Ici, c'est 'Ailleurs'. {Courtney Lener} - { Terminé }

Elle ne savait pas où elle était. Ça, non. Elle ne savait pas du tout où elle se trouvait, ni à grande échelle, ni à petite échelle, ni rien du tout. Alors qu'elle avançait doucement, avec précaution, le long d'un mur, elle tenta une énième fois de faire marcher son cerveau. Elle était entrée dans une bâtisse. Sur un champ de bataille. Et apparemment, cela ressemblait plus à une gigantesque demeure de particulier qu'à autre chose. Ce qui rendait tout son raisonnement inutile, bon à jeter à la poubelle. Sur un champ de bataille, il n'y avait pas de maison, bordel! C'était aussi évident à ses yeux que de dire qu'elle avait deux yeux, une bouche et un nez, et qu'elle savait parfaitement où ils étaient. Sur un champ de bataille, il y avait des abris, des bâtisses blindées, des corps plus ou moins décomposés qu'on a oublié là, de la poussière, des débris, des..., un tas de choses peu sympathiques, mais pas de maison. Encore, quelque chose ressemblant à une petite demeure, elle aurait pu se le représenter, mais quelque chose d'aussi grand..., non. C'était impossible. Elle soupira intérieurement, ses sens aux aguets, énervée au possible. En entrant elle avait ressenti une vague de contentement et de satisfaction, mais ça n'avait pas duré longtemps malheureusement. Habituée aux situations dangereuses, elle s'était vite mise en tête d'explorer les lieux prudemment, histoire de voir dans quel genre d'endroit elle avait bien pu atterrir, comment et pourquoi. Jusque là, elle n'avait pas réussi à répondre à une seule de ces maudites questions-et c'était bien ça qui l'agaçait, donc. Elle s'arrêta à un angle, le dos plaqué contre le mur, et jeta un coup d'œil au couloir dans lequel elle voulait s'engager, après avoir vérifié que personne ne la suivait, ou plus simplement ne se trouvait derrière elle. Le champ était libre. Elle serra les lèvres, plissant ses yeux presque rouges, et s'engagea dans ce nouveau couloir, qui ressemblait à s'y méprendre à celui qu'elle venait de quitter. Elle n'était pas habituée à ce genre de décors, ça, c'était sûr. Tout lui semblait étranger, depuis qu'elle avait quitté le grand Hall pour vagabonder dans les passages qui lui semblaient sans danger. La force de l'habitude l'avait poussé à dédaigner les grands escaliers, préférant sécuriser l'étage inférieur d'abord. Donc visiter le rez-de-chaussée, en clair. Ça revenait au même.

Après avoir lu le panneau d'affichage et s'être ressaisie, la jeune fille avait remis sa capuche sur sa tête, y rangeant plus ou moins anarchiquement ses longs cheveux en bataille, dont seules quelques mèches avaient réussies à s'échapper. Elle avait aussi remis sa boussole dans sa poche, avait vérifié qu'elle n'avait pas perdu ses colliers en tombant, avant d'entrer. Sa main se posa sur sa ceinture, et elle refit le contour de son arme avec ses doigts, trouvant en lui une présence plus ou moins rassurante. Au moins elle était armée, c'était déjà ça. Son sac battait toujours doucement contre sa cuisse à mesure qu'elle avançait, jetant des regards furtifs autour d'elle. L'endroit lui semblait curieusement vide, et ça ne lui plaisait qu'à moitié. D'un certain côté, s'il avait été habité, elle aurait bien trouvé quelqu'un à qui demander où elle se trouvait. Mais d'un autre, si elle était seule, au moins elle était certaine de ne pas risquer de se faire agresser. Les endroits les plus attaqués, par expérience, étaient toujours ceux où il y avait le plus de monde. Elle s'arrêta une seconde devant une porte fermée, mais ne rentra pas. Sait-on jamais ce qu'il pourrait y avoir derrière ; tant qu'elle était discrète, les éventuels occupants de la demeure ne remarqueraient pas sa présence et elle serait tranquille. Pour un peu, elle en aurait oublié cette histoire de pouvoir et d'ami imaginaire, tiens. L'idée lui revint brusquement, et elle dû secouer sa tête pour penser à autre chose. Impossible. Impossib-

Des bruits de cavalcade se firent entendre, et son cœur manqua un battement. Elle pivota vivement sur ses pieds, appuya sur la clenche qui se trouvait près d'elle et fit s'ouvrir la porte d'un coup d'épaule, s'étonnant qu'elle n'oppose aucune résistance. Elle la referma aussi vite que possible, sans un bruit, se plaquant contre elle, retenant son souffle. Aphrodite crut entendre des voix dans le couloir, mais impossible de dire si elles étaient féminines ou masculines, ou à quel genre de personne elle appartenait. Elle ferma les yeux, se maudissant de ne pas avoir été plus prudente, et ne s'autorisa à respirer de nouveau qu'une fois les bruits de pas tout à fait disparus. Bien. Donc l'endroit devait être habité. Elle reposa ses yeux devant elle, soulagée que la pièce soit vide elle aussi. Elle avisa un morceau d'elle-ne-savait-trop-quoi (du bois, peut-être?) posé sur une table, et le saisit. La porte n'émit aucun son dérangeant lorsqu'elle la rouvrit, et cala ce qu'elle avait saisit au pied de la porte, entre le battant et le mur ; on ne sait jamais, elle ne tenait pas à ce qu'on l'enferme ici.

Bien, bien. Une table, des établis, une..., boite argentée dont elle n'aurait su reconnaître l'utilité, des chaises, des placards. Ça ressemblait assez à un réfectoire, selon elle-enfin, quelque part où l'on mange, en tout cas, bien que celui dans lequel elle avait ses 'repas' était bien moins..., pareil. Bref. Se disant cela, elle crut entendre son estomac émettre un son peu gracieux, et elle ne put retenir une grimace. Bon, manger d'abord, elle verrait ensuite. Elle retira à nouveau sa capuche, et saisit ses cheveux pour les décoincer de son pull informe, avisant les couteaux rangés le long d'un mur. Ça pouvait être utile ça, tiens. La jeune fille saisit un gros couteau de cuisine entre ses mains, et ouvrit tour à tour tous les placards. La plupart de la nourriture qu'ils contenaient-ce devait bien être de la nourriture, à priori...-ne lui disait absolument rien, et ne lui inspirait pas plus confiance. En revanche, le peu de nourriture la laissa perplexe. Une si grande maison, même si elle n'avait pas l'air très récente et parfaitement entretenue, ça devait tout de même être bien approvisionné, non? Elle haussa un sourcil perplexe, passa son sac par-dessus son épaule et le posa sur la table, saisissant un paquet de gâteaux qui lui semblait mangeable. Elle s'assit sur une chaise, d'où elle pouvait regarder la porte, et mordit dans l'emballage pour l'ouvrir. Peinant un peu, elle se dit non sans une once de sarcasme que ça avait presque bon goût, finalement. Voire que ça avait bon goût. Uh. Biscuit, peut-être, comme les gâteaux? Bwah. Peut-être que l'emballage aussi, se mangeait. Finalement elle ne se posa pas trop de question et le déchira, mordillant avec suspicion le morceau qu'elle avait arraché. Oui, apparemment, ça se mangeait. Tant mieux remarque, ça en ferait plus pour elle.

C'est à peu près à ce moment là, alors qu'elle mâchonnait sans trop y penser son truc-mangeable-qui-entourait-les-biscuits, qu'elle vit la porte s'ouvrir. Et dans un réflexe on ne peut plus naturel, saisit son arme et la pointa dans la direction de l'inconnu, avalant rapidement ce qu'elle mâchait-sans s'étouffer, hein, ç'aurait été malin.

Elle se détendit légèrement en constatant que d'après son allure, la nouvelle arrivante ne devait pas être une guerrière aguerrie, et baissa légèrement le canon de son arme. Sans le lâcher pour autant, sait-on jamais.

«Hm, je ne compte pas te tirer dessus, dit-elle de sa petite voix, hésitante mais ferme malgré tout. C'est juste au cas où. Et, hm...»

Oui, bon à préciser quand on avait une arme dans les mains et un couteau à proximité, en effet.

«Où on est, ici? Euh, non, tu t'appelles comment, d'abord?»

Pourquoi pas être polie, tant qu'à faire? Avant, elle n'avait pas vraiment le loisir de l'être. Alors oui, tant qu'à faire, hein.

{Vénère moi maintenant, ahahaha. Mes autres postes feront la moitié de celui-ci. Faut en profiter.8DD}

En fait, cet endroit, c'était un peu comme une immense colonie de vacances! On avait une chambre, de quoi manger, s'amuser, et pour avoir visité les alentours, Courtney s'était également aperçue qu'il y avait un parc-et un lac! Et ça, ça l'avait mise d'une excellente humeur pour les mois à venir. Chez elle, il n'y avait presque pas de verdure, et même Central Park, autrefois lieu de promenade et de baignade, avait été réquisitionné et transformé en un immense building qu'elle avait toujours connu sous le nom de 'busy tower', la tour de toutes les affaires et toutes les transactions, noyau économique de la culture étasunienne. Enfin, elle n'avait vu des images de Central Park uniquement dans d'anciens livres d'histoires, sans ça, elle n'aurait jamais pensé qu'un parc ai pu se tenir un jour à la place de cette tour grise et ridiculement haute. Posant son regard marron sur sa droite, puis sur sa gauche, Courtney continua d'avancer, songeant qu'elle devait être dans la bonne direction. Sa destination: Les cuisines, afin de pouvoir se faire quelque chose à manger. Elle avait déjà été au GGL, ce bar remplit de cœurs et de rose, et si l'ambiance n'était pas trop mal-elle y avait même rencontrée une fille sympa, bien qu'elle avait des cheveux d'une drôle de couleur-, elle préférait faire elle-même ses repas. Elle n'avait pas des goûts particuliers ni tordus, mais c'était une habitude qu'elle gardait et qui avait la vie dure! Elle détestait manger quelque chose qu'elle n'avait pas préparé, comme si manger la cuisine de quelqu'un d'autre eu pu l'empoissonner. Enfin, elle disait ça pour plaisanter, mais ici, on ne savait jamais! Ça avait beau être un joli endroit, comme elle n'en avait jamais vu auparavant, elle ne s'y sentait pas tout à fait à son aise. C'était génial et tout, mais c'était surtout très bizarre.

Alors mieux valait prévenir que guérir. La jeune fille aux cheveux bruns n'avait pas envie de se retrouver malade d'une quelconque façon. Écoutant ses pas raisonner sur le carrelage, elle fit encore un pas, puis un autre, avant de s'arrêter devant une porte de bois. Hum. Si sa mémoire était bonne, alors c'était derrière cette porte que se trouvaient les cuisines. Enfin, on n'allait pas la blâmer si elle se trompait, n'est-ce pas? Il y avait tant de portes dans ce fichu endroit! Ça changeait de son petit appartement, c'était sûr. Tiens, en repensant à son appartement, elle espérait que ses parents ne s'inquiétaient pas trop pour elle, et Heather non plus, d'ailleurs. Elle s'en serait voulu de leur causer de l'inquiétude. Et dire qu'elle ne pouvait même pas leur envoyer de message...A quoi ça servait d'avoir un portable si on ne pouvait pas s'en servir? Et le pire, c'était qu'il s'allumait, allait sur internet, il n'avait aucun problème. Mais il refusait d'envoyer les messages. Peut-être y avait-il de sales ondes ici? Ou bien la structure, qui paraissait ancienne, n'était pas adaptée à son portable...Hum. Bha non, puisqu'elle pouvait aller sur internet! C'était bizarre, quand même, ce truc.

Avec un soupir, la jeune Étasunienne se décida enfin à ouvrir la porte, croisant les doigts pour que ce soit la bonne, et se retrouva nez à nez avec...Un pistolet. Elle se figea immédiatement, en oubliant même de hurler. La personne qui tenait l'arme pointée dans sa direction était une petite jeune fille, plus petite qu'elle sûrement, menue, avec de longs, longs cheveux...Rouges. Wah. C'est clair qu'ils étaient longs, songea-t-elle, ayant besoin de se raccrocher à n'importe quoi pour ne pas céder à la panique qui menaçait de l'envahir. Quand enfin son interlocutrice baissa son arme, sans la lâcher toutefois, Courtney se permit de respirer à nouveau, n'ayant pas même remarqué qu'elle avait retenu son souffle. Putain, la vache...Elle n'avait pas pensé se retrouver face à une arme en voulant juste aller se faire à manger!

«Hm, je ne compte pas te tirer dessus. C'est juste au cas où. Et, hm...»

Elle avait peut-être baissé son arme, mais Courtney n'osait pas bouger pour autant, pétrifiée, ses yeux chocolats rivés vers ce que la jeune fille tenait entre ses mains. Elle espérait qu'elle n'allait pas changer d'avis et s'en servir contre elle, parce que quand même, Courtney ne voulait pas mourir ici, ça aurait été bien trop bête! Elle n'avait même pas encore trouvé le moyen de sortir de cet endroit...Car malgré que toutes les personnes qu'elle avait croisée jusqu'ici lui soutenaient mordicus qu'il n'y avait pas de sortie, elle se refusait à les croire. Elle n'était pas attardée, non plus, quand on entrait quelque part, on pouvait en sortir, c'était forcé.

«Où on est, ici? Euh, non, tu t'appelles comment, d'abord?»

A ces mots, Courtney se redressa soudainement, plantant ses yeux dans ceux de son interlocutrice. Elle avait beau être petite, elle en imposait, surtout avec ce flingue dans les mains! Alors pour ne pas la vexer, de peur qu'elle ne lui tire dessus ou elle ne savait quoi, elle répondit, du tac au tac, sans prendre la peine de respirer entre ses phrases:

« Euh, bonjour, je m'appelle Courtney Lener! Et ici, tu es au Pensionnat Interdit. J'ai pas inventé le nom, enfin je sais pas mais en tout cas on m'a dit que ça s'appelait comme ça. Et euh...Bha, tu peux pas ressortir, il paraît. »

Ah ouais, c'était très clair, comme explication. Il aurait fallut qu'elle prenne des cours auprès de Ralph, parce qu'autant la manière dont il le disait pouvait paraitre crédible, la sienne, ça faisait juste imbécile échappée d'un centre spécialisé. Enfin. Est-ce qu'on pouvait avoir l'air sain d'esprit en racontant un truc pareil? Puis il fallait avouer que l'arme qu'elle tenait dans ses mais n'arrangeait rien à son stress grandissant.

« Hum, chouette arme, ajouta-t-elle en louchant sur l'arme en question, tu ne vas pas me tirer dessus avec, au moins? Parce que je ne compte rien te faire! Hum...Et toi, tu t'appelles comment? »

Autant débuter un semblant de conversation! Il paraît que c'était bon pour les nerfs, de discuter calmement. Courtney espérait que c'était effectivement vrai, elle avait bien besoin de reposer ses pauvres nerfs, durement mis à l'épreuve ces derniers temps.

