Elle s’était exclusivement alimentée de boisson light la veille, et Garry mourrait maintenant de faim ; elle s’était efforcée d’ignorer les grognements de son estomac vide toute la matinée, mais elle se voyait maintenant contrainte de passer par la cuisine si elle désirait tenir debout jusqu’à la fin de la journée.
Elle craignait que l’enfermement dans le pensionnat ne la fasse grossir, maintenant que sa vie était (relativement -l’avant-veille son visage était bleu et elle se débattait contre d’agressives fougères carnivores) paisible. Avec honte, elle s’était aperçue que son excessive consommation de tabac l’handicapait lorsqu’elle désirait pratiquer le moindre sport ; c’est pourtant en évoquant avec dégout « la laideur des baskets» qu’elle justifiait son manque d’exercice, et plus largement le strict régime alimentaire qu’elle s’imposait. Plus que pour son visage rude, c’est pour son corps osseux qu’elle avait été sollicitée à plusieurs reprises par des magazines de mode plus ou moins populaires, et elle aurait été embrassée/vexée /humiliée de perdre ça -même bloquée ici. Aussi, elle se nourrissait de légumes, lorsqu’il était possible d’en trouver dans la cuisine, éventuellement de viande blanche et parfois de produits laitiers ; il était difficile de trouver de la nourriture correcte dans la cuisine, et la plupart des pensionnaires privilégiaient le GGL en ce qui concernait l’alimentation, mais Garry trouvait leur nourriture trop calorique et ne s’y rendait que rarement (quoiqu’elle puisse en dire, et malgré sa grimace de mépris lorsqu’elles les mentionnaient, les pâtisseries de Toya semblaient délicieuses et leurs parfums ne manquaient pas de l’affamer un peu plus -c’était une vraie torture que de se rendre dans ce café sans rien commander d’autre qu’une tasse de thé).

C’est donc assez maussade qu’elle quitta sa chambre affublée d’une robe en dentelle noire à peine suffisamment courte pour ne pas évoquer une femme en deuil et d’une paire de chaussure rose fuchsia, méticuleusement assortie quelques heures plus tôt à la couleur de ses ongles et au rouge-à-lèvres dont elle avait maculé sa bouche avec application. A cette heure-ci, dans le milieu d’après-midi, le couloir était presque vide ; elle croisa quelques pensionnaires devant lesquels elle se redressa un peu plus avec orgueil, puis se rendit dans la cuisine où l’odeur de citron lui fit plisser le nez. Il y avait cet homme, assis sur une chaise ; elle le croisait parfois, parce qu’il était du type « voyant » -très grand, très musclé ; elle ne lui avait pourtant parlé qu’une seule fois, dans cette pièce même, des mois auparavant, et elle se souvenait s’être agacée. Avec un rictus pincé elle railla tandis qu’elle se dirigeait vers le frigo :

« Donc tu portes des t-shirts maintenant? »

[Remarquons quand même la culture occidentale qui associe les liquides moussants et jaune à une odeur de citron ! *sors*]

Bon, ce n'était pas la première fois qu'on lui sommait de faire la vaisselle, loin de là. Cependant, cette tâche -totalement féminine à son goût d'ailleurs- ne lui allait du tout et puis, dans tous les cas, sa méthode marchait très bien ! Il ne lui restera ensuite plus qu'à rincer avec un peu d'eau, essuyer et ce sera comme neuf ! Bref, alors que Kurogane allait se lever pour vérifier les ustensiles qui trempaient (il voulait vraiment en finir vite) une grande femme blonde arriva dans la cuisine. Il avait une drôle d'émotion en lui, comme un sentimentde déjà-vu ... et en effet, l'inconnue (?) semblait le reconnaître :

« Donc tu portes des t-shirts maintenant ?
- Hein ? On se connait ? »

Il avait répondu intuitivement. Trop peut-être. Kurogane passa de Garry à lui-même pour revenir à elle comme pour vérifier qu'il avait vraiment un t-shirt et surtout chercher un rapport avec la situation. Ne trouvez-vous pas étrange, vous, qu'une étrangère se pointe comme une fleur sans salutations aucune et commente vos vêtements ? En tout cas le samouraï ne comprenait pas et montra donc son désappointement en grattant son menton et inclinant sa tête à 25° vers la droite. Il plissa même les yeux comme pour mieux voir l'inconnue alors qu'à ma connaissance il n'a aucun problème de vue. Elle n'avait rien de particulier au niveau de son physique, elle était plutôt normale même. Sa manière de s'habiller était cependant étrange, le genre de trucs que pourrait porter un certain escargot ... Bon, avouons quand même qu'elle semblait avoir plus de " classe ". Bref, ne voyant vraiment pas où et quand il aurait pû la rencontrer, Kurogane décida d'abandonner - ça ne devait pas être si important de toute façon. Il haussa donc les épaules et fit une moue faussement désolée :

« Vous devez vous tromper ~ »

(OUI, c’est vrai ! Je n’y ai pensé qu’après, en fait !)

Il y avait un yaourt au citron dans le frigo vers lequel elle s’était penchée tandis que Kurogane s’étonnait derrière elle ; elle le dévisagea avec suspicion avant de finalement opter avec prudence pour une assiette de crudité qu’une feuille d’aluminium recouvrait vaguement. Si le calcul de ses calories journalières l’avait quelque peu distraite du samouraï (elle n'avait jamais été très douée pour les mathématiques -ni pour quoique ce soit ayant un vague rapport avec ses études, si ce n'est les cours de sports auquel elle participait avec assiduité), elle se figea avec indignation lorsqu’il mit sa parole en doute ; et, sèchement, posa son assiette sur la table.

« Je ne me trompe pas. » Avec son ton autoritaire, elle aurait tout aussi bien pu employer le mot « jamais » -et elle avait hésité un court moment.

Un instant elle se détourna afin de saisir une paire de couvert propre (un miracle à en juger par la pile de vaisselle tassée dans l’évier sale -malgré son dégout il était hors de question qu’elle s’en charge ; le produit allait plisser la peau de ses mains ; voir l’assécher. Et quelqu’un était ici pour ça, non ? Régulièrement la pièce était nettoyée -elle doutait toutefois que l’initiative ait été prise par un pensionnaire de sa connaissance) et ajouta avec dédain en s’asseyant en face de lui:

«Sérieusement, tu... » La familiarité devenait embarrassant, maintenant ; elle avait l’impression d’être vaguement envahissante. Elle se souvenait pourtant l’avoir insulté avec aisance il n’y a pas si longtemps que ça, et ça l’agaçait d’avantage. Alors qu’elle plantait sa fourchette dans une tranche de concombre trempée de crème elle reprit avec irritation : «Tu le fais exprès. » Elle renifla avec mépris et ajouta: « il y avait cette fille avec un nom japonais qui pleurait tout le temps. »

Son regard était torve ; elle était plutôt vexée d’avoir été oubliée aussi facilement (d’autant plus qu’elle se souvenait très bien de lui ! Et pas seulement parce qu’il mesurait 1m94 et trainait armé d’un énorme sabre dans le pensionnat.)