Emrys regarda autour de lui, et poussa un petit soupir. Le salon, le salon..., c'était une belle pièce, tout de même. Le jeune homme n'avait pas eu l'occasion d'observer toutes les pièces de l'endroit dans lequel il avait atterri, il n'y était pas depuis assez longtemps : et puis en avait-il envie? C'était comme visiter une cellule de prison, ça n'avait rien d'évident pour lui. Oui, une cellule de prison. Spacieuse. Belle. Étrange. Intéressante. Pleine d'autres personnes. Tout ça à la fois, et prison tout de même. Il était piégé ici, il n'avait vraiment rien demandé à personne. Il n'avait rien fait de mal, il n'avait pas envie de rester prisonnier de cet endroit à vie. Sans doute était-ce une mauvaise passe, comme la première phase d'un long processus d'adaptation : peut-être, ou pas. Un soupir s'échappa d'entre ses lèvres, et il passa ses doigts sur la grande armoire. C'était ici qu'il était entré quand il était arrivé, c'était la première pièce dans laquelle il avait réellement pénétré. Une pièce pleine de nostalgie, n'est-ce pas? Dans quelques temps, quand il serait habitué à être ici-et s'il ne mourrait pas entre temps, évidemment-et qu'il connaitrait les lieux dans leurs moindre détails, cette pièce resterait sans doute le centre de tout pour lui. Heureusement qu'il n'avait pas poussé la porte d'un lieu dangereux, n'est-ce pas?

Ça aurait bien été son genre, tiens. Il avait tellement de chance, ces temps-ci. Il avait trouvé un escargot d'une drôle de couleur dans son lit, avait réussi à se perdre, n'avait pas trouvé le sommeil avant une heure très avancée de la nuit, et commençait à se demander ce que son pouvoir pouvait bien être-puisqu'il en avait un, d'après ce qu'il avait pu en conclure. Il ne se sentait pas différent, ne voyait pas ce qui avait pu changer en lui. Pour lui, le mot pouvoir résonnait obligatoirement avec magie, boules de feu, télékinésie et tout ce qui avait un rapport avec ce genre de choses. Or, lui ne pouvait rien faire de tout ça. Il avait bien cherché, mais rien à faire. Tout ce qu'il avait remarqué était qu'il était beaucoup plus sensible, et ça ne lui plaisait pas le moins du monde. Non pas que c'était mal, mais..., pas agréable. Il avait du dormir sans les draps, tant leur contact lui avait semblé agressif. Il était peut-être malade, il ne savait pas : ça semblait être passé pour l'instant. Ce matin, tout du moins. Peut-être que ça reviendrait, mais il ne l'espérait pas.

Son regard très clair se posa sur le piano, et il ne put réprimer un petit sourire. Aha. Le piano. Il avait fait un peu de piano étant plus jeune, mais n'avait jamais touché un instrument aussi beau que celui-ci. A vrai dire, il n'en avait jamais vu qu'à la télévision, quand son père décidait de s'ennuyer devant une de ses émissions pour grabataires : ça produisait toujours un très joli son, mais il n'avait jamais compris comment. Emrys s'assit devant, et étira ses bras devant lui. Lui, du plus loin qu'il se souvenait, n'avait jamais réussit qu'à jouer 'Au Clair de La Lune'. Le reste était méconnaissable, massacré, cruellement détruit. Pas la peine d'essayer, en somme.

Il posa ses doigts sur les touches, observant simplement le son qu'elles faisaient quand il les caressait. La musique calmait les mœurs, selon le proverbe : ça ne lui avait jamais parut plus vrai que maintenant. Enfin, ça finirait par passer, ça finirait par passer. S'il devait rester là, autant s'y habituer, autant s'y faire. Ce n'était pas comme s'il avait le choix.

Entendant le bruit de la porte il arrêta ses investigations musicales, et tourna sa tête vers là-bas. Tant que ce n'était pas un ami de la musique qui venait se plaindre, ça ne pouvait pas être bien dangereux.

Quoi que vu les personnes qui trainaient dans le coin, il n'aurait pas parié là-dessus.