Aphrodite fronça légèrement les sourcils, observant attentivement la jeune fille qui était entrée dans la pièce. Comme elle s'en était fait la remarque, oui, c'était une fille. Et non, elle n'avait pas l'air bien menaçante. Ce qui ne voulait rien dire, se dit-elle non sans une pointe d'ironie ; elle même n'avait pas le physique d'une combattante, et elle savait se battre à la perfection. Visait extrêmement bien. Et n'hésitait pas à tirer. On lui avait appris à savoir reconnaître le danger, à être prudente et à prendre les bonnes décisions le plus vite possible. Et quitte à faire une erreur, tant pis. Mieux valait se tromper et rester en vie que ne rien faire et pourrir au soleil. Il lui fallut quelques secondes seulement pour faire le tour de son interlocutrice, à la recherche d'un quelconque détail lui signalant qu'il y avait danger et qu'elle devrait pointer à nouveau son arme dans sa direction. Pas question de prendre de risques inutiles. Toutefois, sa rapide inspection la laissa quelque peu perplexe. Cette inconnue n'avait pas l'air de savoir se battre. Ou d'avoir déjà mis les pieds sur un champ de bataille. Elle n'avait pas cette sorte de gravité dans les yeux, et puis elle était..., toute fraiche, bien habillée, joliment coiffée. De plus, vu la tête qu'elle tira quand elle vit son arme, pas bien difficile à deviner. Quand on était soldat on était habitué à voir des armes de toutes sortes autour de soi, et on n'écarquillait plus les yeux quand on se retrouvait avec le canon de l'une d'elle sous le nez. Cette fille avait un elle-ne-savait-quoi de dérangeant, de différent. Pas de dangereux, en revanche. A priori. Elle ne semblait pas porter d'arme sur elle, à vue de nez, et si ç'avait été le cas sans doute l'aurait-elle déjà sortie pour se défendre.

Mais, encore une fois, sait-on jamais.

« Euh, bonjour, je m'appelle Courtney Lener! Et ici, tu es au Pensionnat Interdit. J'ai pas inventé le nom, enfin je sais pas mais en tout cas on m'a dit que ça s'appelait comme ça. Et euh...Bha, tu peux pas ressortir, il paraît. »

Aphrodite posa calmement le petit paquet de biscuit sur la table, près du couteau et de son sac, gardant son arme dans l'axe de la dénommée Courtney, fermement serré entre les doigts de sa main gauche. Elle n'avait pas de préférence entre ses deux mains, mais elle se serait tout de même sentie rassurée si elle l'avait tenue dans la droite. Question d'habitude. Elle fronça un peu plus les sourcils, tentant de résister à l'envie de la remettre en joue sur le champ. Le Pensionnat Interdit. Et elle ne pouvait pas ressortir. Pas ressortir. Elle rassembla ses pensées, incertaine, essayant de se rappeler précisément de ce que disait le panneau qu'elle avait lu à l'entrée. Elle était à peu près sûre qu'il était dit qu'on ne pouvait pas ressortir une fois qu'on avait poussé la porte du Hall, en effet. Et puis elle avait essayé, après tout, sans succès. Difficile à croire, cependant. Et puis c'était quoi, ce nom? Pensionnat Interdit. Elle ne voyait que très vaguement ce qu'était un pensionnat, mais la notion d'interdiction, elle, lui semblait très claire.

C'était déjà ça de pris, se dit-elle en se détendant sensiblement, sans bouger d'un iota pour autant. Elle ne savait pas ce que toute cette histoire signifiait, mais, d'un point de vue extrêmement rationnel, elle était à l'abri, ici, au moins. Apparemment. Plus que dehors, en tout cas. Aphrodite ne savait pas depuis combien de temps elle avait quitté sa base, mais aurait parié qu'on devait déjà s'inquiéter de son absence. Si elle ne revenait pas vite, ils allaient la remplacer. Tant qu'à faire, si elle pouvait rester là, alors...

« Hum, chouette arme, tu ne vas pas me tirer dessus avec, au moins? Parce que je ne compte rien te faire! Hum...Et toi, tu t'appelles comment? »

La fin de la question eut le mérite de la surprendre, et cela dû se voir. Elle sembla hésiter, sa belle assurance complètement ébréchée, et ouvrit la bouche comme pour dire quelque chose. Sans qu'aucun son n'en sorte pour autant. Elle la ferma presque immédiatement après, releva son bras tenant son arme à feu et, d'un geste habitué, remit la sécurité. Elle retira son index de la détente et le posa sur la table, à portée de main. Il était fort peu probable que Courtney se révèle être quelqu'un de dangereux, voilà pourquoi elle avait consentit à se séparer de son fidèle ami. Enfin, elle le gardait toujours près d'elle. C'était un compromis valable, sans doute. Être complètement désarmée, de toute façon, l'aurait plus stressée qu'autre chose. Enfin. Il y avait toujours le couteau, si jamais son jugement s'était avéré être erroné.

«Aphrodite Areïl, répondit-elle finalement, caressant le bois de la table de sa main droite. Désolée de t'avoir fait peur. Je savais pas si tu étais armée ou pas.»

Ce qui n'était pas faux. La plupart des soldats de sa division gardaient leur arme sanglée dans leur dos et en portaient d'autres à leur ceinture ou contre leur cuisse. Mais les ravitailleurs, les médecins ou encore les messagers les gardaient généralement cachés sous leurs vêtements, ou quelque part où on ne la voyait pas. On avait moins tendance à tirer sur quelqu'un de désarmé. Ou qui avait l'air désarmé, en l'occurrence.

«Il y avait aussi marqué qu'on ne pouvait pas sortir, à l'entrée, fit-elle remarquer en passant sa main dans ses cheveux, remettant en place une mèche qui la gênait pour voir correctement. J'ai pas réussi à ouvrir la porte.»

Elle laissa s'écouler une seconde, incertaine, puis lança un regard interrogateur à Courtney.

«Tu habites ici, alors? T'es pas un soldat, non? On dirait pas, ajouta-t-elle en secouant sa tête de gauche à droite. Alors tu viens d'où?»

Cet endroit était décidément complètement étrange, songea Courtney, n'osant pas détourner son regard de la jeune fille aux cheveux rouges, de peur de se faire envoyer une balle dans la tête. Enfin bon, ce n'était pas son regard qui allait arrêter la balle si elle partait, mais ça la rassurait. Elle pouvait se donner l'illusion de pouvoir l'éviter, de cette manière, elle imaginait. Une fille avec une arme et un couteau, dans les cuisines, qui mangeait un paquet de biscuits, et semblait monter sur pile. Super réactive, en tout cas, la demoiselle. Elle n'avait pas finie de pousser la porte de la cuisine qu'elle s'était déjà retrouvée avec un flingue sous le nez. Que craignait-elle comme ça? Courtney voulait bien croire qu'il y avait des personnes particulières par ici, mais pas au point de devoir se promener avec un pistolet pour assurer sa sécurité. Elle, elle n'avait eu aucun problème jusqu'ici, personne ne l'avait agressé, ni violée, ni attenté à sa vie...Bref, en clair, elle n'avait rencontré aucun psychopathe dangereux. Ou alors, les personnes qui se trouvaient ici avec un super don pour le camouflage, quoi qu'elle n'ai pas encore rencontré tout les pensionnaires, elle pensait. Elle en avait vu quelques uns passer dans les couloirs, et à part le type avec la peau verte qui faisait au bas mot un mètre quatre vingt, elle n'avait vu personne de bizarre. Peut-être que ce n'était pas le cas de la fille qui lui faisait face? Penchant très légèrement sa tête sur le côté, elle la détailla rapidement, prenant garde toutefois à ne pas paraitre malpolie-on ne savait jamais, après tout, elle avait toujours un pistolet en mains. Elle était habillée bizarrement, maintenant qu'elle y pensait. Pas du tout le genre de vêtements que portaient les filles de son époque, ou des autres époques qu'elle avait étudié en classe. Pour avoir questionné quelques personnes, Courtney savait que tous les pensionnaires ne venaient pas du même monde. Oui, ça l'avait surprise, au début. Sa mâchoire avait du toucher le sol, au moment où elle l'avait apprit, parce que, franchement, pas du même monde...! Il avait fallu un moment à la jeune Étasunienne pour accepter le fait qu'on ne se fichait pas d'elle, et que c'était la stricte vérité. Un pensionnat, hors du temps, dont on ne pouvait sortir, qui était magique, et accueillait en son sein des personnalités diverses et variées, qui ne venaient ni du même monde, ni de la même réalité. Oui, parce qu'il y avaient plusieurs réalités. Comme par exemple, un monde dans lequel la Guerre Froide s'était arrêtée dans les années 80. 1980. Impensable. Et pourtant.

Alors cette fille venait d'un autre monde, peut-être? Elle n'avait pas l'air d'être là depuis longtemps, pour preuve, elle ne savait même pas où elle se trouvait! Et c'était à elle de lui apprendre la nouvelle. Courtney sentait qu'elle allait avoir l'air d'une parfaite imbécile, mais pouvait-elle faire autrement? C'était difficile, d'entendre une telle chose. Enfin, elle, elle ne l'avait pas trop mal prit, ça avait simplement été dur à avaler, une telle histoire. Mais au final, ce n'était pas si mal. Ici, elle ne manquait de rien. Il y avait à manger, de quoi s'occuper non stop des années et des années durant, et pleins d'autres gens avec qui parler si les livres et les promenades nous ennuyaient. Courtney ne comprenait pas bien comment on pouvait qualifier cet endroit de maléfique, c'était plutôt une bonne chose, non? Mis à part le fait que l'on laissait notre famille derrière nous. C'était sans doute le pire, ça, mais il fallait s'y habituer. Ce n'est pas comme s'ils avaient le choix, n'est-ce pas?

«Aphrodite Areïl. Désolée de t'avoir fait peur. Je savais pas si tu étais armée ou pas.»

Courtney se détendit visiblement en entendant le pistolet cogner contre la table de bois, soulagée. Ouf, elle n'allait pas mourir ici, finalement! Étirant ses lèvres en un sourire, elle se répéta le nom de celle qui lui faisait face, histoire de ne pas l'oublier. Aphrodite Areïl, Aphrodite Areïl...C'est sûr, ça sonnait tout sauf Étasunien, ça! Mais c'était joli. Aphrodite, c'était comme la Déesse de la beauté et de l'amour dans la mythologie Grecque, non? Oui, il lui semblait que c'était ça. Comme quoi tous ses cours d'Histoire et de civilisation n'avaient pas servis à rien.

«Il y avait aussi marqué qu'on ne pouvait pas sortir, à l'entrée. J'ai pas réussi à ouvrir la porte.»

Courtney acquiesça silencieusement à cette phrase. Oui, elle non plus n'avait pas réussi à ouvrir cette satanée porte, et pourtant, elle y avait mit toutes ses forces! Bon, toutes ses forces, ce n'était pas grand chose, mais quand même. N'importe quelle porte aurait du bouger, sous les assauts répétés des occupants de cet endroit. Ils étaient loin d'être tous aussi frêles qu'elle, et certains devaient même avoir beaucoup de force! Alors...Ce devait être réellement impossible d'ouvrir cette porte, oui.

«Tu habites ici, alors? T'es pas un soldat, non? On dirait pas. Alors tu viens d'où?»

Ah, c'est là qu'il allait falloir qu'elle ruse pour ne pas avoir l'air folle, justement. Visiblement, la situation échappait tout à fait à son interlocutrice, et Courtney n'aurait su l'en blâmer, n'avait-elle pas cru à tout ce que lui avait dit Ralph, au début? Soldat...Parce qu'elle était un soldat, elle? La mine de la jeune fille aux cheveux châtains se fit perplexe, et elle déporta légèrement son regard sur sa droite, songeuse. Ça aurait expliqué le fait qu'elle se balade avec une arme ou deux sur elle. Soldat. Ce mot avait une désagréable intonation à ses oreilles, Courtney ne l'avait jamais aimé. Un soldat, c'était quelqu'un qui allait se battre, loin de sa famille et ses amis, se battre pour une patrie qui ne le remerciait pas de se sacrifier pour elle. C'était quelqu'un qui offrait sa vie, en connaissance de cause, et que l'on voyait partir un jour pour ne plus jamais le voir revenir. Son grand-père, le père de son père à elle, était soldat. Et il était mort à Berlin, pour la sauvegarde du modèle Étasunien, laissant derrière lui une femme en pleurs et un enfant qui avait eu cinq ans dans l'année. C'était triste. Courtney détestait cela. A cause de ça, son père, tout petit, avait perdu son modèle. Elle ressentie une immense pitié mêlée à du respect pour celle qui lui faisait face. Si elle avait été soldat, alors c'était mieux qu'elle soit ici. Bien mieux.

« Non, je suis pas soldat, répondit Courtney avec un petit signe de la tête, et j'habite pas ici, enfin, pas vraiment. Je viens de New-York, mais ça te dit peut-être rien. C'est normal que t'ai pas réussi à ouvrir la porte, elle ne s'ouvre pas, quoi qu'on fasse. En fait... »

Elle marqua une courte pause, s'avançant un peu plus dans la pièce. Si Aphrodite avait posé son pistolet, ça voulait dire qu'elle n'allait pas lui tirer dessus, hein?

« Tu peux pas sortir d'ici. Tu as lu le panneau à l'entrée? En gros...(Elle se sentait bête de dire ça, mais c'était la vérité, alors...)Tout ce qu'il y a marqué dessus, c'est vrai. C'est pas une espèce de blague. »

Eh oui. Dur à avaler, mais pourtant vrai. Terriblement vrai.

En voyant la mine perplexe de son interlocutrice après qu'elle ait parlé, Aphrodite haussa les sourcils. Peut-être réfléchissait-elle à la réponse qu'elle allait lui fournir. Ce qui voulait dire que soit il était difficile de rendre compte de la situation, soit elle s'apprêtait à mentir. Elle préférait de loin la première option, mais ne jeta pas la seconde à la poubelle pour autant, par expérience. Croire tout ce que vous disait quelqu'un, c'était la meilleur façon de finir six pieds sous terre-si elle ne comptait pas se promener désarmé au milieu d'un champ de bataille, évidemment. Mais ça, ça devait paraître clair à tout le monde. Alors que croire les autres ou non, c'était bien plus subtile comme choix. Courtney, puisque c'était son prénom, n'avait pas l'air dangereuse. Et avait l'air de quelqu'un de relativement sincère, dans sa manière de parler. Mais elle pouvait tout aussi bien être une très bonne comédienne, ou avoir appris son rôle à la perfection. C'était difficile, d'être si méfiante, et elle s'en voulait de ne pas pouvoir accorder sa confiance à tout le monde sans avoir à réfléchir. Son arme était toujours à portée de main, de toute façon. Et vu l'expression qu'avait arborée la jeune fille aux yeux bruns en se retrouvant avec le canon sous le nez, elle ne devait pas être habituée à être menacée de la sorte. Même ça, c'était incompréhensible. Elle n'avait connu personne, ces dix dernières années, qui aurait ne serait-ce que levé un sourcil si elle avait dirigé son arme sur eux. Personne qui n'avait pas appris comment réagir face à des interrogatoires plus ou moins violents. Voilà pourquoi elle doutait fortement que cette fille soit un soldat. Franchement...! Elle avait l'air moins entrainée que le moins entrainé de ses camarades. Et pourtant, elle n'avait pas l'air si jeune..., peut-être un peu plus jeune qu'elle, mais pas de beaucoup. Elle aurait dû se battre, puisque cette bâtisse se trouvait au milieu d'un champ de bataille.

