1 feu inflammable [Morgan]

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Jérémiah parcourait l'immense demeure depuis plusieurs à présent et il était fatigué de marcher ainsi sans but précis. Il avait parcouru un couloir interminable et était entrer d'abord dans une pièce sombre qui semblait être la cuisine. Mais les fourneaux n'avaient pas crépité depuis longtemps et la poussière avait pris la place de la nourriture dans les placards ainsi qui le réfrigérateur. Finalement il arriva devant un porte en bois joliment sculptée qui l'attira inévitablement. Il entra alors dans une grande pièce ovale qui composait, à première vue, une salle de repos. Il s'agissait plus exactement d'un Salon où se tenaient ces grands fauteuils en tissus avec leurs coussins de soies et leurs appuis-coudes vernis, de petites tables en bois sur lesquelles se tenaient de jolis napperons, d'immenses étagères recouvertes de porcelaines et de bougies et d'un vieux piano à queue. ce-dernier devait avoir de nombreuses années désormais car Jérémiah n'en avait jamais, de sa vie, vu de semblable. Il s'approcha de l'ancêtre comme d'une relique pour observer ses courbes fines et ses touches légèrement poussiéreuses. Il se laissa tenter et posa un doigt sur le dernier Mi mais aucun son ne sortit de l'instrument, pas plus que lorsqu'il appuya sur les notes autour. Un peu déçu, en premier lieu, il finit par donner une raison à cet échec qui n'était autre que l'âge inestimable du vieil instrument de musique.

Il parcourut le restant de la pièce, faisant le tour des tables et fauteuils pour finir par s'assoir dans un vieux 'Chesterfield' auprès de la cheminée étrangement allumée. Mais tout était étrange là où il se trouvait désormais, les portes et les fenêtres semblaient communiquer entre elles pour l'empêcher de sortir d'ici. Il aurait même cru que les murs murmuraient sur son passage si la raison n'avait pas donné tort à cette idée saugrenue. Il regardait dansaient les flammes oranges dans l'âtre de la cheminée sur des bûches de bois qui semblaient ne pas se consumaient.

Jérémiah sentait qu'il avait eu raison d'être attiré par cette endroit ; et c'était sans doute de bonne augure, pour ses habitants, qu'il soit désormais parmi eux. Il pourrait les défendre des êtres de l'obscurité qui les menaçaient. Une pendule indiquait l'heure ; mais était-ce vraiment la bonne ? La trotteuse avançait puis reculait de sorte que les deux aiguilles, des heures et des minutes, restaient bloquées sur le chiffre 12 calligraphies en lettres romaines. Le temps ne semblait ne pas avoir de cours et l'éternité offrait donc à Jérémiah la possibilité de débarrasser la demeure des montres qui l'habitaient. Mais une idée lui vînt alors ; il n'avait croisait personne encore et de ce fait, il lui semblait n'avoir aucunes vies humaines à protéger, exceptée la sienne. Il s'assoupit alors un instant en songeant à la prochaine rencontre qu'il ferait ici. Serait-elle pacifique ou pas ?

Un bruit résonna alors derrière son dos. La porte venait de s'ouvrir puis se refermait à nouveau ; il y avait quelqu'un d'autre présent dans la pièce. Il palpa l'atmosphère qui ne semblait pas s'être modifiée comme elle aurait du l'être si l'inconnu avait été quelqu'un de malveillant. Il déserra l'étreinte qu'il avait sur l'arme qui se trouvait à l'intérieur de sa veste en cuir et attendit. L'attrait de la pièce reposait essentiellement sur le feu qui crépitait dans la cheminée ; on se sentait attiré comme Jérémiah le fut quelques instants plus tôt par la chaleur qui entourait l'âtre ouvert. La personne n'allait certainement pas tarder à se rapprocher de lui et ils pourraient alors entamer les présentations. Jérémiah se voyait déjà comme ce héro que tout le monde attendait mais il n'avait pas oublié la modestie dans son vieil appartement miteux du centre de Londres ; il s'en tiendrait donc à un nom suivi d'un prénom ... peut-être un âge et une origine mais le chevaleresque chasseur de monstre ne révélerait pas sa véritable identité tout de suite. Les heures ne lui étaient plus comptées et il aurait tout le temps de démontrer ses talents aux habitants de cette étrange demeure.

