-t-il pas de la violenter, voir même de la violer. Elle va peut-être même être tuée. Putain, non...
Une succession d'images surgissent dans son esprit. Le dîner chez Machine qui était prévu ce soir, la session de photographies organisée par Maverick ce week-end, ce défilé dans deux semaines, l'abonnement à la presse féminine qui va continuer sans qu'elle ne puisse en profiter, les cachets d'ectasy laissés dans le tiroir de sa table de chevet à côté des pilules contraceptives. Et puis, il faut bien l'avouer, sa mère dans un lit d'hôpital. Et dans quelques temps, peut-être, sa mère dans un cercueil.
Et elle, elle, que va-t-elle devenir, la pauvre Chelsea sans son univers, son boulot, ses drogues ? La grande Chelsea, l'étoile montante des podiums luxueux et l'égérie d'un grand nombre d'artistes camés, la femme égocentrique que rien ne semble abattre, se retrouve si soudainement... démunie.
Amorphe à l'extérieur, paralysée par la stupéfaction et la peur, en ébullition dans sa tête, elle arrive néanmoins à saisir dans son sac un joint qu'elle avait roulé un peu plus tôt et qu'elle comptait fumer à la sortie de la clinique. Elle sort un Zippo et allume son truc.
Ça s'assèche dans sa bouche et ça se détend dans son esprit. Que faire maintenant ?

+

Back in black, la célèbre chanson du groupe AC/DC, finissa de beugler dans ses oreilles. Il éteignit son portable en soupirant. Ce devait être le début de l'après-midi, vu que le soleil était encore haut dans le ciel, bien qu'un peut cacher derrière les nuages. Mika venait d'arriver le matin même, n'avait pas découvert encore son "fameux" pouvoir, mais il se voyait en compagnie d'un magnifique faucon. D'ailleurs, il ne l'avait pas revu depuis ses huits ans, mais son retour lui avait fait un petit choc. Falcon était... un peu transparent, comme si c'était un fantôme, mais il avait l'air sympa. Pour un faucon.
Mika soupira, retira ses écouteurs et ses habits, puis choppa la première serviette qu'il trouva. Il sortit dans le couloir et prit la direction des douches. Il ne resta pas longtemps (vous ne pouvez pas savoir à quel point c'est légèrement flippant d'avoir un Aea qui vous fixe pendant que vous vous lavez...) et se sécha rapidement. Il revint en moins de dix minutes dans sa chambre (C'est que cet endroit est un vrai labyrinthe !) et fut presque content de retrouver son pervers d'oiseau.

" Franchement, Falcon, t'aurais pas pu me dire où j'allais ! "
S'exaspéra-t-il en se souvenant qu'il n'avait pas pris d'habit de rechange.
" C'est pas vrai, j'en ai marre... "

Et là -surprise !-, il remarqua que des vêtements avaient été déposés sur son lit et que... C'était bel et bien les siens. Qui, au lieu d'être plié sagement dans son armoire à New York, se retrouvaient prisonniers ici, avec lui. Si ses fringues avaient eu une conscience, Mika aurait eu pitié d'eux. Bon, si après six heures d'enfermement, il devenait aussi cinglé, c'était qu'il devait sûrement y avoir un petit problème !
Mika enfila rapidement -tout en lançant un regard à son Alter Ego pour qu'il tourne sa tête- un boxer, un pantalon baggy, des chaussettes grises, un tee-shirt manches courtes et sa petite touche finale : son caque audio qu'il obligea à se tordre autour de son cou. Mais non, pas de chaussures ! Keep cool.
Son ventre gargouilla. Qu'est-ce qu'il creuvait la dalle ! La cuisine devait être au fond du couloir, non ? Mika sauta de son lit, appela Falcon et sortit tranquillement de sa chambre. Il choisit de prendre à gauche et se retrouva bientôt... Dans le hall. Il soupira.

