Je ne veux pas mourir.
Alors qu'il regardait la jeune fille secouer la tête de gauche à droite, alors qu'inconsciemment il analysait les émotions étrangères qui traversaient son corps tendu, il se demanda s'il serait capable de faire d'une envie un besoin. Je ne veux pas mourir ; je ne dois pas mourir. Je ne dois pas, je ne dois pas. Je ne mourrais pas.
Et, de là, à faire ce qu'il faudrait pour ça.
Quelle.
Blague.
Il faillit laisser s'échapper un rire étranglé. Accumuler autant de tension n'était pas bon. Pas bon du tout. On ne pouvait pas lui demander de choisir entre sa vie et sa conscience. Il ne pourrait pas vivre avec ça, non – il ne pourrait jamais. Jamais, jamais. Ils étaient enfermés, tout le monde saurait qu'il avait tué quelqu'un d'autre ! Il serait un meurtrier, un assassin, il aurait plié le dos et obéit à la pire des injonctions. Il ne pourrait plus se regarder dans la glace. Il ne pourrait plus jamais tendre la main et serrer qui que ce soit contre lui sans y repenser.
Pitié, sortez moi de là.

« Non, on doit partir, on doit se cacher quelque part, là on est pas en sécurité. »

Sa main libre, tremblante, vint essuyer de nouvelles larmes. Ses nerfs allaient craquer. La peur et la panique enserraient sa gorge, ses poumons et même ses jambes ; impossible de penser, impossible de rationaliser. On va mourir. Impossible. On va mourir. On est en danger de mort, pour de vrai. Pour de vrai, vraiment. Impossible. Il était en parfaite santé, il allait bien ! Et ses amis, et ses pinceaux qu'il avait oublié de ranger, dans sa chambre... Ses promesses de sortie, ses projets, son...
Il...
Obéissant à une injonction muette et aux fourmillements qui commençaient à engourdir ses mollets, le britannique se redressa.
L'air perdu, yeux dans le vague, il referma sa main droite sur le manche de sa poêle. Il avait prévu d'aller courir dans le parc, cet après-midi là. Il avait prévu de vivre.

Allô, papa ? Je me suis perdu, viens me chercher s'il te plaît.

« Il faut partir... »

Inspire, expire, reste calme. Ici ou ailleurs ce serait pareil. Anesthésié, toujours, incapable de penser, encore – mais vivant, il était vivant. Pour l'instant. Malgré la terreur et le déni qui faisaient trembler ses yeux brillants de larmes, il était en vie. Ce serait, à partir de maintenant, la seule pensée qui pourrait percer le voile de panique obscurcissant son esprit. Je. Suis. En. Vie.
Je ne tuerais pas mais personne ne me tuera.

« D'accord. » Il passa son bras contre ses yeux pour en chasser définitivement toute larme, puis il regarda nerveusement autour d'eux. « On est près du temple, alors... Le manoir doit être par là, murmura-t-il en pointant une direction du doigt. On pourrait - »

Il crut entendre un bruit sur sa gauche ; un pas en arrière, un regard affolé vers le temple, le sol, d'autres arbres – c'est si facile de s'inquiéter d'un rien. Ça pouvait être un insecte, ça pouvait être un ennemi à couvert prêt à lui tirer une balle au milieux du front.
Ça pouvait être n'importe quoi.

« Pars, viens, on se tire. » Plus stressé qu'un bloc de dynamite prêt à exploser, Emrys esquissa un pas en direction de la brune. « Vite, allez ! »

Inconscient qu'à paniquer il risquait de s'enfoncer dans un cercle vicieux dont il ne pourrait bientôt plus sortir – je la panique elle panique elle me panique je panique je la panique –, il raffermit sa prise sur son arme de fortune et lui lança un regard implorant. Pitié, reste calme et aie un plan.
Je ne veux pas mourir.

Courtney pouvait presque se penser de retour à New-York, sous la grisaille et la pollution, les jambes en constant mouvement tandis que la sirène d'exercice retentissait à travers son immeuble ou sa salle de classe. Vite vite, se mettre à l'abri, faire le vide dans sa tête et ne penser qu'à survivre – personne ne voulait mourir aussi jeune. Pas elle en tout cas. Elle voulait continuer de vivre, encore plus depuis qu'elle était arrivée au pensionnat.
Elle avait la belle vie ici. Elle avait des amis et sa place, un lit dans lequel s'effondrer le soir. Après deux années passées à flâner dans les couloirs et croiser de nouveaux visages tous les jours, la pensée de devoir quitter si abruptement ce monde qu'elle chérissait la rendait malade. Malade d'angoisse, malade de tristesse.
Malade de colère, aussi. Elle lui brûlait le cœur comme une morsure lancinante. Le poison se répandait lentement dans ses veines, frustration insidieuse qui lui donnait envie de hurler. Elle ne voulait pas partir, pas comme ça et pas sans avoir fait toutes ces choses qu'elle n'avait jamais faites. Promis si je m'en sors j'en fait une liste et je barre tout au fur et à mesure. Je le jure, putain, je le jure.

Alors toi et moi, on va s'en sortir, n'est-ce pas ?

« D'accord. On est près du temple, alors... Le manoir doit être par là. On pourrait - »

Le regard de Courtney quitta le point qu'il avait précédemment indiqué et parcouru, affolé, ce qui les entourait, à la recherche de ce qui avait interrompu Emrys. Mais elle ne vit rien qui sorte de l'ordinaire, et elle n'entendit rien de particulier non plus. Juste le tam-tam insistant de son cœur dans ses oreilles.
Le souffle lui manquait. Elle avait envie de balancer sa bouteille contre un tronc d'arbre et se rouler en boule, prétendre que c'était juste un mauvais rêve, juste une mauvaise blague, et que même si elle restait là personne n'allait venir la tuer.

Son bon sens l'empêchait de se laisser aller ainsi. Courtney savait, oui elle savait; que ce n'était pas un jeu, encore moins une farce. Si tu te prends un couteau dans le cœur, ce sera pas juste un retour à la case départ, ma grande.

« Pars, viens, on se tire. »

Il avait fait un pas dans sa direction, et par réflexe Courtney en avait fait un en arrière. Là, ça y était elle allait craquer. Merde. Dis moi qu'il y a personne près de nous, dis moi que je me suis pas gourée !

« Vite, allez ! »

Soudain, le blanc. Pas le noir, non, le blanc. Cerveau déconnecté, pensées égarées. Je vous retrouve à la sortie.

Ses jambes l'élancèrent le plus vite possible vers la direction qu'Emrys avait indiquée. Le garçon la suivrait, il la rattraperait, elle ne courrait pas vite. Même l'adrénaline et la peur ne lui donnaient pas l'impression de voler et de quitter terre.

Vite, vite, vite. On se met à l'abri, aussi dérisoire qu'il puisse être, et ensuite on peut se poser pour réfléchir.

{RUN RUN RUN}

{ Emrys et Courtney } => Pixie Guts