[Précédemment]

Comment se mettre en galère, chapitre quatre.

« Tu me fais pas chier. C'est cool de parler, des fois. Sinon je serais genre, quoi. En train de dormir ? »

Ouais, heum … Cool, hein ?
S’il ne s’était pas trouvé aussi déplorable à cause des nausées, Allen aurait senti la pointe de culpabilité au fond de sa bouche. Pourquoi tenait-il tant à mettre ça sur le tapis, en fait ? A part s’auto-flageller et emporter Emrys en passant. Ça, c’était franchement loin d’être cool. Putain, mec.

« T'facon tu peux pas me déprimer. Sauf si tu déprimes toi. C'est ta chambre ? »

Déprimer, lui ? Naaaan … Nan, pas du tout. Hu.
Ce ne fut pas dur pour lui de le cacher, au moins, en vue de la vague de soulagement qui vint l’envahir lorsqu’il retrouva la vision et l’odeur de son dortoir chéri. Lâchant Emrys, Allen prit son envol et tituba sans grâce jusqu’à son plumard défait. Heureusement que le sol était un minimum rangé, sinon son ascension se serait vite terminé et de la plus misérable des manières. Pour changer.

« Ahhhhh mon liiiit ! »

Sa plainte larmoyante s’étouffa sous les draps lorsqu’il s’y laissa tomber tête la première. Sans même enlever ses chaussures. Ils étaient frais et tellement confortable, bien loin de la lunette des WC. A la manière d’un chat, le geek s’étira en laissant échapper quelques grognements de satisfaction exagéré, jusqu’à ce que son coude vienne se cogner sur un truc plus dur. Allen cessa alors sa comédie et se mit dans une position assise plus digne pour voir que c’était tout simplement son ordinateur qui se cachait sous son oreiller.

« Oh, et tu es là toi aussi, mmmmh … »

Son bébé qu’il avait lâchement abandonné. Quel père indigne était-il. Le garçon lui tapota la coque et le posa sur le côté en soupirant, reportant du coup son attention sur Emrys qu’il n’avait pas oublié. Nonchalamment, avec des gestes tout aussi amples que lents, Allen lui désigna la pièce :

« C’est cool, y’a personne pour nous faire chier au moins. Installe-toi, si tu veux ! »

Chier dans le sens amical. Il n’avait clairement pas envie qu’un de ses potes viennent lui poser des questions. Ceux à qui il ne causait pas trop s'avéraient déjà un peu moins curieux. Et il imaginait très bien qu’Emrys non plus, surtout dans sa position. Bien sûr, ils rentreraient tôt ou tard. Peut-être. Eventuellement. Mais n’y pensons pas pour le moment. Ils étaient dans sa chambre, loin des toilettes, yeay, success !! Congrats and all, and all.
Non, vraiment. Ça allait déjà un peu mieux.

Ouais, tout le monde avait ses problèmes et ça ne servait à rien de les ressasser. Clairement, à quoi ça lui avancerait de rappeler à Emrys les circonstances de leur dernière rencontre ? Rien, à part rendre l’atmosphère … awkward. Franchement, c’était pas ça qu’il voulait. Alors, pour lui comme pour son pote l’anglais, autant parler d’autre chose.

La joie super simple et carrément contagieuse d'Allen tira un rire sincère à Emrys. Il comprenait que son matelas lui ait manqué, hein. Foutus lits du diable tellement tentants. Y'a des moments où il aurait aimé faire sa vie dedans, rien que pour ne plus jamais avoir froid ou mal au dos.
Son entrain, malheureusement, ne dura qu'une fraction de seconde.
Ça commençait à faire longtemps qu'il ne s'était pas entendu rire ; le son lui parut désagréable, mal accordé. Presque irritant. Pas à sa place. Doigts crispés sur la poignée froide, il fit de son mieux pour laisser ça de côté — carrément de côté, si possible. Il maitrisait suffisamment son pouvoir pour être capable de resserrer le filtre de ses émotions, maintenant, et si faire taire la masse noirâtre à l'arrière de son crâne impliquait de lui couper l'envie de sourire, c'était toujours mieux que plomber l'ambiance. Ils n'avaient pas besoin de ça, merci et à la prochaine.

La poignée intérieure n'était pas plus agréable au toucher, mais il ne s'en préoccupa pas trop avant de pousser la porte dans son dos.

« C’est cool, y’a personne pour nous faire chier au moins. Installe-toi, si tu veux ! »

Emrys nota l'absence des colocataires d'un froncement de sourcils. C'était bizarre qu'il ne se soit pas fait la remarque tout seul, tiens — et surtout, plus tôt. Il était vraiment dans la lune. Wow. D'habitude, il aurait pensé à regarder le nom des heureux élus avant de rentrer, au lieu de juste repérer le bon prénom et d'ouvrir la porte façon commando en mission ; c'était le minimum vital, quand même, vérifier sur qui on risquait de tomber. Au cas où ce soit quelqu'un qu'il déteste. Quelqu'un qui LE déteste. Quelqu'un qui déteste Soren, ou... Quelqu'un.
Huh. Tant pis, il ferait avec le suspense. Il n'allait pas rouvrir la porte pour aller regarder, quoi. Il aurait eu l'air trop débile.
Décidant que s'asseoir à trente centimètres d'Allen n'était peut-être pas le plus simple pour avoir une conversation normale, le travesti en herbe se laissa tomber sur le lit d'en face.