" Bah merde, elle est de quel côté la cuisine ? "

Peut-être en bas des escaliers... Songea-t-il en trainant ses pieds jusqu'au rez-de-chaussée. Une femme rousse d'environ vingt-deux ans était assise dans l'un des fauteils, en train de fumer un joint. On aurait presque dit que tout allait bien dans le meilleur des mondes, pour elle, mais elle avait l'air nerveuse. Sachant qu'il était plutôt surprenant de se retrouver dans un endroit où l'on ne devrait pas être -ce qui était d'ailleurs un peu effrayant dans un certain cas- Mika s'approcha d'elle. Il n'était pas très présentable, les cheveux en bataille, le pantalon qui n'arrêtait pas de se casser la gueule, comparée à la miss, mais elle devait s'en foutre un minimum tout de même, non ? Et qu'importe, si elle n'était pas contente, il ne pourrait pas en faire grand chose...

" Salut... "
Commença-t-il.
" T'as besoin d'aide ? "

Une porte s’ouvre, puis une personne rentre.
Chelsea encore ailleurs ne semble pas le voir.
Mais la voix de cet homme dans son oreille entre,
Il lui adresse la parole, il la tire de son soir.
De sa transe elle émerge, de son fauteuil elle sort,
Elle pose le cannabis sur l’accoudoir du meuble,
Et debout devant lui, un peu stone, elle sort :
« C’est toi qui m’a piégé, gros con, dans cet immeuble ? »
Ce n’est pas un building, mais un ancien manoir,
Elle n’est pas très maligne, mais comment le savoir ?
Elle le dévisage, cet inconnu garçon,
Il semble bien roulé, mais pas l’air d’une lumière,
Avouons, sans chaussures, il paraît plutôt con,
Il n’a pas une gueule de tortionnaire,
Néanmoins, c’est le sujet de la fable,
Ne nous fions pas à l’apparence d’autrui,
Un pervers peut avoir un corps désirable,
Derrière la jument peut se cacher la truie.
« Réponds, connard, et laisse-moi sortir d’ici,
Car sinon tu auras Interpol à tes fesses.
Cesse la séquestration, donne-moi donc the key,
Sans quoi, je n’ai le choix, il faudra qu’on s’agresse. »
Pour sortir elle menace d’une attaque imminente
Ce garçon qui en fait, est un captif tel elle.
Toujours influencée par la drogue souriante,
Elle serre ses fins poings et tends ses muscles grêles.
Ce modèle si maigre, enfermé dans ce lieu,
Les bras en brindilles, les côtes tout en creu,
Il paraît ridicule, ce grand échassier,
Ses talons de géants l’empêchent de marcher.

[ Oui, j’ai effectivement écrit mon texte en alexandrins (ou presque, il doit y avoir un ou deux vers de treize syllabes qui se cachent) coupés le plus souvent à la césure (tu peux vérifier si tu t’ennuies). Et oui, tu peux me vénérer, Ketchup. Et oui, ça ne veut pas toujours dire grand chose, mais chhhh… ]

+

Elle avait l'air grave sur les nerfs. Et un peu sous l'emprise de la drogue. Mika haussa un sourcil et la regarda. De si méchants jurons sortis de la bouche d'une si jolie femme... Mika la regarda comme si elle était folle (ce qui n'était pas vraiment loin de la vérité) et s'approcha d'elle. C'était bel et bien une nouvelle. Elle demandait la clé. Elle pensait que c'était lui qui l'avait enfermé. Mika fronça les sourcils et tenta vainement un geste de réconfort.

" C'est bon, calme-toi, on est tous dans la même galère. "

Il soupira. Il savait qu'elle ne le croirait pas. Mais bon sang, comment lui prouver ? Il ne pouvait pas lui désigner le panneau d'affichage, elle croirait que c'est lui qui aurait tout posté. Et... c'était quoi, Interpol ? La boite de son père ? Aucune idée, mais il n'avait jamais vu cette rouquine.
D'accord, elle voulait se battre ? Mika était pacifique, donc il ne la taperait pas, mais il faudrait peut-être qu'il l'immobilise. Peut-être, mais elle le prendrait sûrement pas bien... Mika fit craquer ses doigts et sentit un regard brûlant dans son dos. Il se retourna. Falcon venait tout juste d'arriver (quel flemmard...) et semblait fatigué. Mais toujours pas décidé à parler.
Mika lui sourit et lui fit un signe de tête. L'animal s'envola et s'accrocha au fauteuil derrière l'inconnue. Il tourna la tête vers elle et ouvrit ses ailes comme pour lui parler, mais garda le silence. Mika soupira.