[Bref~XD]

Hasaki aimait bien le salon. Il y avait une atmosphère légèrement mélancolique, pleine d'apitoiement et de vague à l'âme. L'endroit idéal lorsque l'on souhaitait se morfondre sur son sort. Ce n'était pas exactement ce qu'elle avait à l'esprit ce jour-là mais qui sait? Ses humeurs étaient si changeantes que l'envie de se languir lui prendrait peut-être. Pour le moment, elle était... indifférente. Froide. Comme tous les jours, la jeune fille avait courut une dizaine de kilomètres autour du lac, pour se garder en forme malgré les circonstance. Depuis qu'elle était dans le manoir, elle ne ressentait plus la fatigue physique après l'effort. Le besoin de dormir se faisait toujours sentir, mais jamais elle n'avait besoin de reprendre son souffle ou de s'arrêter. Néanmoins, son esprit lui imposait une limite; elle devait s'entraîner mentalement pour éviter la stagnation. C'est pour cela qu'elle venait ici, pour se laisser aller au doux son du piano, tenter de deviner quel morceau était joué, de quelle époque il provenait et observer les mains du pianiste. Les mains des pianistes la fascinaient. Elles couraient, volaient, le long du clavier, d'une façon qui semblait si naturelle et pourtant avait souvent demandé des années de travail. Hasaki espérait un jour pouvoir elle-aussi jouer. Elle aspirait à la perfection sur le plan physique comme intellectuel, et la musique lui semblait un moyen d'épanouissement qu'elle n'avait pas encore exploré, bien qu'étant déjà si proche de la perfection.

La japonaise poussa la porte, espérant que c'était Owen qui jouait. On avait beau dire ce qu'on voulait, c'était un excellent musicien (en plus, il était tout à fait charmant quand il se taisait). Loupé. Derrière le piano, ce n'était pas Owen, mais un inconnu, vraisemblablement d'origine européenne. XXIe siècle, d'après ses vêtements et sa façon de se tenir. Technique musicale fort insuffisante. On aurait pu associer sa manière de jouer à une expérience post-moderniste et d'avant-gardisme fou, mais malheureusement Hasaki n'était pas en mesure d'apprécier le génie musical de ce jeune homme. Légèrement irritée par tout cela, la jeune fille envisagea pendant un instant de refermer le clavier sur les doigts de l'infortuné jeune homme, mais se ravisa en pensant que ce n'était sûrement pas le meilleur moyen de le faire coopérer. Et puis, cela aurait risqué d'abîmer le piano. Le mieux était de trouver un moyen de l'éloigner de l'instrument. En lui faisant la conversation, peut-être.

"Hm... bonjour. Vous êtes nouveau ici? Je me présente, je suis Hasaki Kimura, pensionnaire depuis deux jours, six mois et vingt-huit jours. Du moins, si mon horloge interne ne se trompe pas. Le temps fonctionne un peu bizarrement par ici, alors on sait jamais. Je viens du vingt-et-unième siècle, de la planète Terre. J'imagine que vous aussi mais on ne sait jamais. Si ça se trouve, vous venez d'une autre version de la Terre que je connais, mais vous pensez que vous venez de la même parce que les endroits s'appellent pareils ou un truc comme ça. Au dernière nouvelle, j'ai à peu près vingt-et-un ans mais cet endroit est tellement bizarre que si ça se trouve j'ai toujours dix-neuf ans. Je travaille pour le gouvernement japonais sauf que je suis pas censée le dire, mais au point où j'en suis... Bref. Pourrais-tu, s'il te plaît, lâcher ce piano. C'est agonisant de t'entendre jouer. Et pourtant je suis pas musicienne."

[Désolée, c'est court. Ah en fait, le charmant Owen à qui Hasaki pense est un autre pensionnaire, qui lui sait jouer du piano]

[Oh, aucun problème. Et enregistré : le charmant Owen est un pensionnaire qui sait jouer du pi-anooo...XD]


Oh, un ami de la musique qui venait se plaindre. Ou tout du moins cela y ressemblait-il, même s'il ne pourrait en être sûr avant qu'elle n'ait pris la parole-puisque selon toute vraisemblance, c'était une demoiselle (ou un travesti, mais c'était inutile à préciser, bien entendu). Quand elle entra, ou tout du moins quand elle fut dans son champ de vision, il ne put retenir un très léger froncement de sourcil, comme si quelque chose en elle l'irritait, sans qu'il puisse mettre le doigt dessus. Tiens, c'était que ça lui arrivait souvent, ça, en ce moment : il se sentait ceci ou cela, mais de là à pouvoir expliquer, niet. Soit tout le monde ici était très communicatif, soit il y avait quelque chose à creuser de ce côté là. Seulement voilà, pour l'instant il ne se sentait pas exactement d'humeur à se secouer les méninges pour savoir si oui ou non ça avait un quelconque intérêt, d'autant plus qu'il était certain que ça n'en avait pas. Au mieux c'était lui qui devenait taré, au pire c'était lui qui devenait taré. Honnêtement, il ne savait pas quelle option il aurait préféré à l'autre, alors il s'abstint de tout choix trop précipité. Il réfléchit un instant, tapotant doucement du talon de ses converses contre le sol, puis en conclut que non, ce n'était pas la période du mois qu'il détestait le plus au monde, et donc que ça n'avait strictement aucun rapport-même si ça aurait expliqué bien des choses tant il était lunatique, ladite fois par mois.