« Ton bébé va bien ? »

Coup de menton dans la direction de l'ordinateur. Il n'avait jamais été trop branché jeux et machin, ou juste vie virtuelle en général, mais qu'on puisse y tenir à ce point ne le choquait pas plus que ça. Y'avait plus bizarre, comme hobby. Rester peindre pendant des heures en aurait saoulé plus d'un, sans le moindre doute.
Plus détendu déjà, Emrys esquissa un sourire.

« On voit le sol de ta chambre, en tout cas. C'est super impressionnant. »

Pas qu'il l'imagine bordélique, mais il l'imaginait définitivement bordélique. Comme le trois-quart des gens qu'il croisait, en fait. C'était une genre de suspicion par défaut. Les ados sont bordéliques, les filles un peu moins que les garçons peut-être . des trucs comme ça. Quoi que certains, il ne les imaginait pas foutre un seul livre de trave —
Sa jambe droite revint claquer contre sa jambe gauche juste avant qu'il ne décide de s'installer n'importe comment.

Jupe, ouais. Oups.

Il aurait peut-être dû se mettre à côté et pas en face, tout compte fait.

Il ne fut pas surpris et, en fait, ne fit pas vraiment attention à où Emrys avait choisi de s'installer. Il faisait comme il veut, et s'il préférait être par terre, sur le lit d'en face ou le plafond, ça le regardait. Quoique le voir au plafond aurait peut-être fait Allen se questionner encore un peu plus sur sa santé mentale et l'aurait convaincu pour de bon des méfaits de l'alcool. A aucun moment il n'imagina qu'il aurait pu s'asseoir à côté de lui non plus. Un truc genre, espace privé ? Comment dire. Après était-il vraiment en état de réfléchir autant.

« Ton bébé va bien ? »

Hm ? Allen suivit le menton de son ami jusqu'au bébé en question. Ah. Il l'avait lui-même désigné dans sa tête comme ça un peu plus tôt. On le connaissait bien, hein ?
Lentement pour ménager un minimum ses petits neurones, le garçon hocha la tête tout en ne pouvait s'empêcher de hausser les épaules. Bah, faudrait peut-être qu'il l'allume pour vérifier, mais pour faire quoi ? Il n'avait bizarrement pas très envie. A moins qu'Emrys veuille lui montrer ses skills au démineur. Là, c'était une toute autre affaire.

« On voit le sol de ta chambre, en tout cas. C'est super impressionnant. »

Béni soit celui qui avait fait un semblant de ménage. Peut-être même était-ce lui. Qui savait. Pas lui, à priori. Bref.
Enfin, Allen n'aimait pas non plus quand le bordel était sans nom, fallait pas croire. Son truc, c'est plutôt de foutre les trucs là où il savait qu'il les retrouverait aisément. Et c'était pas toujours dans des tiroirs, quoi. Il ne se perdait jamais (relativement) dans son micmac, n'en déplaisent aux parents indignés ou aux camarades un poil obsédés par l'ordre. Par exemple, il savait très bien que s'il tendait le bras sous son lit, il retrouverait un truc à grignoter. Peut-être une assiette, un paquet de chips ou une boîte de gâteaux ... ça, exactement, c'était plus difficile à prédire. Et après tout, c'était un peu le plaisir de la chose, non ? D'être un peu surpris par la vie.
Après, c'est quand deux bordels méthodiques se rencontrent que c'est la catastrophe. Et à ça, il ne pouvait pas grand chose.

Que l'allée reste libre n'était pas dérangeant, mais le geek se rendit de nouveau compte qu'il portait encore ses chaussures. C'était l'occasion, il ne comptait sûrement pas rester comme ça.

« Ouais, hein. Va falloir changer ça. »

Petite note de fierté dans la voix quand même, il ne perdit pas de temps pour retirer avec dextérité ses baskets sans utiliser ses mains. Les godasses furent balancées avec grâce sur le sol, et ce fut de même pour les chaussettes qui suivirent tranquillement. Cependant, il ne comptait pas s'arrêter là. C'était Allen, quoi.
Le garçon, se disant qu'en position assise cela risquait d'être un poil plus difficile, se tordit sur le côté pour s'aider à retirer efficacement son jean un peu dégueulasse. Tout comme ses chaussures, il l'envoya balader sur le sol comme un grand artiste et fit un sourire narquois à Emrys :

« Mieux, non ? Hahaha ... »

Son caleçon rouge enfin de sorti, Allen se sentait étrangement plus lui-même. Presque bien. Et l'envie d'allumer son ordinateur lui serait presque revenu si Emrys n'était pas là. Mais il s'en plaignait pas.
Sourcil haussé, il remarqua d'ailleurs que son invité avait les jambes collées entre elles. Il se croyait à un entretien d'embauche ou quoi ?

« Dude, mets toi à l'aise, hein ! Sauf si t'as rien sous ta jupe. Dans ce cas, EW. What the fuck. Okay, ça doit faire bizarre d'être transformé en fille mais tu peux QUAND MEME mettre des sous-vêtements. »

D'humeur plus légère, le geek voulut donner l'exemple (encore plus que précédemment, en tout cas) en s'installant bien dans lit, de côté, et plaçant son oreiller devant lui pour s'y appuyer.
Il allait sans dire que la seconde partie de sa tirade était une boutade. Il ne voyait tout de même pas Emrys oublier de mettre un truc aussi important que ça. Hein.

