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 DRESSELAERS Pernille { Le long des rails.

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Tightly Wound Spring
Pernille Dresselaers
Pernille Dresselaers

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Féminin Pseudo Hors-RP : Nii'
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• Age : 23
• Pouvoir : Son sale caractère.
• AEA : Clarence.
• Petit(e) ami(e) : Ton frère.

RP en cours : Be our graves

Messages : 13
Inscrit le : 27/03/2013

DRESSELAERS Pernille { Le long des rails. _
MessageSujet: DRESSELAERS Pernille { Le long des rails.   DRESSELAERS Pernille { Le long des rails. Icon_minitimeMer 10 Avr 2013 - 16:07



* Pernille Dresselaers


*nom – Dresselaers
*prénom – Pernille
*age – 12 ans
*née le – 29/04/6820

Pouvoir
"Tchik Tchak."

▬ Pernille est capable, sur simple volonté de sa part, de transformer n'importe quelle partie de son corps en lame de ciseaux. La peau et les os de la partie concernée virent au métal et, en un quart de seconde, ils sont remplacés par une lame plate et coupante. En théorie elle peut transformer n'importe quel morceau de son corps mais, soyons honnête, elle aura tôt fait de ne plus trouver drôle d'avoir des lames à la place des oreilles. En clair, les seuls endroits dont vous devrez vous méfier seront à priori les combinaisons index/majeur, pouce/index et, parfois, ses avant-bras dans leur intégralité. Elle pourrait également, si elle le désirait et avait suffisamment de courage pour se concentrer sérieusement, faire jaillir par exemple des lames de ses coudes.
Concrètement, toute transformation plus grande qu'un ou deux doigts requiert de la force et, vu sa carrure, inutile de préciser qu'elle sera vite fatiguée. D'autant plus que si elle trancherait l'air avec habileté une fois ses bras transformés, ils deviendraient vite lourd à porter : et puis plus elle les laisse sous cette forme, plus elle peine à les faire revenir à la normale ensuite. Or ce n'est pas très pratique, pour manger ou dormir, de ne plus avoir de doigts... alors non merci. Elle compte bien s'en servir avec parcimonie.

Alter Ego Astral
Dame Pistache.

▬ Belle et majestueuse autruche comme on en voit par chez nous, elle n'aura pas joué un grand rôle dans la vie de la demoiselle - et ça se sent. Joviale et féminine, d'un naturel avenant et plutôt docile, l'animal n'a aucun trait de caractère marquant : c'est juste une bonne compagne de discussion et une monture appropriée au cas où Pernille en ait assez de s'user les rotules. Haute de deux mètres, parée de plumes noires et blanches, elle pique des sprint hallucinant et aime prendre le thé avec ses amies. Même si, à priori, elle est incapable de tenir une tasse. Quoi qu'il en soit, elle est serviable quoi que vite lassée de servir de moyen de locomotion et fuit donc sa maitresse quand elle en a trop marre, quitte à se sentir coupable ensuite. Elle a de grands yeux ambrés et porte toujours un tour de cou brun très élégant sur lequel est accroché un joli nœud.

Passions
▬ Pernille est passionnée d'horlogerie. Elle sait réparer les horloges et les montres pourvu qu'elles soient de fabrication ancienne. C'est la seule activité qui réussit à la concentrer et pour laquelle elle fait un effort de minutie impressionnant.
Du reste, la petite demoiselle aime se cacher dans des endroits difficiles d'accès, explorer les coins sombres et à priori dangereux, les histoires de fantômes et de monstres en tout genre, les trains et la mécanique dans sa globalité, être considérée comme une grande personne, les sucettes et les bonbons, s'accrocher aux jambes des jolies filles/jolis garçons en leur demandant s'ils veulent l'épouser, fouiller dans les affaires des autres, les belles tenues avec des dentelles, le bleu et le brun, les arcs-en-ciel, se faire porter, casser les pieds des autres, être complimentée, tout ce qui sent bon, se rouler dans des draps ou des couvertures, jouer à faire semblant, chantonner... Et un peu tout et n'importe quoi.

N'aime pas / Phobies
▬ Pernille a peur des armoires, des étagères trop hautes et autres meubles qui pourraient potentiellement lui tomber dessus et l'écraser. Elle a aussi une peur bleue des araignées et autres insectes dégoûtants dans le même genre. A part cela, ce n'est pas une fille très impressionnable ou craintive.
Autrement elle n'aime pas les plats « équilibrés » remplis de verdure et de trucs bizarres, que des gens s'embrassent devant elle (berk), les livres sans images, les bibelots et vases trop fragiles, qu'on lui vole quelque chose qu'elle s'apprêtait à prendre, les personnes qui parlent en mangeant, se faire réprimander, les corvées ménagères, être privée de dessert, les vêtements trop serrés, devoir attendre, se brosser les dents, tout les trucs vulgaires ou dégoûtants, les histoires qui finissent mal, devoir marcher trop longtemps ; qu'on la traite comme une gamine ou qu'on lui interdise de faire quoi que ce soit, même si à priori elle respectera l'ordre reçu pourvu qu'il vienne d'un adulte.



« Power to misconstrue
What have they done to you ? »

Physique


Pernille a toujours été chétive. « Encore plus que sa sœur », grinçaient ses parents non sans une certaine inquiétude : apeurés à l'idée que leur fille cadette ne tombe malade et ne finisse par en succomber, trop faible pour lutter, ils s'en sont souvent plaint l'un auprès de l'autre. Maintenant, les yeux rivés sur ce mètre quarante-et-un chèrement atteint, ils soupirent de soulagement en constatant que sa croissance ne s'accélère pas. La petite demoiselle, elle, en grogne et en trépigne ; devoir tendre les bras pour atteindre tout et n'importe quoi, c'est usant et vexant. Elle attend donc de pied ferme que ses os se décident à s'allonger, quitte à fixer ses bras de temps en temps pour vérifier qu'ils ne grandissent pas quand elle a le dos tourné. On ne sait jamais.
Il faut dire que si Pernille prenait subitement dix centimètres, les conséquences sauraient en être désastreuses : surtout pour la concernée. Amputée des deux jambes cinq centimètres sous le genou droit, huit sous le gauche, elle peut marcher, trottiner et, sous une certaine mesure, courir de son propre chef grâce à une paire de prothèses conçues spécifiquement pour elles. Fabriquer des jambes mobiles et lui permettre de se déplacer dessus n'a pas été chose facile, loin de là, principalement au niveau des chevilles et des orteils – aussi doit-elle en prendre le plus grand, le plus extrême des soins qu'un enfant puisse prodiguer à son trésor le plus précieux. Ça, elle l'a parfaitement compris. C'est donc suivie par un léger 'clang' métallique que la petite jeune fille déambulera dans les couloirs, d'une démarche tantôt hésitante tantôt maladroite, souvent plus lente qu'elle ne le voudrait. Cela dit, et aussi fort voudrait-elle parfois s'élancer à toute vitesse derrière un camarade de jeu, Pernille sait où sont ses intérêts. Elle fait attention. Sans en avoir honte, d'ailleurs – personne n'osait s'en moquer – la benjamine n'aime pas en faire étalage, devoir se justifier ou même ne serait-ce qu'en parler. Raison pour laquelle, outre par souci esthétique, elle couvre généralement ses mollets artificiels de bas, de collants ou autre tissus quelconques pouvant plus ou moins en masquer l'aspect trop rigide. Rien qu'à la voir, ceci dit, il n'y a absolument aucun doute sur le fait que ses jambes ne sont faites ni de chaire, ni de peau. Quand elle les laisse nues, elles ont un aspect brun/doré, gris par endroit, et sont formées de différentes plaques et vis reliées ensembles d'une façon aussi complexe et minutieuse que le mécanisme d'une horloge ; on y voit également quelques cavités, par lesquelles une observation plus proche pourrait révéler rouages précis et ressorts. Ça pourrait paraître fragile. Ne l'est pas le moins du monde. A moins de ne taper pile aux bons endroits, elles ne casseront jamais. D'autant plus que leur propriétaire les huile, les nettoie et sait les réparer si besoin est. Un support est appliqué au haut de sa jambe ; elle peut ainsi les dévisser pour dormir ou faire sa toilette, puisqu'elles supportent mal l'eau.
Frêle dans la hauteur tant que la largeur, Pernille plafonne à un maximum de trente kilos. Il lui arrive très fréquemment de descendre jusqu'à vingt-cinq kilos, parfois un peu moins, sans qu'elle juge cela alarmant. Ses cuisses sont fines, ses bras de même : son corps est filiforme, androgyne et aussi étroit et dénué de forme que toute fillette de sa carrure. Difficile de lui donner plus de son âge. Sa poitrine et ses hanches quasi-inexistantes ne la gênent pas encore, pas plus que ses petites mains ou ses coudes pointus : elle n'arrive pas à prendre de poids, de toute façon. Sa peau, un peu claire, semble souffrir d'un manque de lumière naturelle évident. Son teint est un rien cendreux, comme si elle ne sortait jamais à l'air libre et ne profitait du soleil que, aux mieux, au travers de vitres. Quelques très discrètes tâches de rousseurs trônent sur ses pommettes et son nez, soulignant ce visage ovale très quelconque aux traits marqués par la bonne santé. Ses lèvres sont plutôt jolies, dirait-elle, son nez petit et discret. Il lui manque une canine, en haut à droite, qui prend son temps pour repousser ; ça ne l'empêche pas de sourire. Deux autres de ses dents doivent encore tomber, de toute façon. Pas qu'elles aient l'air décidées à se dépêcher.
Des mèches brunes, marron chocolat, balaient son front dans un désordre discutable. Coupés plutôt courts devant ses oreilles et à l'arrière, c'est cette coupe qui la plupart du temps fait hésiter ses interlocuteurs sur son genre : sa voix, quoi qu'un peu haut perchée, ne serait en effet pas spécifiquement choquante sur un petit garçon d'une dizaine d'année. Elle n'a pour autant jamais songé à les laisser pousser. Elle envisage apparemment de ne le faire qu'une fois fiancée, pour mieux aller avec les jolies robes qu'elle pourra alors mettre.
La dernier détail de sa personne – et non des moindre – qui attirera inévitablement les regard est, fort à propos, la couleur de ses yeux. Là où le gauche est marron, le droit décida d'être bleu : vairons, incapables de se mettre d'accord. Cette particularité lui confère un joli regard selon certains, dérange d'autre, fascine les derniers et perturbe le plus grand nombre : elle-même n'en est pas vraiment contente. Elle a appris à mettre les poings sur les hanches et dire qu'ils sont très jolis pour ne pas avoir à en souffrir, mais elle trouve ce désaccord très peu esthétique. Elle ferme souvent un œil puis l'autre devant son miroir, incapable de décider lequel elle devrait perdre au cas où, hypothétiquement, elle aurait à devenir borgne. Ses yeux sont « bizarres ». Elle aurait préféré qu'ils ne le soient pas.
Côté vestimentaire, la petite Pernille n'a guère le choix. Elle porte exclusivement des shorts, des pantalons dans de très rares occasions : a l'interdiction formelle, de par certaines coutumes, d'enfiler jupe ou robe. Elle porte donc des shorts de couleur unie, des bas et des sandales vernies ; pour le haut, des manches larges serrées ou non aux poignets, des boutons et des dentelles. Que des tenues amples agrémentées de jolis rubans et de dentelles élégantes ; ses vêtements se doivent d'être travaillés, confortables, un minimum pratique et sobres. Parfois des chapeaux, des bottines. Elle porte du bleu, du brun, du vert, du blanc et des touches de noir – jamais de rouge, de jaune ou de orange, jugés trop criards dans un monde où les tons pastels règnent en maîtres. Elle n'a également aucun bijou ni accessoire, si ce n'est une montre à gousset qu'elle ne porte de toute façon pas. C'estt joli, tout ça, mais elle n'en a pas. Tant pis.


Caractère


Pernille est une foutue sale gosse pourrie gâtée, capricieuse, méchante, égoïste, plus qu'égocentrique, méchante, méchante. Elle est méchante, point. Tout le monde le savait ; tout le monde l'a toujours su, et personne n'a jamais pensé à lui mettre une gifle histoire de lui apprendre le respect, la gentillesse et la générosité. Au contraire. Alors mademoiselle est devenue de plus en plus imbuvable, de plus en plus insupportable, de moins en moins appréciable : à vrai dire, c'est plutôt s'entendre avec elle, vouloir être en sa présence ou désirer être son ami qui dénote de franches tendances masochiste. Pernille n'est pas quelqu'un avec qui on veut passer du temps. C'est celle qui ne mérite pas l'attention de qui que ce soit. Et elle fera tout pour l'obtenir, pourtant. Absolument tout.
Elle ne comprend pas, première chose, que le monde ne tourne pas autour d'elle : en fait, cette affirmation lui semble presque anormale. Parce que son père est quelqu'un d'important, elle a très vite développé cette attitude plus ou moins détestable de gamine intouchable qui se croit tout, mais alors tout permis. Elle ne voit pas les limites ; ne juge que rarement utile de s'en imposer. Si elle veut sauter là, elle s'en donne le droit. Si elle veut vous insulter, elle le fera. Un autre enfant aurait vite abandonné un comportement aussi autodestructeur parce que, justement, c'est autodestructeur : elle se serait fait insulter en retour, se serait peut-être même pris des coups. Seulement non. Pas Pernille. Parce qu'elle n'avait qu'à hurler « Papa » ou « Maman » pour voir n'importe quel poing se baisser : que son nom suffisait, dans la plupart des cas, à forcer les victimes de ses jeux tout sauf drôles à se taire et baisser la tête par peur de représailles. Ses parents n'ont jamais cherché à lui donner tort. A la moindre plainte, ils la consolaient et la croyaient sans chercher plus loin. Alors oui, elle pense sérieusement avoir le droit de disposer des autres comme elle l'entend. Et quoi qu'elle sache, d'une certaine façon, que c'est mal et que ça risque de lui attirer des ennuis – parce que ça a déjà été le cas – elle finit toujours par céder. Ça l'amuse. Ça n'amuse qu'elle, mais ça l'amuse.
Amatrice de jeux qui impliquent souvent de vous faire endosser un rôle déplaisant entre autres moqueries cruelles, Pernille fait partie de ces enfants qui se roulent littéralement par terre s'ils n'ont pas ce qu'ils veulent. Elle ne supporte pas qu'on lui dise non. Osez le faire et ce sera la crise de larmes, les cris et les pourquoi à tort et à travers – sans compter qu'elle risque de s'accrocher à votre taille ou à vos jambes en pleurnichant. Elle est capricieuse, bruyante, jalouse et oublie régulièrement ce que veut dire « garder un peu de fierté ». Quand on lui fait remarquer le ridicule de son comportement, elle arrête et écrase un ou deux pieds avant d'aller se plaindre plus loin. Oh, oui : elle adore se plaindre. C'est presque une passion, chez elle. Mademoiselle est maltraitée sans arrêt, et à l'entendre elle doit être la victime de complots incessants. C'est qu'elle aime, encore une fois, être le centre de l'attention. Quand bien même elle vous apprécierait sincèrement, elle aurait du mal à écouter vos problèmes ou essayer de vous conseiller, de compatir sans se sentir profondément ennuyée. Elle est son propre sujet de conversation préféré.
Prêter ses affaires est hors de question, demander votre avis avant de prendre les vôtres également. Elle est puérile, pleure facilement mais s'énerve toujours en même temps ; ses crises de larmes sont aussi violentes qu'elles sont régulières. Ses éclats de rire, heureusement, sont également fréquents. Puisqu'elle marche à la façon d'un enfant sur bien des points, elle ira plus facilement vers les personnes qu'elle juge belles, dont elle aime les cheveux ou qui lui inspirent un sentiment de réconfort et de sécurité, par exemple : à partir de là, si elle vous considère impressionnant ou juste potentiellement intéressant, elle se montrera sans le moindre doute plus supportable. Elle sait que c'est le minimum requis pour ne pas se faire haïr. Donc, quand votre avis compte pour elle, la demoiselle est tout de même capable d'effectuer des compromis. Se taire un peu. Vous écouter. Éviter d'être trop insultante.
Comme tout enfant peu habile en relations humaines, elle a tendance à être méchante pour attirer l'attention des autres – même quand elle ne veut pas spécifiquement être 'méchante', justement. C'est simplement qu'être aimable est trop difficile pour elle. La seule différence notable entre elle et un petit garçon tirant les cheveux de la fille qu'il aime est que, contrairement au garçon en question, Pernille n'a aucun mal à dire « Je t'aime » ou « Je t'apprécie ». Seulement quand elle s'applique à vous écraser les pieds et vous traîne partout comme un animal de compagnie, c'est risible. Voire, souvent, difficile à croire. Ce contre quoi elle n'a pas encore trouvé de solution miracle.
Sûre d'elle mais impressionnable malgré tout, il n'est pas rare qu'elle recherche la protection de quelqu'un quand elle se sent vulnérable. Elle clame souvent qu'elle est forte et débrouillarde – ce qu'elle est, dans une certaine mesure – mais ira chercher de l'aide en pleurant au moindre chagrin : elle n'est pas habituée à être livrée à elle-même. Et, aussi teigneuse soit-elle, elle reste une gamine de douze ans à peine qui a besoin d'être rassurée. De là à le mériter, c'est autre chose.
La petite demoiselle, enfin, est d'une naïveté affligeante. Ce n'est pas qu'elle est bête : son intelligence est parfaitement moyenne. Mais quoi qu'elle pourra faire des remarques brillantes par moment ou raisonner de façon parfaitement logique, elle ne pense que rarement à remettre ce que les autres lui disent en question. Le mensonge n'est pas encore quelque chose d'automatisé chez elle ; alors quand on lui ment, pourvu que ce ne soit ni trop gros ni trop ridicule, elle y croira sans doute.
Parce que vous n'oseriez pas vous moquer d'elle, si ?