Quand la jeune fille -ou le travesti!- qui était rentrée pris la parole, il n'eut que brièvement l'occasion de la détailler. Non pas parce qu'elle était enroulée dans une grande écharpe noire style musulmane ou qu'elle avait une cagoule et un pull informe qui lui aurait empêché toute investigation visuelle, simplement qu'elle..., parla. Oh, le jeune homme aux yeux bleus était habitué à entendre les autres parler. Ça lui arrivait tout les jours à vrai dire, et ne l'avait jusque là jamais empêcher de vivre normalement, il l'avouait sans complexe. Enfin, surtout depuis qu'il était arrivé là, il n'avait jamais entendu quelqu'un parler autant. Parce que pour parler, elle parlait. Pour le coup Emrys ne pensa même pas à jouer, tentant de remettre ce qu'elle venait de lui dire dans l'ordre de façon à ce que ça ait un sens, un minimum de sens. Au moins avait-il retenu son prénom : Hasaki Kimura. Dix-neuf ou vingt et un ans apparemment, vingt-et-unième siècle, planète Terre, gouvernement japonais. Ouh. D'ailleurs, c'était Hasaki ou Kimura son prénom? Parce que lui et les patronymes japonais, c'était le grand amour-il aurait été totalement incapable de différencier prénom féminin de masculin, alors nom de famille de prénom, encore moins.

En tout cas, la jeune fille aux cheveux roux voulait qu'il lâche le piano. Ça, ç'avait été clair.

Il leva ses bras au-dessus de sa tête en souriant, sans se lever pour autant.

"Hey, je compte pas lui faire de mal, à ton piano. Ni à tes oreilles, d'ailleurs", rectifia-t-il en croisant les bras, jugeant cela plus prudent que de reposer ses doigts sur les touches. Non pas qu'elle avait l'air dangereuse, mais sait-on jamais : il tenait un minimum à ses phalanges. "Et oui, je suis nouveau, je songe même à l'écrire sur mon front. Je m'appelle Emrys Sulwyn, et j'ai toujours cru vivre au vingt-et-unième siècle, sur Terre, mais c'est vrai que j'ai pu me tromper. Ah, et je ne travaille malheureusement pas pour le Gouvernement Anglais."

Et ça n'arriverait jamais. D'ailleurs, il avait toujours un peu de mal avec cette stupide précision de 'Terre' : pour lui tout le monde venait de là, et il s'imaginait mal discuter avec quelqu'un qui venait d'un monde digne d'un téléfilm de SF sans se mettre à rire. Ce n'était pas méchant, loin de là, mais trop improbable encore pour son pauvre petit cerveau qui rationalisait tout, et ce qu'il le veuille ou non. Enfin, si elle venait de la même époque que lui ça simplifiait relativement les choses, il n'aurait pas su quoi dire en présence de quelqu'un ayant techniquement cinq cent ans de plus ou de moins que lui. C'était un peu comme ses lointains ancêtres ou ses futurs très lointains petits-enfants, en somme? Enfin, pas les siens personnellement puisqu'il ne risquait pas d'en avoir, mais l'idée était la même. Maintenant, à chaque fois qu'il croisait ou même apercevait quelqu'un au détour d'un couloir, il ne pouvait s'empêcher de se demander ce que c'était, d'où ça venait, si c'était dangereux et si ça parlait sa langue. Tiens. D'ailleurs, il avait compris tout le monde jusque là, alors qu'il ne se souvenait pas avoir croisé d'Anglais pur souche. Comme si c'était la chose la plus bizarre de ce pensionnat, allons..., ce n'était pas un petit détail comme ça qui allait le perturber, non?

"Hm! Et je ne serais jamais un grand pianiste, alors excuse moi si j'ai blessé ta sensibilité artistique. Hasaki."

Et si ce n'était pas Hasaki, Hasaki quand même. Au moins il aurait essayé, ce qui en soit était déjà-selon lui-un très bel effort. Surtout quand il ne pouvait s'empêcher de se dire que, aussi normale qu'elle puisse paraître, elle pouvait tout à fait être pire que dangereuse. Même les murs, ici, n'étaient pas rassurants. Alors les pensionnaires...

...C'était de loin les plus effrayant de tout ce qui se trouvait ici, jusque là.