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Tic Tac, Tic Tac.

Morgan feuilletait un livre emprunté a la bibliotheque, sans y porter plus d'interet que cela. C'etait pour passer le temps. Temps rythmé par le chronometre affiché a l'ecran de la chambre deux et auquel Mail jetait des regards frenetiques. Tic Tac, Tic Tac. Morgan baissa legerement son livre et se risqua a regarder l'ecran. Il put distinguer un vieux moustachu - Mario qu'il s'apellait, lui semblait-il - en course avec un réfugié de Tchernobyl transmuté avec un champignon, une princesse en rose Barbie et une sorte de tortue punk obèse. C'etait visiblement un jeu contre la montre, et Morgan chercha vainement a trouver le but du jeu. Tic Tac, Tic Tac... Lorsque la petite horloge sur l'ecran se mit a sautiller en devenant rouge pivoine, Morgan murmura

«Attention tu vas perdre...»

Visiblement Mail ne l'entendit pas - heureusement d'ailleurs - tout occupé a essayer de sauver sa partie. Le sauvetage n'ayant pas reussi, il se mit a grogner quelque chose ressemblant a « Putain de manette c'est à cause de Nao chuis sur qu'il me l'a detraquee.». Mail, daignant lever le regard de son jeu et regarder les alentours, croisa le sourire narquois de Morgan qui se dit instantanement qu'il ferait mieux de partir avant que Mail ne se dise qu'il etait en train de le regarder jouer. Il descendit de son lit, verifia qu'il etait en ordre et meme si un bout de couverture touchait le sol il ne s'en proccupa pas, se disant que le lit serait mis en desordre avant son retour.

Fermant la porte derriere lui, Morgan s'interrogea sur l'endroit ou ses pieds pourraient le diriger. Il baissa les yeux, s'attardant un instant sur le carrelage luisant du couloir. Il ne pouvait en tous cas pas rester longtemps dans la chambre deux. Si auparavant il arrivait a faire abstraction de certaines choses, cela ne serait sans doute plus le cas. Il se detacha finalement du mur. Il passerait au salon rapidement, a cette heure il n'etait en general pas tres frequenté. Morgan marcha rapidement a travers les couloirs, tete legerement enfoncee entre les epaules, elles memes legerement crispees, comme si il s'attendait a ce qu'un quelconque malheur lui tombe dessus. En meme temps il avait pu faire l'experience que les endroits reputes les plus paisibles n'etaient pas forcement les plus securisés. Les couloirs lui apparaissaient tels des ruelles mal famées qu'il n'etait pas tres bon d'arpenter le soir. A vrai dire, le pensionnat se retrouvait plutot dans cette position, ne possedant pas de rue et regroupant les pires energumenes de la race humaine.

Morgan acceda donc au salon dans une anxiete teintee d'irritation, et referma la porte avec une certaine violence derriere lui. Le borgne ne regarda les alentours qu'apres, ce qui constituait une erreur assez frappante, et, fort heureusement, ne reconnut pas l'un des autres locataires de la chambre deux, mais une personne totalement inconnue. Morgan cligna du seul oeil qu'il lui restait, ne sachant pas trop comment reagir. Il reprit un air un peu las et dit a voix basse

«Bonsoir...»

A vrai dire il se desinteressait un peu de la foule, encore plus des inconnus. Il ne savait pas trop de qui il pouvait supporter la presence... Il finit par vaciller, ne se sentant pas tres bien, se rattrapant de justesse a un fauteuil. Le garçon s'assit sans faire trop attention a l'autre personne, mais au bout de quelques secondes seulement il grimaca un sourire a l'inconnu et siffla

«Morgan Poulenc, et vous?»

Parfois, il suffisait de peu pour delier les paroles les plus coincees.