Histoire

An 6820, première classe ; une grande chambre aménagée comme il faut, avec des meubles rivetés au sol, des vases rivetés aux meubles et un tapis qui ne tremble qu'à peine. Le bruit des roues contre les rails, les rails qui s'étendent à perte de vue – des déserts et des champs de glace, des ruines et des villes entières abandonnées à la végétation et aux charognards. Un silence de mort auquel personne ne prête plus attention. Sur Terre, mais pas vraiment : sur la leur, de Terre. Un endroit malmené par les guerres pendant des décennies et des décennies, sur lequel le climat a petit-à-petit décidé de reprendre ses droits. Tempêtes de plus en plus violentes, typhons et changement progressif des températures y ont bouleversé l'humanité de façon plus que radicale.
« Les famines se multiplièrent ; le commerce se fit difficile ; l’électricité et l’électronique sans cesse coupés, jusqu'à en être abandonnés puis oubliés. Les animaux sauvages, souffrant également des changements climatiques, devinrent plus violents et entreprenants. Une épidémie résistante aux médicaments de l'époque causa la perte de milliers de foyers. Les métropoles fantômes se firent légions. Les cyclones ravagèrent certains pays, en rayant quelques-uns de la carte en une poignée d'années, de mois. »
C'est ce que Pernille et sa grande sœur Else, bien à l'abri dans leur train gigantesque, ont appris des livres qu'on leur a fait étudier.
Dans ce monde, en effet, il n'y a guère plus que cinq endroits de taille importante où l'on peut vivre sans craintes. La capitale polaire d'Adriaenssens ; la ville d'Haeyer ; la cité-état de Cnaacq ; la capitale de Corringer et, enfin, l'Anseel. Un train gigantesque, extrêmement long et également plus large que la norme, conçu pour résister aux températures aussi bien très froides que très chaudes, aux tempêtes et aux terrains difficiles. Sa conception et la mise en place du chemin de fer prirent des années et des années ; il faillit bien être abandonné en cours de route mais, supporté et financé par nombre de personnes importantes, le projet vit finalement le jour.
Depuis, ce train parcourt le monde à raison de quatre arrêts seulement par cycle. Peu l'utilisent réellement comme moyen de transport. Beaucoup y vivent. Une partie, enfin, ne l'a jamais quitté. Ainsi, les parents de Pernille y sont nés et, après eux, elle et sa sœur également. Son monde, c'est ce train. Point final.
Fille d'un des deux conducteurs, eux-même fils d'un des anciens conducteurs, la fillette a grandi en sachant qu'elle était quelqu'un d'important. « Une des filles Dresselaers », « la fille de Monsieur Dresselaers », « Mademoiselle »... Depuis très jeune, elle a eu tous les droits sur les autres passagers. Elle voulait jouer ? Ils n'avaient pas le droit de dire non. Elle était tombée ? Ils avaient intérêt à la redresser. Elle voulait leur couper les cheveux ? Ce n'étaient jamais que des gens du commun, ils n'auraient jamais osé se plaindre. Il n'y avait guère qu'avec les passagers de Première que la fillette était à peu près correcte, sur ordre de ses parents. Alors, hormis sa grande sœur de cinq ans son aînée, Else, et certains de ses cousins, tout le monde la détestait. Ils la détestaient, la détestaient, la détestaient – cette sale peste égocentrique et mauvaise, sans pitié, sans gentillesse, sans rien, pas la moindre qualité ni la plus petite once d'humanité. Tout le monde la haïssait.
Elle le méritait et, honnêtement, elle s'en fichait. Rares étaient les moments où, enfin, elle se rendait compte qu'elle était terriblement seule sur son piédestal : et même là, elle ne trouvait rien de mieux à faire que de juger les autres responsables. Parce qu'ils n'avaient qu'à l'apprécier, après tout. Ce n'était quand même pas à elle de changer. Non, non, non. Jamais Hors de question. Ils étaient, selon elle, simplement jaloux ; mauvais perdants. Il n'y a pas de remède contre cela, malheureusement. Alors tant pis pour eux.
Début d'année 6828 ; Pernille va avoir huit ans. Ils viennent de partir d'Haeyer, en Roosengardt, et son mal de l'immobilité, qui la cloue au lit à chaque arrêt, passe pour la laisser faire de nouvelles bêtises. Une jeune femme au ventre arrondi a le malheur de s'attirer son attention ; menacée par la fillette comme bien d'autres avant elle, elle se voit obligée de participer à l'un de ses jeux – innocent, certes, mais malgré tout forcé. Rejointes par Else, qui cherche à se cacher d'une tierce personne pour des raisons qu'elle ne tient pas à expliquer, les trois demoiselles décident de jouer – quoi que contre son gré pour la plus âgée – à chercher la meilleure des cachettes possibles. Après des recherches vives et mouvementées, elles s'enferment dans une sorte de large pièce visant à entreposer de vieux meubles, destinés à être brûlés ou mis en pièce rapidement. Comme à chaque fois qu'il sort des terres de Roosengardt, le train passe sur un terrain extrêmement rocailleux et une sirène retentit pour signaler à tous de faire attention aux secousses.
Derrière l'épaisse porte, elles ne l'entendent qu'à moitié. La seconde suivante, le train s'ébranle ; et à peine Else a-t-elle le temps de s'agripper à la porte et de tendre sa main à Pernille, affolée, qu'un buffet chute lourdement en avant.

La jeune femme fut légèrement blessée ; les jambes de l'enfant, écrasées, durent être amputées nettes sous le genoux.

Pernille passa alors de longs mois allongée, tandis que les médecins tentaient de lui éviter toutes les infections et complications qui auraient pu lui coûter la vie. Au bout d'un temps, ils la jugèrent suffisamment stabilisée ; elle put alors se déplacer en fauteuil roulant. Cette partie de sa vie lui laissa un sentiment amer, presque acide au fond de l'estomac. C'était invivable. Tout le monde s'en fichait. Personne ne compatissait.
Surtout pas l'apprenti horloger qui, avec le concours d'autres mécaniciens et hommes instruits, furent chargés de lui construire des prothèses. Ça n'avait pas été fait depuis bien longtemps ; ils eurent du mal à lui en créer qui fonctionnent. Finalement, malgré tout, ce fut fait. Elle mit un moment à s'y habituer, à ré-apprendre à marcher : durant ce laps temps, elle en passa beaucoup avec l'apprenti horloger – l'aidant, content ou pas, dans son travail qu'elle jugeait passionnant. Else, récemment fiancée, vint la voir tous les jours lorsqu'elle était alitée. Elle l'aida également lorsqu'il fallut la tenir pour la remettre sur pieds, lui apprendre les gestes qu'elle avait oublié : entre elle, ses cousins et ses parents, elle parvint à sortir de cette tristesse indolente dans laquelle l'accident l'avait plongée.
L'année de ses onze ans, elle remarchait plutôt bien et continuait d'ennuyer le jeune homme et ses horloges. Tout allait bien ; vraiment. Tout était redevenu comme avant.
Sauf que le destin se fiche bien des ardoises que l'on jette au lieu de les essuyer. Alors, un beau matin, tout bascula. Ça cria, ça jura, ça protesta ; une porte fut ouverte et, sans sommation aucune, quelqu'un fut poussé à travers.
Else hurla.
Une main serrée sur son poignet, une autre sur ses doigts, Pernille sentit sa vie basculer dans le mauvais sens ; bam.

Prochain arrêt, Pensionnat Interdit.




Informations Hors-RP
Avez-vous bien lu les règles ? Je connais le code du règlement, mais je vais sciemment mettre "pied de biche" à la place. Parfaitement. Qu'allez vous faire contre cet acte de rébellion d'une violence rare ?
Où avez vous trouvé ce forum ? J'ai écouté les yeux, les yeux sont partout, les yeux savent tout, tout tout tout...
Est ce votre premier perso...
♦ ...Dans un forum RP ? Non. Mais tout les autres sont morts. What a Face
♦ ...Dans ce forum ? Non, mais une personne très sensée a dit qu'en Avril il fallait faire des comptes. Et je la poste maintenant pour me forcer à finir Aurelio pronto.


Dernière édition par Pernille Dresselaers le Sam 28 Sep 2013 - 19:46, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: DRESSELAERS Pernille { Le long des rails.   DRESSELAERS Pernille { Le long des rails. Icon_minitimeSam 28 Sep 2013 - 19:45

Le train pour nulle part


Novembre 6827 - 15h00 - désert de Vervoort


« Tickets !

-Tickeeets ! »

Parée d'un joli chapeau maintenu par un nœud élégant sous le menton, toute de blanc habillée, la fillette agita les bras en l'air pour manifester son contentement. La bonne humeur des deux enfants se propagea à travers tout le wagon, par-delà le bruit régulier des rails sous leurs pieds, par-delà les dunes qu'ils étaient en train de traverser – par-delà ce silence de mort qui, comme toujours, accueillit le mot traître qui jamais ne quittait leurs lèvres. Ticket.
Les personnes assises aux tables proches de l'entrée cessèrent de jouer aux cartes pour leur lancer un regard peu amène. Les filles Dresselaers n'étaient guère appréciées ; leurs tenues immaculées, quand elles les portaient, l'étaient encore moins. Elles étaient synonymes de problèmes, aussi sûrement que la pluie succédait au beau temps. Deux oiseaux de mauvais augure au joli plumage. Il y avait toujours des passagers suffisamment bêtes pour tenter de se jouer du destin en dérogeant aux règles : c'était sans doute pour cela que cette couleur était si mal vue.
Les pauvres enfants ne faisaient rien de mal, au fond. Juste leur travail.
Peu inquiétée par l'ambiance glaciale dans laquelle leurs exclamations enjouées avaient plongé le wagon, l’aînée fit signe à sa sœur de s'occuper de la rangée de gauche. Grande pour ses douze ans, mince comme un fil de fer sous son short blanc, elle présenta une boite finement ouvragée aux hommes assis du côté droit de l'habitacle. Réticents, visiblement agacés mais néanmoins sereins, les quatre trentenaires glissèrent un par un de longs tickets imprimés dans la fente du coffret en bois. D'un geste habitué, la fillette en tourna la manivelle ; grince le mécanisme, s'activent les rouages, un joli sourire poli – et une courbette en guise de remerciement, parce qu'elle adorait jouer les hôtesses distinguées.

« Merci beaucoup, Messieurs.

-Eeeelse ! »

Son sourire se crispa nettement. Doucement, sans se presser ni perdre son calme apparent de petite fille modèle, elle tourna les talons : questionna sa sœur du regard.

« Pernille ? »

La petite brune, aussitôt qu'elle fut sûre d'avoir toute l'attention de son aînée, lui adressa une moue pathétique. D'un geste preste et plaintif, elle lui présenta son propre coffret ; un ticket en bloquait l'entrée et, malgré toute l'application que mirent les deux fillettes à le faire glisser dedans, la manivelle se borna à grincer son désaccord. En désespoir de cause, la plus jeune proposa de sauter dessus pour le faire rentrer, arguant que c'était injuste que ce soit sa boîte qui soit cassée, qu'elle n'avait rien fait de mal et qu'elle avait tout bien mis comme il fallait, ainsi que leur père le lui avait appris : elle ajouta également, sans se rendre compte que sa sœur ne l'écoutait plus depuis bien longtemps, qu'être punie tout ça à cause d'un morceau de bois aurait été horriblement injuste. Mieux valait donc cacher le forfait. En fracassant la machine avec leurs petites semelles en bois, par exemple.
Else, sourde aux machinations de sa cadette, tira sur le ticket et l'observa d'un air soucieux. Ses jolis sourcils se froncèrent de consternation ; pour ne pas être en reste, Pernille l'imita.

« C'est un faux ! »

C'était un drôle de spectacle, que celui de ces adultes vêtus de couleurs sombres fixant deux enfants pas plus grosses que des brindilles comme l'on aurait regardé la Faucheuse. Elles n'avaient après tout ni l'allure ni l'apparat des bourreaux : pas même la sèche fermeté de ceux qui décidaient du sort des accusés. Ce n'étaient, envers et contre tout, que deux petites filles habillées de blanc. Les mots qui avaient résonné dans l'habitacle, pourtant, avaient bel et bien des allures de glas. Le silence de mort l'ayant suivi en témoignait mieux que n'importe quelle prière.

