Bad trip~ [post unique]

Sujet: Bad trip~ [post unique] Dim 6 Mar 2011 - 16:35

Ce n'était pas drôle du tout. Quoi que ce soit, ce n'était pas drôle. Hans se mordit la lèvre inférieure, jetant un regard circulaire autour de lui, à mi-chemin entre l'incrédulité et l'angoisse. Pas drôle, non, c'était le cas de le dire. Il rajusta la lanière de son sac sur son épaule et, pour être honnête, n'en menait pas large. Il n'était pas idiot; la porte qu'il avait poussée était celle de l'appartement du frère de Maude. De ça au moins, il en était certain: il connaissait l'immeuble comme sa poche pour y être allé une bonne centaine de fois depuis que son amie s'y était installée. Sa façade un peu vieillotte, la froideur de la clenche sous sa main, le bruit des voitures dans la rue juste en face; tout ça semblait à la fois très proche, et très lointain, mais il ne se serait pas trompé d'adresse. Cette certitude qui s'imposait à lui ne l'aidait pas à comprendre, tant l'intérieur de la pièce démentait ces propos. Un grand escalier, plus beau que tout ceux qui lui avaient été donnés de voir jusque-là -ceux du lycée et ceux menant à sa chambre, d'accord, ce n'était pas comme s'il avait passé sa vie à en chercher-, et qui avait dû demander beaucoup de travail. Il n'était peut-être pas particulièrement versé dans l'art, mais c'était le genre de choses que même un amateur pouvait facilement deviner d'un simple coup d'œil. Comme tout le reste de ce qui s'apparentait à un hall d'entrée, de ce qu'il voyait. Deux secondes auraient été plus que suffisantes pour se rendre compte que, de toute façon, un décors pareil n'aurait pas convenu à l'endroit qu'il avait vu de l'extérieur. Chaque fois que Maude l'avait emmené chez elle, il se souvenait s'être étonné de la vague présence de quelques plantes verdâtres qui ne fleurissaient plus depuis des lustres; le propriétaire n'aurait pas eu les moyens, ou l'envie lui manquait-elle sûrement aussi, de se payer un quart du tableau que le jeune homme pouvait distinguer ici. C'était n'importe quoi, se reprit-il à songer. N'importe quoi, et pas drôle. Non, non, non. N'importe quoi... Le blond fronça les sourcils. Son esprit lui disait de chercher avec logique, de suivre un raisonnement pragmatique, et sans doute aurait-il trouvé une réponse satisfaisante si les battements désordonnés de son cœur n'avaient pas résonné de la sorte dans ses oreilles. La panique disait-on, empêchait de réfléchir posément. Putain, on lui avait déjà dit ça pour des exams, mais pas... Pas pour quoi, d'ailleurs? Il ne pouvait même pas placer de mots sur la situation! Au fond, c'était peut-être ça qui l'énervait le plus. De ne rien comprendre. D'ordinaire, ça ne lui posait pas le moindre problème. Mais là, c'était différent. Ne pas savoir pourquoi tel calcul donnait 36x², c'était une chose. Passer le seuil d'une fichue porte et atterrir Dieu sait où, c'en était une autre. Où était-il, exactement? Ou, se reprit-il, même sans être précis, un ordre d'idée, quelque chose... Il n'avait rien fumé, rien pris, et si c'était un rêve... Si ça avait été un rêve, il se serait réveillé rien qu'en y pensant. Pour une fois, même l'idée d'un bad trip total l'aurait rassuré. Au moins, au moins... Mais il n'avait rien pris, excluant définitivement cette hypothèse pourtant crédible. Et s'il était ici -'ici' où, il n'en savait rien, mais ce devait bien être quelque part, non? Un hall ne tenait pas debout dans le néant...-, alors où était Maude? Brusquement, il sentit son cœur se serrer et le sang battre à ses tempes. Il fallait qu'il se calme, il fallait qu'il se calme, il fallait qu'il se calme. C'était tout sauf le moment de baliser; il fallait penser. Penser, il savait le faire, et il avait besoin d'une idée. Immédiatement, même une mauvaise, mais quelque chose à se mettre en tête, un début de piste, une amorce seulement...

Comme réalisant brutalement quelque chose, Hans se retourna et tenta d'ouvrir la grande porte qu'il venait de passer, sans succès.

Merde, merde, merde, merde. Le seul mot qui lui vint à l'esprit, et également le seul mot qui passa la barrière de ses lèvres. Un coup de pied ne la fit pas plus céder mais, avec son aspect plutôt massif et la carrure du jeune homme aux yeux bleus, il ne fut pas plus étonné que ça que cette technique ne fonctionne pas. C'était pas un film. Même si tout ça lui en rappelait franchement le scénario, à part qu'on ne le lui avait pas communiqué. Et que, bordel, il ne savait vraiment pas quoi faire, et...