Le bruit des chaussures qui s'écrasent au sol, mat et familier, vola le regard d'Emrys aux plis pensifs de sa jupe. Il n'était pas bien sûr que voir le parquet soit un crime si grave qu'il mérite rectification immédiate, mais okay, hein ; si ça lui faisait plaisir de foutre le bordel, ce n'était pas lui qui comptait l'en empêcher.
Sa propre chambre avait une nette tendance à rester ordonnée, mais ça ne l'avait jamais empêché d'apprécier le bazar chez les autres. La voix grondante de sa mère lui ordonnant de ranger tout ce fatras, quelques livres et des jeux quelconques, abandonnés au sol et sans la moindre poussière où que ce soit, lui avait appris à faire attention et à machinalement récupérer ce qui lui passait sous la main. Question d'habitude.
Autrement dit, même s'il avait balancé ses souliers au hasard, comme il lui arrivait souvent de le faire les soirs de flemme, ils auraient fini posés à leur place un peu plus tard. Avec des colocataires de son âge, le rangement lui était vite apparu être une part vitale du vivre ensemble et de la protection de son intimité. Qui sait ce que quelqu'un d'autre pourrait ramasser en pensant se saisir d'un truc à soi, hein. Il tenait trop à ses affaires pour tenter l'expérience.

Quand il se rendit compte qu'il était carrément en train de fixer Allen faire son strip-tease du pauvre, quoi qu'involontairement, Emrys se mit à observer le papier peint d'un air profondément intéressé.

Avoir une jupe sur les cuisses et pas grand chose sur les mollets rendait tout carrément bizarre. Il avait déjà vu des potes en caleçon, et pour peu qu'ils n'aient pas menacé d'enlever le reste (merci Carney) ou de lui retirer son pantalon, ça ne l'avait jamais gêné plus que ça ; des jambes, il en voyait autant en sport, et ce n'était ni sexy ni perturbant. Celles des filles, à la rigueur, okay, mais celles des garçons ? C'étaient des jambes, quoi. Ils marchaient dessus. Waw.
Mais là, aussi gentleman soit Allen sur la question, il se sentait physiquement très femme et pas du tout à l'aise avec quoi que ce soit.

Qu'il se braque et ramène les genoux jusqu'à son menton ne fut donc pas bien surprenant.

« Tout le monde aime pas se balader en caleçon, lâche moi, gronda-t-il en attrapant le drap d'on-ne-sait-qui pour consciencieusement s'enrouler les jambes dedans. C'est perso, les sous-vêtements. Je les montrerai qu'à mon âme-sœur. »

L'agacement parlait à sa place, mais peu importe. Il resterait enroulé dans ce truc jusqu'à sa mort.
Ou jusqu'à devoir partir et enfin se décider à remettre un jogging, quoi. Idem.

Il n'osa pas nommer Ayumi.

« Et ça fait hyper bizarre, ouais. Si on veut. Pourquoi, t'as jamais été transformé en fille, toi ? C'est une super expérience, tu devrais essayer. Ça forge le caractère, ou je sais pas quoi. »

La pointe d'ironie dans sa voix lui traça un sourire un peu bancal, sur la droite, comme ces clowns au visage blanc qui ne savaient jamais qui de rire ou de pleurer. S'il prenait le problème au sérieux ou le temps de lui expliquer les choses, ça deviendrait réel. Ça aurait du poids. Il n'y tenait pas.
Tennis glissées au sol, il plia les orteils sans oser se dévêtir plus.
Heureusement qu'Allen était spontané. Il avait bien besoin de ça, en ce moment.

Face à la réaction — pas tant surprenante, avouons-le — d'Emrys, Allen dissimula son rire derrière son cher oreiller.
Ouais ouais, ils n'étaient pas non plus à ce point de complicité. Si le geek se baladait toujours comme si le pensionnat entier était sa chambre, ce n'était assurément pas le cas de tout le monde. Et puis, le britannique, il fallait bien avouer qu'il ne trainait pas si souvent avec lui non plus. C'était quand la dernière fois qu'ils avaient fait plus que se saluer ? Différence de routine, différence de cercles sociaux ... Un tas de raisons expliquant cela, certes, mais cela n'empêchait pas Allen de quand même se sentir proche de lui d'une certaine façon.
Emrys avait l'air réglo ? Et puis il lui en devait une maintenant, pour pas l'avoir laissé tomber dans les toilettes. D'autres auraient carrément fait semblant de pas le voir ; même des potes. Allez, le garçon se dit que ça ne lui ferait pas de mal de faire un petit effort pour se rapprocher un peu du brun, une prochaine fois. Dans des circonstances plus sympas autant pour l'un que pour l'autre, tant qu'à faire.

« J'sais pas si tes sous-vêtements c'est vraiment LE truc que ton âme sœur rêverait de voir. »

Facile à dire, pour lui, qui se baladait en caleçon sans honte aucune. Après, qui savait ? Peut-être que sous celui-ci se trouvait ses véritables sous-vêtements. En vérité, ce n'était qu'un petit short très seyant. Mouais. Il ne tromperait personne.
Enfin, bon, ce ne fut pas Emrys et nouvelle armure en couverture qui chasserait son humeur taquine. Ils étaient entre bro, roooh. Au moins, les mauvaises ondes avaient l'air d'avoir filé pour de bon pour le moment.