Else, les joues rouges de colère, se tourna vers la rangée confiée à sa sœur.

« Qui. A osé. Donner ça ? »

Une suite de murmures agités s'empara de la table des concernés ; Pernille, qui n'aimait pas rester en dehors des affaires des grandes personnes malgré ses sept ans, frappa violemment du talon contre le sol. La table, qui y était solidement rivetée, trembla.

« Qui !

-Tu ne t'en souviens pas, Nille ? »

Gênée par la question autant que par le reproche sous-entendu dans cette voix mielleuse, la fillette plissa ses yeux dépareillés en direction des cinq gentlemen qui roulaient des regards affolés vers leurs propres tickets. Voyant bien que la concernée peinait à faire la différence entre tout ces chapeaux et ces moustaches aux couleurs semblables, l'adolescente plaqua sa main contre la table et jeta un coup d’œil habitué aux papiers qu'ils tenaient dans leurs mains.
Ses sourcils se rejoignirent presque tant elle les fronça.

« Ils ont l'air vrais... lâcha-t-elle à contrecœur. A qui était celui-là, alors, Messieurs ? Qui a bougé ? Alors qu'il n'y absolument pas le droit de se déplacer tant que nous sommes là, c'est tout simplement...

-Eeeeelse !

-Écoute, Pernille, tu me – »

Le coulissement d'une porte, derrière elle, força la jeune fille à suivre la direction qu'indiquait le bras tendu de sa cadette. Lorsque l'habitacle se referma sur une silhouette indistincte, leurs voix vibrèrent d'une même colère difficilement contenue.

« Il s'enfuit !

-Fraude, frauuuude !

-Cours lui après, je vais chercher Monsieur Watrigant ! Vite ! »

Elle n'eut pas besoin de le lui dire deux fois ; à peine la demoiselle eut-elle compris ce qu'on attendait d'elle que, déjà, elle posait maladroitement sa boîte brune dans les bras de sa sœur pour filer à toutes jambes à l'autre bout du wagon. Comme dans une pièce au texte parfaitement maîtrisé, l'autre fille Dresselaers partit au trot dans la direction inverse, vers l'avant du train : et bientôt, il ne resta de leur présence qu'un vague relent de peur et de tension.
Les chapeaux furent enlevés le temps d'éponger une fine couche de transpiration, due tant à la chaleur du désert qu'à la crainte qui, encore, étreignait jusqu'aux cœurs les plus solides. Aucun d'eux ne songea à aller aider le pauvre fuyard. A leurs yeux, il leur semblait déjà bien moins vivant que mort. Et combien avaient-ils raison ! Ça n'aurait pas pu plus mal tomber.

Dehors, la chaleur avoisinait les soixante degrés.

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« Arrête ! Monsieur ! »

Les talonnettes en bois de Pernille martelaient le sol avec la force de mille chevaux lancés au galop. Ce bruit d'enfer la précédait de longs mètres avant son entrée dans les différents wagons et, souvent, elle eut la surprise de se retrouver nez à nez avec des passagers déjà tous au courant de son arrivée alors même qu'elle venait d'entrer. Le claquement sec et régulier des souliers du fuyard, au contraire, passait terriblement inaperçu. Plusieurs fois, parce qu'il portait un costume très commun et avait les habituels cheveux foncés qu'arboraient la grande majorité, elle crut même l'avoir perdu ; mais cet idiot ne s'arrêtait pas et, comme personne ne l'aurait été suffisamment pour oser le cacher, suivre la seule silhouette mouvante restait singulièrement facile. Malgré sa petite taille, elle filait drôlement vite : lui, handicapé peut-être par un léger embonpoint, peinait à ne serait-ce que maintenir la distance les séparant. L'issue de la course semblait bien prévisible.
Cela étant, fort heureusement pour le fraudeur, la fillette ne cessait de trébucher dans ses propre pieds et passait autant de temps à courir qu'à sautiller pour retrouver un semblant d'équilibre. Cavaler dans le sens inverse à la marche du train, surtout dans un environnement aussi irrégulier, était presque dangereux : parfois, ça donnait l'impression de filer sur le versant facile d'une colline – et d'autres fois, comme elle put en faire la triste expérience, ça faisait un drôle d'effet dos-d'âne qui la projetait littéralement en avant tant elle était légère.
Trop peu précautionneuse, elle sentit pour la seconde fois ses os fragiles heurter le sol.

« … Rhaaaa ! »

Son râle excédé se répercuta à travers les cloisons de l'habitacle vide. Sans même prendre le temps d'épousseter ses jolis bas, elle se remit debout et reprit sa course effrénée.
A mesure qu'elle traversait les différents compartiments, les visages et les tenues commençaient à changer. Plus elle allait vers le fond du train, plus les tissus semblaient grossiers ; plus il y avait d'enfants, aussi. Quelques chiens commencèrent bientôt à japper sur son passage. Les sièges et diverses installations, notamment les wagons restaurants, se faisaient de moins en moins sophistiqués. Elle n'aimait pas trop aller par ici toute seule. Non pas car l'odeur plus forte la dérangeait, ni car ces gens étaient moins gentils ou plus laids : l'enfant avait tendance, au contraire, à trouver une certaine beauté dans ces visages souvent jeunes et dépourvus de sourires mielleux. Seulement les lieux n'étaient pas sans risques. Son père avait coutume de dire que les plus aisés faisaient de parfaits ennemis, tandis que le reste de la population avait une tendance navrante à agir sur le coup de la colère ; sans penser aux conséquences. Et ça, c'était dangereux. Très dangereux. Surtout pour une petite fille de son rang et de sa stature, toute petite et si menue, sans le moindre moyen de défense. Que voulez vous faire contre le coup de couteau d'un homme désespéré ? Sa mère aurait hurlé de la savoir sans garde auprès d'elle.
A son âge, malheureusement, ce genre de menaces la laissait de marbre. « Mourir » n'avait guère de sens à ses jolis yeux : en revanche, elle voyait parfaitement le costume noir qu'elle devait poursuivre au milieu de tout ce marron-gris. Et ça, c'était drôlement pratique.
Gêné par l'affluence et les mouvements de foule, bien loin du calme serein des premières classes, le fugitif eut rapidement du mal à se frayer un chemin sans bousculer quelqu'un tout les deux pas : Pernille, profitant de sa petite taille pour filer entre les jambes et les jupons, saisit l'occasion pour accélérer nettement la cadence.
Bientôt, il fut à portée de main. Elle plia les jambes.

« JE T'AI EU ! »

D'un bond, elle avait refermé ses deux bras sur sa taille. Déséquilibré par la petite chose qui venait littéralement de se jeter sur lui comme une pierre, le pauvre homme bascula en avant.
Lorsqu'il vint heurter le sol dans un bruit sourd, ce fut comme si le temps s'était arrêté ; subsistèrent uniquement la respiration de Pernille, vive et agitée, et celle, abattue, de la personne sur laquelle elle était à présent assise. Tout le monde s'était tut. A travers le bruit métallique des roues contre les rails, aucun son ne semblait vouloir se décider à briser la solennité de l'instant. Quand la petite fille chassa la poussière de sa tenue immaculée, puis s'éventa à l'aide du faux ticket, tous la regardèrent sans savoir que dire. Les événements de ce genre étaient plutôt rares ; beaucoup n'avaient jamais eu l'occasion de voir les deux filles Dresselaers piailler en tout sens après une fraude quelconque.
D'autant plus que, pour une raison qui échappait encore à l'enfant, les pauvres trichaient beaucoup moins que les plus riches.

« Ffhhh. Quelqu'un a de l'eau ? »

Ce n'était pas une question.
Une foule de regards empressés fut échangée avant que, en un laps de temps risible, une jeune femme ne vienne lui tendre un pichet.
La protestation qui s'apprêtait à sortir de sa bouche ouverte fut étouffée par l'arrivée sur sa droite d'un verre parfaitement propre. Satisfaite, elle entreprit d'en avaler de longues gorgées égoïstes. Les provisions n'étaient pas tant un problème, et on ne lui avait guère appris à manger ou boire moins qu'elle ne le faisait déjà : elle n'y vit pas le mal. Malgré tout, mieux valait ne pas tout engloutir sans penser aux éventuelles pannes techniques qui pouvaient les coincer sur place jusqu'à des semaines entières. Les dernières classes, tout au fond du train, en auraient pâti plus que sévèrement.
Mais ça, évidemment, ça ne la concernait pas.

Lorsqu'elle s'essuya la bouche d'un revers de manche, ses yeux lancèrent des éclairs à la ronde.

« Qu'est-ce que vous regardez ? Pssht ! »

Aussitôt, tout le monde se remit à ses activités. Lasse de rester assise sur son prisonnier, Pernille se redressa et l'enjoint à faire de même. Conscient qu'il ne pourrait guère aller plus loin quoi qu'il arrive, ce dernier n'essaya pas de s'enfuir. Il se contenta de baisser la tête, anxieux et énervé, en attendant que la sanction soit prononcée.
Les renforts se faisaient attendre.
Après lui avoir expliqué de dix façons différentes à quel point il était stupide et elle rapide comme une flèche, jolie et élégante, l'enfant embraya sur ses leçons. Quand enfin sa sœur et un homme de haute stature engoncé dans un uniforme brun et or les rejoignirent, elle en était à lui réciter ses poèmes avec une justesse qui ne manqua pas de faire grincer des dents son aînée.

« Dis moi que tu le faisais exprès.

-Exprès quoi ? »

Les deux enfants échangèrent une grimace contrariée à l'élégance plus que discutable. Celle qui se vantait justement d'être irréprochable quelques secondes auparavant, loin d'en saisir l'hypocrisie, alla même jusqu'à tirer la langue à sa sœur. De quoi faire crier leur mère et leur valoir de sérieux lavage de bouche au savon. Seulement 'quand le chat n'est pas là, les souris dansent' : Else lui rendit donc la pareille sans attendre.
Monsieur Watrigant, habitué à ces chamailleries sans gravité de la part des demoiselles, se contenta d'attendre qu'elles aient fini. Sa poigne de fer tenait le bras du pauvre homme plus solidement que l'aurait fait une clef à mollette ; quant-à son regard, indifférent, il ne changea pas le moins du monde lorsqu'il le reporta sur les fillettes. Le voir sourire était, semble-t-il, un privilège réservé au cercle de ses proches. Cercle dont les enfants Dresselaers ne faisaient clairement pas partie.

« Puis-je avoir le ticket.

-Tiens !

-Merci. »

Les yeux gris du quadragénaire examinèrent la contrefaçon avec la même attention que ceux d'Else quelques longues minutes plus tôt. Finalement, il acquiesça sans mot dire.
Pernille, qui ne tenait plus en place, agrippa la veste de l'adulte.

« Alors on fait quoi ? On fait quoi ? On le brûle ? On le pend ? On le pend, dis ? Je veux aider ! »

L'homme pâlît à vue d’œil. Else, agacée, leva les yeux au plafond.

« Tais toi, Pernille. Tu dis n'importe quoi.

-Gnagnagna.

-Tu es ridicule.

-Tu es ridicule.

-... Arrête ça.

-Arrête ça.

-PERNILLE !

-Perniiiiiille~

-Je vais te –

-Mesdemoiselles. » La voix de Watrigant, forte et claire, leur fit lever la tête. « Je vais accompagner Monsieur à l'avant. Votre père m'a demandé de vous ramener également : si vous n'avez pas envie d'attendre, vous pouvez nous devancer. Sans courir. »

Interceptant le regard de la cadette, il secoua sa tête de gauche à droite.

« Personne ne sera pendu, Mademoiselle. Avancez je vous prie. »

Sur ces mots, l'attention de Pernille décrocha définitivement du fuyard et de son sort peu envieux. A partir du moment où personne ne serait pendu, de toute façon, ça ne l'intéressait plus vraiment.
Tandis qu'elle partait en tête de file, main gauche serrée sur celle de sa sœur, ses lèvres se courbèrent en une moue ennuyée. L'enfant éprouvait, comme pour beaucoup à cet âge, une fascination persistante envers ce qu'elle ne comprenait pas : la mort en faisant partie, elle ne ratait pas une occasion de demander à voir un cadavre. Puisqu'elle n'en avait encore jamais vu, elle s'était persuadée que ce devait être quelque chose de très intéressant à regarder. Et ce quoi qu'en dise ses parents. Le regard choqué de sa mère, au contraire, ne faisait que renforcer ses certitudes – parce que, après tout, elle avait fait la même tête en parlant de certaines maladies que Pernille avait pour sa part trouvées très drôles. Par exemple, voir Else couverte de petites tâches rouges l'avait fait rire des jours et des jours durant. On aurait dit un petit champignon.
Rien que d'y repenser, son estomac se mit à la chatouiller.

« Pourquoi avoir pris un faux ticket ?

-... J'en répondrai devant le conducteur.

-Bien. Avez-vous de quoi payer un autre ticket ?

-...

-Je l'espère pour vous. »

Ennuyée par l'oreille trop attentive que prêtait sa grande sœur à la conversation des adultes, qui primait semble-t-il sur son monologue pourtant on ne peut plus intéressant concernant le paysage, la petite brune raffermit l'étreinte de leurs doigts et accéléra la cadence. Tap, tap, tap, tap tap tap taptaptap – jusqu'à ce que, avant même d'avoir pu être réprimandées par le pauvre homme censé les ramener en un seul morceau, leurs rires et leurs pas ne se soient mis à résonner comme le tonnerre en été.

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« Pour la énième fois, avez vous le droit de courir dans les wagons publics ?

-Non, nous n'avons pas le droit de courir dans les wagons publics.

-Et pourquoi donc ?

-Car nous risquons de nous faire mal ou de blesser les passagers. Courir est dangereux. »

Les voix fluettes des deux enfants résonnèrent dans le plus parfait des accords, monocordes et résignées. Pernille avait cessé de compter le nombre de fois où on lui avait fait répéter « courir est dangereux » quand ses jambes avaient commencé à lui faire plus mal que ses bras ; en général, c'était à ce moment-là que leur père les envoyait se repentir de leurs crimes atroces dans le salon ou les chambres. Neuf fois sur dix, c'était comme ça. Pour les petites bêtises, du moins – puisque les plus sérieuses fonctionnant au cas par cas, c'était un peu la surprise chaque fois qu'il décidait de leur sort.
Ce jour-là, malheureusement, l'autorité paternelle n'avait pas l'air prête à les relâcher avant que leurs mollets n'aient cédé sous le poids de leur corps. Sûrement était-il énervé. Les punitions étaient toujours plus sévères, quand il était énervé.
Impatiente et engourdie, la fillette étouffa une plainte entre ses dents. Pour autant, malgré la douleur et les crampes, elle ne songea jamais à lâcher les seaux qu'elle tenait à bout de bras ; ça n'aurait fait qu'empirer les choses. Désobéir était déjà suffisamment grave comme ça, alors désobéir aux punitions... Mieux valait ne même pas y penser. Le jeu n'en valait pas la chandelle : d'autant plus que leur père avait beau être tourné vers son bureau, les laissant donc dos à dos, il chargeait systématiquement monsieur Watrigant de darder sur leurs omoplates son regard froid et mécanique. Et lui, il n'hésiterait pas à les dénoncer à la première tentative de fuite. S'il l'avait fait une fois, ça ne le dérangerait donc pas de le faire deux.
Simples mathématiques.