" Apparement, tu n'as pas l'air au courant... "
Dit-il avant de désigner le panneau d'affichage du doigt.
" Je vais te faire un résumé... On est environ deux cents dans cet endroit, peut-être même plus. Personne n'en est déjà ressorti. Je suis arrivé ce matin, en croyant dépasser les portes du supermarché. D'après les affiches, là-bas, on aura un pouvoir et un Aea. Les Aeas sont d'anciens amis imaginaires, du genre du faucon, derrière toi. Certain parle, le mien non. En tous cas, je pense que personne n'est véritablement ravis d'être ici. "

Il resta silencieux un moment.

" Au cas où... Tu n'es pas du tout mon style de fille, et je ne suis pas un fou pervers. Tout est véritablement magique, ici. "

Le garçon lui parle, il lui demande de se calmer, de le croire. Chelsea ne comprend pas grand chose. Il y a une histoire de deux cents personnes, de supermarché, de panneau d'affichage et de magie. Ce charabia sans construction ne parvient pas à former un message clair dans sa tête. Le seul truc qu'elle saisit, c'est que le chevelu mal fringué devant elle n'a pas l'air très dangereux. Il finit même par préciser qu'il n'est pas un pervers dangereux... et qu'elle n'est pas à son goût ?! What the fuck ! Ca, elle comprend parfaitement, et ce n'est absolument pas possible, mince. Elle est grande, elle est mince, elle défile sur des podiums, et elle est cool. Elle fume de la drogue, elle fait la fête, elle s'habille bien. Franchement, comment un gars pourrait-il ne pas tomber à ses pieds, là ? Oh, et merde, en plus, elle est enfermée dans une baraque bizarre et elle n'a rien comprit à ce que Chevelu-Pieds-Nus-Avec-l'Oiseau-Zarb-A-Coté lui a dit.

"Okay, je vais avoir besoin d'une nouvelle taffe."

Elle se rassoit dans le fauteuil de velours vert, reprend le joint sur l'accoudoir. Elle fume plusieurs longues minutes, les yeux dans le vague. Elle essaie de comprendre, de tout remettre en place. On est nombreux séquestrés ici. Okay, comprit. Le taré qui la séquestre n'a pas fait qu'une seule victime. Elle trouvera peut-être des gens un peu comme elle. On sort pas. C'est ce qu'on verra, Chelsea est une ouf de la life, elle trouvera un accès. Le coup du pouvoir et de l'aea, elle ne capte pas, par contre. Apparemment, tout est résumé sur le panneau d'affichage, là, quelques mètres en face d'elle. Elle n'arrive pas à lire, et elle n'a pas envie de se lever. Magie... Gnn.
C'est sans doute le joint. Ouais... Son dealer lui a fourni de la très bonne qualité, hier. Elle a des méga-hallucinations. La vache. Elle plane totalement, elle entend des trucs qui n'existent pas, elle voit des pigeons qui se font appeler aeas... Youpiiii... Bientôt, les effets s'estomperont, et tout se calmera. Peut-être même que, lorsque la drogue cessera de faire effet, tout s'arrêtera et la porte s'ouvrira comme si de rien n'était. En attendant, profitons de ce trip.
Chelsea fume encore quelques bouffées, ricane sans grande raison, sa tête bascule un peu vers l'arrière. Allez, soyons sympa avec cet imbécile qui nous trouve moche. Elle minaude, bat des cils et dit :

"Moi, c'est Chelsea... Tu m'as peut-être vu dans un film, je suis actrice de série télévisée. Et toi, tu es qui ?"

Ça plane pour elle.

+

L'inconnue avait l'air choqué de son discours. Apparemment, elle avait l'habitude d'être irrésistible, elle ne devait pas être très contente. Mika afficha un sourire amusé et regarda Falcon. Qui lui rendit un regard jaune. Lui aussi, il était d'accord avec lui. En même temps, ils avaient passé toute leur enfance ensemble, donc s'il ne savait pas à quoi il pensait...
Le père de Mika, Alejandro, avait perdu la garde de celui-ci à cause de la drogue. De toute façon, au Mexique, rien n'aurait laissé à penser qu'il aurait eu le bol inné de réussir dans la musique. Au contraire. Il savait qu'il aurait mal finit, qu'il aurait passé quelque long séjour en taule et que tout laisserait à penser qu'il serait mort dans un attentat, sans avoir pu avoir l'occasion de devenir quelqu'un.
Mika avait peur de ne pas exister aux yeux du monde. Il ne voulait pas n'être qu'un simple Hispano-Américain qui aurait terminé dans le deal, une balle dans la tête. Il aurait voulu être connu, comme Mozart ! (Enfin, c'est un mauvais exemple puisqu'il est mort... mais bon.) Enfin, bref.