Ah, non, se corrigea-t-elle avec une pointe de sarcasme, elle était au Pensionnat Interdit. Au milieu de nul part, coincée derrière une porte infranchissable. Bien sûr. Sa réaction lui rappela le moment où elle était sortie de la Bulle pour la première fois, quand elle avait été conduite dans le Centre d'entraînement. Elle s'était sentie perdue, avait eu peur, n'avait pas su quoi faire, n'avait pas cru ce qui lui arrivait. De douloureux échos résonnèrent dans ses oreilles, l'empêchant de rester aussi concentrée qu'elle aurait voulu l'être. Ça faisait dix ans, elle ne s'en souvenait pas. Ou ne voulait pas s'en souvenir, en tout cas. Elle porta distraitement sa main à son cou, vérifiant que ses colliers étaient bien là, cachés sous son pull. Elle n'avait que des images confuses de ses parents, des souvenirs trop douloureux de Dorian. Et de tout ce qu'elle avait perdu. Qu'avait-elle encore à perdre, si ce n'était la vie? Et encore, elle ne savait jusque là même pas à quoi elle lui servait. A se battre. Pour quoi, pourquoi elle se battait, elle ne savait pas. Mais il ne lui restait que ça, et elle ne pouvait faire que ça. Rien d'étonnant à ce qu'elle ait une poussée euphorique en s'imaginant être arrivée dans un endroit calme et silencieux, où elle pourrait enfin dormir sur ses deux oreilles. Mais son esprit cartésien et son expérience l'empêchaient d'être aussi optimiste qu'elle l'aurait voulu. Des explications, il lui fallait des explications.

« Non, je suis pas soldat, et j'habite pas ici, enfin, pas vraiment. Je viens de New-York, mais ça te dit peut-être rien. C'est normal que t'ai pas réussi à ouvrir la porte, elle ne s'ouvre pas, quoi qu'on fasse. En fait... »

Ca, elle s'en doutait, qu'elle n'était pas soldat. New-York? New-York... Elle essaya de répéter le mot dans sa tête, tentant de lui attribuer un quelconque sens ou de même le prononcer correctement. Niou-Iorque? Ça sonnait tellement bizarre! Comme une suite de lettres sans aucun sens, mais qu'elle comprenait tout de même. C'était sûrement un nom. Là d'où elle venait. Il n'y avait pas de nom à là d'où elle venait, elle. La Bulle. Et la guerre. La jeune fille regarda son interlocutrice faire quelque pas dans la pièce, sans bouger. Sans se détendre non plus. Elle ne connaissait pas d'autre vie que celle qu'elle avait vécu, ne savait pas ce qu'on pouvait faire si on ne se battait pas. Ça avait occupé toutes ses journées durant la presque-intégralité de sa vie, après tout. Elle cligna des yeux, le regard dans le vide. Elle ne s'ouvre pas, hein..., apparemment. Alors elle était bel et bien enfermée ici.

« Tu peux pas sortir d'ici. Tu as lu le panneau à l'entrée? En gros... Tout ce qu'il y a marqué dessus, c'est vrai. C'est pas une espèce de blague. »

En entendant cela, Aphrodite releva les yeux vers Courtney. Le panneau! Mais oui, le panneau, elle s'en souvenait maintenant. Elle l'avait lu après avoir essayé d'ouvrir cette fichue porte de malheur, et se souvenait avoir déconnecté complètement, à ce moment là. Elle s'était imaginée pouvoir échapper à ses problèmes, pouvoir vivre dans ce bel endroit, loin du bruit des combats. Un pouvoir, et un ami imaginaire. Elle n'avait trouvé ni l'un ni l'autre, jusque là. Elle voyait mal comment tout cela pouvait être vrai, mais elle avait envie d'y croire, en tout cas.

Un soupir passa la barrière de ses lèvres, et elle reprit son paquet de biscuits. Elle déchira un autre bout de 'l'emballage machin chose au goût de biscuit' avec ses dents, et le mâchonna distraitement, son regard posé sur son arme.

«D'accord, répondit-elle calmement en avalant ce qu'elle mangeait, d'accord. Admettons. Peut-être. On est coincées ici..., on a un pouvoir, et d'autres trucs comme ça. On sortira pas...»

La jeune fille passa une main sur son visage, ramenant par la même occasion quelques mèches de ses cheveux en arrière. C'était totalement improbable. Incroyable. Dans tous les sens du terme. Peut-être rêvait-elle, ou peut-être était-elle morte. Le pire dans tout ça était qu'elle préférait mille fois être morte, dans ce cas. Si c'était un rêve, elle finirait par se réveiller. Si elle était morte, au moins, elle était tranquille.

Elle reposa ses yeux sur Courtney, incertaine.

«On est enfermés là, et c'est tout? On craint rien, ici?»

'Et c'est tout', ouais. C'était déjà pas mal, mais bon. Entre rester enfermée dans un endroit inconnu et retourner risquer sa vie, son choix était déjà fait.

«Et je ne connais pas New..., New-York, ajouta-t-elle, répétant tant bien que mal ce qu'elle avait entendu. Tu es quoi, si t'es pas un soldat?»

Aphrodite s'arrêta en se rendant compte qu'elle ne savait même pas comment on appelait les gens qui restaient ne rien faire dans la Bulle. Les..., les habitants? Elle n'avait aucune idée de ce qu'on pouvait faire, à part être soldat. Ou médecin. Ou ravitailleur. Ou cuisiner. Mais tout ça, c'étaient d'abord des soldats. Spécialisés, mais des soldats tout de même.

Courtney savait très bien que les personnes rassemblées dans cet endroit ne venaient pas forcément du même monde, de la même réalité, du même pays. Avec certains, elle n'avait pas même son apparence humaine en commun! C'était assez exceptionnel, elle devait dire, quoi que très impressionnant dans le même temps. Et en plus, ils pouvaient parler la même langue, ce qui était bien plus commode pour converser avec ses camarades d'infortune, la jeune fille aux cheveux châtains devait l'avouer. Mais bon, tout de même...Elle, elle n'avait jamais vécue ailleurs que dans son monde à elle, avec ses petites habitudes, les habitudes qui convenaient à son mode de vie. Elle ne connaissait pas certains endroits d'où venaient quelques pensionnaires, et aurait été bien en mal de s'essayer à leurs coutumes, puisqu'elle ne les connaissait pas. Ainsi, lorsqu'elle adressait la parole à quelqu'un, elle avait constamment peur de le blesser par ses manières ou ses paroles, de le vexer, le fâcher, que savait-elle. Chez elle déjà, les coutumes des Étasuniens ou des Soviétiques n'étaient pas les mêmes, mais ça ne posait guère de problème, car jamais les blocs ne se mélangeaient entre eux. Ici, c'était tellement différent, elle en perdait son latin, si elle pouvait se permettre de parler ainsi! Mais malgré son angoisse de tomber sur un fou furieux qui en voudrait à sa vie après qu'elle ai brisé par mégarde une des règles importantes de politesse de son monde, elle trouvait sa situation présente extrêmement...Excitante, et c'était là la stricte vérité. Folle, inconsciente? Courtney se le demandait elle-même, parfois. Elle n'aurait pas du se réjouir d'être enfermée pour l'éternité dans un endroit peuplé de personnes parfois dangereuses, avec des créatures parlantes et des pouvoirs bizarres. Mais c'était plus fort qu'elle, elle n'y pouvait rien, elle avait l'impression de respirer pour la première fois de sa vie. De là d'où elle venait, tout était si gris! Le ciel n'était plus visible à cause de la toute la pollution, et l'air avait un arrière goût de fer. Elle n'osait imaginer ce que cela pouvait être du côté des Soviétiques, avec toutes leurs mines et compagnie. Elle se souvenait de son lycée, les murs gris et ternes, avec pour seules décorations des consignes de sécurité et des cartes du bloc Étasunien. Des couloirs longs mais malgré tout spacieux, pour pouvoir évacuer tout le monde en cas de problème. Et son petit appartement, dans lequel elle vivait avec ses parents, terriblement étroit et dans lequel on se cognait les uns les autres, même à seulement trois. Dans la mesure où les parents n'avaient plus le droit d'avoir qu'un seul enfant, de toute façon...Non, vraiment. Ici, c'était peut-être très bizarre, mais il n'y avait pas de fumée ou de buildings pour cacher le ciel, ni de béton qui étouffait la végétation. C'était calme, et l'air était frais, respirable. Ici, elle ne risquait pas de mourir à cause d'une bombe. Ici, ce n'était pas New-York, alors c'était forcément bien.

Peut-être qu'Aphrodite allait apprécier cet endroit aussi? La jeune Étasunienne avait croisé du monde depuis son arrivée, tout de même, et elle avait pu voir que beaucoup des prisonniers du Pensionnat Interdit ne désiraient qu'une seule chose, c'était enfoncer la porte d'entrée pour pouvoir rentrer chez eux. Oh, elle les comprenait, d'un certain côté, si 'chez eux', c'était bien et qu'il y avait des arbres et un beau ciel bleu. Sa famille lui manquait, à elle, mais elle n'avait plus cinq ans; Elle n'allait pas réclamer Maman et Papa à grands cris. Courtney se fichait bien de savoir s'il y avait une raison pour qu'elle soit ici, elle voulait simplement profiter de ce répit plus longtemps. D'ailleurs, elle commençait à avoir faim, c'est qu'elle était venu pour ça, à la base! Avisant le paquet de gâteaux qui se trouvait près de la jeune fille aux cheveux rouges, elle se demanda si elle accepterait de lui en donner un ou deux. Non, c'est juste que...Il y avait son pistolet pas loin, alors elle préférait encore demander plutôt que se faire trouer le crâne, merci. La jeune fille aux yeux marrons allait hausser la voix lorsque son 'amie' prit le paquet entre ses mains, et...Se mit à manger l'emballage. Les yeux de Courtney s'agrandirent, alors qu'elle fixait la fille au pistolet, incrédule. Eeeeeh?! Elle avait bien vu, elle était en train de manger l'emballage, là, hein? Mais pourquoi mangeait-elle l'emballage?

«D'accord, d'accord. Admettons. Peut-être. On est coincées ici..., on a un pouvoir, et d'autres trucs comme ça. On sortira pas...»

Ses yeux couleur chocolat fixés sur l'emballage à moitié déchiré, Courtney n'entendit pas même ce qu'Aphrodite lui disait. Ça la tracassait plus qu'on aurait pu le penser possible. Pourquoi mangeait-elle l'emballage? Quand elle disait que les gens ici avaient des coutumes différentes des siennes! Elle serait bien allée agiter ce paquet à moitié mangé devant le nez de quelques imbéciles, mais se dit qu'elle allai peut-être se faire tirer dessus si elle l'arrachait des mains de la fille aux cheveux rouges, et que ça, ce serait vraiment pire que débile, comme mort. Mourir pour un paquet de biscuit...Dont on avait mangé l'emballage mais pas les biscuits! C'était hallucinant, quoi. Surtout qu'il ne lui semblait pas que cet emballage soit comestible, pas plus en tout cas que tous ceux qu'elle avait vu de sa vie. Ça devait être dégoutant, et elle pesait ses mots. Peut-être qu'Aphrodite avait été habituée à manger l'emballage des biscuits? Peut-être que là où elle vivait avant, il n'y avait que ça qu'elle pouvait manger? Mais c'était horrible! Il allait falloir qu'elle lui fasse la cuisine, décidément. Parce que là, c'était une situation critique!

Et trop perdue dans ses pensées, elle ne réagit pas même à la première question de son interlocutrice, qui heureusement ne sembla pas remarquer son petit moment 'off'. Heureusement, Courtney se réveilla à sa seconde interrogation, sursautant légèrement, plantant son regard dans le sien par réflexe.

«Et je ne connais pas New..., New-York. Tu es quoi, si t'es pas un soldat?»

Courtney la regarda, l'espace d'un instant, perplexe et hésitante. Euh? Elle était quoi, si elle n'était pas un soldat? A l'entendre, on eu juré que ce n'était pas courant, d'être autre chose qu'un soldat. Prenant le temps de réfléchir, la jeune fille aux cheveux châtains se demanda ce qu'elle allait bien pouvoir lui fournir, comme réponse. Euh, elle était...Bha, elle? Non, ça marchait pas. Elle était lycéenne? Elle ne savait même pas si Aphrodite voyait ce que c'était, une lycéenne. Sinon, elle pouvait lui dire quoi? C'était super compliqué, comme question, mine de rien! Une fois que vous aviez compris que vos interlocuteurs ne venaient pas forcément du même monde ou de la même période que vous, ça vous forçait à tous les coups à réfléchir à d'où ils venaient quand vous leur parliez. Jusqu'à ce que vous preniez votre courage à deux mains et leur demandiez, bien évidemment. Mais bon, en attendant, ça ne l'aidait pas à trouver la réponse qu'elle allait pouvoir fournir à Aphrodite. Hum, hum...

« Ben, commença-t-elle, l'air quelque peu décontenancée, je suis une simple citoyenne. Je suis lycéenne, je vais à l'école, enfin j'allais. Je suis trop jeune...Pour avoir un métier, voilà. »

Elle hésita quelques instants puis, sentant que sinon elle n'allait pas pouvoir décoller son regard du paquet de biscuits, elle ajouta, l'air curieuse quand bien même:

« Dis, Aphrodite, hum...Ça te prend souvent de manger l'emballage des boîtes de biscuits? »

Pour Aphrodite, l'emballage d'un paquet de gâteau comestible, c'était bien moins bizarre qu'être enfermée à tout jamais dans une bâtisse étrange. Et, comme toujours, les plus gros soucis supplantaient les autres. Peut-être que voir quelqu'un marcher sur les mains l'aurait étonnée, mais elle aurait bien vite oublié à quel point c'était bizarre en voyant quelqu'un ramper sur les murs, par exemple. C'était une question de degrés, sûrement. Et puis elle avait l'esprit pratique, on l'avait habituée à faire le tri dans ses pensées depuis toute petite, d'aller à l'essentiel sans se poser de questions superflu. Or, si c'était mangeable, que ça avait bon goût, c'était tout ce qu'elle avait besoin de savoir. Voilà pourquoi mâchonner ce bout de ce qui aurait censément dû être une sorte de plastique ne la dérangeait pas le moins du monde. Elle en avait presque oublié que c'était anormal, finalement, trop concentrée qu'elle était sur ce que la jeune fille près d'elle avait dit. Bloquée ici, à tout jamais? Pour un peu, elle se serait tapé le front contre le table. Ou se serait pincée le bras. Ou, mieux : elle se serait coupée. Voilà, elle se serait coupée le bras avec le couteau posé près d'elle. Ce n'était peut-être pas la plus douce des méthodes pour s'assurer qu'on ne rêvait pas, mais c'était la seule qu'elle savait vraiment efficace. On lui avait appris, contre les drogues et les hallucinogènes, à agir ainsi. Une vive douleur pouvait ramener à la raison, et c'était de toute façon la seule solution valable. Mais, bon..., elle n'avait pas l'impression de rêver, et elle allait devoir se fier à son instinct. Parce que prendre un couteau et s'entailler le bras, ce n'était pas la meilleur des façons d'avoir l'air saine d'esprit! Or elle ne voulait pas que Courtney la croit folle, parce qu'elle ne l'était pas. La jeune fille avait l'impression que si elle cherchait trop à comprendre, qu'elle cherchait des hypothèses logiques pour expliquer l'inexplicable, elle allait le devenir, folle. Ou bien allait attraper une migraine carabinée, au choix. Encore une fois, elle décida d'aller au plus simple, à l'essentiel, de ne pas s'occuper du superflu. Comme quoi, dans un sens, son entrainement ne lui aurait pas été utile que pour tuer d'autres personnes. Elle était enfermée. D'accord. Ça, elle admettait, elle avait pu le vérifier. Pour l'éternité. Ça signifiait qu'elle ne sortirait jamais. Elle ne pensait pas dormir, ne pensait pas délirer, donc elle était bien là, physiquement parlant, elle était bien rentrée ici.