« Allons bon ; qu'on fait ces charmantes demoiselles, cette fois ? »

Le front de Pernille, qui menaçait de heurter le mur à tout moment tant elle peinait à rester droite, fut ridé par un froncement de sourcils perplexe. L'absence de bruits de pas la renseigna sur l'identité de leur visiteur plus rapidement que l'intonation très quelconque de sa voix : des très rares personnes autorisées à entrer comme bon leur semblait dans le bureau de son père, il n'y en avait qu'un pour se faufiler ainsi à la façon d'un courant d'air.
Ça n'aurait pas pu être sa mère, dont les talons et l'imposante stature faisaient presque trembler le sol sous ses pas. Ça n'aurait pas non plus pu être son oncle, pour la simple et bonne raison que lui et son père étaient les seuls à pouvoir commander le train – et que si l'un était dans son bureau, l'autre était donc forcément à l'avant. Ça n'aurait pas pu être Else, puisqu'elle était punie juste à sa droite. Ne restait alors qu'une poignée de personnes dont, de mémoire, l'âge ou la corpulence n'auraient jamais pu correspondre à cet accent chantant et cette discrétion à toute épreuve.
Attentive et soumise, elle réprima le début de sourire qui avait fleuri sur ses lèvres.

« Elles ont couru, que veux-tu qu'elles aient fait d'autre. » La voix de Frederik Dresselaers était aussi lasse que fataliste. « Ton père a besoin d'aide ?

-C'est cela. Tante Margrethe est avec lui ; ils m'ont demandé d'aller vous chercher pour d'obscures histoires d'itinéraire et d'escales. Je crains qu'ils n'aient eu l'air affreusement contrariés.

-Eh bien. »

Dans un désagréable raclement, une chaise fut repoussée. Les deux punies, sentant les événements tourner à leur avantage, redressèrent instinctivement le dos : toute à sa joie, Pernille en aurait presque oublié qu'elle attendait là depuis près d'une heure. La perspective de pouvoir enfin tout lâcher pour partir jouer lui donnait des ailes – surtout maintenant que, dans son dos, le regard métallique de monsieur Watrigant avait été remplacé par le bleu de jolis yeux qu'elle trépignait de revoir. Rien que pour ça, elle aurait pu attendre au moins dix minutes de plus.
Enfin presque. Ses bras n'auraient peut-être pas tenu, eux.

« La punition est levée, déclara le conducteur en caressant la tête de l'une puis de l'autre de ses filles. Veille à ce que mes délinquantes préférées se tiennent tranquille, veux-tu.

-Bien sûr, mon oncle. »

Les seaux heurtèrent tous le sol dans un bruit sourd. Aussitôt la porte refermée, Pernille exécuta un magnifique volte-face ; faillit bien se prendre les pieds dans les hanses et, forte de l'inépuisable énergie de ses sept ans, courut enlacer la taille de son sauveur.

« Akseeeeeeeel ! »

Son exclamation ressembla plus à un grognement incompréhensible étouffé dans la veste de ce dernier qu'à un prénom, mais l'intention y était. Tout en tapotant gentiment le dos de la petite, le jeune homme saisit la main que lui tendait Else pour y déposer un baiser poli. Les règles de bienséance n'étaient clairement pas le soucis de la plus jeune ; visage enfoui contre l'estomac de son cousin, la fillette laissa filer un bâillement des plus discrets.
Saisissant l'occasion au vol, le garçon rit doucement.

« Ah, Pernille serait-elle fatiguée ? Quel dommage... Moi qui me faisais une joie de te battre au plateau !

-Heiiin ! N'importe quoi, c'est moi qui gagne ! »

Dans son empressement, la fillette recula et lâcha son otage. Comme l'oiseau de la célèbre fable, elle vit alors le renard – cette opportuniste aux cheveux longs et aux yeux bruns – s'emparer de son butin avec un grand sourire. Joues gonflées par l'agacement, la fillette jura qu'il n'y avait rien de pire que les grandes sœurs. A tout les coups, elles avaient dû être mises sur terre pour ennuyer ceux qui venaient après.
Le regard espiègle de la plus âgée ne vint pas démentir ses suppositions.

« Eh bien, allons au salon. Comme ça, une fois que nous nous serons changées, nous pourrons jouer. Si Pernille ne s'est pas endormie entre temps. »

Ne tenant pas à finir reléguée dans sa chambre sous prétexte d'avoir lâché un malheureux bâillement, la concernée ne mit pas plus d'une seconde avant d'agripper la main libre du garçon. Elle n'allait quand même pas se laisser faire ! Nul doute que, lui eut-on posé la question, elle aurait enroulé ses bras autour de son cousin en clamant l'avoir vu la première. Pas question de laisser sa sœur l'accaparer pour elle toute seule. Plutôt mourir.
Suivant pas à pas ses aînés dans le couloir menant à leur salon privé, duquel elles pourraient rejoindre leurs chambres, Pernille grimaça de les entendre déblatérer sur des sujets auxquels elle ne saisissait rien. Else, du haut de ses douze ans, se voulait éveillée et cultivée ; quant-à Aksel, l'on sentait à son parlé de plus en plus adulte que ses seize ans approchaient à grand pas. Ennuyeux, ennuyeux – ils devenaient horriblement ennuyeux, tous les deux. Malheureusement pour lui, aussi horriblement ennuyeux puisse-t-il devenir, sa cadette refuserait toujours catégoriquement de lui laisser la moindre minute de tranquillité. Elle l'aimait beaucoup trop pour ça.
Son unique crime pour mériter tel châtiment, semblait-il, tenait à la joliesse de ses traits : ses cheveux blond pâle et ses fins yeux clairs, marques évidentes d'origines bien plus nordiques que celles des Dresselaers, conféraient à son visage une douceur presque androgyne qui manquait à la plupart des passagers de première classe. Au milieu de tout ce brun, il était à proprement parler impossible de ne pas remarquer ce grand jeune homme ; il plaisait de fait beaucoup aux jeunes filles de son âge. C'était quelque chose dont, semblait-il, l'oncle de la fillette était particulièrement fier. Son fils aîné, seul que sa femme si menue ait réussi à mettre au monde, n'avait pas le même charisme ; quant-au second et au quatrième, ils n'étaient pas plus les enfants de leurs parents que l'était Aksel.
Ce n'était pas comme s'ils avaient essayé de le cacher. Tout le monde, y compris Pernille, les savait adoptés. Ça ne gênait personne, et surtout pas eux : ils avaient probablement échappé à une vie de misère et leur en étaient reconnaissants. Sans souvenirs ou presque de leurs familles biologiques, ils n'avaient pas grand chose à regretter.
La benjamine Dresselaers, de son côté, était bien contente que son oncle ait un jour eu la bonne idée de ramasser de jolis garçons avec qui elle pourrait jouer. Son point de vue sur la question restait relativement limité.

Les adolescents, aveugles à l'ennui de l'enfant, poursuivaient leur discussion.

« Qu'ont-ils fait, alors ?

-Hmmm... Il me semble qu'il descendra au prochain arrêt, s'il ne peut pas payer. Mais il pourra sûrement rembourser.

-Oh ! Il a de la chance. Un homme important ?

-Un homme important, oui. Apparemment, la contrefaçon aurait été faite à plus grande échelle... Le pauvre n'a même pas dû comprendre qu'on lui avait vendu un faux. D'ailleurs, Rune et Svante étaient également de sortie ce soir ; je crois qu'ils ont eu affaire à quelques billets semblables dans les dernières classes. Père avait l'air inquiet. Ces faux revendeurs sont un vrai fléau. »

Pernille, qui parvint enfin à comprendre vers quoi la conversation était en train de se diriger, adressa un sourire enjoué à Aksel.

« Alors on peut les pendre ?

-Bien sûr que non ! »

L'exclamation outrée de son cousin préféré la plongea dans un profond désarroi ; c'est à dire qu'elle fronça les sourcils avec application et se mit à bouder le plus ouvertement possible. Ça ne marchait jamais avec monsieur Watrigant, et sa sœur tout comme ses parents mettaient un moment avant de se lasser de son silence obstiné, mais Aksel ne tenait jamais, jamais plus de dix secondes. C'était plus fort que lui, il fallait qu'il s'excuse d'avoir blessé l'autre. Comme l'aurait dit le père des filles : « ce garçon est bien gentil, mais il ne faudrait pas que ça devienne une habitude. »
Cinq secondes plus tard, il balançait doucement leurs mains jointes d'avant en arrière.

« Allez, tu sais très bien qu'on ne peut pas tuer les autres sans d'extrêmement bonnes raisons. Et puis où les pendrait-on, dis-moi ? Dans un train, il n'y a pas vraiment d'endroit propice aux gibets. »

Le visage de la petite fille s'illumina de la lueur des conspirateurs. De sa main libre, profitant qu'Else soit occupée à leur ouvrir la lourde porte du salon, elle tira sur le col du jeune homme : puis, dans un murmure qui n'avait de tel que le nom, elle lui glissa son inestimable secret à l'oreille.

« Dans la penderie, évidemment !

-Oh mon... Pitié, Pernille, viens te changer avant que je ne commence à avoir honte d'être ta sœur. »

Le sourire de l'enfant brilla plus fort encore.

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« ...enfin... évident... aucun doute – oui ?

-...ne sais pas... stupide !

-parfaitement clair... jamais, hors de question... ! »

Yeux à demi-clos, bercée par les mouvements irrégulier du train, Pernille tenta de mettre de l'ordre sur ce qu'elle entendait dans la pièce d'à côté. Ça allait faire au moins deux heures qu'elle avait préféré le confort de ses draps à un jeu qui la vouait de toute façon à un échec cuisant ; pourtant, depuis quelques minutes, des éclats de voix venaient régulièrement percer ses bulles fragiles de sommeil et de rêves. Entendre la voix d'Else monter dans les aigus n'était pas très étonnant, mais la fillette détestait ça – surtout si elle le faisait dans son dos. Celle du garçon, aussi forte mais moins facile à replacer, laissa dans ses oreilles comme une drôle d'impression de déjà-vu. Ce n'était sûrement pas la première fois qu'elle entendait cette personne gronder.
Trop réveillée pour se rendormir, elle se frotta doucement les yeux. Ses pieds nus se posèrent sans un bruit contre le tapis de sol : l'horloge rivée à la cloison indiquait plus de onze heures du soir. C'est à dire, en termes utiles, deux longues heures après son couvre-feu. Si son père, souvent réveillé jusque tard dans la nuit, l'entendait rire ou piétiner, il aurait tôt fait de venir lui demander des comptes – et ça, ça signifiait invariablement qu'elle serait punie le lendemain. Il s'agissait donc d'agir prudemment. Aussi discrète qu'une souris, elle ouvrit sa porte et avança jusqu'au petit vestibule que sa chambre partageait avec celle de son aînée. A priori, le bruit venait de là. Peut-être qu'elle avait fait entrer des amis ; aussi interdit que ce soit, Else aimait bien continuer à s'amuser passée l'heure du coucher.
Concentrée sur sa mission espionnage, Pernille s'aplatit par terre et tenta avant toute chose de deviner si le salon était allumé. S'il y avait des adultes, sa sœur se ferait punir toute seule dans peu de temps ; pas la peine de risquer une punition juste pour la narguer. Malheureusement, la tâche n'était pas aussi simple qu'il n'y paraissait. Ce n'était pas toujours évident à voir, tant l'interstice entre la porte et le sol était étroit : il fallait être malin.

« Parfait, je m'en vais – non, je m'en vais. »

… Flûte.
Yeux grands ouverts, figée contre le tapis aussi sûrement que si elle avait été faite de marbre, l'enfant leva le nez vers le garçon qui, dans son empressement, avait bien failli lui marcher dessus. Preuve en était qu'elle pouvait mieux détailler ses semelles que son visage ; et quoi qu'elles étaient très jolies, ça ne la renseignait pas beaucoup.

« … Oh. Nille. »

Aussitôt qu'elle eut une voix et un visage à replacer sur cet illustre inconnu, la stupeur craintive de Pernille se mua en un rictus moqueur.
Oulalalaaah. Ça alors.

« Ruuuuuune. Vous faisiez quoiiiii ? »

Le jeune homme la regarda un bref instant, clairement irrité, avant de n’attraper ses jambes pour l'éloigner de l'entrée.

« Des bébés.

-Des... ! »

Else, en tenue de nuit dans l'encadrement de sa porte, toussa si fort que la fillette crut qu'elle s'était vraiment étouffée avec sa salive.
Profitant de la diversion, le garçon disparut comme un courant d'air dans le salon.

« Tu –  ! Rune ! »

Elle était plus rouge qu'une pomme, à présent. Toujours allongée par terre, pensive et fortement intriguée par la note de profonde vexation qui avait fait trembler la voix de sa sœur, Pernille pesa le pour et le contre ; hésita à annoncer sa présence, qui n'avait après tout peut-être pas encore été notée dans tout ce remue-ménage, puis plissa ses yeux jusqu'à presque les en fermer. Signe d'une extrême concentration, comme elle se plaisait à le répéter quand un adulte un peu zélé lui demandait si elle avait mal quelque part. Ce n'était quand même pas tout à fait pareil.

« Dis. Comment on fait les bébés ? »

Les yeux foncés de la demoiselle se baissèrent lentement, très lentement jusqu'au visage de sa cadette. Puis, comme frappée de nouveau par une sorte de foudre invisible, son visage reprit une jolie teinte rosée.

« Je – Je n'en sais rien ! Et, d'ailleurs, lui non plus n'en sait sûrement rien, balbutia-t-elle en aidant la petite à se redresser. Ça n'a aucune importance. On ne fait pas de bébés avant d'être marié. Et on ne se marie pas si on ne dort pas, alors va te coucher – et non, pas de mais ! Au lit, hop ! »

Sans même avoir eu le temps de placer un seul infime son de protestation, Pernille se retrouva si bien bordée qu'elle dut jouer des épaules pour dégager ses bras des couettes. Déjà, la silhouette de sa sœur disparaissait dans le vestibule : d'un gémissement plaintif à en faire fondre la pierre, elle la rappela bon gré mal gré à son chevet.
Après un soupir contrit et un grommellement de rigueur, Else déposa un baiser sur la joue de sa cadette avant de la laisser faire de même.