" Tu ne devrais pas jouer avec ça "
A-t-il déclaré en regardant le joint qu'elle s'envoyait.

Elle n'en avait vraiment rien à foutre de ce qu'il lui conseillait, alors il laissa tomber. Pour une fois qu'il n'avait pas son téléphone sur lui, il le regrettait. De toute façon, qu'aurait-il fait ? Appeler l'asile ? Les flics ? Mais oui, bien sûr, bien sûr. Mika soupira encore une fois et chercha où pouvait bien se trouver cette putain de cuisine ! Parce que ce n’est pas parce qu’il a faim, non, bien sûr, mais la fille là, elle était sérieusement presbyte.
Elle s’appelle Chelsea. Génial. Ça lui fait une belle jambe. Et c’est trop fun, elle est actrice de jeux télévisés. Enfin, était. Tant que ce n’était pas de film érotique, il ne l’avait jamais vu. Naaan, je plaisante. Mika ne regarde jamais la télévision. Il préfère la radio. Et une fille qui se nomme Chelsea... non. Il n’avait jamais entendu parler d’elle.

" Si tu crois sérieusement que je vais te sauter dessus pour avoir un autographe ou je ne sais quoi, tu peux toujours rêver "
Lui a-t-il avoué.
" Et... Arrête tes conneries ! J’ai faim et je commence à en avoir marre de tomber sur des malades ! Alors, Chelsea, tu vas bien m’écouter : C’est pas ton monde ici, tu vois ? On est tous dans la même galère. Si t’as envie de t’exploser la santé, c’est ton problème. Mais si tu veux rester jolie comme tu l’es, faut que tu restes saine. Arrêter la dope, la coke, les joins ou je ne sais quoi. Tu verras, non seulement, là, tu pourrais peut-être me plaire, mais en plus, tu te feras plus facilement des amis.

Voilà, c’était dit. Maintenant qu’il avait vidé son sac, il se sentait plus tranquille. Mika fit réapparaître son sourire aimable.

" Moi, c’est Mika. Pas vraiment heureux de te rencontrer, mais on fera avec "

Il n'est pas drôle, ce garçon. Il ne tombe pas dans le mensonge de Chelsea, et maintenant, il s'énerve. La rousse le regarde s'agiter, s'égosiller, lui parler des méfaits de la drogue. Mais on lui a déjà fait cent mille fois ce discours ; à chaque hospitalisation, les médecins sont paniqués. Certains ont même envisagé une greffe de foie. Et ce n'est pas qu'à cause des substances qu'elle ingère... Les substances qu'elle n'ingère pas y sont pour beaucoup aussi.
Et lui, ce chevelu tout moche qui lui sort de grandes phrases lui disant que ça va la tuer, que ça va la rendre moche... Elle le sait, merde. Il casse tout. Il faut lui faire oublier les effets secondaires de son addiction, mince : c'est en partie pour ça qu'elle fume et sniffe. En plus, elle ne prend pas tant de drogue. Quatre ou cinq joints par jour maximum, des rails de coke quand elle est trop stressée, une pilule de Lucy in the Sky quand elle fait la fête. Il y a nettement pire. Qu'il la laisse se consumer en paix, alors, ce con ! Comment a-t-il dit qu'il s'appelait ? Mickey ? Mika ? Mika.

"Relax, take it easy ♫" ne peut-elle s'empêcher de chantonner à la fois en apprenant son prénom et en voulant le pousser à se calmer.

