Paris. Place de la Concorde. 1798.
Une imposante bâtisse dédommagée.
C’est là que logent les enfants de l’orphelinat Gaudry.
Madame Gaudry est une femme bonne et sainte. Une trentaine de marmots sont à sa charge. Parmi eux, dans cet endroit pittoresque survit un enfant. Une fillette du nom de Philippine. Aujourd’hui encore elle manque à l’appel dans la petite cour intérieure.
Le petit Martin non plus n’est pas là. En vérité, tout deux ne reviendront plus.

*
Cela fait maintenant, un mois que les deux jeunes enfants ne résident plus dans l’orphelinat. Ils n’ont pas de chez eux et doucement leur quotidien se perd dans la misère de leur vie.
L’hiver arrive doucement, et ils ne vivent que par l’aide temporaire de bonnes sœurs, la nourriture vient à manquer. Un morceau de pain pour chacun chaque jour.
Le défilement des journées rend leur existence vide et monotone. Les semaines s’allongent. La jeune fille répète chaque jour les mêmes activités et obligations. Pour fuir la solitude et l'assuétude quotidienne qui la ronge à petit feu, elle s'imagine fréquemment l'existence d'un ami à ses côtés. Un renard auquel elle vit de virtuoses escapades entre les multiples embouchures de la ville. Elle donne à cet animal le nom saugrenu de Pépé.
Bientôt, La neige arrive.
Philippine se met à voler. Encore le seul moyen de survivre par les temps qui courent. Elle n’a alors que quatorze ans, mais elle se forme vite, rapidement. Petit à petit, elle apprend la discrétion et la patience. Ses actions sont répétitives et souvent lui rapporte peu.
Elle prend garde à ne voler qu’aux riches, et de petites choses, éphémères dont ils ne peuvent se rendre compte.
Elle ne vole que pour manger, et ne mange que pour survivre.
Pourtant, elle ne regrette pas d’avoir fuit ce taudis de misère de la place de la Concorde. Paris et une grande ville, et pendant leurs voyages incessants, les deux jeunes enfants prennent garde à ne jamais retourner à la pension Gaudry.
Mais l’hiver ne vient pas seul. Bientôt Martin, âgé alors de cinq ou six ans seulement, tombe malade. Une grave maladie d’après le père Laurier. Les souffrances du garçon sont grandes et les conséquences mortelles.
Ils n’ont cependant pas d’argent pour payer un docteur, ou bien même une opération.
Philippine comprend que pour sauver l’enfant, ses petits maraudages ne suffisent désormais plus. A partir de ce jour, elle s’affère et vise toujours plus. Elle pille tout ce qui lui paraît être rentable. Plus encore, elle n’est attirée que par les objets de très grandes valeurs. Elle se fiche maintenant du malheur des gens, et s’ouvre de plus en plus à la malhonnêteté.
Elle métrise ses actions et apprends d’avantage les techniques de cambriolage. Philippine devient voleuse professionnelle.
Elle n’amasse pourtant pas encore la somme requise pour soigner Martin.
Et pourtant, à lors que le froid de la mort caresse ses joues, la jeune fille repense parfois à son passé. De vieux souvenirs ressurgissants.
Mon doux agneau, mon enfant … Qu’as-tu donc fait ? …

Philippine n’a pas toujours bien agit et ses intrusions ne sont pas toujours sans risque.
Il lui revient souvent en mémoire, cet objet … Ce grand et beau sabre.
Mais se remémorait reste encore douloureux, la vie lui offre là, une bien triste preuve des risques auxquelles la jeune fille fait face chaque jour.
Elle se rappelle très bien de ce soir. Un soir comme les autres en théorie.
Elle l’avait vu. Lui. Il portait cette arme d’orient contre son corps et il était entré dans ce lieu. Philippine avait conduit ses pas jusqu’au seuil du bâtiment. Là, avec bien du mal, elle avait réussi à échapper à la vigilance des soldats postés devant la façade.
Finalement, elle était entrée. Doucement, furtivement. Ses oreilles attentives à l’affut du moindre bruit. Et elle le suivait, elle le suivait …
« Des escaliers, encore et toujours des escaliers »
L’image de cette porte lui reparaît à l’esprit comme une punition, une gifle qui lui revient instantanément à la figure. Une imposante porte de marbre …
La jeune fille se rappelle s’être demandée ce qu’elle renfermait. Cet accès était gardé par trois ou quatre verrous. De lourds verrous. Elle voulut s’en approcher, visiblement cela pouvait lui rapporter gros. Ce choix causa sa perte.
Soudainement, l’homme au sabre avait réapparu. Elle revoit encore, la rage qui bordait son visage. Il porta ses mains au coup de la jeune fille …
Il s’empara de son corps et une intolérable douleur fusa dans tous ses membres. Elle avait faillit s’abandonner. Mais, il y avait Martin. Ce doux garçon, qu’elle considérait comme son petit frère. C’était pour lui qu’elle était venue ici. Son regard se porta successivement de l’arme à l’homme. Tout se passa très vite. Trop vite. Philippine ne se rappelle plus vraiment. Elle s’empara de la lame et la planta dans le corps de l’homme. Désormais, elle scella pour toujours son triste destin. Elle portera à jamais le sang d’une existence, aussi éphémère soit elle, sur ses mains. Ses petites mains, frêles, fragiles..
Terrorisée, accablée par son destin, elle s’enfuit laissant là, le corps inerte, gisant sur le sol.
Elle quitta à toute volée la demeure, oubliant le sabre qu’elle était venue chercher.
Cette nuit écrasante, impénétrable la plongea dans un gouffre sans fond. Ce fut la plus longue de sa vie.