« Eeeeeet, nop. Désolé. Je n'ai jamais été transformé en fille, et j'espère bien que ça arrivera pas. J'suis peut-être pas bien musclé, mais j'y tiens à mon corps. »

Voulant illustrer ce fait indéniable, Allen se redressa pour retrouver une position assise, dos contre le mur derrière lui et l'oreiller laissé sur ses jambes, avant de s'enlacer avec ses bras de catcheur pro, catégorie ficello.
Ah, le bonheur d'un buste plat. Comment faisaient les filles, vraiment ? Et encore, Emrys en avait pas une bien généreuse non plus, de ce qu'il en voyait (et avait pu sent-...bref). Ça semblait encore viable. Après, pour quelqu'un sans aucune expérience tel que lui, la curiosité restait de mise. Sentant bien cependant que son camarade n'avait certainement pas envie d'aller sur ce terrain-là, Allen lui ferait la bonne grâce de ne rien lui demander au sujet du maquillage ou des soutien-gorges. Voulait-il vraiment en savoir plus, de toute façon.

« Alors, jeune héros, qu'as-tu appris de ton périple dans la peau d'une nana ? »

Il se lâcha, laissant ses bras retourner le long de son corps.
Pas stupide non plus, sa question n'avait rien de sérieux et ce fut aussi pourquoi il utilisa la métaphore de l'univers vidéo ludique. Son préféré. Toute épreuve avait une raison d'être, là-bas, et servait à l'évolution des personnages.
Plutôt commode.

Ouais, ben lui était à peu près sûr que ses sous-vêtements étaient LE truc que son âme-sœur rêverait de voir. Ou un des trucs, en tout cas. Dans le contexte, ce serait un signe de confiance parfaite ; pas loin d'être une mise à nue, mais sans le laisser complètement vulnérable pour autant — parce qu'honnêtement, il n'arrivait toujours pas à s'imaginer nu comme un ver devant qui que ce soit ; copine, docteur, pape, même traitement. Il tolérait à peine les miroirs, dans ses mauvais jours, alors c'était dire.
Menton posé sur les genoux, il fit la moue à Allen. Ce type ne mesurait pas sa chance. Il avait le torse plat, les épaules bien proportionnées par rapport aux hanches, le visage probablement moins lisse au matin que le sien ; rien de particulier, rien qui donne envie à d'autres d'être à sa place, mais plus masculin qu'Emrys ne le serait jamais.
Pas bien musclé ou pas, personne ne l'aurait pris pour une fille. Jambes rasées ou pas, personne n'aurait remis son genre en doute. En jupe ou en pantalon, personne ne l'aurait appelé "mademoiselle".

Soupir aux lèvres, il détourna le regard et se mit à bouder ostensiblement. Qu'il y fasse gaffe, à son corps de rêve, s'il y tenait tellement.

« Alors, jeune héros, qu'as-tu appris de ton périple dans la peau d'une nana ? »

Oh, tout un tas de choses, railla immédiatement une petite voix nasillarde dans sa tête. J'ai toutes les cartes en main pour faire la meilleure fille du monde et tu vois, j'y arrive même pas.
Il avait toute l'envie du monde d'être le parfait garçon et même là, il restait mademoiselle Emrys trop virile trop féminine pour être qui que ce soit.
Le pessimisme le tenait à la gorge plus sûrement qu'un étau. Ça ne lui ressemblait pas. D'habitude il aurait réussi à relativiser, à se dire que la vie n'était pas facile mais qu'elle restait belle, que les obstacles l'avaient fait grandir et qu'il continuerait d'avancer grâce à et malgré eux, mais ses belles paroles prenaient vite des airs de couleuvres trop difficiles à avaler aussitôt que le doute et la solitude revenaient lui percer les tympans. Ayumi lui manquait. Même Soren lui manquait, alors que c'était lui qui le laissait tomber plus que l'inverse.
Tout pour plaire, hein.

« Que c'est chiant. »

L'euphémisme teinta son sourire de sarcasme.
Allen le pensait encore victime d'une transformation temporaire, pour autant qu'il sache ; or, Emrys n'était pas sûr de trouver quelqu'un à qui parler de ça plus ou moins librement avant des jours, des semaines, des mois. Des années.
Ce n'était peut-être pas une très bonne idée, mais il n'avait pas envie d'y réfléchir plus que ça non plus.

« T'es plus petite que les garçons, même quand t'essaies d'avoir l'air viril au mieux on te trouve mignon, tu rentres pas dans les bonnes fringues, tu peux te faire draguer par des mecs hétéros... »

Pensif, il questionna le plafond.

« Et un tas d'autres trucs. Rien de positif, fit-il, exagérément dramatique. Elles paient plus cher chez le coiffeur et elles doivent se raser les jaaaambes. Mec, quoi. »

Bon, ce n'était pas horrible, d'accord, mais il n'avait pas envie de sortir des problèmes trop personnels non plus. S'il se mettait à expliquer tout les détails rencontrés par une personne transgenre dans la société, fatigué ou pas, Allen capterait en un rien de temps que le problème datait de la naissance plus que de la semaine passée.

Si seulement.

Quand Emrys commença à ouvrir son sac, en aucun cas Allen ne feignit l'intérêt. Il l'était sincèrement et prit une position pensive, une main au menton, pour mieux apprécier le partage d'expérience de son ami et prendre comme des notes mentales. On est pas souvent forcé dans l'autre camp, mine de rien.