Et après? Elle allait simplement passer le restant de ses jours ici, coincé dans ce drôle d'endroit? Si c'était bel et bien la vérité, alors elle ne trouvait pas cela si..., horrible. Tant qu'elle pouvait y vivre sans problèmes, qu'elle ne se ferait pas agresser à tout les coins de couloirs, qu'elle pouvait dormir et manger à sa faim, ça pouvait tout aussi bien être le Paradis. Rien à voir avec l'endroit où elle vivait depuis ces deux dernières années, et dans lequel elle pensait avoir connu l'Enfer. Elle ne savait pas si ces deux endroits existaient, elle ne savait pas si le Prêtre qui vivait avec eux dans le baraquement et accordait quelques instants aux mourants avait menti ou non. Mais quand on est persuadé qu'on va mourir avant d'avoir passé les vingt ans, c'est une perspective plus attirante qu'un noir sans fin, que le néant. Alors ici, oui, c'était le Paradis à ses yeux. Ça avait l'air joli. C'était spacieux. Calme. Silencieux. Il n'y avait pas de guerre. Pas de balles qui sifflaient sans arrêt dans l'air. De la nourriture en quantité suffisante. D'autres personnes, apparemment. Peu importe comment elle était arrivée là, et pourquoi elle était ici, ça lui convenait tout à fait. Elle avait presque peur que, en cherchant trop à répondre à ces questions, elle ne réussisse à ouvrir cette porte et ne soit ramenée là d'où elle venait. Rester enfermée à vie dans un endroit comme celui-là, ou être libre de mourir sans que personne ne s'en soucie? Le choix était vite fait. Et, de son avis, n'importe qui aurait fait le même qu'elle à sa place. Elle aurait aimé que Dorian soit là, mais... Au moins, se dit-elle en mordant pensivement dans son emballage, il avait pu s'éloigner du champ de bataille, du bruit et de la guerre. Il était sans doute heureux, là où il était. Elle voulait le croire, en tout cas.

« Ben, je suis une simple citoyenne. Je suis lycéenne, je vais à l'école, enfin j'allais. Je suis trop jeune...Pour avoir un métier, voilà. »

Aphrodite posa ses grands yeux sur Courtney, surprise, et essaya de comprendre ce qu'elle avait dit. Lycéenne? Hm..., ça ne lui disait rien du tout, ça. Aller à l'école, par contre, elle comprenait. Une classe, des tables, pleins d'enfants et des choses à apprendre. Elle y avait été, quand elle était petite, mais ça remontait à si loin! Citoyenne. Oui, citoyenne, elle pensait comprendre. Elle vivait dans une ville, New..., chose, et avait une maison là-bas.
En revanche, être trop jeune pour avoir un métier la fit hausser des sourcils surpris, la mine perplexe. Eh bien. Ça avait l'air tellement différent de là où Aphrodite vivait, chez elle. Un endroit où on va à l'école durant une dizaine d'année et où on a un métier si tard, c'était presque comme une utopie, à ses yeux. Elle n'avait jamais connu d'autre vie que la sienne, et ne parvenait pas à s'en imaginer d'autres. Se battre était la seule chose qu'on lui avait appris à faire, et elle s'était toujours dit qu'elle mourrait en se battant, sans que cela ne la choque plus que ça. Là, c'était..., comme une peinture. A peine croyable.

« Dis, Aphrodite, hum...Ça te prend souvent de manger l'emballage des boîtes de biscuits? »

La question eut le mérite de la sortir de ses pensées. Il fallait dire que c'était bien la première fois qu'on lui demandait une chose pareille, alors évidemment, ça réveille. Elle regarda le paquet qu'elle tenait dans sa main et le posa debout sur la table, gardant sa main autour de lui. Ah. Très bonne question, n'est-ce pas?

«Non, répondit-elle en toute franchise, sortant difficilement de ses réflexions. Je n'en mangeais pas, avant, parce qu'ils étaient pas comestibles.»

Elle fronça les sourcils symétriquement, posant un regard intrigué sur le paquet, puis sur Courtney, puis sur le paquet. Un peu comme si on venait de lui dire que ce qu'elle mangeait allait la tuer sur le champ, même si ça avait un bon goût de biscuit. Elle en déchira un morceau avec ses doigts, observant avec satisfaction que le papier se déchirait sans problème, et le porta à sa bouche. Oui, ça avait bon goût, pas de doute là-dessus. Elle regarda un instant la sorte de polystyrène qu'elle avait mis à nu en arrachant l'emballage, songeant que les biscuits devaient être à l'intérieur.

«Ça a bon goût, hein, ajouta-t-elle en se retournant vers Courtney, mâchant comme pour appuyer ses dires. Enfin, je trouve ça bon. Ça a un goût de biscuit, je sais pas... C'est comme de la pâte.»

Elle poussa le paquet vers Courtney en haussant les épaules, au cas où elle voudrait vérifier. Ou voulait manger, tout simplement.

«Si on a à manger, ajouta-t-elle pensivement, je veux bien rester là toute ma vie.»

Comme quoi les choses simples sont les meilleures, n'est-ce pas.

Quand on s'appelait Courtney Lener, et qu'on avait pas eu la chance à la naissance d'être doté d'une intelligence supérieur à la moyenne ou même dans la moyenne tout court, on se posait beaucoup de questions sur un nombre impressionnant de choses. Ses parents lui avaient souvent dit, évoquant son enfance, qu'elle posait tellement de questions que même les voisins et les professeurs de maternelle en avaient eu marre, à la fin. Ça, Courtney ne s'en souvenait pas, mais si ses parents le disaient, alors ça devait être vrai. Puis, elle se connaissait un minimum: Quand le professeur parlait, mille interrogations flottaient dans son esprit, sans qu'elle daigne les poser pour autant. Alors quand on est enfant et qu'on exprime la moindre de nos pensées, elle s'imaginait sans mal qu'elle avait du être très énervante et lourde. Mais bon, c'est le propre des gosses, non? Courir partout, parler de tout et n'importe quoi à des adultes qui faisaient semblant de s'intéresser à ce qu'on disait, et balancer ses jouets pour voir si ça rebondirait sur les murs ou non. Elle, son lit ayant depuis toujours été face à la fenêtre, elle les avait plutôt balancés par la fenêtre, mais bon...Au moins, elle avait été très vite fixée: Par la fenêtre, ça rebondissait pas, oh que non. Ça mettait juste les parents et ceux qui passaient sur le trottoir en dessous en colère. Courtney, en cela, pouvait parfois faire penser à une enfant, elle qui ne comprenait pas vite, réfléchissait beaucoup et posait trop de questions à ses amis. Une petite fille ignorante, voilà à quoi elle pouvait faire penser les autres. Eh bien, elle était vraiment désolée de ne pas être intelligente, mais elle n'y pouvait rien! Si les autres l'étaient, autant qu'elle se serve de leur savoir en leur posant les questions qui la turlupinaient, non? Si eux pouvaient lui donner une réponse...C'était bénéfique. Pour elle au moins. Surtout que si quelque chose l'obsédait, ça ne l'obsédait pas qu'à moitié. Comme pour le paquet de biscuits, par exemple: Si elle n'avait pas posé la question à Aphrodite, elle l'aurait fixé tout le long de la conversation, ce maudit paquet, et n'aurait pas fait attention à ce que la jeune fille aux longs cheveux rouges lui disait. Manger l'emballage d'un paquet de biscuit...Ce n'était décidément pas banale! Rien n'était banale dans cet endroit, mais il ne semblait pas à Courtney que les emballages étaient comestibles ici pour autant...Ralph lui aurait dit, si ça avait été le cas, non? C'est vrai, quoi, la jeune fille aux cheveux bruns jugeait que c'était assez étonnant pour mériter d'être mentionné. Enfin, de son point de vue. Personnellement, Courtney savait qu'elle l'aurait de suite dit à un nouveau venu, après les informations de base. Parce que, quand même, mince...! L'emballage d'un paquet de biscuits!

Suivant des yeux le dit paquet lorsqu'Aphrodite le posa sur la table, sans pour autant le lâcher, Courtney ne pu s'empêcher de s'émerveiller de nouveau de l'étrangeté de ce lieu. Pensionnat Interdit, ça sonnait tellement bien, et l'intérieur était super. C'était comme un paquet de bonbons avec un nom attirant et qui, pour une fois, ne mentait pas sur son contenu. La magie, Courtney avait apprit à ne pas y croire, mais maintenant qu'elle était ici, elle ne pouvait tout simplement pas penser que tout ceci avait une explication rationnelle. C'était de la magie, ni plus ni moins. Et honnêtement, ça lui plaisait bien, la magie. Elle l'avait emmenée loin de son monde pourri par la pollution et les conflits, dans un endroit détaché de tout, remplit de gens venus d'autres mondes, d'autres réalités, où la guerre n'avait aucune prise. Au dehors, le ciel était bleu et l'herbe verte, les arbres hauts et feuillus. Il y avait même un lac, avec de l'eau claire. Tout ce que, dans la ville surpeuplée de New-York, Courtney n'aurait jamais pu trouver. Si elle n'était pas venu, elle n'aurait jamais vu ça de sa vie! Jusque là, l'herbe...Ça lui était totalement inconnu, elle ne connaissait que le béton et la ferraille. Pas de place pour la nature, à New-York. Ici, elle pouvait se rouler dedans et contempler un ciel sans fumée ni rien. Un ciel bleu, et des paillons qui voletaient tranquillement dans l'air. Oui, le Pensionnat Interdit, aux yeux de la jeune Étasunienne, c'était...Un Paradis, ni plus ni moins. Qu'importe qu'elle soit enfermée et ne puisse plus sortir; Ce n'était pas comme si elle voulait sortir, de toute façon.

Ici, c'était bien mieux que tout ce qui pouvait se trouver derrière la porte qu'elle avait poussée en entrant. Elle ne voulait pas faire le chemin inverse! Jamais, jamais. C'était trop bien, ici. Ça la tentait bien de se faire une nouvelle vie au pensionnat.

«Non. Je n'en mangeais pas, avant, parce qu'ils étaient pas comestibles.»

Courtney releva les yeux vers Aphrodite, avant de les baisser de nouveau vers le paquet, les sourcils froncés, en intense réflexion. Hum...Donc, le paquet était comestible? C'était bizarre, quand même, il n'avait pas l'air différent des autres. Mais à regarder la jeune fille arracher un bout de l'emballage, le mettre dans sa bouche, et le mâcher comme si ça avait été un bonbon, elle commençait à se poser des questions. Il était vraiment comestible? Courtney peinait à le croire, rien, que l'idée de manger un bout d'emballage la rendait malade. Mais ça devait vraiment être dégueu, non? Elle en devenait même vulgaire, tiens. Heureusement que personne ne pouvait lire ses pensées; Comme ça, on ne la reprenait pas pour ses grossièretés.

«Ça a bon goût, hein. Enfin, je trouve ça bon. Ça a un goût de biscuit, je sais pas... C'est comme de la pâte.»

Comme de la pâte? Comment un emballage comme ça pouvait faire...'Comme de la pâte'? De plus en plus intriguée, Courtney regarda Aphrodite pousser le paquet dans sa direction, et elle lui jeta un coup d'œil, encore méfiante. Uh...Donc elle pouvait en prendre, elle risquait pas de se faire trouer le crâne si elle y touchait? Jugeant que c'était okay, la jeune fille aux yeux couleur chocolat prit avec précaution le paquet dans ses mains, le retournant dans tous les sens, l'inspectant comme s'il y avait eu une bombe cachée quelque part sur lui. Il ressemblait à un paquet de biscuits ordinaire, rien de spécial, à part qu'elle ne connaissait pas cette marque. Bha, tant pis, elle verrait bien. Déchirant-avec peine, comment Aphrodite avait pu le déchirer aussi facilement, elle?- un bout d'emballage, elle le regarda, ses sourcils toujours froncés. Ça n'avait décidément pas l'air très ragoutant, ce truc...Elle se sentait bête rien qu'à l'idée d'en manger. Pour elle, c'était évident que ça ne pouvait pas être bon.

«Si on a à manger, je veux bien rester là toute ma vie.»

Cette remarque fit se retourner Courtney, qui observa un moment sa compagne, son bout d'emballage à la main, et le paquet dans l'autre. Si elle avait à manger, elle voulait bien rester là toute sa vie? Pourquoi, elle n'avait pas à manger, chez elle? Maintenant qu'elle y pensait, c'est vrai qu'elle était pas grosse du tout, Aphrodite. Même plutôt maigre. Des armes, petite et maigre. Pas beaucoup à manger. Soldat? Courtney se sentie honteuse de penser que sa vie était horrible. Parce que la vie de cette fille, elle avait du être cent fois pire. Si évidemment on pouvait parler de 'vie', pour elle. Déportant son regard sur la table, elle se dit qu'au moins, ici, Aphrodite n'allait pas avoir faim. Il y avait beaucoup de nourriture, toujours, et pour tout le monde. C'était de la magie. Elle avait vraiment du bon, celle là. Elle avait eu tort de ne pas y croire, avant.

« Ici, y'a toujours à manger, on manque jamais de rien. Enfin, personne se plaint, et j'ai toujours trouvé de la nourriture, alors voilà. C'est magique, ajouta-t-elle, pensive, avant de fixer de nouveau son bout d'emballage. Certains veulent sortir, mais moi, je me sens plutôt bien, ici. »

Hésitant un moment, elle finit par mettre le bout d'emballage dans sa bouche, grimaçant dès que ce fut chose faite. Uh...Comme elle l'avait déjà pensé, c'était absolument...Dégueulasse. Un bout de papier, quoi, et coupant en plus. Enfin, piquant. Bref, pas agréable. Elle le garda un moment en bouche, tout de même, avant de discrètement le cracher dans sa main, toujours grimaçante.

« Beuh...T'es sûre que c'est bon? Demanda-t-elle à Aphrodite, ses yeux posés sur elle, reposant le paquet sur la table, parce que moi, je trouve que ça a juste le goût...D'un emballage de biscuits, quoi. Et la consistance, aussi... »

Et franchement, c'était tout sauf un truc qu'elle mangerait au goûter.