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Jérémiah entendit les pas de l'inconnu se rapprocher inexorablement de lui. En écoutant le son mélodieux du parquet, il en déduisit qu'il s'agissait d'un jeune homme à la corpulence moyenne, peut-être même légèrement en dessous de la moyenne. Le jeune garçon, effectivement il avait vu juste, se rapprocha et alla s'assoir dans un fauteuil voisin de celui qu'occupait Jérémiah. Il détailla rapidement l'inconnu avant que celui-ci ne le salua. Sa voix était un baryton grave et harmonieux, qui déteignait sur son allure de gamin. Jérémiah lui répondit rapidement d'un signe de la tête avant de se replonger dans la contemplation de son apparence. La première chose évidente qui choquée chez cette nouvelle personne était sans aucun doute son visage. Malgré un air angélique conquit par un petit minois au yeux et à la chevelure claire, il avait quelque chose d'affolant. Effectivement l'un de ses yeux semblait inexistant et masqué par un pansement grossier. Cela donnait froid dans le dos d'imaginer la douleur que le jeune avait du endurer le jour où cela avait du arriver.

Jérémiah imagina qu'il s'était fait attaqué par un des monstres qui devaient régner dans la demeure et aurait aimé le rassurer en lui disant que désormais, il était là pour les protéger, lui et tous les habitants de cet étrange endroit. Mais il ne savait que trop comment réagissent les personnes à qui il évoque son métier, elles vous ignorent dans le meilleur des cas et la solitude commençait déjà trop à peser sur le jeune homme. Il laissa donc de côté pour l'instant l'esprit chevaleresque qui l'avait guidé ici pour entamait les procédures de présentation en règles qui s'appliquait. Et justement le jeune venait de se présenter.

Morgan Poulenc. Et vous ? Simples banalités d'usage, rien de grandement amical. Vouvoiement de rigueur, apparemment il paraissait être plutôt bien élevé ce jeune homme. Jérémiah se décida enfin à lui adresser la parole.

"Jérémiah Johanson."

Simple réponse à sa question mais maintenant, il fallait trouver de quoi engager une conversation où du moins, l'entretenir.

"Enchanté, je viens juste d'arriver."

Oui, formalités banales, la conversation n'irait pas loin à ce rythme-la.

"Qu'es-ce que tu fais ici ?"

Enfin, ça devenait intéressant. Qui d'autres que lui était contraint de rester ici contre son grès. Quoique désormais, il se plaisait dans ce lieu où son talent serait enfin utile pour autrui.

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Morgan inspecta la pièce plus qu'il n'inspecta l'inconnu, comme si il n'avait que peu d'interêt à ses yeux. Le borgne ne s'interessait en effet pas beaucoup à ses compatriotes humains. Quoique, ces derniers temps, il leur parlait de plus en plus, comme pressé par un désir de ne pas retrouver la solitude. Desir qui lui paraissait incongru, là, lui qui tant d'années avait été seul. Mais en y refléchissant mieux, il ne se sentait que plus seul, avec d'autres gens, peut-être était-ce paradoxalement ce sentiment d'abandon, qu'il recherchait auprès de ceux qui venaient lui parler avant de se détourner, désintéressées par son mauvais caractère et sa misanthropie méprisante. Encore une fois, Morgan ne faisait aucun effort pour sourire, sa face morne traduisant tout l'effet que lui faisait telle rencontre. Au contraire, lorsqu'il rencontra le regard de son interlocuteur, il y perçut une lueur d'intérêt qui le surprit et le mit un peu mal à l'aise. Eh, il n'était pas intéressant du tout, allez, quitte vite ce regard et interesse toi à autre chose, il y a tellement, tellement de choses plus intéressantes que le petit pleurnichard faible et détestable assis en face de toi... L'inconnu se présenta, donnant un nom peu commun, du moins peu commun selon ce que Morgan connaissait : en France, il n'avait jamais croisé ce genre de prénoms, ceux-ci se cantonnant aux histoires qu'il lisait autrefois. Morgan s'interrogea vaguement sur l'origine de l'inconnu,gardant ses distances, son attitude très froide faisant tout pour signifier qu'il n'était pas enclin à se laisser approcher. En mettant de plus en plus de barrières, on attise parfois de plus en plus les regards, c'était peut-être cela qu'il n'avait pas compris lorsqu'il se fermait entièrement aux autres.