« T'es plus petite que les garçons, même quand t'essaies d'avoir l'air viril au mieux on te trouve mignon, tu rentres pas dans les bonnes fringues, tu peux te faire draguer par des mecs hétéros... »

Allen hocha la tête ; hmm, oui, les mecs hétéros, eww. Sûr que si un mec hétéro venait le draguer, ça le foutrait mal. Certes, ça ne lui était jamais arrivé (enfin, pas dans ce contexte spécifique) mais pendant un instant le garçon se laissa imaginer la scène. Après tout, s'il mettait des habits informes peut-être que quelqu'un pourrait le prendre pour une fille ? Après quelques verres d'alcool. Plusieurs.
Hu, bizarrement la première réaction qui lui venait était de foutre une bonne claque au mec. Ou un coup là où ça faisait bien mal. Des fois, faut pas avoir honte des coups bas. Ensuite il s'en irait et n'ébruiterait pas l'affaire, même à ses potes. Ce serait trop humiliant et ça risquerait surtout de lui retomber dessus plus qu'autre chose.

« Et un tas d'autres trucs. Rien de positif. Elles paient plus cher chez le coiffeur et elles doivent se raser les jaaaambes. Mec, quoi. »

Le regard du garçon se posa sur ses jambes, en partie dissimulées par son oreiller. Ouais, il était loin du yéti mais ses cheveux de jambes restaient un poil visible. Il n'avait jamais eu à penser à eux et, en fait, se fichait un peu de son apparence de façon générale. C'était vrai que y'avait plus de pression de ce côté là pour les filles ? Dès qu'une demoiselle sortirait un peu du moule de la beauté, ça manquait jamais alors qu'en vrai qu'est-ce qu'ils en avaient à faire.
Enfin, l'heure n'était pas aux pensées féministes ou il ne savait trop quoi. Ils n'en étaient pas à là, Emrys et lui. En tout cas, voyant que celui-ci avait terminé, Allen reprit la parole :

« Ouais, je vois c'que tu veux dire, bro. Mais t'es dur. Y'a sûrement des trucs positifs, euh. »

Il leva les yeux vers le plafond pour l'aider à réfléchir. Les premières idées qui lui venaient étaient surtout des réflexions partagées par ses potes en fait :

« Tu as des boissons gratuites en boîte ? Pas que j'y aille souvent de toute façon, mais ... Ah et tu ne payes pas les inscriptions aux sites de rencontre aussi ? Pas que j'en ai besoin, hein ! »

Le garçon eut l'air un peu plus farouche sur ce dernier point, mais il ne laissa pas le temps à Emrys de lui assurer qu'il le croyait ou non. Il ne pouvait pas parler, il ne savait certainement pas ce que c'était que d'être une fille. Ce qu'il savait, en revanche, c'était qu'il était un garçon et fier de l'être. Emrys aussi savait ça, non ? Peu importait sa transformation, il était toujours le même et c'était ça qui importait. C'était son pote, putain.

« M'enfin bref, je vais faire le mec niaiseux mais ... le plus important c'est quand même ce qu'on a à l'intérieur. On s'en fout si t'as les jambes rasées, tu portes un kilt ou que tu sois loin de la carrure de Liam Neeson, dans tous les cas tu restes un gars. Toi et moi on est de vrais gars. »

Nan, rien de positif, grommela-t-il, menton et bouche cachés derrière ses jambes drapées de blanc, si bas que même lui ne s'entendit qu'à moitié. Avoir des seins et de belles jambes de princesse devait donner plein d'avantages aux jolies demoiselles, mais sur un garçon, ça la fichait tout de suite plus mal. Lui demander de voir les bons côtés de sa situation, c'était trop en attendre de son pauvre cœur. Surtout après l'épisode Ayumi. Cette connerie ne l'avait jamais aidé dans la vie. Ça lui avait donné des bleus et des coups de blues, l'avait ostracisé, l'avait déprimé, lui avait donné envie de mourir, mais jamais ça ne l'avait aidé.
Peut-être que plus tard, il se rendrait compte d'à quel point les expériences avaient fait de lui ce qu'il était ; peut-être qu'il en serait fier.
Mais mon Dieu qu'il s'en sentait loin, pour l'instant.

Ça ne paraissait même pas possible.

Yeux rivés sur les jambes d'Allen, il regretta sa bière. Un apéritif. Un shooter et de la vodka.

Ça n'aurait pas réglé ses problèmes mais au moins, il n'y aurait plus pensé.
Ç'aurait déjà été ça.

Le retour presque coupable de son ami sur les sites de rencontre failli le faire rire. Il ne voyait pas pourquoi Allen en aurait eu besoin, franchement (c'était un mec cool), mais qu'est-ce qu'il en savait ? Il n'avait pas un point de vue de fille hétéro à lui offrir sur sa personne. Ironiquement.
Rire au bord des lèvres, il laissa son front heurter ses genoux.

« De vrais gars, ouais. »

Le rire vira au sanglot avant qu'il n'ait eu le temps de se rattraper. Merde.
Allen avait beau dire ça comme ça, sans savoir exactement où était le problème, les mots lui firent mal. Comme une petite piqure au centre du torse, là où rien ne risquait d'être blessé, mais qui lui donna quand même envie de pleurer.
Ce n'était pas de la tristesse, pourtant. Au contraire ; il se sentait plus léger, plus stupide. Sa poitrine était trop vide, d'un coup, et il ne savait pas comment gérer ça autrement qu'en pleurant. Il avait toujours eu ce coté émotif chiant, allez savoir pourquoi — c'était censé être un truc de fille, et lui, il était un vrai gars.
Vrai de vrai. Juste un garçon. En jupe ou en pantalon, aucune différence ; rien qu'un garçon.
Gêné en plus de se sentir stupide, il grogna assez fort pour que ça vire au grondement.