La faim, on s'y habituait. Tout du moins c'était ce qu'on avait toujours dit à Aphrodite quand on lui avait expliqué les conditions dans lesquelles elle devrait se battre, quand elle était encore dans la Bulle. Elle avait été habituée à avoir le strict nécessaire, jamais plus que ce dont son corps avait besoin. Et en effet, la faim, on s'y habituait. Il lui semblait toujours avoir eu l'estomac à moitié vide depuis deux ans qu'elle se battait, au point qu'elle en avait oublié ce que ça pouvait bien faire de s'endormir après un bon repas. Et puis ce qu'elle mangeait n'était pas spécialement bon, c'était calorique : le but n'était pas de contenter leurs goûts, après tout, mais de les maintenir en forme. Après qu'elle ait été placée aux missions d'agilité, au ravitaillement et aux soins, ç'avait été encore pire. Les soldats, ceux qui passaient leur journée dehors fusil à l'épaule, c'étaient eux qui avaient la priorité. Là encore, rien d'étonnant selon elle. Rien qu'elle aurait été contesté, rien qu'elle ne trouve pas absolument normal. Alors oui, l'idée de pouvoir manger ce qu'elle voulait à volonté, ça aurait suffit à la faire rester un moment ici sans émettre la moindre protestation. C'était peut-être un peu naïf ou un peu puéril comme pensée, mais elle s'était imposée spontanément à elle. En lisant ce panneau à l'entrée, elle avait ésperé sans vraiment y croire qu'il disait vrai. Et maintenant qu'il lui semblait qu'en effet il disait vrai, elle avait l'impression qu'un énorme poids venait d'être retiré de sa poitrine. Elle se sentait plus légère, avait faim et aucune envie de se poser d'inutiles questions concernant cet endroit. S'il y avait de quoi vivre ici, s'il n'y avait pas d'arme à porter et d'ennemis à abattre, alors c'était elle qui irait mettre les serrures à la porte s'il le fallait! Elle se sentait aussi rassurée, heureuse et incrédule qu'une enfant ayant vécue toute sa vie entre deux planches brusquement adoptée par un couple de riches personnes. La jeune fille ne savait pas exactement où elle était tombée, elle ne savait pas si elle pouvait faire confiance aux personnes qui habitaient cet endroit, mais elle avait envie de le faire. Jetant un coup d'œil à Courtney, qui avait saisit le paquet qu'elle avait poussé vers elle, elle se dit qu'elle avait l'air gentille. Cette fille lui semblait tout droit sortie d'un livre ou d'un récit imaginaire, mais elle ne lui inspirait aucune antipathie. Elle avait quelque chose de différent et de rassurant, et surtout rien en elle n'évoquait la mort. Une existence plus ou moins tranquille, ennuyeuse même, avec des parents et des frères, des sœurs. Aux yeux d'Aphrodite, c'était à peine imaginable. C'était un conte, une jolie histoire à laquelle elle aurait aimé prendre part. Un dessin flou au fin fond de son imagination, trop peu utilisée ces dernières années pour être vraiment efficace. Même le paquet de biscuit, il lui semblait merveilleux. Il avait l'air normal, tranquille, inoffensif. Aussi ridicule que ça puisse paraître, il lui semblait presque..., amical. Sympathique. Enfin, autant qu'un paquet de gâteaux puisse l'être.

« Ici, y'a toujours à manger, on manque jamais de rien. Enfin, personne se plaint, et j'ai toujours trouvé de la nourriture, alors voilà. C'est magique. Certains veulent sortir, mais moi, je me sens plutôt bien, ici. »

Magique? Le mot trouva un écho plaisant dans l'esprit de la jeune soldat, qui esquissa un léger sourire. Elle ne parvint pas à s'imaginer, de prime abord, pourquoi on aurait pu vouloir partir d'ici s'il y avait à manger et aucune trace de guerre. Ce n'est qu'en voyant Courtney mettre le bout d'emballage qu'elle avait arraché dans sa bouche qu'elle se souvint que tout le monde ne venait pas du même endroit. Alors peut-être que chez eux, c'était joli. Qu'ils avaient des amis, des parents, une jolie maison. Si c'était le cas, il devenait plus logique qu'ils tiennent à retourner là d'où ils venaient. Mais pour sa part, pour l'instant, elle se rangeait de l'avis de la demoiselle aux cheveux bruns. Elle n'était pas suffisamment informée pour savoir si quelque chose lui donnerait envie de retourner sur le champ de bataille, mais elle en doutait fortement. Entre mourir sans raison et vivre enfermée, elle choisissait de loin la deuxième option. On avait beau dire, la perspective d'une jolie vie entre des barreaux était plus attirante que celle de mourir sous un ciel noir et enfumé, mais libre. Aphrodite, en tout cas, voulait vivre. Elle voulait manger ces biscuits, et visiter cet endroit de fond en comble. Avec son arme, tout de même. On ne sait jamais. La beauté du monde, la bonté en chacun et les rêves qui se réalisent, elle n'y croyait plus. Un peu de méfiance ne pouvait pas faire de mal, et mieux valait cela qu'une cruelle désillusion.

« Beuh...T'es sûre que c'est bon? Parce que moi, je trouve que ça a juste le goût...D'un emballage de biscuits, quoi. Et la consistance, aussi... »

Hm, d'accord. Elle l'aurait deviné à sa grimace, si elle ne le lui avait pas dit, de toute façon. Cette réponse lui arracha tout de même un haussement de sourcil perplexe, tandis que ses yeux suivaient le paquet qu'elle venait de reposer sur la table. C'était tout sauf rassurant d'entendre quelqu'un vous dire que ce que vous veniez de manger avait un goût atroce, surtout quand vous aviez trouvé ladite chose très bonne. Elle aurait pu désigner le vide pour lui présenter quelqu'un qu'elle ne voyait pour sa part pas, elle se serait sentie aussi mal à l'aise. Un mystère encore plus préoccupant que celui de son enfermement, clairement. Au moins, si elle était piégée ici, elle savait de quoi il retournait ; si elle s'empoisonnait à peine après être arrivée, elle n'aurait pas le temps de comprendre grand chose. Pourtant ça avait bien une consistance pâteuse, et le goût caractéristique des biscuits, elle en était sûre! Enfin l'idée qu'elle s'en faisait, en tout cas. Ça faisait longtemps qu'elle n'en avait pas mangé, et elle n'était même pas sûre que ceux-là soient les mêmes que ceux qu'ont pouvait trouver dans les magasins immenses et aseptisés de la Bulle, mais tout de même... Aphrodite tendit son bras sur la table et attrapa le paquet, le ramenant devant elle, l'air septique. Bien décidée à s'assurer qu'elle n'était pas folle, elle déchira avec ses dents un nouveau morceau d'emballage et le mâchonna pensivement. Biscuit, elle était formelle.

La jeune fille aux grands yeux foncés secoua sa tête de gauche à droite, incrédule, et releva son regard vers Courtney.

«C'est bizarre... Je trouve ça vraiment bon, moi, répondit-elle sérieusement, craignant qu'elle ne la prenne pour une allumée complète ; immédiatement après, elle regarda le paquet de biscuit d'un air songeur.Je pense que je vais me contenter de manger les biscuits...»

Oui, sait-on jamais. Eux, au moins, elle était sûre qu'ils étaient comestibles. Joignant le geste à la parole, elle retourna purement et simplement le paquet, ouverture côté table. Les premiers tombèrent immédiatement sur le bois dur, et elle reposa le paquet à plat sur la table. Elle aurait aussi pu en faire tomber un seul au lieu de trois ou quatre, mais la délicatesse était une notion étrangère à la jeune fille. Avisant son arme, toujours posée entre elle et Courtney, elle la saisit et la rangea sous son pull, à la place qui lui revenait. Il n'y avait aucun danger à priori, maintenant ; aucune raison de la laisser là.

«On ne manque de rien, alors? Je veux dire..., on a à manger, un lit? La jeune fille sembla considérer l'idée, puis releva les yeux vers Courtney. Oh! Hm, et ton, pouvoir. Tu le connais, alors? Tu es ici depuis longtemps?»

Aphrodite avait posé les questions comme elles lui étaient venues, de peur de les oublier, sans vraiment se rendre compte que ça faisait beaucoup d'un seul coup. Il fallait être pragmatique, les choses les plus importantes en premier. Quoi que le pouvoir, c'était une question qui la turlupinait franchement. Pour un peu elle aurait tendu ses mains devant elle pour voir si des boules de feu allaient en sortir, tiens. Sait-on jamais.

Elle saisit un des biscuits, et mordit dedans. Ca, au moins, ça avait le goût que ça devait avoir, et..., et c'était pâteux. Elle fit la grimace, étonnée, mais ne dit rien. C'était peut-être fait pour fondre dans la bouche. Ca avait bon goût, en tout cas, alors inutile de se poser des questions inutiles.

Courtney se sentait bien ici, pourquoi aurait-elle du avoir envie de partir? Retourner chez soi, ceux qui avaient eu une belle vie avant, avec de l'herbe, du soleil et un ciel sans fumée ni menace nucléaire, sûrement pouvaient-ils en avoir envie. C'était logique, même, quand on y réfléchissait. Après tout, elle aussi, elle avait laissé de belles choses derrière elle, malgré ce qu'elle pouvait en dire. Son père, sa mère, Heather, et certains de ses camarades de classe. Toutes ces feuilles barrées d'écritures qui reposaient dans un des tiroirs de son bureau, sur lesquelles elle avait raconté ses rêves et ses espérances. Pensant à ces contes de rêve et de liberté, Courtney se senti rougir à l'idée que quelqu'un puisse un jour les découvrir et les lire. La jeune fille aux yeux chocolats n'avait aucun don particulier, et celui de l'écriture ne manquait pas à l'appel. Ses phrases sonnaient mal, bien trop souvent maladroites, et elle avait un mal fou à correctement exprimer ses pensées sur le papier. Mais...Sa tête remplie d'idées noires au quotidien, elle avait besoin de créer un monde où tout serait parfait. Un monde dans lequel elle pourrait voir tout ce qu'elle ne pouvait pas voir de la fenêtre de sa toute petite chambre. Des lacs, des mers, des plaines vertes à perte de vue! Des animaux broutant dans un champ dans lequel s'agitaient des milliers d'insectes. Un monde dans lequel l'on pourrait respirer un air pur, un monde sans pollution...Ce qui était l'évidence de certains était le rêve le plus cher et le plus fou de Courtney.

Alors repartir de cet endroit qui représentait, à quelques détails près, le monde idéal de Courtney...Jamais la jeune fille aux cheveux bruns n'y aurait pensé. Pas même une seconde. Si quelqu'un avait créée cet endroit, alors cette personne était un véritable génie! Que disait-elle, elle allait lui vouer un culte. C'était comme...Un refuge. Elle qui avait toujours souhaité quitter son monde, toute cette pollution et ce malheur qui pesaient sur New-York, son vœu avait été miraculeusement exaucé. Miraculeusement, oui, car tout ceci ne pouvait que tenir du miracle...Perdue dans un monde de songes agréables peuplés de licornes et de fleurs multicolores, elle n'en sorti que lorsqu'Aphrodite saisit de nouveau le paquet entre ses mains, l'air septique, et n'en déchire un morceau. Encore. Et avec une facilité déconcertante, s'il vous plaît. Courtney ne pu s'empêcher de la regarder de travers, sur le coup. C'est qu'elle avait l'air de trouver ça bon, en plus!

«C'est bizarre... Je trouve ça vraiment bon, moi. Je pense que je vais me contenter de manger les biscuits...»

Acquiesçant sans trop savoir pourquoi, Courtney regarda les biscuits tomber sur la table, pensive. Elle trouvait ça vraiment bon? La jeune Étasunienne n'avait aucune raison de douter de la parole d'Aphrodite. Et puis, même si elle avait voulu douter d'elle, elle n'aurait pas pu s'y résoudre: Il se passait tellement de choses bizarres ici qu'un paquet de biscuits comestible n'était pas si étrange que ça, tout compte fait. Ou alors...C'était peut-être son pouvoir, de trouver les paquets de biscuits comestibles? Hmm, un peu trop précis, comme pouvoir...Trouver les trucs pas comestibles comestibles? Oui, c'était peut-être ça! Enfin...Elle n'en savait rien, mais c'était crédible, non? Elle n'avait, pour sa part, pas encore découvert son pouvoir, mais ce genre de pouvoir devait exister, elle en était certaine. Quand même...Courtney se demandait ce que pouvait bien être le sien, de pouvoir. C'était frustrant, mine de rien, de ne pas savoir: On s'attendait à tout à chaque minute de notre vie.

«On ne manque de rien, alors? Je veux dire..., on a à manger, un lit? Oh! Hm, et ton, pouvoir. Tu le connais, alors? Tu es ici depuis longtemps?»

Courtney considéra un instant Aphrodite, avant de saisir une chaise qui se trouvait non loin d'elle, et la poser près de la table à laquelle s'était installée Aphrodite. Elle s'assit sans un bruit, encore un peu inquiétée par la pistolet de la jeune fille aux longs cheveux rouges. Her, si on vous avait menacé avec ce même pistolet il y avait à peine quelques minutes, vous vous en méfieriez encore vous aussi! Posant ses coudes sur la table, elle attrapa un biscuit et entreprit de jouer avec.

« On ne manque absolument de rien. On a un lit, aussi, et à manger tant qu'on veut...Je suis ici depuis, euh...Je dirais...Un peu plus d'une semaine, mais j'ai pas encore réussi à trouver mon pouvoir. C'est dur, mine de rien, de savoir ce qu'on peut avoir de spécial. »

La jeune fille laissa s'écouler quelques secondes de silence, avant de reprendre, ses yeux rivés vers Aphrodite, comme si elle avait été la personne la plus intrigante en ce monde:

« Dis moi, Aphrodite...Ton pouvoir, ce serait pas de pouvoir manger l'emballage des paquets de biscuits, par hasard? »

Courtney semblait hésiter à s'assoir, et Aphrodite ne formalisa pas. Elle-même aurait été mille fois plus prudente, à sa place, aussi ne se sentait-elle pas en droit d'être vexée. Et puis d'ailleurs, elle avait une arme. Sans compter les nombreux couteaux qui devaient se trouver dans la pièce, et dont elle aurait aisément pu se servir. Et pour conclure le tout, elle avait des années d'entrainement à la survie derrière elle, et aurait été tout à fait capable de la tuer sur le champ si l'envie lui en prenait. Donc oui, la méfiance possible de son interlocutrice était..., justifiée. Elle se savait dangereuse. Elle ne savait pas si ça se sentait, elle ne savait pas si elle lui faisait peur, mais elle ne pensait pas que ça avait une grande importance. La jeune fille n'avait jamais recherché l'avis des autres, et n'accordait que peu d'importance aux jugements extérieurs. Peut-être parce qu'elle n'y avait jamais été confrontée? Sans doute, oui. Là où elle était, ça n'avait pas d'importance. Les vêtements, l'apparence, la manière de parler. Elle ne discutait que peu, et jamais par plaisir. Elle ne souriait pour ainsi dire jamais. Elle ne savait même pas si elle en aurait été capable, en fait.

Elle tenta donc une sorte de sourire en direction de Courtney quand celle-ci saisit une chaise pour s'assoir. Ça ne devait pas être très chaleureux, mais c'était mieux que rien. Elle avait envie d'essayer, de voir si c'était agréable. Ça ne lui procura aucun sentiment particulier, mais elle décida que c'était toujours mieux que d'avoir l'air totalement apathique. Elle suivit le mouvement des mains de son 'amie', méfiante, et se maudit de ne pas être capable de se détendre. Son pistolet était rangé à sa ceinture. Si cette fille avait saisi un couteau pour la menacer, elle aurait eu de sérieux ennuis. Elle voulait bien la croire inoffensive, mais ne pouvait pas se résoudre à relâcher sa vigilance. On n'efface pas des années de conditionnement en un claquement de doigts. Ça aurait été trop beau.