Excuses, présentation, une pointe d’humour. Classique. Hasaki pouvait exclure ce garçon de la catégorie des imbéciles arrogants qui se prennent pour des musiciens accomplis. Certes, elle ne connaissait encore personne correspondant à cette description, mais son esprit faisait preuve d’une rationnelle tordue qu’elle exprimait à travers un besoin de classer les gens. Un peu comme Balzac, sans les trente pages de description. En revanche, l’expression légèrement pertubée de cet... Ermys, Mermys...Emrys? (note personelle: travailler la mémoire des prénoms) lui indiquait que noyer quelqu’un sous un flot de paroles n’était pas forcément le meilleur moyen de le faire s’éloigner d’un instrument de musique. Une phrase retint l’attention de la japonaise : “Je ne travaille malheureusement pas pour le Gouvernement Anglais." Malheureusement avait-il dit? Cela cachait sûrement quelque chose de louche. Pourquoi regretter de ne pas travailler pour le gouvernement? Avait-il travaillé là-bas auparavant puis avait été viré pour faute professionnelle? Dans ce cas-là il fallait être douce, conciliante, avec ce pauvre infortuné. Le gouvernement anglais n’était pas tendre avec les espions fautifs, et Hasaki avait vu tant d’agents pourtant doués commettre des erreurs qu’elle ne pouvait qu’éprouver de la compassion pour ce pauvre jeune garçon.

“Désolée, j’ai les nerfs à vif, je ne voulais pas t’agresser. D’ailleurs, ne t’en fais pas, je n’allais pas te fermer le clavier sur les doigts, ça risquerait d’abîmer le piano” recommença-t-elle avec le sourire le plus chaleureux qu’une jeune (fausse) rousse neurasthénique puisse afficher. À présent, il fallait à Hasaki un moyen de faire comprendre à Emrys qu’elle avait deviné son passé d’agent gouvernemental, tout en évitant de heurter sa sensibilité en lui lançant sa faute professionnelle à la figure. Car, dans l’esprit d’Hasaki, son hypothèse était devenue vérité absolue et il aurait fallu des dizaines d’heure et beaucoup de chocolat au lait pour la convaincre du contraire. Elle détailla silencieusement le jeune homme, espérant trouver dans son physique quelque chose de distinctif, car on lui avait toujours enseigné que mis à part lors de missions secrètes, en somme assez rares, il fallait toujours porter un signe, vestimentaire ou comportemental pour indiquer sa présence aux autorités ou aux autres agents pour éviter les incidents diplomatiques. Par exemple se faire arrêter pour excès de vitesse en Lamborghini quand on escorte un ambassadeur tchèque irascible après une conférence aux Nations Unies. Malheureusement, comme beaucoup d’espions Emrys avait un physique plutôt banal. C’était l’idéal pour se mêler à la foule. Il avait de très beaux yeux bleus, certes, mais ça se saurait si tous les gens aux yeux bleus étaient espions (note personnelle: se renseigner sur le passé et les motivations de tous les Scandinaves). Bon, au niveau des vêtements alors? Un tee-shirt porté plutôt large, sûrement une habitude prise après plusieurs années à cacher un semi-automatique en l’accrochant autour de sa taille. Cela ne prouvait toujours rien. Évidemment!, pensa-t-elle, se maudissant pour sa stupidité, il ne vas pas se balader avec un signe distinctif s’il a été viré ! Il fallait donc trouver un moyen subtil et détourné d’amener Emrys à se confier à elle. Subtil, parce que la jeune espionne avait déjà assez insulté l’anglais en critiquant sa façon de jouer du piano et ne voulait pas s’attirer ses foudres en le faisant revenir sur des souvenirs douloureux. Malheureusement, la subtilité n’était pas le fort d’Hasaki.

“Bon comme tu le sais je suis, dit-elle en s’éclaircissant la gorge après le mot ‘suis’, AGENT GOUVERNEMENTAL, ou si tu préfères -autre éclaircissement de gorge, plus prolongé- AGENT SECRET. Bon je sais que pour ton cerveau d’adolescent qui-n’a-absolument-jamais-fait-ce-genre-de-métier-et-n’a-rien-à-se-reprocher, cela peut sembler fou mais je t’assure que c’est beaucoup moins glamour que ce que l’on pense. Comme tu ne le sais SUREMENT pas, être AGENT SECRET -toussotement, cette fois-, c’est pas être James Bond. Il y a tout un réseau de gens, dont tu n’as sûrement évidemment JAMAIS entendu parler, et y’en a aucun qu’à la gueule de Sean Connery. Personellement, je travaillais pour une institution enquêtant sur le surnaturel. Les combustions spontanées, les pluies de batraciens, les vampires et tout ça et tout ça. Et to... euh, bien sur tout cela ne te dis ABSOLUMENT RIEN, j’imagine”