« Bonne nuit, Nille. »

Confortablement glissée sous ses couvertures pâles, l'enfant émit un gloussement satisfait.

« Bonne nuit, Else. Demain tu m'expliqueras comment on fait les bébés.

-Niiiille – ! »

Sans la moindre sommation ou déclaration de guerre, son visage fut violemment agressé par un coussin joliment dodu ; la seconde suivante, des rires et des exclamations enjouées se mirent à résonner dans la petite chambre mal isolée.

Elles seraient punies le lendemain, ça ne faisait aucun doute. Mais ça, visage plongé dans un abri de fortune fait de couettes et d'oreillers, Pernille s'en moquait éperdument.

Rire n'était-il pas le privilège des enfants ?

Février 6828 - 10h00 – terres de Roosengardt


« Non. »

Allongées sur des coussins à même le sol, quatre petites filles firent la moue. Pernille, qui savait toujours se faire remarquer par son absence de manières d'une façon ou d'une autre, trouva bon d'ajouter à cela une longue plainte chuintante ; et si la demoiselle aux grosses boucles rousses à sa droite décida de ne pas en faire le commentaire, les deux autres ne se firent pas prier.
Amies ou pas, les critiques allaient bon train.

« Pernille, tu ne ressembles vraiment pas à une demoiselle !

-On dirait plutôt un hippopotame. »

Quoi qu'elle ne comprit pas la comparaison, l'enfant prit instantanément la mouche. Nul besoin de saisir le sens de ce mot pour le deviner peu flatteur.

« C'est toi le nid-popote-âme, bredouilla-t-elle en roulant sur le dos, un coussin serré contre son torse. Agathe, dit à Helle que c'est elle le nid-popote-âme ! »

De son bureau, la jeune femme poussa un énième soupir.

« Non. »

Déçues sans pour autant avoir de réelles raisons de l'être, les enfants se fendirent à leur tour d'un long soupir agacé. A sept ou huit ans, l'on s'ennuyait aussi vite que tombait la neige au nord : être surveillées par leur aînée ne leur paraissait pas très amusant, si la concerné refusait de se prêter à leurs jeux. C'était même d'un ennui mortel. Alors elles auraient pu bien sûr trouver autre chose à faire qu'embêter cette pauvre femme, comme le fit comprendre Lina à plusieurs reprises, mais l'entêtement était malheureusement un des points qu'avaient ses trois camarades en commun ; une fois accrochées à leur idée, les fillettes ne lâchaient prises que forcées contraintes. Par la voix d'un adulte respecté, par exemple. Ou la perspective d'une punition désagréable.
Deux menaces qu'Agathe, à tout juste dix-huit ans et à peine vêtue de ses premières robes, ne pouvait décemment pas faire planer au-dessus de leurs petites têtes. Endurer était de mise.

« Agaaaaaaathe. Occupe nous, occupe nous ~ »

Entraînée à accuser critiques et méchancetés depuis la venue au monde de cadets bien plus jolis et brillants qu'elle, la dame s'était heureusement forgé des nerfs d'aciers. Sille l'aurait écoutée, ne serait-ce que par crainte de représailles ; les autres, en revanche, ce n'était pas certain. Intimider la progéniture des voisins n'était pas tâche aisée, surtout lorsque ces garnements savaient parfaitement que personne n'oserait lever la main sur eux.
En cas de problème, les petites filles avaient appris à se cacher derrière les éclats assurés et rassurants de Pernille. Contre elle, évidemment, il n'y avait rien à faire. Elles le savaient parfaitement.

« Allez allez ! S'il te plaîîîîît ! »

Doucement, la jeune femme se redressa. Heureusement, par tout ce qu'il y avait de sacré, qu'elle ne les détestait pas. La vie autrement aurait été invivable.
Posée et indolente, Agathe vint coucher une large feuille blanche sur la table basse fixée au centre de la chambre. Les plaines étaient propices au dessin et aux écrits : les wagons avant, qu'elle ne quittait jamais, étaient toujours des plus tranquilles durant la traversée des zones planes. Rédiger son testament au rythme des tournants et sauts intempestifs qu'engendraient les dunes n'aurait pas été du meilleur effet.

« Bien. Je vais vous expliquer des choses utiles, en ce cas.

-Savoir comment on fait les enfants, c'est utile aussi ! »

Pernille, pour qui cette obsession avait remplacé celle des cadavres – à la joie mitigée de ses parents – fut très mécontente de voir la dame chasser son intervention d'un geste soigné du poignet. Le mouvement de sa chevelure, fort heureusement, détourna bien vite la fillette de son chagrin momentané.
Agathe avait de très beaux cheveux, noisettes et extrêmement longs, toujours regroupé en queue de cheval : ainsi, lorsqu'elle s'asseyait sur ses mollets, ils venaient onduler élégamment sur les plis de sa robe foncée. Elle trouvait cela si joli et si parfaitement féminin que, étonnamment, elle n'avait même jamais osé lui demander de les coiffer. Il est des choses que l'on se complaît à simplement regarder et en ce sens, les cheveux d'Agathe reflétaient pour elle une certaine forme d'art. Quelque chose qu'il ne fallait pas abîmer.
Distraite et penaude, elle passa une main dans son carré brun.

« Voilà, hmm. » Quelques traits élégants avaient déjà noircis la feuille ; les yeux emplis de questions, Pernille fixa les formes géométriques qui naissaient sous la plume imbibée d'encre. « Ce ne sera pas tout à fait exact, mais je suis plutôt douée pour ça. »

'Être douée en géographie, cartographie et toutes cette physique ne te sera jamais utile, ma fille' n'avait cessé de lui répéter son père.
'Cet homme a été très impressionné par ma carte du monde, pourtant', avait-elle un jour répondu.
Il avait rit d'elle et puis, quelques mois auparavant, le garçon en question était venu lui demander sa main.

Tout de suite, on riait beaucoup moins.

« Tu dessines quoi ?

-Le monde. Vous n'avez pas encore eu de cours d'histoire, je suppose, mais... Ça – elle saisit un pastel bleu pour en colorier grossièrement les deux-tiers – ce sont les océans. Le reste, c'est la terre. »

Trop fascinée par cette mappemonde soignée pour protester qu'apprendre n'était pas très amusant, Pernille plia les jambes et posa sa tête contre ses genoux. Ses amies, juste à côté, observaient un silence semblable.

« Avant il y avait plusieurs continents, mais maintenant il n'y en a plus que deux. Celui-ci, à l'est, et celui-là, à l'ouest. Il y a deux grands ponts qui les rejoignent.

-On passe dessus !

-Oui, Sille. On fait le tour, comme... ça. »

La main agile d'Agathe traça un trait rouge en travers de la carte.

« Avant, vous voyez, on pouvait vivre partout sur le globe – ou presque. Le climat et les guerres, les famines et les inondations, toutes ces choses ont fait que la plupart de la planète est inhabitable désormais ; les seuls endroits où l'on peut vivre sans trop de craintes sont dans ce train, ici, ici, ici, ici et là. »

Sans prêter attention aux plaintes que commençait à émettre Helle, trop peu intéressée par trop peu de sujets malgré ses douze ans, la cadette Dresselaers se surprit à réfléchir sérieusement – chose qui ne lui arrivait que rarement, comme en aurait témoigné son aînée avec une gentillesse toute sororale. Quatre des cinq points bleus, avantageusement placés près de la ligne rouge, lui disaient quelque chose ; elle tâcha, concentrée, de se souvenir où elle avait bien pu les voir.
Une fois les mathématiques faites, elle claqua des doigts.

« Ohhh, nos arrêts !

-Exaaaact. » Satisfaite d'avoir capté l'attention d'au moins une personne, Agathe ébouriffa gentiment les cheveux de l'enfant. « Au Nord il y a la capitale polaire d'Adriaenssens ; au bout des terres de Roosengardt, la ville d'Haeyer ; au beau milieu du désert Malmendier, on arrive dans la cité-état de Cnaacq et le dernier, là, c'est la capitale du Coryn – Corringer. »

Les noms, quoi qu'elle prêtait rarement attention aux annonces en détail, sonnèrent familier à ses oreilles. Vu le peu d'arrêts qu'ils faisaient en tout, c'étaient chaque fois des événements en soi : l'enfant attendait tout particulièrement la montée des nouveaux passagers pour voir si, par hasard, certains visages pourraient s'avérer intéressants. Différents.
Du moins était-ce le plan. Dans les faits, elle finissait toujours malade comme la pire des grippées dès que ce train avait le malheur de s'arrêter. « Mal de l'immobilité », qu'ils appelaient ça : pour tous les enfants nés dans un de ces wagons, ainsi que pour ceux y ayant passé de trop nombreuses années, l'absence de mouvement se ressentait aussi durement que l'inverse pour les nouveaux arrivants.
Ceci dit, puisqu'elle n'aurait jamais à sortir d'ici, le problème n'en était pas un.

« Et ce point-là ? »

Le doigt de Lina, toujours soigneuse, se contenta de survoler le point bleu planté au milieu de l'océan.
Agathe, songeuse, tapota ses lèvres du bout de sa plume.

« C'est un peu particulier... Je n'en ai jamais vu d'images ou de reproductions, mais il me semble qu'il s'agit d'une sorte de bateau fermé, très grand, sous l'eau. A vrai dire, comme ils ne remontent jamais, ça ne nous est pas d'une grande utilité.

-Ahhhh ! Ennuyeux, ennuyeux – je veux jouer, pas étudier ! »

Les grands yeux de Pernille, luisants de reproches, mirent fin aux protestations d'Helle sans même qu'un mot n'ait à être prononcé. Comme chaque fois, un silence pesant accompagna le combat muet que se livrèrent leurs ego hypertrophiés ; comme chaque fois, lèvres mordues presque jusqu'au sang, ce fut la plus âgée qui baissa la tête. Contrite, vexée, agacée. Indignée.
Malheureuse.
Pernille, satisfaite, offrit un grand sourire à Agathe.

« Continue, s'il te plaît. »

Sourde aux battements de cœurs impérieux qui criaient leur désaccord dans son dos, jamais elle ne se retourna pour vérifier que quiconque appuyait sa décision ; jamais elle ne détourna les yeux pour observer, au hasard d'un miroir, les couteaux pointés vers son pauvre cou au premier angle mort. Jamais. Elle se contenta de remarquer que les jolies mains d'Helle tremblaient, et songea que sa colère était parfaitement stupide ; posa son menton dans la coupe que formaient ses paumes, indifférente à la douleur ou à l'ennui des autres.
Incapable de perdre. Et quelle gloire y avait-il à rire de chiens fermement enchaînés, bien en sécurité derrière sa ligne rouge ?

Rien. Aucun honneur. Aucune gloire. Aucune justice.

Mais qui s'en préoccupe, si c'est amusant ?

« Tu sais, Helle, finit-elle par soupirer lorsqu'elle en eut marre d'entendre son amie souffler de mécontentement, je ne te force pas à rester ici. La porte est là, tu vois ? »

Son propre sourire se fit rictus quand les joues de la fillette rougirent de honte et de colère mêlées. Sille, derrière une main peu discrète, étouffa un rire moqueur.
Bien sûr, qu'elle était dos au mur : bien sûr, qu'elle ne partirait pas. Bien sûr qu'elle ne voulait pas entrer dans les mauvaises grâces de la petite fille de Monsieur Dresselaers, que ses parents auraient vu ça d'un très mauvais œil et que, malgré son jeune âge, elle parvenait parfaitement à en saisir toutes les conséquences. Bien sûr, oui. Alors elle ne bougerait pas.

« Non, tu préfères rester ? »

Lèvres ourlées d'une joie mauvaise, l'enfant lui accorda un plissement de nez méprisant.
Même Agathe ne pouvait rien y faire. Même Dieu, si les hommes avaient encore su comment prier, aurait été bien incapable d'arrêter cette machine infernale.

D'un arrêt à l'autre, ce sont les Dresselaers qui décident.
D'un arrêt à l'autre, puis à l'autre, puis à l'autre, puis à l'autre.
Parce que ce train, on y naît et on y meurt.
A supposer bien sûr qu'on ait le droit d'y rester.
Ce serait vraiment trop bête d'être jeté dehors, n'est-ce pas ?

Le regard d'Helle lança des appels au secours sous ses paupières crispées par l'effort. Pourtant son sourire désolé, lorsqu'elle releva la tête, aurait charmé le plus têtu des misanthropes.
Habituée à être tour à tour traitée comme une amie et un déchet, elle commençait à en perdre toute notion de confiance et d'affection quelle qu'elle soit. Ses doigts, doucement, se décrispèrent ; lissèrent le tissu de son pantalon. Elle n'était pas comme Lina. Il lui restait encore trop de fierté.

« Pardon, ça m'intéresse finalement. Tu peux continuer, Agathe, s'il te plaît ? »

Trop, trop – beaucoup trop.

« Ah, oui. Donc, hm... »

Tout sauf inquiétée par le regard glacial planté entre ses omoplates, Pernille interrompit leur aînée pour poser quelques questions sans importance. Insouciante et sereine, entourée et pourtant parfaitement seule sur son joli piédestal. Toute gentille. Toute mignonne. Toute douce et blanche comme la neige.

Je veux la tuer, je veux la tuer, je veux la tuer.

Et elle qui, langue tirée, claque des talons à grand renfort de « eh bien faites donc ». Personne n'osera, personne n'ose jamais : rien ne changera parce que jusque là, rien n'a jamais changé.
Yeux rivés sur la carte d'un monde mutilé par la haine et des colères millénaires, elle parvient encore à y croire. Rien n'a jamais changé.

Reine avant même d'être Pion.

Échec et Mat, le monde.

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« … Et elle est fâchée, je crois. Dis, tu m'écoutes ? »

Les doigts de Pernille vinrent tirer la manche de sa sœur avec une insistance presque inquiète. Elle était bien trop souvent dans la lune, ces derniers temps ; et quand elle ne l'était pas, alors c'était que ses grands yeux bruns s'évertuaient à déchiffrer des cours auxquels sa cadette se fichait bien de comprendre quoi que ce soit. Même ses éclats de voix, autrefois si fréquents, se faisaient de plus en plus rares. Elle souriait différemment. Marchait encore plus élégamment. Ses formes, autrefois inexistantes, se faisaient à présent discrètes ; elle ne l'écoutait plus autant. Plus du tout autant.
Accrochée à sa taille pour mieux la noyer de suppliques égoïstes, l'enfant s'en rendait compte mieux que n'importe qui. Else lui échappait. Elle glissait doucement mais sûrement vers le monde des adultes, des belles robes et des soucis de grande personne – et ça, elle ne pouvait tout simplement pas le supporter. Ses amies étaient bien gentilles mais pas toujours de son avis ; ses cousins étaient drôles, mais les garçons avaient une notion des jeux ben à eux qui lui donnait rarement l'avantage. Else, elle, lui tirait les oreilles et lui coiffait les cheveux, savait la conseiller et partager ses rires sans jamais y être forcée. Else était son modèle en tout.
Alors puisqu'elle ne voulait pas grandir trop tôt, sa sœur aussi devait attendre encore un peu. Juste un peu.