Et aussi un peu pour elle : il faut qu'elle se relaxe. Ce Mika la stresse. Quand on est stressé, on devient moche : l'angoisse provoque des excès de sébum sur le visage et sur les cheveux, des plaques d'irritations et ride le visage - c'est pour ça que les gens nuls dans leur tête sont nuls sur leur corps. Bref : ce garçon la stresse. Il lui tient le même discours que celui de sa génitrice durant son enfance : "touche pas à la drogue", "évite l'alcool, ça te détruirait", "tempère tes émotions, les mannequins ne montrent pas de passions sur leurs corps", "ne fréquente pas ces gens, ils sont malsains"...
C'est de la faute de sa mère si elle est là. C'est elle qui s'est plongée toute seule dans le coma, et c'est à cause d'elle si elle a été forcée de se rendre dans cette putain de clinique de merde, et qu'elle est tombée dans cette connerie de baraque, bordel. Allez, relax, take it easy, ne te tourne pas en ridicule Chelsea, tu as trop de superbe pour ça.
Elle m'obéit : elle se lève avec dignité, elle s'approche de Mika. Elle inhale une bouffée de sa clope, fait encore un pas. Souffle un rond de fumée dans le visage du jeune homme.

"Je sais ce que je fais, je sais ce que je risque. Alors comme tu l'as si bien dit, c'est mon problème : mêle toi de tes oignons."

Nonchalante, elle avance d'une démarche féline vers le fameux panneau d'affichage qu'il désignait tout à l'heure, son joint dans la main, faisant comme si le pauvre garçon n'existait pas. Elle se fout royalement de ce qui est écrit, elle préférerait regarder les rosaces bleutées que son cerveau intoxiqué trace sur le parquet, mais il est nécessaire pour elle de ne pas avoir l'air d'une conne débarquée de nulle part devant l'autre imbécile.
Elle survole vaguement le papier signé par une Periple, celui très mal griffoné et qui a l'air ennuyeux au sujet des bêtes sauvages de la forêt -oh, cool, une forêt, c'est un super endroit pour faire des shootings hippys. Elle scrute plus longuement celui écrit de toutes les couleurs avec des photos d'un groupe de demoiselles écervelées, qui ont l'air fort agréables quoique trop grosses -leur IMC doit probablement être supérieur à 16,5, yerk. Néanmoins, Chelsea essayera de les rencontrer, parce que si elles font des soirées, elles doivent probablement mettre une folle ambiance dans ce manoir. Kyoko et Chiara ? On va demander aux gens que l'on croise.
...
A part le fourbe Mika, elle n'a croisé pour l'instant personne. Alors c'est dans un mouvement digne d'une superbe actrice de film hoolywoodien que Chelsea retourne le haut de son corps de manière très théâtrale, une main sur la hanche, l'autre le long de sa cuisse nue, petit regard de biche en coin, et elle dit :

"Puisque tu sembles si déterminé à m'aider, dis-moi où je peux trouver ces filles, là... Kyora et Chiako, des noms comme ça, tu vois ?"

+

Elle se mit à chanter. Mika leva les yeux au ciel. Ok, d'accord, il se relaxait, il se calmait. Mais on ne lui enlèverais pas de l'idée que l'on se retrouve souvent dans la merde en consommant de la drogue. C'est vraiment malin de foutre sa copine enceinte. Ouais, bon, tant pis pour maintenant. Mais il préfère éviter que cela ne recommence, tout de même...
Elle inspira un grand coup et lui souffla de la fumée dans la figure. Mika resta de marbre et lui jeta un simple regard. Il s'ennuyait. Peut-être qu'il devrait la laisser glander là et se barrer. Après tout, elle l'avait traitait, elle avait voulu le frapper et elle se moquait de lui. En plus, il avait toujours aussi faim. Sa vie était un grand bordel composé de n'importe quoi.
Et effectivement, c'était son problème. Mais qu'elle ne vienne pas le supplier à genoux de lui fournir de l'aide si elle a un cancer aux poumons, ou qu'elle se fait violer. Il a déjà assez donner !
Chelsea se dirigea finalement vers le panneau d'affichage. Ce n'était pas trop tôt... Discrètement, Mika se recula. Ses pieds touchèrent enfin les marches de l'escalier et il allait fuire lorsqu'elle se retourna. Un sourire nouveau était peint sur son visage. Elle lui demanda où est-ce qu'il pouvait trouver les filles cool.
C'était un nouveau, il ne savait pas vraiment puisqu'il n'avait pas encore tout visité, mais il savait où se trouvait le dortoir des filles. Il doutait qu'en pleine après-midi, on traine dans sa chambre... On faisait avec. Il n'avait qu'à la donner à la première adolescente qu'il voyait.
Vaincu, Mika grimpa à nouveau les marches, dans l'attente d'être suivi.

