Cela devait faire une heure ou deux que la jeune fille marchait. Epuisée par ses efforts, elle regardait pantoise ses chaussures, des escarpins à sequins. Pleines de boue et imbibée d'eau elles ne ressemblaient plus à grand chose, il faut dire que finir en after dans les bois c'est pas l'idéal quand on a décidé de s'habiller proprement.

Maxence, sa "meilleure amie" (l'amie avec qui elle mange à la cantine serait plus juste comme appellation), ne la suivait plus, à vrai dire elle ne se suivait pas elle-même. Ses pas la guidaient au hasard, arrivée devant une grand bâtisse elle osa enfin lever l'œil. Sa vision était un peu gênée, la tête lui tournait et il lui sembla qu'on lui ouvrait la porte, résultat, elle y entra.





Le hall était vide, pourtant elle entendait encore des voix criantes de partout. Fatalement elle finit par tout de même se poser la question de pourquoi avait-elle franchi le seuil. Catalina posa son sac qu'elle avait su préserver des risques en le serrant contre sa taille, il devait y avoir son portable dedans.
Repertoire, contacts, Maxence. "Meuf vidn ver le haut der boir avfc les autrfs, jai tqouvé un bon pkan." Quelques difficultés à écrire, mais Maxence n'aurait aucun mal à déchiffrer, l'habitude. L'appareil sonna avec protestation, échec de l'envoi. Son regard resta interloqué en voyant la barre de réseau vide, elle en possédait encore il y a peu de temps.
Tant pis, elle irait rentrer chez quelqu'un directement, elle avait dormi chez Clarisse la veille, peut-être sa mère serait toujours absente.

"Merde!" Et ça c'était la constatation que la porte ne s'ouvrait malheureusement plus. Piégée.

Cette journée était de cendres.
La fumée de sa cigarette semblait envelopper tous les évènements, toutes les personnes, toutes les pièces. Elle déambulait tel un courant d’air, drapée de sa solitude et de son ennui. Ses cheveux blancs, roses et verts lui tombant tristement devant les yeux en l’absence de gel, elle se laissa guider vers là où tout avait commencé. Le Hall.
Elle soupira, rejetant une brume toxique, et reprit une bouffée, consumant un peu plus sa vie qui s’étiolait entre ses doigts vernis d’un noir qui s’écaillait. Elle toussota, avalant la fumée de travers, et porta la main à son cœur qui battait avec lenteur, comme si fatigué lui aussi de cette vie sans intérêt, exsangue de toute joie. Elle jeta son mégot sur le tapis, le laissant se consumer assez pour faire une brûlure, avant de l’écraser du bout de sa chaussure.

Elle s’avança, et tandis qu’elle en allumait une autre – sa dernière, par ailleurs –, la portant à ses lèvres et agitant son briquet devant, elle remarqua quelque chose. Une fille d’environ son âge se tenait là, jurant contre la porte. Tout comme elle lorsqu’elle était arrivée.

« Te fatigue pas, fit-elle, ça ne s’ouvrira pas. »

Elle eut un léger sourire blasé, tant tout l’ennuyait. Elle jeta un regard dédaigneux sur les panneaux, et eut un petit coup de tête dans leur direction. Elle les avait lus et cela ne l’avait pas ravie, bien au contraire. Cela n’avait qu’attisé sa haine de ce lieu. L’apothéose avait été lorsqu’elle avait rencontré Kogenta – ce dont elle se serait passé avec plaisir. Surtout que vu qu’elle n’avait rien oublié, Olivia avait du accepter sa proposition délirante. Elle plissa le nez, mais se reprit vite.

« Tu peux lire ça si tu ne me crois pas » précisa Nova de sa voix rauque.

L’islandais coulait de sa gorge, tandis que l’autre le percevait comme un français parfaitement compréhensible.

« Moi c’est Nova Svanadóttir, et toi ? »

Elle laissa son poids se diriger sur sa jambe gauche, s’appuyant avec nonchalance dessus, le bras gauche croisé sur son torse et le droit qui enserrait sa cigarette. Elle avait l’air intéressante – sortant d’une fête à la vue de sa tenue, bien qu’elle paraissait être passée dans une forêt ou quelque chose d’approchant avant de venir. Elle fit la moue et remarqua ses chaussures – jolies, d’ailleurs. Elle frotta machinalement son piercing, se griffant malencontreusement. Elle jura et laissa tomber son bras, sa cigarette avec (mais bien sur, elle ne la lâcha pas. Elle n’était pas folle non plus). Elle était passée à l’infirmerie et avait cherché avec véhémence les médicaments rétroviraux dont lui avait parlé son médecin. Elle avait avalé plusieurs cachets d’un coup, ignorant les doses marquées sur la boîte, et maintenant elle le regrettait. Elle se sentait étrange. Ni dans les vapes, ni surexcitée, juste étrange. Et ça, c’était pire que de ne pas savoir.

Etrange, étrange. Entre les deux, ni l’un ni l’autre, elle ne savait pas ce que ça signifiait. Et pour la première fois de sa vie, elle ne s’en foutait pas.

Elle tressaillit. Une voix grave, presque masculine venait de briser le silence qui lui berçait les oreilles. Un second silence s'afficha quand elle vit qui lui faisait face.
Une jeune fille, décolorée, à la nouvelle génération de punks de leur âge. C'était assez ravissant, aussi elle en oublia un peu de l'écouter. Mécaniquement son cou tourna vers l'endroit que situait Nova. Les quelques lignes déchiffrables à cette distance lui en dit assez sur sa situation, mais à vrai dire ça l'indifférait, c'était même plutôt cool car Clarisse n'aurait sans doute pas accepté de la laisser dormir chez elle ce soir, son appartement vide elle en profitait sans doute pour agripper un type ou deux ; et il n'y a rien de plus glauque que de tenter de dormir à côté de deux personnes en rut.

"C'est quoi ici? Un squatt? Je t'avais jamais rencontré, tu vis là ou t'es de passage? Moi c'est Katie, Catalina, Katie."

Sa tête tomba lourdement sur son épaule, son cerveau vibrait encore au creux de son crane, dur de réfléchir dans ses conditions. Ce qui se passait en ce moment la laissait froide, seul le soulagement de pouvoir se poser ici l'animait.

"Y'a beaucoup de bruit putain! C'est une espèce de party super underground ou un truc louche dans le genre qui se passe?" S'écria-t-elle visiblement très agacée, poings serrés contre sa robe.

Des sons inconnus se répercutaient dans sa cervelle, la musique qui lui avait broyé les tympans quelques heures plus tôt résonnait encore de sa tête. Catalina se rapprocha de Nova, les odeurs tendres de sa cigarette l'attirait comme abeille pour fleur, son regard dilaté se plongea sur les lèvres de Nova.

"T'as un briquet s'teplait? J'ai paumé le mien."