Oh. Emrys répondit au 'sourire' de son interlocutrice par un autre sourire, tout en se demandant si elle n'arrivait pas à être gentille ou si elle avait simplement trop tendance à dire ce qu'elle pensait. Il se doutait bien qu'elle tenait plus au piano qu'à ses doigts, mais tout de même..., ce n'était pas une raison pour le dire aussi clairement. Il garda ses yeux bleus posé sur elle, se demandant si elle était sérieuse quand elle disait qu'elle avait les nerfs à vif ou si elle était constamment comme ça-parce qu'honnêtement, il en doutait fortement. En tout cas avec un tel débit de parole, elle aurait sûrement pu établir un nouveau record, se dit-il confusément en jetant un coup d'œil accusateur au piano. S'il ne tenait pas à se faire agresser, il allait apparemment falloir qu'il ne touche plus aux instruments de musique dont il ne savait pas jouer ou qu'il apprenne à en jouer, justement. Il raya mentalement la deuxième option en se rappelant combien de fois on lui avait dit qu'il n'arriverait jamais à jouer de la musique et tapota ses doigts sur son bras. Il pouvait toujours se lever, mais pour quoi faire? Il serait resté debout de la même façon qu'il était assis pour l'instant et ça n'aurait pas changé grand chose. Mis à part qu'il aurait été debout. Le jeune homme haussa un sourcil quand il sentit le regard d'Hasaki se poser sur lui, et se crispa légèrement. Non pas qu'il détestait qu'on le regarde, simplement que ça lui donnait la désagréable impression que l'autre savait, et que ce n'était qu'une question de seconde avant que tout le monde soit au courant. Certes, dans ce..., cet endroit, il n'était pas bien sûr que ça aurait gêné qui que ce soit tant tout était étrange. Mais tout de même. Quand il était passé dans sa chambre, il avait cru voir que c'était une chambre de garçons-et en avait conclu qu'il devait être un garçon aussi dans la tête des autres, donc. Il fallait rester naturel et faire comme si de rien n'était, voilà tout.

Emrys, qui pendant une seconde avait bien cru qu'elle était sincère et pourrait, éventuellement, parler plus modérément, comme les personnes normales, par exemple, se rendit vite compte qu'il s'était trompé. Hm. Il fronça les sourcils, ayant l'impression étrange qu'il y avait quelque chose à comprendre dans son magnifique discours sur les AGENTS SECRETS et les AGENTS GOUVERNEMENTAUX. Non, il n'avait jamais fait ce genre de métier. Pourquoi se sentait-elle obligée de le préciser tant de fois de suite? Ce n'était pas comme s'il avait quelque chose à cacher,il était effectivement blanc comme neige du côté de la loi. Un adolescent tout à fait comme les autres qui, malgré quelque menus désobéissances à la loi, n'avait jamais été plus loin en matière de crime. Il la regarda un court instant puis haussa les épaules, intrigué.

«Non, ça ne me dit absolument rien, répondit-il en faisant un léger signe de la main. Mais j'imagine très bien que ça ne doit pas être comme dans les films, tu sais. Je ne suis pas complètement stupide.»

En fait non, il n'en savait rien. D'ailleurs si on lui avait demandé de faire une description du métier d'agent secret, il n'aurait pas même été sûr que ça existait vraiment, au final, ce genre de choses. Parce que tout de même, agent secret..., sa vision des choses, oui, était assez caricaturale. Maintenant, si elle était vraiment agent secret, il voulait bien la croire : ce n'était pas glamour, ce n'était pas James Bond et personne ne ressemblait à Sean Connery. En revanche, cette histoire de surnaturel le laissait un peu perplexe. Ça existait seulement, les vampires? Ailleurs qu'ici, bien sûr. Ici, il y avait de tout. Il commençait à comprendre.

«Pourquoi, ça devrait me dire quelque chose? Demanda-t-il avec un sourire amusé, bras toujours croisés. Ce n'est pas comme si j'avais travaillé pour le Gouvernement, moi, comme je te l'ai dit. C'est toi la spécialiste des batraciens volants et des feux follets : je ne suis qu'un simple garçon comme tu peux en croiser partout. Enfin, pouvait.»

Parce qu'ici, la normalité semblait anormale, justement. Quelle ironie. Lui qui n'avait jamais rien fait de particulier de sa vie, voilà qu'il avait l'impression qu'il était le seul de cette bâtisse à être dans ce cas.