" Très bien, viens "

Il soupira et tourna dans le couloir de droite. Les portes des premières chambres ne tardèrent pas à apparaitre. Chambre 1, 2, 3... Les noms de Chiara et Kyoko apparurent. S'il y avait quelqu'un... Il frappa. Personne. Eh merde... Mika soupira.

" Bon, allez, essayons de trouver ta chambre, et je te laisserais "

Il retient sa respiration et continua de marcher, se haïssant de se trouver toujours au mauvais endroit au mauvais moment. Marre marre marre. Son ventre gargouillait encore. Et il ne savait toujours pas où se trouvait la cuisine. Il s'arrêta brutalement devant la chambre 15. Il sourit.

" Chelsea Brown ! Tu partageras ta chambre avec Ayumi, Symphrosina et Armistice. J'espère que tu te plairas, ici. Moi j'y vais, salut ! "

Mika finit par accepter de l'aider. Oh trop bien, il peut être gentil quand il arrête les discours rationalisant, en fait. Chelsea le suit, sautillante, dans les gigantesques couloirs du pensionnat. Elle se dit, à un moment, qu'elle devrait peut-être essayer de mémoriser l'itinéraire, mais elle y renonce, son esprit a la flemme. Tralala, elle préfère observer la décoration de sa nouvelle demeure ; c'est ancien, ça pue et ça nécessite d'être retapé, mais elle s'habituera sûrement, le temps de son enfermement. De toute façon, elle finira par trouver une sortie, un jour ; ou alors l'un de ses petits amis s'en chargera pour elle. Bref, elle ne compte pas rester ici pour l'éternité ou se morfondre sur son sort.
Alors elle va, le temps de sa séquestration, se faire des amis, des petits copains, s'amuser, faire la fiesta... Et essayer de penser à autre chose qu'à sa mère. Sa mère qui est dans le coma, dans un petit lit d'hôpital, sur le point de mourir après avoir tout fait pour que sa fille accède au bonheur d'être mannequin, sans recevoir le moindre remerciement... Non ! Chelsea ne veut pas s'apitoyer sur ce monstre. Sa mère, qui est un tas de graisse dans un lit d'hôpital, qui n'a pas été foutu de prendre soin de sa santé et de bien s'occuper de sa fille, voilà. Penser à autre chose.
Oh, la vieille hallebarde, on se croirait dans un musée.
Mika s'arrête et frappe à une porte, où sont marqués des noms, dont ceux des deux fameuses demoiselles qui semblent organiser des fiestas ! C'est top bueno ! ... Mais elles ne répondent pas, il n'y a personne dans cette chambre. Le garçon explique alors à Chelsea qu'il va la conduire jusqu'à sa chambre. Puis partir.

"What ? Noon mais ne me laisse pas toute seule, je viens d'arriver, je suis perdue et tu ne préférerais pas venir dans ma chambre pour qu'on fasse des tr..."

Mais Mika est déjà parti devant, il semble pressé. Il n'est vraiment pas drôle, ce garçon, il ne profite de rien. Faut pas fumer, faut pas se pourrir l'organisme et il faut vite laisser seul les gens amusants. Vie misérable et ennuyeuse. Il ne doit pas avoir beaucoup d'amis, il ne doit pas se faire beaucoup remarquer. C'est triste... Mais tant pis pour lui, le con.
Chelsea le suit en sautillant et manqua de le percuter quand il s'arrêta brusquement devant la porte d'une chambre. Celle de la rouquine, apparemment. Elle fait un grand grand grand sourire au jeune homme en battant des cils et dit :

"Merciiii Mika, tu ne veux pas m'accompagner à l'intéri..."

Trop tard : il s'est carapaté.
Chelsea regarde la porte et les noms qui sont inscrits. Que des noms de merde. Une asiat', une fille au prénom imprononçable et une... Armistice ? Ses parents ont fumé la moquette à l'accouchement ? Entrons.

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