-Y a quelqu'un? Maude?

Évidemment, qu'elle n'était pas là. Ce n'était pas chez elle. L'idée d'y être entré et celle de ne pas y être étaient toutes deux aussi fermement ancrées dans son esprit, et pourtant incompatibles l'une avec l'autre. Se rejetant, se niant, s'annulant, se contredisant, se compromettant, et pourtant aussi assurément vraie l'une que l'autre. Quand il posa les yeux sur un panneau, un rire nerveux s'échappa de sa gorge. Oh, pitié, est-ce que c'était une blague? Ça ne pouvait pas être grand chose d'autre, non? Pensionnaire? Éternelle demeure? Une forêt, un esprit? Nouveau rire nerveux. Est-ce que c'était lui, où il n'aurait pas dû regarder Le village? Qu'est-ce que c'était, la fin, déjà? Une connerie de mauvais genre. Ce film se finissait mal. Il en était sûr. Et cette histoire de nouveau départ? Le seul nouveau départ qu'il voulait était à Berlin, chez Maude, pas ailleurs, pas... Dans cet 'ici' qu'il ne connaissait pas, qu'il ne comprenait pas, et qui lui faisait penser à tous les films d'horreurs qu'il avait pu voir dans sa vie! Pas ici... Si au moins il avait pu placer un autre mot que ça, 'ici'... Des menaces de mort par un soit-disant esprit, des messages inquiétants, une ambiance lourde, des filles populaires, un endroit dont on ne pouvait pas sortir, un animal qui parle, et cette fichue musique à la requiem for a dream... Immédiatement, il releva la tête. Non, ça, il devait l'imaginer... Ça avait pas l'air de le genre d'endroit à cacher des enceintes partout. Impossible de faire le tri entre le vrai et le faux. Impossible de comprendre quoi que ce soit. Impossible d'ouvrir la porte, cette putain de porte qui n'avait pourtant même pas grincé quand il l'avait poussée, la première fois... Une erreur, tu parles! Il n'avait rien su de tout ça, lui! Prenant son courage à deux mains, il se retint de pleurer. Qu'est-ce qu'il était, un gamin? Un idiot? Ces filles sur le panneau, ça devait bien vouloir dire qu'il y avait d'autres gens ici, et qu'il n'était pas seul! Pas qu'il aie voulu se faire des amis ou, comme le préconisaient les quelques notes, 'se faire à l'idée'. Non. Il voulait savoir. Savoir où il était, savoir ce qui se passait ici... Sous le coup d'un soudain éclair de génie, il sortit son portable rose bonbon de sa poche. Un cadeau, déjà un peu vieux, mais qui fonctionnait. En principe. Pas de réseau. Pas comme s'il ne s'y était pas attendu... C'était comme si quelqu'un s'était amusé à recréer une ambiance glauque et à faire ressembler le tout à une pièce de théâtre. Après un dernier coup d'œil vers la porte hermétiquement close ne laissant que trop peu d'espoir, il avança. Il devait y avoir une autre sortie, d'autres moyens, ou quelqu'un pour le renseigner, lui donner les réponses dont la cruelle absence faisait battre la chamade à son cœur dans sa poitrine, comme s'il avait voulu en sortir. Mu par un sentiment d'empressement, il continua d'avancer, plus vite cette fois. Ce panneau lui avait déjà dit tout ce qu'il savait, ou prétendait savoir; libre à Hans d'y croire ou non. Il lui avait au moins permis d'avoir quelques noms en tête, si tant était que leurs auteurs existent réellement; Periple Sky, dont les écrits l'amenaient à croire qu'il, ou elle, pourrait éclaircir les choses. Le second ne lui disait rien. Le troisième le conduirait sans doute, un jour, à mettre les pieds dans cette fameuse forêt; mais pas maintenant, pa s tout de suite. Quand à l'auteur du dernier message... Il donnait également l'impression d'en savoir, peut-être, plus. Il n'y avait que des mises en garde partout, sur ce panneau de liège, de toute façon...

Mais ce hall lui faisait froid dans le dos, comme sans doute le ferait tout le bâtiment. Il devait trouver quelqu'un, il devait s'en aller; parce que, c'était bien connu, c'était notoire. Celui qui reste, apeuré et esseulé, au même endroit, ou celui qui se précipite vers l'extérieur, trop raisonnable et terre à terre pour essayer de comprendre, mourait presque aussitôt. Un classique qui lui faisait peur.

Même si cet endroit n'avait pas la prétention de l'être...