« Putain, tu me rends niaiseux aussi, grommela-t-il, drap ramené sur son visage pour s'essuyer les yeux et respirer bien fort. C'est pas cool, mec. On est pas cool du tout là. »

Si quelqu'un était entré à ce moment-là, il les aurait regardé de travers et serait reparti. Un mec en jupe qui renifle et un autre en caleçon avec une tête de lendemain de soirée, ça devait pas vendre du rêve. A tous les coups il avait dû étaler ses piètres tentatives d'eyeliner un peu partout, tant qu'à faire.
Son côté mâle viril était en péril. Il se traita d'imbécile sans cervelle et essaya de se convaincre qu'il s'en remettrait ; que ce n'était pas si grave.

Ce fut difficile. Mais, péniblement, il réussit à sortir la tête du drap.

« Tu sais ce que ça veut dire ? répondit-il, yeux rivés sur Allen, sérieux comme jamais. Toi, moi et Liam Neeson, va falloir qu'on mette des jupes et qu'on s'inscrive à des sites de rencontre sans avoir à payer. Et qu'on choppe des boissons gratuites. »

Pas sûr que Toya veuille leur filer quoi que ce soit gratuitement sous prétexte qu'ils se promenaient avec des paillettes sur la figure et des nœuds dans les cheveux, mais on ne sait jamais. C'était tellement ridicule que ça aurait pu fonctionner.
Au moins, il n'avait plus envie de s'enrouler dans les couettes et d'attendre que le temps passe.
Il n'allait pas bien, mais il ne s'était pas senti aussi optimiste depuis des semaines ; et même si ce n'était pas grand chose, ce n'était pas rien non plus.

Allen ne s'était pas attendu à ce que son discours de personnage principal fasse cet effet là sur Emrys et il paniqua un bref instant. Hein ? Quoi ? Il s'était passé quoi, là ? De peur que trop réfléchir lui donne mal à la tête, il accepta donc juste la réaction finalement positive ?? Il supposait.

« Putain, tu me rends niaiseux aussi. C'est pas cool, mec. On est pas cool du tout là. »

A moitié soulagé, ses muscles se détendirent. Il aurait carrément pu lui sauter dessus pour le consoler s'il s'était vraiment mis à pleurer, mais peut-être que le garçon avait mal interprété ses bruits de gorge ? Après tout, ses idées étaient pas non plus les plus claires de la Terre. Si son discours s'était avéré émouvant, tant mieux en soi. Mais, finalement, il se demandait s'il tenait vraiment du personnage principal et pas plutôt du sidekick rigolo qui, pour une fois, trouvait un truc inspirant à dire pour motiver le héro. Ouais, c'était sûr que dans l'état des choses il s'identifiait plus volontiers à cette dernière option. Emrys le chevalier blanc maudit et Allen l'écuyer sympa avec un fort penchant pour les embrouilles contre son gré. Yep. It's me.

« Tu sais ce que ça veut dire ? Toi, moi et Liam Neeson, va falloir qu'on mette des jupes et qu'on s'inscrive à des sites de rencontre sans avoir à payer. Et qu'on choppe des boissons gratuites. »

Ah oui, définitivement le héro. Je l'aime, mon capitaine, comme dirait un autre. Ce regard sérieux en aurait fait chavirer plus d'un, et cela bien entendu du côté platonique de la force. Allen frappa dans son oreiller de toutes ses forces et s'écria :

« Carrément ! »

Est-ce que c'était vraiment le charisme d'Emrys qui l'inspirait, ou bien l'alcool en partie qui lui restait dans les coins du cerveau ? Ou une toute autre force cosmique. Quoi qu'il en était, le garçon commençait déjà à les imaginer aux côtés de la star de cinéma dans des mini-jupes et talons et avec les jambes beaucoup plus poilues qu'elles ne l'étaient dans leur plan de la réalité. Ils portaient même une moustache et des lunettes de soleil. Sa vision était vraiment glorieuse.

« Quoique je prendrai un soda je crois, l'idée même d'un cocktail me donne mal à la tête. Je tombe encore plus bas dans le pathétiiiique, hein. »

L'arrière de sa tête se cogna dans le mur de frustration et dans un cri il se plongea le visage dans l'oreiller entre ses jambes. Il s'était fait mal, putain. Bravo, vraiment du joli ! Frottant le point douloureux de son crâne, Allen releva doucement la tête du côté d'Emrys :

« Senpai, tu me montreras la voie ? Je veux ré-apprendre à boire des bières virilement. Et avec modération. »

Pas qu'il en buvait spécialement de base, mais...

Putain de Liam Neeson. Si on lui avait dit qu'un jour qu'il voudrait partir en quête de jolies filles et de boissons gratuites avec lui et Allen, tous en jupes sexy, il aurait sûrement hurlé. Pas de jupes sur ses jambes. Pas de jupes sur les jambes d'Allen. Pas de jupe sur les jambes de Liam Neeson. Pas de mec en jupe, nope, nein, que dalle, jamais. Le malaise et les confusions l'avaient rendu psychorigide. Fragile. D'imaginer ses jambes nues et le tissu plissé remonter sur ses cuisses, sous les draps, il sentit la panique grimper en nausée le long de sa colonne et de sa trachée.
Il aurait pu en vomir. Il se sentait tellement mal.
Beaucoup mieux, grâce à Allen, mais tellement mal quand même.
T'es un vrai gars, okay ?
Okay. Okay.
Allez, respire. C'est pas cool, de pleurer et de se rouler en boule en attendant de mourir. Personne n'aime les types qui se morfondent en faisant n'importe quoi. Puis Soren avait besoin de lui. Il n'avait vraiment pas été là, ces derniers temps. N'importe quoi aurait pu lui arriver ; il n'en aurait rien su. Rien remarqué.
L'idée le frappa suffisamment pour chasser la crise de panique un peu plus loin. Soren avait besoin de lui. Et inversement. Puis Allen avait besoin de lui pour ré-apprendre les mérites de la bière à petite dose, aussi — et ça pouvait paraître bête, mais l'idée d'être utile à quelqu'un, sur le coup, lui fit beaucoup de bien.