*
Les journaux du lendemain n’accordèrent qu’une courte page sur le meurtre de la veille. Visiblement, cet homme était un souverain important, la garde qui occupait ses fonctions, cette nuit là, fut renvoyée.
Les enquêteurs considérèrent la mort tragique du personnage comme « non-élucidée ».
Philippine apprit seulement le nom de l’homme qu’elle avait assassiné.
Henry McKinley.
Ce nom fut à jamais gravé dans son esprit.


*
Le mois de Janvier c’est écoulé au rythme incessant des journées de dur labeur.
Philippine n’a toujours pas la somme requise pour soigner le petit Martin. Elle comprend, alors vite qu’il ne lui reste plus beaucoup de temps. Ce n’est certainement plus qu’une question de mois…
Elle décide de partir à la recherche de l’argent manquant ailleurs. Paris étant trop dangereux et ses actions bien trop répétitives.
Elle risquerait de se faire pincer avant de pouvoir arranger la chose.
Après avoir mis l’enfant sous bonne garde, elle lui promet de revenir vite et qu’à son retour il sera sauvé.
La jeune naïve ne sait alors pas qu’elle ne le reverra plus jamais.

*

Les jours s’enchainent successivement.
Philippine vague de ville en ville. Sans grande réussite en vérité. A peine de quoi subsister et se nourrir. Elle économise chaque jour un petit peu, mais ça ne va pas loin. Et Philippine ne peut plus attendre. Martin ne peu plus attendre.
Un jour comme les autres pourtant, allait changer. Elle le croyait du plus profond de son être.
Bientôt, elle se trouva nez à nez avec le sabre qui avait hanté ses dernières nuits passées à la belle étoile. C’était lui, elle en était certaine.
L’arme était portée par un grand jeune homme entièrement vêtu de noir. Il portait des cheveux longs, de beaux cheveux longs et sombres. Elle ne savait qu’elle lien, le garçon avait avec le premier homme au sabre. Elle espérait simplement, qu’elle n’eusse pas à le tuer, lui aussi.
Philippine voulait cette arme. Non pas pour le sous qu’elle lui rapporterait, mais parce qu’en vérité, Philippine fut enivrée par la soif de vengeance.
Il y a de l’honneur dans la vengeance, pensa t’elle.
La voleuse épia ainsi pendant deux jours le jeune homme du coin de l’œil. Elle le suivait partout il se trouvait.
Martin Martin Martin.

Un soir enfin, il sortit de la ville et se dirigea vers la montagne. Et la forêt.
Philippine guetta ses moindres gestes. Elle arriva, bientôt, elle aussi dans le bois. Il faisait nuit noir, mais l’obscurité du territoire ne sembla pas effrayer le garçon. La jeune fille, elle, en fut quelque peu égarée. Cet environnement n’était pas propice à la poursuite qu’elle menait. Et Philippine percevant à peine les alentours, pensait qu’elle devait agir vite. Elle n’aurait bientôt plus rien pour se nourrir, perdue au milieu de nul part. Elle se demanda avec amertume, la raison de la venue du jeune homme en ces lieux.
Pourtant, alors que le jour commençait à peine à se lever, le garçon se trouva devant une étrange bâtisse. Elle n’était en rien cohérente avec l’habitat qui l’entourait.
Eblouissante, elle nourrissait la jeune fille d’une grande stupéfaction.
Le jeune homme entra.
La curiosité de Philippine la conduisit à son tour au seuil de la propriété.
Les grandes portes d’ivoire se tenaient maintenant devant elle, imposants leur grandeur au reste du monde. La petite voleuse de fortune entra. Elles se refermèrent derrière elle. A tout jamais.

[ VOIR HISTOIRE DE GUILHEM ARMAND MCKINLEY ]

Philippine est avant tout, une jeune fille oubliée et anonyme dans un monde où le défilement des ridicules et misérables vies reste monotone. Un va-et-vient incessant d'existences toutes aussi effet-mères les unes que les autres. La sienne ne contredit pas cette réalité. La jeune fille ne fait pas dans l'apparence, ni dans les règles de Bienséance. De froides et aigres larmes roulent le long de son visage et noient ses joues quand la tristesse et le désemparement ont raison d'elle, des éclats de rire et des joyeux et doux sourires se dessinent sur ses lèvres quand l'envie lui vient et elle montre clairement son désaccord ou sa colère quand de telles émotions naissent au fond de son petit coeur. Elle hait l'hypocrisie et le surfait.
Formée pour voler, elle est attirée par tout ce qui lui parait précieux et la jeune fille pique des crises plus moins fréquentes nourries par la solitude ou l'abandon, le refoulement. Un dur passé resurgissant à chaque répulsion.
Il faut parfois supporter son sale caractère en restant à ses côtés, mais ses crises d'enfant ne durent pas si elle pense qu'elle est en sécurité.

De petite taille, Philippine est une jeune fille au visage enfantin et aux traits tirés par la fatigue. Sa peau, douce et pâle est maintenant creusée par le froid. Un regard perdu, oublié habille ses grands ovales bleus et de soyeux cheveux bruns fusant vers le noir, tirés et retenue par un ruban en une haute queue de cheval, dessinent son visage. La demoiselle arbore chaque jour une longue et coûteuse tenue de soie et de lin. Sa valeur s'est, en vérité, dégradée depuis de nombreuses années. Simple, Philippine ne porte ni bijoux ni pendentifs. Presque tous ses " trophées " ne sont destinés qu'à la vente ou le marchandage.