« Helle est fâchée, j'ai bien compris, soupira la demoiselle en rajustant une mèche derrière son oreille. Mais pourquoi tu ne t'excuses pas, alors ?

-Heh ! Pourquoi ? J'ai rien fait. »

La plus âgée lui lança un coup d’œil sceptique : malgré tout, elle ne chercha pas à connaître le fond de l'histoire. Ça n'avait pas grande importance.

« Alors laisse tel quel. Elle finira bien par en avoir marre de bouder. »

Ce n'était pas comme si ce genre de querelles était chose rare. Puisqu'il avait apparemment suffit d'un rien pour embraser la mèche, il suffirait également d'un rien pour en raviver une autre ; pas de quoi se briser les reins à tenter de se faire pardonner. Les personnes importantes resteraient quoi qu'il arrive. Ou, du moins, ceux qui décideraient de s'en aller ne méritaient pas de l'être.
Else non plus, n'était guère sentimentale. Les compromis ne lui allaient pas au teint.

« Hmmmm. Sûrement, oui... » Tout en s'appliquant à faire sa plus belle moue, Pernille leva la tête vers sa sœur. « Diiis, tu joue avec moi ?

-J'ai des choses à faire, Nille. Plus tard, on pourra –

-Else ! Tu dis toujours plus tard et plus tard et plus tard et c'est jamais au final ! Alleeeez ! »

Les yeux humides de la plus jeune soutinrent ceux de son aînée sans ciller. De ses petites mains gantées, elle continua de tirer doucement sur l'ample manche de sa chemise ; gémit, supplia. Ses s'il te plaît aux accents presque sincères, pourtant, laissèrent cette fois sa cible de glace. Avec toute la douceur dont on pouvait faire preuve pour forcer Pernille à lâcher prise, elle la repoussa sur le côté : comme électrifiée, l'enfant sentit ses yeux s'emplirent de vraies larmes.

« Je dois vraimen –

-Je m'en fiche ! Tu peux y aller, j'ai pas besoin de toi pour m'amuser de toute façon ! »

D'un revers de manche, elle essuya machinalement ses yeux brillants de colère.

« Y'a plein de gens mieux que toi qui voudront bien, eux ! »

La main désolée qu'Else voulut passer dans les cheveux bruns de sa petite sœur fut chassée d'un violent mouvement de poignet. A peine eut-elle le temps de masser ses phalanges endolories, pestant intérieurement contre le caractère impossible de cette idiote, que sa silhouette menue s'était déjà engouffrée dans les wagons principaux.

Immobile près de la cloison, la jeune fille se mordilla la lèvre. Plein de gens, hein...

Dis plutôt personne, soupira-t-elle en traçant une belle croix sur son programme de l'après-midi.


Dernière édition par Pernille Dresselaers le Dim 27 Avr 2014 - 22:04, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: DRESSELAERS Pernille { Le long des rails.   DRESSELAERS Pernille { Le long des rails. Icon_minitimeDim 27 Avr 2014 - 22:02

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« Toc toc.

-...Qui est là ?

-C'est le magicien. Je fais des bijoux avec les larmes des enfants.

-...C'est même pas vrai, tu dis n'importe quoi. Va-t-en.

-Tu me laisses rentrer ?

-Non. Je te déteste aussi. »

Sans prendre note du refus de la petite voix étouffée provenant du placard, le jeune homme fit un signe de la main à la personne sur sa droite avant de se glisser à son tour dans le réduit. Une fois la porte fermée derrière lui, il se retrouva presque entièrement dans le noir ; seul un mince filet de lumière blanche serpentant sous le battant arriva à lui donner une idée d'où il pouvait poser les pieds.
Vu la taille du placard, il parvint rapidement à trouver une petite épaule sur laquelle s'appuyer. Ses sanglots, ponctués de quelques reniflements élégants, s'entendaient depuis l'extérieur ; à présent qu'il était près d'elle, il n'eut qu'à pousser une boite en carton pour se créer une place suffisante et s'y asseoir. Ce n'était pas le plus confortable qui soit, mais après tout rares étaient les cachettes équipées de coussins et de couvertures. On était pas censé y passer la nuit.
Ni la journée, d'ailleurs.

« Allons bon. Comment ça, aussi ? »

Deux mains autoritaires repoussèrent sa tentative de câlin.

« Rune. Tu t'en vas.

-Tu vois bien que je suis installé, non ? Ahhh, Pernille, si ingrate. Moi qui croyais te faire plaisir en venant te rendre visite chez toi... soupira le jeune homme en tirant la joue de sa cousine. C'est pas très joli et en plus, c'est mal éclairé. J'espère pour toi que tu auras peu d'enfants, parce que...

-J'en aurai dix, marmonna la fillette en massant sa joue. Et pas avec toi.

-D'ici à ce que tu puisses en avoir, jolie demoiselle, je serai déjà en âge d'être grand père. Aucune envie d'attendre aussi longtemps, sois rassurée.

-Je préfères Aksel de toute façon. »

Un rire franc et spontané, beaucoup trop fort pour la bienséance, échappa au garçon en entendant cela. Quelques coups discrets frappés contre la porte, fort heureusement, semblèrent le rappeler à ses devoirs.

« Ah, oui. Ta sœur veut visiter ton humble demeure, elle aussi. Elle peut ? »

Pernille, visage enfoui contre ses genoux, marmonna quelques paroles qu'elle ne pensait pas. Ne s'attendant pas à un assentiment clair de la part d'une fille aussi fière et butée, le jeune homme prit cela comme un oui ; jambe gauche dépliée, il vint pousser la porte entrouverte. Juste assez pour que, saisissant le message, une silhouette féminine ne se faufile à son tour à l'intérieur.
Avec les jambes de Rune qui prenaient toutes la place, elle eut à peine fermé derrière elle que ses pauvres pieds faillirent bien l'envoyer heurter les boîtes et les genoux des deux autres. Pour s'éviter ce genre de mésaventures encombrantes, la jeune fille s'autorisa donc à doubler le destin sans plus se préoccuper des bonnes manières : dans un bruit de tissu froissé, quelques protestations et des rires étouffés, elle s'écroula littéralement sur les genoux de son cousin et ceux, dépliés de force, de sa petite sœur.
Le temps pour elle de s’asseoir plus convenablement sur leurs jambes, Else passa ses mains pour une fois nues dans les cheveux de sa cadette. En sentant ses doigts agiles remettre en place la barrette finement ornée accrochée derrière son oreille, Pernille ne put retenir un sourire ; et ça, malgré le noir, sa grande sœur le sentit parfaitement.
Tu me pardonnes, dis ? Je t'aime très fort quand même.

« Alooooors. » Repoussant ses longs cheveux derrière son épaule, la jeune fille accrocha ses bras au cou de Pernille. « Tu as déménagé ici, finalement ? Je croyais que tu voulais jouer sans moi.

-Oui mais non, renifla l'enfant en enfouissant son visage contre son aînée. Je veux plus. »

Plus jamais. Les autres sont stupides et méchants. Je déteste les autres. Les autres ne m'aiment pas. Les autres ne veulent pas de moi.

« ...Je suis trop bien pour eux. »

Le rire de Rune fut étouffé par la cacophonie des moteurs et des cheminées amorçant l'arrêt : depuis leur cachette, mal isolée et prévue uniquement pour stocker des objets ne craignant pas d'être abîmés, ils sentirent la secousse avec une violence telle qu'ils faillirent bien venir heurter la cloison d'en face. Seul le bras du jeune homme, tendu en travers du placard, empêcha les deux fillettes d'aller s’assommer contre la porte – sans les protéger pour autant des objets qui, en équilibre précaire sur les étagères derrière eux, pouvaient encore venir leur fracasser le crâne à tout moment.
Voilà pourquoi il ne fallait jamais, jamais sortir des zones sécurisées.
Plus terre-à-terre que ses deux cousines, occupées à pousser des exclamations haut perchées en riant, Rune se redressa et les tira à l'extérieur d'un mouvement vif.

Encore accrochées l'une à l'autre, les filles Dresselaers jetèrent des regards perplexes par la grande vitre éclairant le couloir du wagon. Dehors, le paysage commençait déjà à s'immobiliser sur les formes courbes de bâtiments d'avant-guerres.

« ...Eh bien. Bienvenue à Haeyer, mesdemoiselles. »

Mars 6828 - 18h23 – ville d'Haeyer


Ashl, ashl, betrwitten asth lash ;
Atwin, atwin, belitzen sasht valsh...


« Maman... »

Les lèvres de l'enfant tremblèrent à peine ; les mots, fragiles, n'eurent pas même la force de faire vibrer l'air. Son estomac lui faisait vivre l'enfer. Impossible de manger quoi que ce soit, impossible de trop boire – impossible de se lever, impossible de faire passer le mal. Allongée sous une fine couche de draps brodés d'argent, tantôt frigorifiée tantôt brûlante, elle faisait peine à voir.
Tu t'habitueras, mon cœur. Dors, dors.
Cœur en vrac, intestins emmêlés, Pernille referma ses doigts osseux sur le rembourrage du coussin. Toutes les lumières de sa chambre avaient été éteintes. Seule la veilleuse, posée sur sa table de chevet, l'empêchait de pleurer chaque fois que ses crampes d'estomac venaient l'arracher au sommeil. Difficilement impressionnable, elle l'était ; lorsque fiévreuse, c'était une autre histoire. Elle avait mal. Peur. Ses nerfs à vif l'empêchaient de penser ou d'agir correctement – surtout de penser. Malade comme elle l'était, faible et alitée, personne ne craignait qu'elle aille bien loin.

Yeux à demi clos, elle questionna les ténèbres du regard.

« … Quelqu'un ? »

Seul le silence lui répondit. Le mouvement des roues refusa de chatouiller les pieds nus qui vinrent prudemment fouler le sol : ils n'étaient pas encore repartis. Ça ne faisait que deux jours qu'ils étaient arrêtés, après tout. Encore une, deux journées peut-être et sa berceuse reviendrait résonner entre les cloisons froides de sa chambre. Quelques jours et le mal serait passé. Quelques jours, plus que quelques jours...
Main sur le rebord du lit, phalanges crispées, la demoiselle serra les dents pour tenter d'ignorer la douleur. Elle avait l'habitude. Quatre fois par cycle, toujours aux mêmes moments, aux mêmes endroits – mal de l'immobilité, et un million de raisons médicales pour expliquer ce qu'elle avait que sa sœur et ses parents n'avaient pas.
Les frissons ne détestaient qu'elle. Les médecins ne haïssaient qu'elle. Frappée par l'injustice, sourde aux cris du hasard, Pernille aurait tout donné pour que ce train ne s'arrête tout simplement plus. Qu'il aille loin, loin, jusqu'au bout de la terre : qu'il fasse mille fois le tour du monde sans jamais ralentir. Que personne n'en descende, que personne n'y monte.
Que le monde dehors se flétrisse et disparaisse lui était égal.

Tout ce qui lui importait, c'était de ne plus jamais être malade.

Debout sur ses jambes tremblantes, appuyée au mur, l'enfant esquissa quelques pas hésitants. Les larmes lui chatouillaient cils et paupières, dansaient au bord de ses yeux dépareillés. Ça faisait mal. Sa mère, son père, Else, Aksel, Rune, Svante, Detlev – quelqu'un, n'importe qui ? Le noir lui comprimait le cœur comme une couverture malveillante. Un, deux, un, deux. Il fallait que quelqu'un la rassure, que quelqu'un soit là ; perdue entre songes et réalité, même une femme de ménage aurait fait l'affaire. Gauche puis droite, droite puis droite, sa tête qui tournait, son corps qui l'emportait où bon lui semblait au rythme des vacillations auxquelles le sol l'avait toujours habituée – foutu ballet, elle ne savait pas danser. Aussi à l'aise sur ses deux pieds qu'un fermier fraîchement embarqué en mer, tentant tant bien que mal de ne pas perdre l'équilibre à chaque nouvelle enjambée, elle vint s'appuyer de tout son poids contre la cloison aussitôt que celle-ci fut à portée de bras.
La porte, lourde et récalcitrante, obtempéra dans un drôle de crissement.

« Else... ? »

Silence. Obscurité. Pâle, poing pressé contre ses lèvres pour étouffer sa toux. Inquiète, fiévreuse. Et personne, personne – personne, il n'y avait personne. Rien qu'elle, et il n'y avait personne.
Larmes aux yeux, dépitée, elle fit demi-tour et passa prudemment dans le couloir principal. Else avait dit qu'elle resterait près d'elle. Elle avait dit, elle avait promis – « tant que tu n'iras pas mieux », alors où était-elle ? Ses maux de tête n'avaient pas cessé. Else, Else...
Elle avait besoin d'elle plus que les adultes pourraient un jour y prétendre. Ils avaient plein d'enfants à rendre comme eux. Plein de filles, plein de fils, de neveux et de petits-enfants. Même leurs parents avaient deux filles.
Mais il n'y avait qu'une Else, une seule, et c'était sa grande sœur.
Alors où tu es ?

« Else ? »

La clarté des premiers wagons la força à presque fermer les yeux. Le soleil, par les fenêtres, brillait suffisamment fort pour rendre inutile l'usage de lumières intérieures ; prudente malgré la peur panique qui lui nouait les entrailles, elle parcourut le compartiment sans jamais laisser ses mains battre dans le vide. L'absence de mouvement faisait tout tanguer. Elle attendait les tressautements du train comme l'on attend la reprise d'un hoquet – crispée, malade, nerveuse.
Et tout le monde s'en fichait.
Ce n'était pas la première fois qu'elle se sentait seule et abandonnée. Else disparue, ses parents occupés, elle n'avait plus personne sur qui se reposer. La hiérarchie inconsciente imposée entre elle et ses amies l'empêchait de pleurer devant elles : or c'était tout ce dont elle avait envie, perdue et fébrile, invisible aux yeux de toutes ces personnes occupées à discuter gaiement de choses dont elle saisissait à peine les syllabes. Pleurer.

« … Else ? »

Le deuxième compartiment la laissa aussi désœuvrée que le premier. Et le troisième, et le quatrième, et le suivant, et le suivant, et le suivant,
et le suivant, et le suivant,
et le suivant,
et...

« … Uhhh... »

Agrippée à la poignée d'une porte, perdue entre des secondes classes allant et venant pour installer leurs affaires, Pernille sentit ses genoux faiblir sous elle. Else, Else, Else, j'ai peur, Else – incapable de se redresser, décoller le front de la cloison, demander de l'aide pour retourner dans sa chambre. Incapable d'admettre, tout simplement, que ses parents et sa sœur avaient leur propre vie ; leurs propres ennuis, leurs propres désirs, leurs propres devoirs.
Qu'il n'y avait pas qu'elle, toujours au centre de tout.
Qu'il n'y aurait jamais qu'elle.