Il ne pouvait pas rester dans sa chambre pour toujours. Il avait des gens à qui il devait parler. Des choses à faire.
Okay. Okay. Tout le monde allait s'en sortir. Il n'y avait pas mort d'homme. Juste la virilité de Liam Neeson qui avait crevé les plafonds. Et la tête de son pote aussi, maintenant.

Rire de gorge coincé au bord des lèvres, Emrys grimaça pour faire passer toute sa compassion au crâne d'Allen. Déjà qu'elle devait carillonner comme jamais, pas la peine d'aller l'éclater contre un mur en plus. Il se rappelait des tortanks, hein.

« T'es pas pathétique, mec, c'est bon. Je préfère large les sodas, perso. »

Il ne risquait pas de lui donner des leçons de ce côté-là. Il n'avait pas bu à en vomir, mais assez pour rester dans le flou des heures durant. C'était peut-être pire. Il n'en savait rien.
Ça avait l'air d'une bonne idée, sur le moment. Beaucoup moins maintenant.

« Mais l'art de la bière c'est sacré, okay, acquiesça-t-il, gorge raclée pour en chasser les derniers restes de sanglots et de larmes. Va falloir qu'on revoit ça. Mais genre, pas tout de suite. Plus tard. Quand j'aurai viré la jupe pas virile et retrouvé ma moustache de gentleman. »

Qu'il n'avait jamais eue, mais peu importe. Il avait le droit de s'imaginer avec une moustache. Personne n'irait l'en empêcher.
S'il voulait, il pouvait même se mettre une veste en cuir badass et ressortir ses grosses bottes. Ça n'impressionnerait personne, mais il se sentirait mieux. C'était déjà ça.

De la main, il fit mine de trinquer à distance son verre invisible à celui qu'Allen tenait sans le savoir.

« Puis il nous faut des choppes. Grave important. »

Son senpai était vraiment le meilleur, il en verserait une petite larme. Allen l'avait déjà pensé et il continuerait de le faire mais il méritait clairement pas le pauvre Emrys. Ça ne l'empêchait bien sûr pas de se montrer reconnaissant.

« Va falloir qu'on revoit ça. Mais genre, pas tout de suite. Plus tard. Quand j'aurai viré la jupe pas virile et retrouvé ma moustache de gentleman. »

Ouais, il comprenait et lui-même avait besoin d'un peu de temps pour se remettre de tout ça. Pas trop d'émotions à la fois, et une telle escapade avec Liam Neeson méritait qu'ils soient au TOP de leur forme. Ils ne voudraient pas faire défaut à la star juste parce qu'ils étaient un peu trop passionnées au fond de leurs entrailles. C'était des adultes responsables et intelligents que l'art de la virilité avait bien éduqués. Haha, bordel, il pensait vraiment n'importe quoi.

« Puis il nous faut des choppes. Grave important. »

Allen leva son verre plein à son tour, et emporté par l'enthousiasme et il ne savait trop quoi avec toutes ces bêtises, se mit à l'agiter à la manière des pirates :

« Hooooo~ Du rhum, des femmes et d'la bière nom de dieuuu~ ! »

Sa chanson s'arrêta là, il fixa le plafond un instant en plissant des yeux comme si la suite des paroles s'y trouvaient. Ne voyant rien, et peu affecté par cette révélation terrible, le geek lâcha sa boisson imaginaire dans le vide en haussant des épaules :

« Je ne sais pas la suite, je ne sais même pas d'où ça vient. »

Sûrement qu'il avait entendu un petit génie faire le fou dans les douches ou les cuisines ou ... n'importe où dans ce foutu manoir. Il mettrait sa main à couper que c'était une chanson à boire étrangère. Mais grave qu'elle était entraînante. Peut-être que c'était vraiment un truc de pirates ou de vikings ... et pas de gros beauf ?
Dans tous les cas, sa douleur au crâne étant passée, le garçon laissa ses bras s'affaisser et glissa un peu plus dans son lit en soupirant profondément. La bonne humeur toujours dans l'atmosphère laissa quand même place à un temps de silence réflectif avant qu'Allen ne reprenne avec sérieux :

« Mec, quand tu veux dans tous les cas. Tu sais où me trouver. Et puis si tu veux juste chiller avec un autre gars cool de ton espèce, ben pas de soucis. Je parle de moi, hein. »

Encore une fois, il préféra préciser. Il se doutait bien qu'Emrys n'allait pas lui faire « Ah cool, merci de me donner l'autorisation de chiller avec Liam !! ». Lol, ptdr. Mais quand même. Voilà. Pshh, ce qu'il était bête.

« T'aimes quoi comme jeux vidéos ? »

Choppe toujours en main, Emrys la leva en miroir à celle de son ami quand il décida de chanter... un truc. Un truc cool, décida-t-il en riant. Aucune idée de ce qu'il racontait mais ça pouvait pas être autre chose que cool et viril, vu le ton. Même pas besoin de se poser la question. Ça se sentait, ces trucs-là. C'était comme ça qu'il décidait si une chanson en allemand ou en français était sympa ou bonne à jeter. Pas le temps d'apprendre à parler la langue.
Au moins Allen avait la pêche, hein. Ça faisait plaisir à voir. S'ils arrivaient à s'entre-motiver comme ça, peut-être qu'ils finiraient par oublier que c'était pas le top deux minutes plus tôt.
Le frottement mécanique de ses mollets l'un contre l'autre lui tira un frisson désagréable.