La demoiselle passa encore une fois sa main dans ses cheveux, agacée qu'ils veulent absolument retomber devant ses yeux. Elle les aurait bien passés derrière ses oreilles, mais ça n'aurait servi à rien, aussi s'abstint-elle. Un instant elle observa le couteau posé sur la table, et considéra l'idée de les couper, tout simplement. Ils étaient trop longs et ils la gênaient. Ça aurait peut-être été aussi bien comme ça. Cela dit, elle n'avait pas envie de se séparer de sa chevelure presque rouge. C'était bête, mais elle y tenait.

« On ne manque absolument de rien. On a un lit, aussi, et à manger tant qu'on veut...Je suis ici depuis, euh...Je dirais...Un peu plus d'une semaine, mais j'ai pas encore réussi à trouver mon pouvoir. C'est dur, mine de rien, de savoir ce qu'on peut avoir de spécial. »

Aphrodite, les deux mains sur la table, imprima un léger mouvement de balancier à ses jambes trop fines. Son esprit, lui, traitait les informations qu'elle venait de recevoir. On ne manque de rien. On a un lit, à manger. Ces quelques mots suffirent à l'emplir d'un sentiment indescriptible, et un nouveau sourire se dessina sur ses lèvres, plus sincère cette fois. Elle avait l'impression qu'on venait de lui offrir un beau cadeau, et n'aurait su exprimer à quel point elle tenait à rester ici avec des mots. Si cet endroit était bel et bien comme Courtney le lui avait vaguement décrit, elle ne voulait plus le quitter. Pas de combats, pas de bruit sans arrêt, pas de guerre. A manger, un endroit ou dormir et un peu de silence, c'était tout ce qu'elle aurait demandé si on lui avait accordé un vœu. Que cet endroit ne soit pas sûr, qu'il y ait des contreparties, elle s'en moquait. Ça ne pouvait pas être pire que chez elle, elle le pensait vraiment.

Ses pensées erraient du côté de son potentiel pouvoir, ou même de celui de la brune, quand cette dernière reprit la parole. Elle jouait avec un biscuit, et Aphrodite se demanda un instant si elle comptait le manger.

« Dis moi, Aphrodite...Ton pouvoir, ce serait pas de pouvoir manger l'emballage des paquets de biscuits, par hasard? »

La question la laissa perplexe. Dans d'autres circonstances, peut-être aurait-elle rit ; si elle n'avait pas été la personne qu'elle était, en fait, elle aurait sûrement trouvé l'idée hilarante. Mais la petite jeune fille avait avant tout un esprit pratique, efficace, et elle fronça donc les sourcils. Manger l'emballage des paquets de biscuits n'était pas exactement ce à quoi elle pensait quand on parlait de 'pouvoirs', mais... Ce n'était pas ridicule non plus. Un pouvoir, ça pouvait être n'importe quoi sortant de l'ordinaire, après tout. Elle reposa ses yeux foncés sur le paquet et les quelques biscuits renversés sur la table, le plus sérieusement du monde.

« Je sais pas, répondit-elle finalement, avant de ne rediriger son regard vers Courtney. C'est possible. Quelque chose comme ça, peut-être? Ce serait pas très utile, mais... »

Elle laissa ses pensées dériver une seconde, deux tout au plus, puis sembla revenir sur terre et acquiesça. A qui, à quoi, mystère ; toujours est-il qu'elle acquiesça.

« J'imagine qu'on doit forcément finir par le découvrir, au bout d'un moment, lâcha-t-elle avec un haussement d'épaule, dubitative. Forcément. »

Oui, forcément. Et puis dans le cas contraire, ça ne la dérangeait pas vraiment. Un pouvoir, ça semblait assez..., compliqué. Et bizarre. Elle ne voulait pas se retrouver avec quelque chose qui risquerait de lui causer du tort, à elle ou à d'autres. Elle avait assez côtoyé la Mort comme ça. Maintenant, elle ne voulait plus jamais avoir à la rencontrer.

« Dis, Courtney, ajouta la jeune fille d'un air songeur. Tu as dit que tu te sentais plutôt bien, ici. Mais ça te manque pas, chez toi? Ça avait l'air..., bien, pourtant. »

{Retard powaaaaaa! \o/}

« Je sais pas. C'est possible. Quelque chose comme ça, peut-être? Ce serait pas très utile, mais... »

Courtney fixa Aphrodite un instant, avant de baisser son regard vers les paquet de biscuits et les biscuits étalés sur la table. Pour avoir goûté un morceau de l'emballage -Et Dieu savait qu'elle se sentait bête de l'avoir fait, à présent-, Courtney pouvait assurer à Aphrodite que c'était tout bonnement immangeable. Enfin, même si la jeune fille aux longs cheveux rouges qui lui faisait face avait été habituée à manger des choses plus immondes qu'un emballage et que par conséquent elle pouvait trouver ça bon, c'était impossible de le mâcher, et encore moins de l'avaler. C'était coupant, mince! Puis elle lui avait dit qu'elle n'en mangeait pas avant , alors comme ça...Il vint à l'esprit de l'Étasunienne que peut-être Aphrodite était un monstre sous cette frêle apparence de jeune femme. Depuis qu'elle était entrée au pensionnat, Courtney s'attendait en effet à voir surgir des monstres à chaque tournant. Mais bon, elle ne pouvait pas être un monstre! Elle avait l'air gentille...Ou plutôt, un peu triste, avec ses cheveux trop longs et son corps trop mince et petit.

« J'imagine qu'on doit forcément finir par le découvrir, au bout d'un moment. Forcément. »

Courtney acquiesça plus énergiquement qu'elle ne l'aurait du à cette remarque, reportant pour un instant son attention sur le biscuit qu'elle tenait toujours dans ses mains. Ce biscuit avait l'air normal, il avait l'air d'un...Biscuit, quoi. Bien qu'elle doutait toujours de la nourriture qui poussait comme par magie dans cet endroit bizarre, elle haussa mentalement ses épaules, mordant dans le biscuit dans se poser plus de questions. Si elle avait continué à s'en poser, elle savait qu'elle ne l'aurait pas mangé. Mâchant lentement, elle du avouer que le biscuit était plutôt bon, et qu'il n'avait pas l'air empoisonné. Rassurée, elle releva ses yeux couleur chocolat vers Aphrodite. Quand même...Elle avait des cheveux très longs, et presque rouges. Coiffés, ils devaient être magnifiques!

« Dis, Courtney. Tu as dit que tu te sentais plutôt bien, ici. Mais ça te manque pas, chez toi? Ça avait l'air..., bien, pourtant. »

Courtney arrêta soudainement de manger, puis se força à avaler avant d'arborer une mine songeuse. Chez elle? Si, ça lui manquai. Un peu. Enfin, c'était surtout ses parents qui lui manquaient, et ses amis. Surtout ses parents et Heather. Après, son monde, son environnement, elle s'y était habituée durant seize longues années qui lui avaient parues durer un éternité, mais elle s'en passait aisément maintenant. Certes, c'était dur de s'habituer à toutes ces choses vieillottes que renfermaient le pensionnat, mais elle trouvait au final que les portes ouvragées menant aux différentes sales étaient plus jolies que celles automatiques de son lycée. Courtney se souvint de son ciel, celui qu'elle avait prit l'habitude de contempler en rêvant. Ce ciel si gris, masqué par la pollution et la peur des hommes. Au pensionnat, elle pouvait s'allonger dans l'herbe, qui n'existait plus chez elle, et regarder un ciel bleu où flottaient parfois quelques nuages blancs. Blancs, comme Miss Alana. D'ailleurs, où elle avait bien pu passer, celle là?

Elle allait avoir besoin d'elle pour s'y retrouver, elle n'était pas encore habituée!

« Chez moi? (Elle hésita, puis se décida à continuer) C'était...Pas très bien, non. Mes parents et mes amis me manquent, mais pas mon monde. Il était trop...Gris et triste. »

Satisfaite de sa définition, elle finit son biscuit. Une fois qu'elle eut avalé, car malgré tout elle était soucieuse de ne pas passer pour un goret, elle demanda, visiblement intriguée:

« Toi non plus ça devait pas être chouette chez toi. Tu crois qu'on est là pour qu'on soit plus...Heureuses? »

Pourquoi pas? Même si cet endroit était étrange, il y faisait chaud, on y voyait le ciel, il y avait de l'herbe verte, et aucune bombe qui menaçait de vous tomber dessus à tout moment. C'était un peu comme un Paradis, pour elle.

Aphrodite observa Courtney arrêter de manger, et suivit des yeux le mouvement de sa gorge quand elle avala. Elle aussi semblait songeuse. Rêveuse. Comment était son monde, exactement? La soldat aurait aimé pouvoir se le représenter fidèlement, pouvoir se faire sa propre idée. Se référer aux jugement des autres était toujours moins sûr que se forger un avis par soi-même. Elle faisait confiance à ses cinq sens avant tout. Les années d'entrainement lui avaient appris à avoir confiance en ses alliés, et à ne pas croire un mot de ce qui sortait de la bouche de ses ennemis. Chez elle, la valeur d'un homme se jugeait à la couleur de son uniforme. Toi, tu dis forcément la vérité. Toi, tu es un menteur. Toi, tu es quelqu'un de bien. Et toi, même si tu pleures, tu dois mourir. Quelle importance? Son camp était le bon, les autres n'étaient qu'un ramassis de menteurs, de tueurs, de menaces. Mais ici, il n'y avait plus de camp. Alors comment savoir qui mentait et qui disait la vérité?

Est-ce qu'elle pouvait seulement faire confiance à Courtney? Quelques heures plus tôt, elle n'aurait eu qu'à baisser les yeux sur sa tenue pour s'en assurer. Et peu importe qu'elle ait eu l'air gentille, adorable, souriante ou attentionnée. Elle aurait écouté un allié et tué un ennemi. Sans se poser de questions, sans réfléchir plus d'une seconde. C'était la seule distinction qu'elle était capable de faire. Alors même si elle avait l'air aimable et sans défense, elle ne pouvait pas se détendre complètement. Et rien que pour ça, elle s'en voulait atrocement.

« Chez moi? C'était...Pas très bien, non. Mes parents et mes amis me manquent, mais pas mon monde. Il était trop...Gris et triste. »

Pas très bien? Aphrodite acquiesça en silence, plongée dans un bref instant de rêverie. Un monde gris et triste, hein? Si elle avait vécu dans la Bulle, peut-être aurait-elle réussi à se représenter le monde de la brune. Mais là, non. Impossible. Elle n'avait que de vagues souvenirs de rues droites et rectilignes, de murs blancs et de maisons alignées les unes à côté des autres. La notion même de ville lui échappait. A quoi pouvait bien ressembler un monde gris et triste?
Ses parents, ses amis. A ces mots, les sourcils de la rouquine se froncèrent. Mais rien à faire. Rien ne lui vint. Ses parents n'étaient que deux silhouettes brumeuses, sur lesquels elle parvenait à peine à mettre un visage, dont les voix étaient remplacées par les dizaines d'autres qu'elle avait entendu depuis. Quant-à ses amis, elle n'en avait pas. Elle n'avait que des camarades, des frères d'armes. Rien de plus. Il y avait bien Dorian, mais...

Ses doigts se serrèrent distraitement autour des colliers qu'elle portait à son cou, à demi cachés sous son pull trop large. Un miracle qu'elle ait pu les garder aussi longtemps en un seul morceau.

«Toi non plus ça devait pas être chouette chez toi. Tu crois qu'on est là pour qu'on soit plus...Heureuses?»

La jeune fille releva les yeux vers son interlocutrice, sans trop savoir quoi répondre. Pas très chouette, ce n'était pas..., exactement ce qu'elle aurait dit. Mais ça devait revenir au même, l'un dans l'autre. Comment apprécier un monde où elle s'attendait à mourir à chaque instant? Chaque fois qu'elle avait fermé les yeux elle avait ressenti la joie immense d'être encore là pour dormir, et la terrible appréhension du lendemain qui se profilait devant elle. Et puis au fur et à mesure, elle avait oublié de s'inquiéter. Elle marchait en mode automatique.

La réponse était simple à donner, finalement.

« Ça ne peut pas être pire ici, répondit-elle laconiquement, sa main gauche toujours serrée sur ses colliers. Vraiment. »

Elle avisa le biscuit qu'elle n'avait pas encore finit, posé sur la table, et le reprit dans sa main libre.

« Je ne sais pas si on a été envoyées ici pour être plus heureuses, mais, hm... J'imagine qu'on pourra l'être, en tout cas. Non? »

Courtney se trouvait étonnamment optimiste depuis qu'elle avait par mégarde passé les portes du pensionnat. Elle se surprenait à voir la vie en rose, à faire des projets d'avenir, à chantonner en pensant au lendemain ! Autant de choses qu'elle n'avait jamais fait chez elle, car les lendemains n'étaient que de brefs sursis accordés à ceux qui pouvaient passer une autre nuit dans cette pseudo tranquillité qui pesait sur New-York. Ici, tout était bien ! Ou la plupart des choses, en tout cas. Le pensionnat était un endroit franchement bizarre et dénué de toute logique, effrayant parfois, mais bien quand même. Même si Courtney avait sut que passer cette porte l'aurait amenée dans un espèce d'univers parallèle, dans lequel elle se serait retrouvée piégée, incapable de revenir sur ses pas, elle l'aurait tout de même passée, cette porte. Ici, c'était mieux que là-bas, quoi qu'on puisse en dire. Elle préférait encore mourir dans ce drôle de bâtiment que se faire exploser par une bombe dans son monde à elle. Les bombes, ça lui avait toujours fait peur, et continuait de l'effrayer, même maintenant. De ses peurs les plus profondes, on ne se débarrassait jamais.

Mais on pouvait toujours les oublier ! Et quoi de mieux pour se sentir bien qu'un lit chaud et à manger à volonté ? Si Aphrodite avait été malheureuse avant, il était temps qu'elle commence à mettre ses peines de côté. Ici, elle pourrait trouver du calme et du bonheur. Soudain très motivée, Courtney se promit, lorsqu'elle aurait retrouvé Miss Alana, de lui faire faire le tour du Pensionnat, et surtout de lui montrer le parc. C'était le plus bel endroit du pensionnat, le parc.

« Ça ne peut pas être pire ici. Vraiment. »

L'Étasunienne regarda la fille aux cheveux rouges reprendre son biscuit, un air triste étirant ses traits. Ça ne pouvait pas être pire, vraiment ? Le monde d'Aphrodite devait décidément être très horrible, pour qu'elle dise ça sans même vraiment connaître le pensionnat. Elle n'avait pas l'air, de toute manière, d'une personne ayant menée une vie idyllique et calme. Elle avait un regard presque terne, et ne baissait jamais vraiment sa garde. Courtney n'aurait certainement pas pu lui donner un coup de couteau qu'elle lui aurait déjà logé une balle entre les deux yeux. Et puis, mince, quand on se promenait avec un flingue et qu'on savait s'en servir, c'était rarement pour rien.

« Je ne sais pas si on a été envoyées ici pour être plus heureuses, mais, hm... J'imagine qu'on pourra l'être, en tout cas. Non? »

A ces mots, un air déterminé et convaincu vint balayer celui plus mélancolique arboré plus tôt. Oui, bien sûr, qu'elles allaient l'être ! Si Aphrodite n'avait pas pu l'être avant, elle le serait maintenant. Et elle, elle allait enfin pouvoir se promener sans respirer un air pollué et sans crainte de se prendre une bombe en travers de la figure. La vie était belle !