« Mademoiselle ? Vous allez bien ? »

Que fallait-il qu'elle fasse pour être aussi forte et courageuse que sa sœur, hein ? Pour être gentille et parfaite et aimée et...

« Mademoiselle ? »

D'un geste maladroit, brûlante de fièvre, la petite fille tenta de repousser la main posée sur son épaule. Personne ne l'aimait, hein ? Ce n'était même plus drôle. L'indifférence et la fierté lui dévoraient la moelle épinière, les os et la chaire : elle se faisait mal à elle-même chaque fois qu'elle écrasait des pieds, que son rire sonnait affreusement faux et méchant. Le prix à payer la rendait chaque fois un peu plus mauvaise, plus suffisante.
Ces gens, ne la voyaient-ils donc pas ? Est-ce qu'ils étaient trop occupés pour la remarquer ? Alors qu'elle marchait pieds nus, vêtue d'un débardeur immaculé et d'un short plus finement découpé qu'ils n'en auraient jamais ? Qu'elle titubait ? Que ses mains agrippaient la première aspérité pour ne pas tomber, qu'elle avait le souffle coupé ?

Quels menteurs !

Menteurs, menteurs, menteurs, menteurs !

Ils s'en fichaient et c'est tout ! Cruels, stupides, méchants. Ils l'auraient laissé mourir là plutôt de que de la ramener à ses parents, alors pourquoi aurait-elle dû faire le moindre effort ? Qu'ils commencent par être gentils avec elle, et peut-être qu'elle le serait avec eux ! C'était facile à comprendre, non ? Il fallait vraiment n'avoir aucun cœur pour la laisser là sans rien faire. Rien que du charbon et des cendres.

Qu'ils... Meurent, tous.

« Mamaaan, il fait noir... »

Son murmure se perdit dans le tissu brun et crème. La jeune femme qui l'avait abordée, douce et délicate, la serra contre elle pour lui éviter de tomber ; yeux embués, Pernille passa maladroitement ses bras autour de sa taille.

« Me laisse pas toute seule, me laisse pas toute seule... »

Les paroles rassurantes de la dame n'y changèrent rien. Elle ne sentait plus ni ses doigts, ni ses joues, ni ses pieds. Tout était trouble, noir, changeant, foncé – ça tournait plus vite que n'importe quelle machine et, malgré l'effort qu'elle mit à rester accrochée, appuyée contre ce ventre qu'elle sentait arrondi, sa conscience tout comme ses jambes finirent par l'abandonner.

Me laisse pas toute seule, s'il te plaît.

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« Tu sais, moi aussi j'aimerais rester avec toi tout le temps et m'amuser. »

Mais.

« J'ai des responsabilités, en tant qu'aînée... Il faut que je me débrouille, tu comprends ? »

Que je me fiance, aussi.

« Ça ne veut pas dire que je m'en vais ou que je t'abandonne. »

Jamais.

« J'en parle avec Rune, tu sais ? On verra comment on s'arrange. Alors ne t'en fais pas. Ne fais pas de bêtises. »

Ne m'inquiète pas comme ça, je t'en prie.

« … On t'aime, Pernille. »


Mars 6828 - 09h00 – abords d'Haeyer



« Vous voulez jouer ? »

Pernille, un grand sourire aux lèvres, acquiesça presque violemment de la tête. Elle était contente à s'en décrocher la mâchoire à force de parler et de sourire ; sa santé retrouvée, l'enfant se montrait toujours spécialement enquiquinante et vive – l'un allant bien trop souvent avec l'autre.
Aujourd'hui, la cible de son contentement était la jeune personne qui l'avait aidée lors de ses errances. Cela lui avait demandé un peu d'inventivité et de mémoire pour la retrouver parmi wagons et compartiments, et plus encore pour obtenir le droit de rester avec elle, mais une fois chose faite elle s'était juré de ne plus la lâcher de la journée. Cette demoiselle – ou dame, comme en témoignaient ses robes et la courbe familière de son ventre – semblait être la gentillesse et la douceur même : Pernille, en quête d'affection que sa sœur et ses parents rechignaient à lui donner, s'était tout naturellement entichée d'elle.
Contre son gré, certes. Mais puisqu'elle était gentille, il n'y avait vraiment aucun problème. Non ?

« Oh, mais c'est que...

-Alleeeeez ! Ça va être marrant !

-Mais, je...

-Caroliaaaane ! Allez, viens ! »

Trop bonne pâte, trop douce et conciliante. Aucune chance.

« D'accord, mademoiselle, d'accord. »é

Aveugle ou du moins oublieuse des regards mauvais posés sur l'enfant dont elle saisit prudemment la petite main gantée, Caroliane ne cessa jamais de sourire. Pernille, de son côté, en faisait autant ; elle aurait pu illuminer toute la seconde classe, pourtant gigantesque, avec des dents aussi blanche et autant de bonheur à revendre. Il en fallait vraiment peu pour lui faire oublier que, justement, on l'oubliait. Else était trop occupée avec ces histoires de succession et de mariage pour avoir le temps de penser à elle. Ou jouer avec elle, surtout. Parce qu'évidemment, qu'elle pensait à elle – il suffisait de voir l'application qu'elle mettait à la border chaque soir, une fois la petite endormie, pour savoir qu'elle n'était pas prête de jeter sa cadette dans la fosse aux lions. Elle n'aurait jamais laissé qui que ce soit lui faire mal.
Mais ça, Pernille était trop petite pour le comprendre.

« On va jouer devant.

-Mais je n'ai pas le droit de...

-Ça va, j'ai prévenu papa et M. Watrigant ! Ils te diront rien si t'es avec moi, de toute façon. »

Difficile de rétorquer quoi que ce soit à ces joues gonflées et cet air profondément supérieur. L'enfant avait l'air de savoir ce qu'elle disait, alors la dame se convaincu vaille que vaille qu'elle avait raison : revenir avec une amende ne plaisait à personne, surtout si le motif était aussi stupide. Chacun dans sa partie du train et tout allait très bien. Les deux jeunes femmes, d'accord sur ce point sans pour autant connaître l'avis de l'autre, marchèrent à petits pas de sénateurs jusqu'à la séparation entre les premières classes et les secondes. Il y avait entre elles un compartiment vide censé servir à l'entrepôt des affaires de certains passagers de l'arrière : peu venaient avec des meubles, étant souvent trop pauvres pour s'acheter le ticket adéquat à cette formule, mais on en transportait certains tout de même. Fermement rivés au sol, ils étaient amarrés de sorte à ne pas tomber ou s'abîmer durant les parties plus violentes du trajet. D'autres pièces, quant-à elles, contenaient le vieux mobilier de l'avant. Quand une Dresselaers cassait un meuble et que ses parents jugeaient trop laid de le conserver, il allait là-bas en attendant d'être mis en pièce et de resservir à autre chose ou d'être brûlé ; en dernier recours, il pouvait aussi être jeté à un quelconque arrêt. C'était tout de même rare. Il y avait trop de chose à faire avec bois, métal et ressorts pour tout balancer par la fenêtre.
Pensive, Pernille s'arrêta et fit mine de chercher autour d'elle.

« A quoi on pourrait jouer...

-Au plateau ?

-Noooon ! C'est pas drôle, ça, je perds tout le temps, geignit-elle en croisant les bras. Non non non, je veux un truc plus – »

Dans un claquement sonore, la silhouette frêle d'Else s'engouffra dans le compartiment. En posant les yeux sur sa sœur, elle cessa de courir – ça se voyait à sa respiration saccadée qu'elle avait dû aller un peu plus vite qu'au pas de course – pour se rapprocher à grands enjambées. Caroliane, intriguée, les regarda échanger un bref regard avant que l'aînée ne se mette à parler, pas paniquée mais pas loin.

« Il ne faut surtout pas qu'on me trouve. Ça te dirait de jouer à cache-cache, hein, dis ? »

Les deux mains sur ses épaules serraient fort ; dans les yeux de sa sœur, il y avait plus que de la buée. Le cœur serré, inquiète, la plus jeune acquiesça aussi fort qu'elle put pour chasser tous les malaises qui pouvaient peser sur les épaules trop frêle d'une petite fille déjà assez grande pour être considérée comme une adulte. Elle était si jeune, pourtant.

« Bien sûr ! Tu veux bien, Caro ? »

La jeune femme, un peu perdue, fit oui de la tête sans trop comprendre.

« D'accord. D'accord. Allez, vite, on va... Là ! Personne ne va jamais là ! »

En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, la main d'Else se referma sur celle de Pernille qui se referma sur celle de Caroliane, et les trois demoiselles se retrouvèrent enfermées dans une des pièces du compartiment. Elles étaient plus larges que les placards habituels, moins que les chambres des premières classes ; il y avait largement la place de jouer à l'intérieur, remarqua la petite fille avec toute la perspicacité de son jeune âge. C'était l'important.

Le regard suspicieux d'Else se posa sur la future maman.

« Qui êtes vous ?

-C'est mon amie !

-Oh. Enchantée, alors. »

Ces clarifications faites, elles échangèrent quelques paroles sans importance ; puis chuchotèrent quand, dehors, plusieurs bruits de pas se mirent à résonner.
Comme le destin est bien fait, ils s'arrêtèrent juste devant la porte.

« Else, c'est qui ?

-Shhh ! Y'a papa, et... »

Une lourde secousse les envoya valser dans un coin de la pièce.
Aussitôt, ce fut le chaos le plus complet.

Pernille sentit les murs s'ébranler ; tendit la main, complètement terrorisée, la bouche ouverte sur une plainte qui n'attendait qu'un mot, un seul mot de la bouche de sa sœur pour trancher l'air plus vivement qu'un poignard. Elle se serait plantée droit dans le cœur des hommes à l'extérieur, ça ne fait aucun doute. Ils l'auraient entendue et auraient ouvert. Elle n'attendait qu'un mot.
Sonnée mais encore en un seul morceau, Else posa son doigt sur ses lèvres.
Tais toi, Pernille, je t'en supplie.

Alors elle se tut.

Une nouvelle secousse projeta Pernille, qui ne s'était pas agrippée, à l'autre bout du compartiment ; elle glissa jusqu'au mur et sa tête le heurta violemment, au point de lui en faire voir des étoiles. Caroliane, oubliée depuis longtemps, se tenait la tête et le ventre près d'Else. Else se tenait à un meuble plus solide.
Mais moi ? Tais toi, mais moi, tais toi, tais toi.
Mais j'ai mal. Else, Else, Else...
Les deux mains sur son crâne, la fillette retint ses pleurs du mieux qu'elle put. Elle savait qu'elles n'auraient pas dû être là. La sonnette d'alarme résonna dans sa tête, plus violente que le coup qu'elle venait de recevoir et qui poissait ses doigts de sang ; on devrait pas être là. C'était évident. Ça crevait les yeux et les tympans. Cette pièce était interdite pendant les zones rouges, et une zone rouge il y en avait une juste –

Là.

« PERNILLE ! »

Oubliées les précautions, les fleurs dont elle ne voulait pas, les responsabilités qui devaient s'envoler et le silence de mort auquel elle avait contraint sa cadette ; accrochée à la poignée, incapable de faire un pas sans risquer de tomber à son tour à cause du terrain rocailleux qui entraînait le train dans une véritable danse endiablée, elle tendit la main dans le vide.
Pernille s'élança, tenta de se redresser ; chuta.
Comme l'ombre qui, en écho aux cris affolés se mélangeant dans ses oreilles, s'écrasa sans autre forme de procès sur ses jambes.

Et enfin, le silence.

Un silence de mort, livide et pâle comme les neiges. Pernille, perdue, incapable d'émettre le moindre son, se redressa sur les coudes ; et quand elle voulut se relever, une partie d'elle grinça et se déchira dans un bruit à s'en faire retourner tous les estomacs.

Elle hurla.

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« Mamanmamanmamanmamanmaman... »

Les larmes coulaient le long de ses joues en grosses gouttes orageuses. Son visage, plus blanc qu'un linge, était affalé contre le sol comme l'aurait fait celui d'une morte ; les yeux dans le vague, à la limite de s'évanouir, elle s'agrippa un peu plus fort au pantalon de sa sœur. La main qui caressait ses cheveux tremblait. Les deux siennes étaient secouées si fort qu'elles auraient pu faire tomber tout ce qu'il y avait à leur portée. Déchirer le tissu. Faire des trous dans les jambes maigres d'Else. Tout, n'importe quoi. Tout, tout, tout – tout pour se sortir de là, arrêter d'avoir si mal. Elle ne sentait presque plus rien.
Le silence était revenu et, en son centre, Pernille perdait son sang plus vite qu'on n'arrivait à soulever l'armoire.

« Elle est trop lourde, on n'y arrivera jamais !

-De toute façon ça ne servirait à rien. Évitez de le faire, même. »

L'arrivée du docteur tira des soupirs de soulagement au père de Pernille, agenouillé à côté de sa fille. Sa femme avait été mise à la porte d'avoir trop hurlée ; à présent seul avec ses enfants et deux hommes censés aider à soulever l'armoire, il se sentait aussi impuissant qu'un fétu de paille face à la tempête. L'enfant perdait ses forces. La tâche rouge glissait, s'imprégnait sur le plancher comme du sirop renversé par mégarde. Bientôt, elle perdrait connaissance.
S'ils ne faisaient rien, la réveiller serait hors de question. Elle mourrait. Ils le savaient.
D'un bond presque imprudent, Frederik se redressa et vint à la rencontre du médecin.

« Faites quelque chose, bon sang ! Elle va mourir !

-Je vais voir ce qui peut être fait. Calmez vous, Monsieur, je vous en prie. »

Les suppliques n'y changerait rien. Il était complètement terrorisé et pendant ce temps, toujours agrippée aux genoux de son aînée, Pernille faisait tout et même plus pour ne pas perdre pied. Les milliers d'étoiles dansant devant ses yeux lui susurraient de se laisser aller au fond du manège, de regarder le ciel se teindre en noir et de s'endormir tranquillement ; de plus en plus calme, elle répondait à peine aux plaintes étouffées de la petite fille penchée sur elle.
La panique résonna de nouveau dans l'habitacle. Seul le docteur, penché sur ses jambes, restait calme malgré son air grave et la boule qui lui serrait la gorge.

« Je serai clair, Monsieur. Elle va peut-être y laisser la vie. »

La protestation du conducteur fut étouffée avant même d'avoir eu le temps d'être prononcée.

«  – mais je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour la sauver. »

Il ne pouvait pas faire plus que ce que la médecine permettait.
Le reste serait du ressort de la chance et des miracles.

« Allez me chercher une scie, tout mon matériel, des couvertures, de l'alcool et quelque chose à mettre dans sa bouche. »

Les yeux de Pernille s'écarquillèrent malgré la douleur et les étoiles.

« Nous allons devoir amputer. »

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MAMAN MAMAN MAMAN MAMAN MAMAN JE T'EN SUPPLIE MA –

Crrrrr.

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Crr crr kss kcr crk crr kss skr...

