Il faisait si chaud en ce moment. La température était une grande source de joie pour Mahaut. Sentir le soleil caresser ses épaules nues était si doux. L'été s'installait, à son plus grand plaisir. Fini les pantalons, les collants et les pulls à col roulé. Les beaux jours arrivaient enfin, avec le paquet de petites joies qui allaient avec.
Elle avait fait une croix gigantesque sur la plage depuis son arrivée. Ici, il n'y avait qu'un lac. Mais elle s'y était faite, et le lac était agréable durant la journée. Le soir, c'était autre chose. Des formes inquiétantes rôdaient le long des berges, des rumeurs racontaient que l'on y trouvait des barracudas amphibies à furoncles et autres créatures inconnues. Pas vraiment souhaitable. Alors le soir, l'été, elle allait dans des endroits plus rassurants, parler avec des gens.
Les gens étaient plus ouverts, lors de périodes de grandes chaleurs. On arrêtait de se terrer près des quelques radiateurs de ce manoir glauquissime ou dans le garde-manger, on trainait à l'extérieur en tenues légères, on sirotait un verre de coca sur une terrasse dans une robe fine... L'été était la période la plus agréable à vivre, dans le pensionnat.
Ce matin-là, en constatant le soleil radieux qui éclairait le domaine et réchauffait les pelouses, à travers les fenêtres de sa chambre, Mahaut sut que ce serait un jour sympathique. Elle enfila un short taille haute rose pâle, un débardeur blanc un peu large, et des ballerines de la même couleur. Elle accessoirisa ensuite le tout avec une ceinture de cuir brun sur son débardeur, au niveau de la taille, et des boucles d'oreille décorées de plumes de paon qu'elle avait déniché durant l'hiver. Un vrai coup de coeur, ces boucles d'oreille. Un léger trait d'eye-liner sur les paupières, une touche de mascara sur les cils, un coup de blush sur les joues.
Un regard dans le miroir de sa chambre la convainc du sentiment qu'elle éprouvait : elle était très probablement la plus belle fille à 15 kilomètres à la ronde. Pas la plus aimée. Loin de là. Mais la plus belle.
Alors qu'elle était descendue au rez-de-chaussée pour obtenir un accès vers le jardin, elle entendit le bruit habituel de la grande porte du hall qui se refermait. Ce "clac" s'entendait dans une jolie partie du niveau. Il rappelait à chaque pensionnaire, à chaque fois, des mauvais souvenirs.
Rares étaient les entrées qui s'étaient faites dans la joie. Pulsions de folie, état de choc, crise de larmes, folie... Tous les cas possibles étaient observables.
Mahaut s'assit sur les marches de l'escalier du couloir le plus proche du hall, en attendant. Peut-être que le crétin qui s'était enfermé allait avoir besoin d'aide. Elle aviserait d'après les bruits qui filtreraient des murs. Avec un peu de chance, un autre se chargerait de cette besogne barbante à souhait qu'était dire "Ouiii, crétin, tu es enfermé à jamais... Si tu veux te suicider, il y a de bons couteaux dans la cuisine..." sur un ton monocorde transmettant la lassitude de répéter encore et encore le même discours.
Au bout de dix minutes, Mahaut ne vit personne entrer ou sortir, et elle entendait des sortes de cris, légèrement étouffés par l'épaisseur des cloisons. Bon, pas le choix, elle allait y aller. Sa journée au bord du lac allait être raccourcie. Tant pis. Avec un peu de chance, ce serait le prince charmant.
Fais chier.
La belle entra dans le hall discrètement, où un blondinet tout petit -du haut de son mètre quatre-vingt, c'est fou ce que les gens étaient minuscules-, pas très beau, mais pas trop moche, armé d'un balais, était face à un écureuil. Il devait être très absorbé par l'animal puisqu'il ne la remarqua pas immédiatement.
Mahaut ravala le soupir de déception qu'elle failli libérer. Pas très intéressant. Elle s'appuya contre un mur, regarda ses ongles quelques secondes -vielle manie-, regarda de nouveau le garçon -un balais... ridicule- puis lâcha :
"Tiens, les proprios ont enfin embauché quelqu'un pour faire le ménage."