« Bien sûr, fit la jeune fille aux yeux marrons, en fronçant les sourcils, tapant légèrement du poing contre la table, on va l'être, c'est certain ! Tu verras, c'est un endroit génial, même s'il est un peu bizarre aussi. Et puis il y a des gens supers. Tu vas pouvoir te faire pleins d'amis. »

Courtney hocha la tête avec un sourire, décidément fière de ce qui sortait de sa bouche, aujourd'hui. Puis elle s'arrêta, et lança un regard interrogateur à Aphrodite. Maintenant qu'elle la regardait de plus près, elle venait de remarquer que...

« C'est quoi, ce que tu sers dans ta main ? C'est un collier ? »

{Je suis une vraie limace. Pardonne moi.v__v}

{Pauvre gogole de limace...!>8D}

Bien que le ton d'Aphrodite était aussi peu expressif et plat que d'habitude, une sorte de lueur craintive s'était allumé dans ses yeux bruns. Non ? Elle pourrait être heureuse, n'est-ce pas ? Ce n’était pas comme si ça pouvait être pire – du moins ne le pensait-elle pas. De là à être heureuse, en revanche, il y avait une marge. Peut-être son existence serait-elle tranquille mais triste, morne. Sans intérêt, sans but. Oui, même si cet endroit était mieux que celui qu'elle avait quitté, ça ne garantissait en rien qu'elle y serait heureuse. Voilà pourquoi, quand elle détourna doucement son regard vers Courtney, elle sentit son estomac se nouer douloureusement. Bien sûr, qu'elle allait acquiescer. Elle allait lui dire qu'elles pourraient l'être, et elle n'aurait d'autre choix que de la croire. Aphrodite était en terrain inconnu, ici. La notion même de bonheur lui semblait quelque peu étrangère, comme un mot appris il y a bien longtemps, rouillé, endommagé d'avoir été trop peu utilisé. Pour l'instant elle voulait l'associer au calme, au silence, à la tranquillité. A la nourriture à volonté, au ciel bleu, à l'absence de poussière dans l'air. A une certaine paix d’esprit, aussi. Ses oreilles étaient encore emplies de bourdonnements, de sifflements strident et de cris sourds. Le silence ne lui en semblait que plus irréel encore.
Ses yeux à l’éclat rougeâtres s'arrêtèrent sur l'expression décidée de la brune, silencieuse, dans l'attente d'un verdict. Le biscuit qu'elle tenait craqua entre ses dents quand elle l'amena à sa bouche, l'air absente. Si elles avaient vraiment été amenées ici pour être plus heureuses, alors elles ne pourraient que l'être. Et même si ce n'était pas le cas, elles pourraient s'arranger pour l'être. Sûrement, sans doute. Peut-être ?

« Bien sûr, on va l'être, c'est certain ! Tu verras, c'est un endroit génial, même s'il est un peu bizarre aussi. Et puis il y a des gens supers. Tu vas pouvoir te faire pleins d'amis. »

La bonne humeur et la détermination de Courtney avaient beau être contagieuses, la jeune femme ne put qu'esquisser un sourire maladroit en guise de réponse. Génial quoi qu'un peu bizarre, hm ? Génial... Ça sonnait plutôt bien. Qu'il soit bizarre, elle pourrait faire avec. Elle était toujours armée, après tout, et n'hésiterait pas à dégainer si besoin était. Se laisser tuer n'avait jamais été dans ses projets, ça n'allait certainement pas changer maintenant qu'elle était arrivée ici. S'il devait y avoir des contreparties à son bonheur, tant pis. Le ton assuré de l’étasunienne était venu à bout de ses dernières craintes ou appréhension, et la perspective de son enfermement lui paraissait plus brillante que jamais. Comme elle l'avait dit, de toute façon, ça ne pouvait pas être franchement pire.

« C'est quoi, ce que tu sers dans ta main ? C'est un collier ? »

Uh ? La rouquine roula des yeux étonnés, comme si le sens de la question lui avait tout à fait échappé. Puis elle baissa la tête vers sa poitrine, et, avec un soin tout particulier, dégagea les colliers de sous son pull. Elle avait pris l'habitude, dans les moments de doute, d'indécision ou de peur, de serrer ces deux colliers contre elle et de penser aussi fort que possible à ceux qui les lui avaient offerts. Ça ne le ramènerait pas, non ; mais penser à eux n'était plus douloureux, au contraire. Elle savait que, où qu'ils soient, ses parents devaient être heureux. Et Dorian, s'il n'était plus là aujourd'hui, pouvait au moins reposer en paix. Vu ce qu'il avait enduré, il le méritait amplement.

« Ce sont des cadeaux, répondit-elle d'une voix atone, comme perdue dans ses pensées. Hm... »

Elle passa son index droit sous le collier en perle puis reporta son attention sur Courtney.

« Mes parents me l'ont offert il y a dix ans. Et, celui-là... » La jeune fille relâcha le premier collier pour relever le deuxième, dont les deux petites plaques tintèrent doucement. « vient de mon petit-ami. »

Un sourire triste se dessina sur ses lèvres ; elle haussa les épaules en signe d'impuissance.

« Je les garde toujours sur moi. Tu entendais quoi, par bizarre ? »

Passée la peur de leur premiers échanges, et après avoir arrêté de faire une fixation sur son arme, Courtney avait réalisé qu'Aphrodite devait être vachement sympathique. Enfin, dans son genre, elle voulait dire. Elle avait l'air assez renfermée et distante, et très peu expressive, mais à part ça, elle n'avait pas l'air méchante. Sous ses dehors peu soignés et ses longs cheveux rouges en bataille devait se cacher une personnalité plus tendre qui ne demandait qu'à ressortir ! Ça, c'était ce que la demoiselle aux yeux chocolats pensait, en tout cas. Elle ne l'avait pas tuée, déjà, et c'était quelque chose de formidable en soi: Quelqu'un de plus méchant ou cruel aurait pu lui loger une balle dans la tête sans se soucier qu'elle puisse ne pas être une ennemie. Il y avait des gens cons, comme ça, ou des personnes rendues nerveuses et paranoïaques par une vie passée à se méfier des autres. Sans doute que de là d'où venait Aphrodite, la vie était encore moins belle que chez elle. Sans doute qu'Aphrodite avait vécu des situations où elle avait eut à presser la détente de son pistolet. Pour de vrai, et bam, tuer une personne. Courtney, elle, n'aurait jamais pu, elle se connaissait assez pour savoir que ça aurait été bien au dessus de ses forces.

C'est pourquoi elle regarda sa compagne sortir ses colliers de sous son pull avec une curiosité où se mêlaient à la fois admiration et compassion. Elle était forcément gentille, juste pas habituée à l'être. Courtney se fit la remarque qu'elle pourrait lui apprendre à s'installer dans une pièce tranquillement, sans sortir son arme dès que quelqu'un faisait pivoter la porte sur ses gonds. C'était une bonne idée, ça.

« Ce sont des cadeaux. Hm... »

Des cadeaux ? La fille au pistolet passa son index sous une sorte de collier en perles. Courtney fronça très légèrement les sourcils, observant avec attention ledit cadeau. Un cadeau de qui ? D'un ami, d'un parent... ?

« Mes parents me l'ont offert il y a dix ans. Et, celui-là... ( à ces mots, Aphrodite lâcha le premier collier pour se saisir du deuxième, qui était composé de deux petites plaques qui tintèrent en suivant le mouvement de leur propriétaire) vient de mon petit-ami. »

De ses parents et de son petit-ami... Wah. L'Étasunienne fixa sa nouvelle amie avec de grands yeux, son petit cerveau marchant à toute allure. Il était drôlement vieux, le collier avec les perles. Il datait d'une dizaine d'années ! Quand ses parents le lui avaient offert, elle devait être encore une toute petite fille. Comment ça se faisait qu'il ne lui aient plus rien offert ? Ou plutôt, qu'elle n'ait qu'un collier qui date d'une dizaine d'années. Normalement, les bijoux d'enfants cédaient la place à d'autres bijoux avec le temps. C'était un souvenir, peut-être ? Elle ne voyait plus ses parents ? Hmm. Et son petit-ami... Cela étonna Courtney qu'Aphrodite en ait un. Pourquoi ? Elle ne le savait pas, peut-être car elle avait l'air si jeune et frêle. En tout cas... Observant un peu plus le collier qui venait de son petit-ami, elle cru y voir une ressemblance avec les plaques d'identification que portaient les soldats, afin qu'on puisse les reconnaître s'il leur arrivait malheur. Maintenant qu'elle y pensait, Aphrodite lui avait d'emblée demander ce qu'elle était, si elle n'était pas soldat. Peut-être que lui aussi était soldat ?

Courtney eut envie de lui poser la question, mais la jeune fille aux yeux rougeâtres haussa les épaules avec un sourire teinté de tristesse. Elle... ?

« Je les garde toujours sur moi. Tu entendais quoi, par bizarre ? »

Cette question réveilla Courtney, qui cligna deux ou trois fois des yeux avant de pousser un petit 'hmmmm', signe d'une intense réflexion chez la demoiselle. Ce qu'il y avait de bizarre... Des tas de choses, mais peu lui vinrent sur le coup à l'esprit. Cette bâtisse recélait de sombres secrets, elle en était persuadée, et peut-être était-ce cela qui lui conférait cette atmosphère si étrange.

« Ben, comment dire, commença-t-elle, réfléchissant toujours afin de trouver les bons mots, déjà, y'a une drôle d'atmosphère. Puis tu as ton nom marqué sur une des portes, dans les chambres, alors que tu ne l'as donné à personne. Et aussi... J'ai entendu dire qu'il y avait des fantômes, des trucs comme ça. Et hum... Je vois jamais personne remplir les armoires ni la cuisine, mais pourtant y'a toujours des trucs. »

Comme par magie, s'empêcha-t-elle d'ajouter. Il y avait tellement de bizarreries dans cet endroit, ça lui aurait prit des heures pour tout énoncer en détails. Et en plus, elle était certaine de ne pas tout savoir. Dans les couloirs, certaines rumeurs circulaient sur des morts inexpliquées... Mais par égard pour Aphrodite, et pour sa propre peur, elle ne voulait pas en discuter maintenant. La vie était belle, aucune raison de la gâcher pur si peu ! Ce n'étaient que des rumeurs, après tout. Pas de quoi en faire toute une affaire.

« Mais sinon c'est cool, hein. J'ai pas eu de problèmes, alors tu vois... C'est pas très dérangeant. »

Elle laissa s'écouler un bref instant puis, n'y tenant plus, elle demanda à Aphrodite, quitte à le regretter après:

« Tes parents et ton petit-ami, ils vont pas te manquer, quand même ? »

{Tais toi, je suis... DIEU.8D}

{T'es un traaaacteur... \o/}

Aphrodite laissa ses yeux posés sur Courtney tandis qu'elle réfléchissait, patiente et attentive. Elle ne voulait pas la brusquer ; n'en voyait pas l'intérêt non plus. Son temps n'était plus compté, elle n'avait plus à se dépêcher de passer d'un endroit à un autre, n'avait plus à s'inquiéter de ce qui pouvait lui tomber dessus. Tout allait bien. Tout était silencieux. Et si la voix de Courtney brisait cette apaisante quiétude, ça ne la dérangeait pas : elle était vive et réconfortante, emplissait ses oreilles de musique et de chaleur. Elle avait tellement envie d'aller mieux que, de toute façon, elle aurait été prête à croire n'importe quoi. Comme lorsqu'elle était passée dans la file de droite, ce fameux jour d'hiver, dix ans plus tôt. Elle avait ce même air résigné mais empli de craintes, cette même boule au creux de son estomac, ce même goût douceâtre sur la langue. Sauf que cette fois, ce n'était pas le noir qui l'inquiétait ; elle craignait juste qu'après tant d'années d'obscurité, le soleil ne lui brûle les yeux.
Mais comme à l'époque, elle se mordrait la langue et ferait de son mieux. Elle serait heureuse. Courtney l'avait dit ; et elle, elle la croyait dur comme fer.

« Ben, comment dire, déjà, y'a une drôle d'atmosphère. Puis tu as ton nom marqué sur une des portes, dans les chambres, alors que tu ne l'as donné à personne. » La rouquine écarquilla les yeux en entendant ça, sans oser l'interrompre pour autant. « Et aussi... J'ai entendu dire qu'il y avait des fantômes, des trucs comme ça. Et hum... Je vois jamais personne remplir les armoires ni la cuisine, mais pourtant y'a toujours des trucs. »

Ah, oui. D'accord. La demoiselle tenta de faire taire son esprit rationnel et de croire sur parole ce que sa camarade venait de lui dire – et ce ne fut pas simple, vraiment. On lui avait toujours appris que rien n'apparaissait de nulle part, que rien ne disparaissait sans raison. Alors entendre que des noms s'inscrivaient du jour au lendemain et que la nourriture arrivait sans raison jusque dans les placards... La pilule était un peu difficile à avaler.
Quand on est passé d'un champ de bataille à un immense Manoir, cela dit, tout semble possible.

« Mais sinon c'est cool, hein. J'ai pas eu de problèmes, alors tu vois... C'est pas très dérangeant. »

Aphrodite acquiesça. Dans le fond, c'était tout ce qu'elle avait besoin de savoir. Si ce n'était pas dangereux, alors peu lui importait que la nourriture vole ou que des tableaux parlent. Les fantômes induisaient peut-être des morts, mais ce n'était pas le moment d'y penser : elle aurait tout le temps de se renseigner plus tard, apparemment. L'éternité, même. Elle ne savait ni pourquoi, ni comment elle était arrivée là, mais c'était définitivement une bonne chose – elle ne comptait pas revenir là-dessus. Ici, au moins, elle pourrait vivre plutôt que survivre. Alors finalement, qu'elle soit difficile à avaler ou pas et peu importe les possibles effets secondaires, elle n'aurait même pas besoin d'eau pour avaler cette pilule-là. Dans la mesure ou même un comprimé de cyanure aurait été plus agréable que finir criblée de balles, ça ne risquait pas de lui faire grand mal.

« Tes parents et ton petit-ami, ils vont pas te manquer, quand même ? »

La question surprit la rouquine – ou le ton employé, en tout cas. Elle ne considérait ce sujet ni tabou, ni gênant ou triste. Oui, elle n'avait que de vagues souvenirs des uns et avait dû enterrer l'autre : mais ça faisait longtemps, déjà. Ce genre de choses arrivaient, et elle avait été obligée de vivre avec. Elle avait surmonté ces épreuves.
C'est donc sans ton particulier et sans hésiter qu'elle secoua sa tête de gauche à droite.

« Je n'ai pas vu mes parents depuis que je suis entrée à l'armée, à huit ans, expliqua-t-elle brièvement. Et Dorian est mort au combat il y a un an. Ils ne me manqueront pas plus qu'avant, tu sais. »

La simplicité presque froide de ses paroles aurait pu choquer, mais ça ne lui vint même pas à l'esprit. Des soldats morts, il y en avait chaque jour : Dorian n'avait simplement pas eu de chance. Et si elle ressentait une peine justifiée en se souvenant de ses dernières heures passées avec lui, elle n'était pas encore capable d'en vouloir à quelqu'un pour ça. Les soldats meurent. Voilà tout.
Aucun soldat n'a revu ses parents passé ses dix ans. Là encore, c'était tout à fait normal.