Va falloir que je reparle à Iwa, un jour.

La voix d'Allen le sortit à peine de ses pensées. C'était compliqué. Il avait peur.
Rigoler avec Liam Neeson c'était marrant, c'était sympa, mais ça ne réglait pas ses problèmes. Et des problèmes, il en avait plein.

« Mec, quand tu veux dans tous les cas. Tu sais où me trouver. Et puis si tu veux juste chiller avec un autre gars cool de ton espèce, ben pas de soucis. Je parle de moi, hein. »

Son rire sonna sûrement moins enjoué que celui d'avant, mais il fit de son mieux pour ne pas se remettre à angoisser. Chaque chose en son temps. Okay. Cool. Un truc à la fois. D'abord discuter avec Allen et se remettre debout, ensuite essayer de marcher. Pas tout en même temps. Ayumi allait devoir attendre encore un tout petit peu.
Il se serait écroulé, là, si elle lui avait brisé le cœur. Il allait devoir se préparer mieux que ça.

« T'aimes quoi comme jeux vidéos ? »

Huh ? Ses yeux papillonnèrent de ses genoux au visage d'Allen. Qui s'était affalé entre temps, tiens. Parce que pourquoi pas.

« Euhhhh. Je suis pas trop jeux-vidéos, répondit-il, sourcils froncés, totalement prêt aux hurlements d'effroi qui allaient suivre cette horrible révélation. J'ai joué à un Mario truc avec des potes mais sinon... Ah, euh, un truc Pokémon aussi. »

Et dans les deux cas, il perdait systématiquement. Donc il était dégoûté au bout de deux minutes et partait cogner dans les meubles avant de partir COURIR. Une activité beaucoup plus saine à laquelle il était bon, au moins.
Incapable de se souvenir des autres jeux auxquels il avait pu jouer (sa mère n'avait jamais été fan, et son père s'y était mis très tard à très petite dose), il conclut par un haussement d'épaules indécis. Il aurait été incapable de lui dire ce qu'il aimait, vu sa grosse expérience en la matière.

« Mais si tu veux me montrer des trucs je suis ouvert à toute expérience, hein. »

A ne pas sortir de son contexte, évidemment.
S'ils avaient été dans une série pour ado, ç'aurait été le moment où un crétin serait passé devant la porte et aurait enregistré l'information en hochant la tête. Parce que c'était tellement crédible, quoi.

GASP.
Allen plaqua ses mains sur son visage à la façon du tableau du Cri, ou bien à la façon de l'emoji d'effroi. Ça dépendait de la culture générale. Okay, il exagérait quand même. Il savait que pas tout le monde jouait aux jeux-vidéos, surtout dans le pensionnat où certains ne savaient même pas que ça existait ! Incroyable, comment ils faisaient dans la vie. Élever des patates ? Mais quand c'était un jeune du genre de Emrys qui a l'air tout à fait normal et pas loin de sa génération, c'était déjà un tout petit peu plus surprenant. Bon, au moins il avait un minimum de culture nintendo. Il n'avait plus qu'à lui ouvrir les portes infinies du fun, et que monsieur ne le remercie pas. C'était tout à fait de bon cœur, même pas besoin de sponsors.

« J'aime ta façon de penser. »

Prenant son temps, ne voulant pas prendre le risque de se lever trop vite à s'en faire tourner la tête, Allen se rapprocha du bord de son lit et se leva. Il attendit un instant, bras tendus sur les côtés, le temps que le sol ne lui donne plus l'impression de tanguer. Tranquillement, il attrapa coussins et couettes pour les jeter au sol du côté d'Emrys et créer ainsi un canapé cosy qui payait pas de mine, mais qui serait assez confortable au moins. Sifflotant en boucle le même petit air qu'il avait chanté plus tôt, il s'affaira à allumer son ordinateur et chercher des manettes dans un tiroir pour préparer le set-up. Eh ouais, on attendait pas avec lui.

« T'inquiète, on va pas commencer violent. J'ai pas la tête pour des trucs qui font rager. »

Quand il eut fini de tout brancher, le geek s'installa confortablement à sa place et présenta le coin à côté de lui où attendait l'autre manette à son ami pour qu'il vienne le rejoindre. Donc non, pas de Mario Party, pas de Mario Kart ou de Mario il ne savait trop quoi. Le plombier italien pouvait aller se faire des pâtes en attendant. Pareil pour les Pokémon, ce n'était malheureusement pas vraiment un jeu auquel ils pouvaient jouer à plusieurs à moins de se mettre en mode Let's Play, mais ça ne serait pas très cool. Hey, tu veux jouer ? Bon ben regarde moi, huitdé ! Nop.

« On va se trouver un petit truc tranquille en co-op. Street Fighter ce sera pour une prochaine fois, okay ? »

Fit-il avec le sourire. Est-ce que les jeux de combat ce serait le genre d'Emrys ? Il le découvrirait, il imaginait. En tout cas, pour l'instant, c'était chill casual gaming pour le reste du temps qu'il leur restait ou jusqu'à ce que son cerveau hurle stop. Une perspective vraiment sympa.