Le borgne observa l'inconnu. Il était d'une physionomie assez banale dans le sens où il n'avait pas de blessures, de vêtements loufoques ou de couleur de cheveux extravagante. En ce point, il n'était pas comparable à Petra la bimbo aux cheveux roses, Emily la vampire en rouge ou Eva la borgne constamment plus vêtue de pansements que d'habits. Ce qui pouvait le démarquer était peut-être cette coupe de cheveux asymétrique, mais il semblait être assez jeune pour subir les aléas de la mode. Peut-ietre que là-bas, à l'extérieur, la mode dictait ce genre de choses et les moutons suivaient, il avait été largement déconnecté de ces futilités avant même son enfermement. Cependant, l'expression de l'inconnu n'était pas commune et son regard le suivant presque indécemment avait de quoi gêner. Morgan n'en montra rien, soutenant le regard perçant de Jéremiah, qui lui indiqua qu'il etait nouveau venu. Morgan haussa légèrement un sourcil et y répondit

« Eh bien, bienvenue... Si le terme vous paraît adéquat, bien entendu. »

Morgan Poulenc était quelqu'un qui parlait le plus souvent au registre soutenu, ce qui avait le don d'être assez étrange pour quelqu'un de son âge en ces circonstances où la plupart laissaient aller leur langage. En fait... Il s'était déjà laissé aller à trop de choses, alors si le langage suivait, quelle déchéance serait-ce ! Il fallait au moins sauver les meubles, si la maison était en flamme, au moins sauver les apparences, si l'intérieur n'était que ruines de raison. Son interlocuteur le tutoyait, mais il ne s'en offusqua pas. Si il fallait s'offusquer pour cela, alors il ferait une crise cardiaque chaque fois qu'il se faisait interpeller par l'un de ses colocataires. Il prêta plutôt attention au contenu, qui était une question assez fréquemment posée... Aux nouveaux. On demandait rarement aux anciens ce qu'ils étaient venus faire ici. Morgan eut envie de lui répondre un cinglant « Cela ne vous regarde pas » et clore ainsi la conversation, mais il reprit sa conduite, fronçant simplement légèrement les sourcils de contrariété. Il rapella à ses souvenirs ce jour funeste où il était entré.. Tout était encore si clair, dans son esprit, après tant de temps...

« Je marchais dans la rue pour revenir à mon domicile, lorsque j'ai entendu des eclats de voix derrière la porte d'une maison étrange. On y disait quelque chose comme « Tu ne pourras plus jamais sortir d'ici ! » et l'autre y répondait, en larmes, que ce n'était pas possible, qu'ils pourraient bien faire quelque chose, et caetera. Les voix se sont éteintes au bout d'un moment. J'y ai refléchi, en ai tiré mes conclusions, et suis entré pour diverses raisons. Je n'avais rien à perdre à essayer... croyai-je. C'est ainsi que je me suis retrouvé ici, en pleine connaissance de cause. Je n'ai donc à m'en prendre qu'à moi-même... Mais je pensais qu'il y avait moins de... Enfin, beaucoup moins de gens, ici. Et il en arrive de plus en plus, presque tous les jours... Non pas que ce soit contre vous en particulier, désolé de m'exprimer ainsi, je parle de manière générale.»

Morgan se tut, croisant ses pieds, appuyant la tête contre sa main. Il aurait pu faire encore plus court, songea-t-il. Il détestait parler autant en une fois, il détestait parler, et sa voix basse et monotone était là pour témoigner qu'il avait peu l'habitude de l'utiliser aussi longtemps.

« En général, c'est aux nouveaux venus que l'on pose ces questions, je me trompe ? »

Le borgne leva son oeil opérationnel sur Jérémiah, l'interrogeant du regard. Il n'aimait pas tellement sembler intéressé par les gens, mais il ferait tout pour dévier la conversation sur autre chose que sa personne.

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