« Tu crois que tu pourras, hm, me montrer ? Les chambres et... Tout ça. »

Parce qu'à part les cuisines, elle voyait mal quelles autres pièces pouvait contenir ce bâtiment. Vu la longueur des couloirs et le nombre de portes qu'elle avait croisé, elle aurait certainement l'occasion de s'étonner plus d'une fois.

« Je n'ai pas vu mes parents depuis que je suis entrée à l'armée, à huit ans. Et Dorian est mort au combat il y a un an. Ils ne me manqueront pas plus qu'avant, tu sais. »

Les yeux de Courtney s'agrandirent, jusqu'à devenir deux boules marrons incrédules. Son visage n'exprimait plus rien, si ce n'était un profond étonnement. Un certain choc, peut-être aussi. La cause n'en était pas moins le contenu des paroles d'Aphrodite que la manière dont elle l'avait prononcé. L’Étasunienne, qui avait pensé qu'elle avait vécu dans un monde hostile, saisissait tout à coup bien mieux la portée de ses pensées. A huit ans, dans l'armée ! Même chez les Soviétiques, on ne faisait pas entrer les enfants dans l'armée, question de principes. Ça avait du être horrible pour elle de devoir quitter si jeune son foyer. Ses parents aussi avaient du être tristes ! Perdre leur petite fille... Tout ça pour combattre... Courtney ne connaissait pas le contexte politique du monde d'Aphrodite, mais tout ça lui paraissait absurde. Encore plus que chez elle. Qui l'eut cru possible ! Le regard que Courtney posait sur son amie était maintenant emprunt d'une profonde tristesse. Son petit-ami était mort il y avait un an seulement... Alors ces colliers étaient des souvenirs. Pour que la rousse lui dise ça sur un tel ton, c'était qu'elle devait être habituée à cette vie. Résignée ? C'était atroce.

« Tu crois que tu pourras, hm, me montrer ? Les chambres et... Tout ça. »

Les chambres... Courtney cligna des yeux, sortant difficilement de ses pensées. Ah oui, les chambres et tout le reste. Malgré le fait qu'elle savait qu'elle aurait du répondre et coller de nouveau un sourire sur son visage (faire face à quelqu'un qui vous fixait comme ça ne devait pas être très agréable), les yeux bruns de Courtney restaient fixés sur Aphrodite. Son expression avait à peine changée. Jusque là, le seul monde qui avait vraiment existé aux yeux de l'Étasunienne était le sien. Elle avait demandé à quelques unes de ses connaissances d'où elles venaient, mais jamais en détails. Et jamais on ne lui avait dit des choses aussi... Enfin, voilà quoi ! C'était dur à croire qu'au final, il y avait des mondes engloutis dans des guerres encore plus atroces que la sienne. Une lueur déterminée s'alluma dans ses yeux, alors qu'elle se levait subitement, faisant grincer sa chaise sur le carrelage. Ce ne serait pas la première fois que Courtney exagérait et s'emballait. Sans penser à ce qu'Aphrodite allait pouvoir penser de son soudain changement d'attitude, elle s'exclama, avec un ton passionné qui pouvait faire ridicule dans sa situation:

« Oui, je vais te montrer ! Je vais même tout te montrer ! Tu vas voir, tu vas être super heureuse ici et tu oublieras ta vie d'avant ! Ne t'en fais pas, compte sur moi ! »

Puis elle lui tendit la main, avec un air mortellement sérieux. Comme pour la serrer, sauf que Courtney attendait juste qu'elle la saisisse pour pouvoir la tirer partout dans le pensionnat après. Délicatesse était une qualité dont elle manquait parfois, mais elle s'en moquait bien, sur le coup. Il fallait faire oublier à Aphrodite ses malheurs ! Elle allait se plaire ici, Courtney en était certaine. D'ailleurs, elle pourrait peut-être lui trouver d'autres vêtements que ceux qu'elle portait. Ils étaient tristes, eux aussi. Et ses cheveux méritaient de meilleurs soins. Jamais la jeune fille aux cheveux bruns n'avait ressenti un tel élan de sympathie envers quelqu'un. Aphrodite... Elle en avait assez vécu comme ça. Elle allait lui faire visiter, et elle verrait que tout ici était génial -enfin, à quelques exceptions près. Mieux que chez elle, en tout cas. Ça c'était sûr.

{It's raiiiiining outside...8D}

{ Plus maintenant. B) }

La surprise de Courtney passa loin, très loin au-dessus d'Aphrodite. Elle voyait ses yeux ronds, pouvait constater son absence de réaction. Au-delà de ça, elle était incapable de comprendre ou d'assimiler quoi que ce soit. Pourquoi aurait-elle été choquée ? Les soldats mourraient, les enfants allaient à l'armée. Admettre que tout le monde ici ne venait pas de chez elle était une chose ; appliquer le même raisonnement à tout les domaines en était une autre. Son imagination était aussi couverte de poussière que ses vêtements, asphyxiée et noircie. La seule réalité qu'elle connaissait était la sienne. Une réalité dans laquelle on est séparé de ses parents pour s’entraîner, tuer et mourir. C'était ça, sa normalité. Ça n'étonnait personne, ça ne choquait ni les soldats ni les haut-gradés. C'était ainsi, tout le monde le savait. Courtney devait le savoir. Ça ne pouvait pas l'étonner. Même si elle habitait à New-York et qu'elle ne se battait pas, elle devait bien savoir que d'autres le faisaient. S'il y avait des filles comme elle, bien tranquillement installée dans une maison, c'était parce que d'autres se battaient pour elle. Ce n'était pas possible autrement, non ? Il fallait bien protéger son territoire, non ? Elle n'était pas encore prête à remettre ça en question.
Alors pourquoi la regardait-elle comme ça ?
Elle connaissait ce regard. Ses amies, dans la file de gauche, avaient eu le même en la voyant s'éloigner d'elles. Cette drôle d'expression figée. De la tristesse, peut-être. Elle n'en avait aucune idée. Pourquoi Courtney aurait été triste pour elle ?

Ça n'avait pas le moindre sens.

Pourtant il y avait autre chose que de l'indifférence dans le regard de cette fille, ça ne faisait aucun doute. Peu gênée par l'insistance avec laquelle elle la fixait, Aphrodite soutint son regard. Trouvait-elle sa question stupide ? C'est la seule explication valable qui lui vint, sur le moment. Elle semblait perdue dans ses pensées et, après tout, c'était peut-être tout ce qu'il y avait à y comprendre. Ses réflexions devaient être peu agréables. Il se pouvait même que sa confession lui ait rappelé de terribles souvenirs, pour ce qu'elle en savait. Un ami, un parent proche mort... Si on lui avait confié une telle chose, la rouquine aurait immédiatement fait le lien avec ses propres expériences. Si c'était le cas de Courtney, alors mieux valait ne pas lui poser la question. L'attrister n'était pas dans ses projets.
Et, comme frappée la foudre, l'étasunienne se redressa. Le bruit de la chaise plus que le mouvement de la jeune fille arracha un sursaut surpris à Aphrodite ; dans un reflexe de défense, elle porta sa main droite à sa hanche. Ses yeux bruns, grands ouverts, dévisageaient l'adolescente avec stupeur.

« Oui, je vais te montrer ! Je vais même tout te montrer ! Tu vas voir, tu vas être super heureuse ici et tu oublieras ta vie d'avant ! Ne t'en fais pas, compte sur moi ! »

Elle loucha sur la main tendue. Le bonheur était pour elle une notion vague, des rires délavés et des visages effacés par le temps et les épreuves. Une chimère, rien de plus. Une belle histoire qu'elle aurait sûrement raconté à ses enfants si elle avait eu l'occasion d'en avoir. Et tout d'un coup elle passait la mauvaise porte, se retrouvait enfermée ici et pouvait enfin espérer être heureuse ? Ça semblait plus que délirant.
Elle devait rêver. Ou mourir. La douleur la faisait peut-être délirer, pour ce qu'elle en savait. Peut-être était-elle arrivée en enfer. Ou au paradis. Il se pouvait que ce soit un piège, que cet endroit se révèle pire encore que son ancienne vie ; tout était possible. Malgré tout, les derniers mots de Courtney trouvèrent un écho familier dans les oreilles du soldat. Compte sur moi. Elle pouvait compter sur elle, hein ? Un drôle de sourire, maladroit et hésitant, étira les lèvres d'Aphrodite tandis qu'elle prenait la main tendue.

« D'accord. Je compte sur toi, alors. »

Elle n'avait plus rien à perdre, de toute façon.

Il y avait toujours de quoi rêver, Courtney en était intimement persuadée. Quel que soit le monde dans lequel on vivait, quel que soit le conflit dans lequel on était entrainé, il y avait toujours une lueur d'espoir pour vous faire rêver à un monde meilleur. Le tout était de ne pas se laisser engloutir sous le poids de la tristesse et de la routine. Courtney ne savait pas ce qui se serait passé si elle ou Aphrodite n'avait pas passé la porte du pensionnat, mais elle ne voulait pas le savoir. Elles étaient là, maintenant, et tout allait pour le mieux. Certes, cet endroit n'était pas parfait, il avait ses défauts comme tous les autres. Mais la jeune Étasunienne s'y sentait bien, y avait trouvé une sécurité bien moins relative que là d'où elle venait. Il en serait de même pour Aphrodite, elle s'en faisait le serment. Avec ce qui ressemblait bien à un sourire, la soldate prit sa main. Courtney lui sourit à son tour avec toute la gentillesse dont elle était capable.

« D'accord. Je compte sur toi, alors. »

La demoiselle aux yeux marrons hocha vivement la tête, confiante. Elle qui n'aimait d'ordinaire pas que l'on se repose trop sur elle se sentait sur le coup investie d'une mission quasi divine. Elle ne la raterait pas, c'était hors de question. D'accord, elle échouait dans à peu près tout ce qu'elle entreprenait, mais parfois le résultat était au dessus de ses espérances. Il ne fallait pas partir vaincu et faire de son mieux, c'était la clé de la réussite.

Enfin, sauf pour les mathématiques. Et le français. Et la chimie. Bref, sauf pour les cours, qui eux n'avaient de toute manière plus leur place ici. Courtney tira sur la main d'Aphrodite, la forçant à se lever, sans toutefois lui donner l'impression de lui arracher le bras. Puis elle se dirigea, toujours la main de son amie dans la sienne, vers la porte. Elle pourrait toujours manger plus tard, la découverte du pensionnat les attendait ! Quoi que tout compte fait... Courtney attrapa rapidement le paquet de biscuit entamé, et le tendit à la rousse pour qu'elle le garde. Au cas où, on ne savait jamais.

« On va partir en exploration, lui expliqua-t-elle en se tournant vers elle, tu vas voir, c'est très grand et on va peut-être se perdre, mais on finira par s'y retrouver. Et avec ça on mourra pas de faim. Allez, hop, on y va ! »

Joyeusement, et sans laisser le temps à son amie de rétorquer quoi que ce soit, elle poussa la porte de la cuisine, déterminée à montrer toutes les pièces possibles à Aphrodite avant de se perdre et de devoir demander de l'aide. Si ça se trouvait, sa compagne avait un méga sens de l'orientation qui allait les empêcher de se perdre. Comme Miss Alana. Au pire elle pourrait toujours appeler son AEA à la rescousse.

Et puis même si elles se perdaient, ce ne serait pas si grave, au fond. Elles avaient tout leur temps pour s'y retrouver. On pouvait rêver tout en marchant.

{Poste fini après ton poste ? Cool

}

{ T'es sciée là, hein ? Allez, j'ai terminé ça nickel. 8D }

L'étreinte de la main de Courtney n'était ni brutale, ni trop lâche. On ne la forçait pas à aller quelque part. Elle ne tirait personne derrière elle. Elle ne tentait pas désespérément de ranimer quelqu'un. C'était différent ; inconnu. C'était rassurant. Il lui semblait qu'elle venait tout juste de s'endormir, après des années et des années passées à garder les yeux grands ouverts. Pour ne pas pleurer, pour ne pas avoir peur, pour ne pas mourir – elle ne devait surtout pas fermer les yeux. Mais maintenant, ici, elle en avait enfin le droit. De fermer les yeux. De relâcher son souffle. Respire, Aphrodite, respire. Il y a tellement de bonnes odeurs, ici.
Et si tout ça n'était qu'un rêve ou un hallucination, si elle était allongée dans la poussière, si on essayait vaguement de la réveiller, elle s'en fichait. Elle n'en pouvait plus. Elle lâchait prise.

Adieu, la poussière. Adieu, les morts. Je reste ici.

Un mouvement de la part de Courtney et elle se retrouva debout, encore hébétée par tout ce qu'elle venait d'apprendre. Elle suivit la jeune fille sans protester, sa main serrée sur la sienne. Comme si elle avait eu peur que, finalement, elle ne la laisse toute seule ici. La confiance n'était pas encore là, mais l'envie ne lui manquait pas : et tant qu'elle souhaitait de tout son être parvenir à lui faire confiance, alors elle était sûre de pouvoir y arriver. On lui avait appris à ne jamais abandonner. Et cette main, quoi qu'elle semblait bien fragile, elle ne voulait pas la lâcher. Courtney lui avait promis qu'elles seraient heureuses ; elle voulait la croire.
Elle la croyait.
Sa main libre se referma sur le paquet de biscuits qu'on lui tendait, machinalement. Elle avait encore faim, tiens. Restait à savoir si elle pouvait manger tant qu'elle le désirait ou si, pour commencer, elle ne devrait pas se contenter de portions équivalentes à ce dont elle disposait jusque là. Mourir à cause d'un surplus de nourriture aurait été vraiment bête, hein. Elle ne comptait pas faire éclater son estomac à cause d'une erreur de jugement aussi stupide. Elle le ferait petit à petit, voilà. Elle avait tout le temps pour goûter toute la nourriture de cet endroit.

Malgré tout, un biscuit de plus ou de moins...

« On va partir en exploration, tu vas voir, c'est très grand et on va peut-être se perdre, mais on finira par s'y retrouver. Et avec ça on mourra pas de faim. Allez, hop, on y va ! »

Aphrodite acquiesça avec un sérieux inappropriée, recensant en silence tout ce que requérait la fouille d'un endroit potentiellement dangereux. Il fallait sécuriser, se déplacer en silence, vérifier que personne n'allait arriver et les descendre... Ça demandait beaucoup de préparation, une exploration. Sans compter que se perdre ne la tentait que moyennement. Courtney était mignonne, avec son assurance et son paquet de biscuit ; mais elle, elle ne savait vraiment pas quelle taille pouvait faire cette bâtisse. Errer pour l'éternité serait une fin atroce, et elle en savait quelque chose. Elles pouvaient mourir de faim, de froid, de...
Mais ses réflexions n'eurent pas le temps d'atteindre ses lèvres que déjà la porte était ouverte et les deux adolescentes sorties de la cuisine. Elle faillit tendre la main pour s'accrocher à la porte mais, heureusement pour elle, l'une était agrippée à Courtney et l'autre au paquet de gâteaux. Elle suivit donc sa guide sans faire de commentaire, les yeux grands ouverts, nerveuse malgré tout. Elle voulait être heureuse. D'accord. Être heureuse, être heureuse.

Elle allait s'accrocher à ça. La visite ne pouvait que bien se passer. Elle allait découvrir pleins de choses et tout irait bien.

Ce serait sa première bonne résolution. La première d'une longue liste, avec un peu de chance et de bonne volonté.

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