Tic, tac.

Les paupières lourdes, bouche pâteuse, Pernille inspira tout doucement. Ses poumons lui faisaient mal. Des tambours jouaient dans sa tête. Pire, même. Il y avait sûrement tout un orchestre affolé, là-dedans. Désaccordé, mal fichu. Elle ne parvint même pas à grincer des dents, grimacer, froncer les sourcils. Trop d'efforts. Trop mal. Trop engourdie. Tout aussi doucement, elle expira par le nez. Sa gorge semblait éraflée, ses dents la lançaient. C'était comme si un troupeau d'hippopotames lui étaient passés sur le corps pour ensuite revenir et recommencer, recommencer, recommencer, jusqu'à ce qu'elle ne soit plus qu'un petit tas d'os et de cendres, une boule de nerfs sans forme ni la moindre espèce de raison, de capacités à reconnaître le haut du bas et le blanc du noir. Elle ne voulait pas ouvrir les yeux. Pas si c'était pour y voir ce que, malgré l'étourdissement, elle savait qu'elle allait voir. Son cerveau, inconsciemment, tentait de la préserver d'une réalité trop dure. Si elle ne sentait pas ses bras, il suffisait d'y glisser un « encore » rassurant. Pas encore, Pernille, ça reviendra.
Mais ses...

« … pas parce... sais que... vous... »

Étouffée, la voix d'Else. Étouffées, les voix qui lui répondirent presque en chœur. Elle les connaissait, pourtant. Elle les connaissait par cœur.
J'ai peur, Else.
Son cœur fit un bond et, presque en même temps, ses paupières se plissèrent. Aussitôt, elle sentit une main familière lui caresser le front.

« Pernille ?

-Pernille, her, grande fille ! »

Ses yeux papillonnèrent un moment avant d'enfin s'ouvrir sur un monde flou, dénué de couleurs et de formes nettes. L'envie de vomir, logée dans son estomac, semblait installée pour ne plus jamais la quitter. Et, bêtement naïve, elle songea que si c'était ça le pire qui pouvait lui arriver, ce n'était pas si grave. Les hurlements à s'en déchirer la gorge étaient déjà partis loin, loin dans un coin reculé de sa mémoire. Elle ne s'en souvenait qu'à peine ; l'alcool y était pour beaucoup. Ça avait pourtant fait mal à en perdre la tête. La scie dans la chaire abîmée, dans l'os, avec ce bruit horrible qui –

« Pernille ! PERNILLE !

-Du calme, Else. »

Ses yeux révulsés revinrent sagement à leur place quand une grande main un peu rugueuse ferma ses paupières ; rouvertes de nouveau, elle cligna des yeux et jeta un regard perdu, fatigué, empli de toute l'incompréhension du monde à sa sœur. Else, cheveux défaits, le visage pâle et les traits tirés, s'agenouilla pour prendre les deux mains de l'enfant entre les siennes. De grosses larmes perlèrent de ses grands yeux ; bientôt, visage appuyé contre la poitrine de Pernille, elle se mit à pleurer comme jamais personne ne l'avait vu pleurer. Elle n'était pas si expressive, d'ordinaire.
Être jetée dehors et entendre sa sœur hurler hurler hurler hurler c'était
tellement
horrible.

Horrible. Impossible.

« Oh, ma Nille, c'est ma faute, je suis désolée, je... »

Ses sanglots rendaient la compréhension difficile. Pourtant, une petite main tremblante vint bientôt caresser ses longs cheveux châtains.

« Mais non... »

La voix éraillée qui sortit d'entre ses dents aurait pu ne pas lui appartenir tant elle était rugueuse, abîmée, maladive. Mais elle parlait ; c'était déjà ça.
Yeux levés, elle reconnut ses cousins aînés. Aksel et Detlev devaient être ailleurs et, l'esprit un peu plus clair, elle en fut déçue. Si le benjamin ne lui manquait pas trop, elle aurait aimé voir le cadet.

« Heeer. Salut Ninille. »

La main de Svante, plus mate que celle de Rune, vint ébouriffer ses cheveux. Ils commençaient à être un peu longs.
Ce qu'ils étaient bêtes. Les mains qui se lâchent trop vite, elle les avait comprises depuis longtemps.

« Tu vas mieux ? Ça fait un moment que tu es dans les vapes... On commençait à croire que –

-Tu faisais un si beau rêve que tu ne voudrais pas te réveiller pour revoir nos sublimes visages, coupa Rune avec un large sourire. N'est-ce pas, Svan ? »

Ennuyé, le garçon passa une main dans ses cheveux bouclés et haussa les épaules.

« Oui. Si on veut. »

Les pleurs d'Else refusaient de s'atténuer. Embêtée autant par son poids que par la vision de sa grande sœur aux larmes, Pernille chercha à se redresser ; plia les jambes et, sous tous ces regards dont le souffle s'était coupé, en posa l’extrémité contre le drap plus vite qu'elle ne l'aurait pensé.
Une expression de pure horreur au visage, elle poussa un hurlement strident.

« MES JAMBES !

-Pernille, du calme !

-OU SONT MES JAMBES, MES JAMBES – !

-NILLE ! »

La voix qui vint du couloir, grave et forte, la fit s'arrêter nette. Yeux grands ouverts, un sanglot terrorisé en travers de la gorge, elle eut à peine le temps de tendre les bras vers sa mère que celle-ci vint la prendre dans ses bras, poussant gentiment son aînée dans le procédé. Une fois dans ses bras, ses jambes amputées solidement bandées furent découvertes ; visibles. Un nouveau hoquet de terreur s'échappa d'entre ses lèvres bleutées.

« Maman, mes, maman, maman... »

Else vint enlacer sa mère et sa sœur ; derrière elles, Rune les joint à son tour et vint poser sa tête contre celle de sa cousine.

« On t'aime, ma chérie, ça ira. Je te promets, ça ira. Tu es en vie, c'est un miracle, je... »

Un miracle ?

Tétanisée, elle profita d'un espace vide dans son bouclier humain pour agiter ses jambes coupées net sous le genou.

En quoi c'était un miracle, si elle n'avait plus ses jambes ?

En quoi ?
En
quoi
ça
en quoi –

Mon Dieu, qu'on l'achève tout de suite.

Octobre 6828 - 10h30 – plaines blanches


« Eeeeeels – ehh ! »

Dans un bruit de métal et de caoutchouc, le fauteuil chuta lourdement sur le côté.

« … Haaaaaaa ! »

Ça devait faire la sixième fois cette semaine.

« EEEEELSE ! »

Ça n'arrêtait pas depuis des mois.

Renversée au sol, son pantalon noué aux bout des jambes pour protéger ses plaies encore et toujours sensibles, la fillette faisait peine à voir. Pourtant, malgré ses gémissements agacés et ses plaintes grinçantes, aucun des passagers passant à proximité ne s'arrêta pour l'aider. Au contraire, ils accélérèrent le pas en passant près d'elle ; ce fauteuil aurait pu signifier la peste qu'ils n'auraient pas été plus pressés de s'en éloigner. Résignée, depuis le temps, l'enfant leur cracha mentalement à la figure et tenta de se relever. Hissée à bout de bras, elle finit par réussir à se poser vaille que vaille sur les genoux et remit son fauteuil sur pieds. Pour remonter dessus, par contre, c'était une autre histoire. Elle tenta bien de se pencher dessus et de se hisser en battant de ce qui lui restait de jambes, mais n'obtint qu'une énième chute de son véhicule.
Bam kabam.

C'était usant. Vraiment. Terriblement. Usant.

Son regard terne se fit quasiment meurtrier lorsque des bruits de pas résonnèrent dans son dos. Elle en avait marre, marre, marre qu'on lui passe à côté. C'était affreux de se sentir détestée à ce point. Elle ne comprenait même pas ce qu'elle avait fait de mal ! A part les ennuyer un peu, mais ce n'était pas comme si... Ça comptait vraiment, de toute façon. Ils l'avaient plus que souvent mérité et elle, elle n'était qu'une petite fille adorant jouer. Le souvenir de Caroliane lui brûla la rétine un bref instant tandis que, soulevée de terre, elle retrouva le confort de son joli fauteuil roulant. Depuis l'accident, pas moyen de lui remettre la main dessus. Elle aussi devait la détester.
Mais pourquoi, hein ?

« Voilà, mademoiselle.

-Merci, monsieur. »

Elle dut se tordre le cou pour le voir ; bientôt, le grincement des roues et le léger mouvement lui indiqua qu'on la poussait.

« Damoiseau », rectifia-t-elle avec un petit sourire. Il n'avait pas d'alliance.

« Damoiselle, répondit-il en souriant. Je dois vous emmener voir le docteur, vous m'en excuserez. »

A l'énonciation d'une visite médicale, l'enfant se retourna quasiment sur son support, déséquilibrant un bref instant la marche de son sauveur. Ainsi tournée, elle put l'observer plus correctement ; et sa première constatation, brillante s'il en est, fut qu'elle ne le connaissait pas. Il avait de beaux cheveux bruns cachés sous un haut-de-forme élégant, de jolis yeux assez fins, d'un brun presque doré, ainsi qu'une fine moustache qui lui donnait selon elle un air très distingué. En tout et pour tout, de son uniforme brun à son visage fin et volontaire, il n'avait pas de quoi se plaindre auprès de ses parents. Il semblait parfaitement bien de sa personne. Elle lui donnait...
Allez. Vingt ans à tout casser.

« Tenez vous tranquille, s'il vous plait.

-Mais ! Pourquoi le médecin ? Et d'où tu me connais – je te connais pas, moi. »

Son manque de manière aurait fait sourciller plus d'un ; lui, il se contenta de sourire. Un sourire très doux, très chaleureux, qui ne fut pas sans faire sonner les alarmes de sa mémoire. Qui connaissait-elle qui avait un si joli sourire, déjà...

« Je suis apprenti horloger, mademoiselle. Et j'ai été sollicité par monsieur votre père pour aider à la confection de nouvelles jambes. »

La mention de jambes fit vole-planer toutes les idées qui pouvaient bien lui être resté en tête jusque-là. Jambes. Encore un peu incrédule, étourdie par une nouvelle que son cerveau ne parvenait que difficilement à intégrer, elle marmonna quelques mots sans grand sens dans sa barbe. Jambes, jambes. Elle agita les siennes, coupées bien avant leur extrémité théorique, et se mordit les doigts de la main droite. Les joues. Les lèvres. Ils allaient lui refaire des jambes ? Et comment, au juste ?
Forte de sa naïveté infinie d'enfant, la bouche de Pernille laissa s'échapper la seule question qui importait vraiment :

« Quand ?! »

Et il rit, lui aussi. Il se mordit les lèvres, lui aussi. Elle trouva ça gentil.

Mais jusqu'au sang, Pernille.

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« Ça ne va pas être simple, mais... »

Tic, tac. Tic, tac.

Allongée dans son lit, Pernille regarda l'horloge murale. Elle indiquait minuit ; et de toute façon, ça ne changeait rien. Elle ne pouvait pas se hisser dans son fauteuil tout seul, il était trop loin. Aucun moyen de s'échapper de sa prison de draps et de coussins. C'était une tactique volontaire de ses tortionnaires de parents pour ne pas qu'elle décide d'aller faire un tour toute seule et ne se coince bêtement – ou, soyons francs, ne se fasse agresser d'une façon ou d'une autre. Leur fille aînée avait beau être terriblement plus calme maintenant, la cadette persistait à... rouler partout et écraser les pieds, quand elle n'allait pas sévir dans les derniers wagons juste pour le plaisir de pouvoir, encore une fois, écraser des pieds. C'était la seule chose qu'elle pouvait véritablement faire tout en s'exclamant « oh, pardon, je n'avais pas vu » ; et, surtout, être crue. Que voulez-vous faire face à une handicapée ? Même si c'était Pernille Dresselaers, la cruauté avait ses limites. Ils n'auraient jamais osé la critiquer devant elle.
L'ignorer était leur seul plaisir, leur faire mal était le sien. La méchanceté allait malheureusement dans les deux sens.
Prudente et discrète, Pernille se hissa sur son lit et s'allongea dans l'autre sens. Quand enfin la porte de la chambre de sa sœur s'ouvrit, elle toussa si fort qu'elle faillit réellement s'en arracher la gorge.
Comme prévu, un rayon de lumière brisa l'obscurité.

« Rune !

-Ahhh, tu m'as piégé. »

Son murmure amusé lui tira un grand sourire ; assise, les jambes dans le vide, elle tendit ses bras dans sa direction. Après avoir fermé la porte, peu soucieux de se retrouver dans le noir complet, il tatonna jusqu'à trouver les petites mains de sa cousine. Ses doigts se refermèrent sur sa taille, le lit grinça sous son poids. Rassurée par la présence de quelqu'un, contente de pouvoir discuter, aussi, l'enfant agrippa ses deux bras au cou du jeune homme.

« Tu étais encore avec Else.

-Elle a besoin de compagnie, tu sais.

-Vous faisiez des bébés ? »

Ce n'était même plus drôle. Elle savait. Il savait qu'elle savait. Il y avait une autre personne d'impliquée ; c'était pour ça qu'elle l'avait toujours moins aimée que les autres, d'ailleurs, sans jamais se l'avouer. Ils pouvaient jouer aux « de quoi tu parles » tant qu'ils voulaient, elle n'était pas stupide. Et elle détestait qu'on lui vole ce qu'elle jugeait lui appartenir. Comme les membres de sa famille, par exemple. Même si...

« Tu sais bien que non.

-Je sais. »

Silence.

« J'aurais bientôt des jambes, tu sais ? »

Son murmure enjoué sembla raviver la flamme dans les yeux de Rune. Histoire de montrer son contentement et toujours plus qu'heureux de chercher les ennuis, quand il n'essayait pas vainement de prouver qu'il était un modèle de droiture et méritait qu'on lui confie des responsabilités, il entreprit de chatouiller les côtes de mademoiselle ; mademoiselle qui, tordue de rire, faillit bien passer par-dessus la barrière de ses bras et tomber au sol comme une vieille chemise sale.
Chose qu'elle n'était pas et n'aurait pas aimé être, bien évidemment.

« C'est géniaaal. Tu pourras me recourir après, très chère.

-Je te battrai haut la main ! »

Il y eut un nouveau rire, coupé par des pleurs venant de l'autre côté de la cloison. Ces larmes-là, elle les connaissait. Elle l'entendait si rarement pleurer qu'elle ne réussissait jamais à l'oublier.
Les jeunes femmes bien élevées ne pleurent pas.

Comment ça, ton mari te bat ?

« Ça fait beaucoup, cinq ans ? »

Encore. Toujours.

« Pas tant que ça.

-Et... »

Elle se mordit les lèvres ; s'agrippa de nouveau au cou de son cousin, les yeux perdus dans le noir qui la baignait de doutes et d'incertitudes.

« Un monsieur et une dame ensemble, c'est un mariage. Mais deux dames ou deux monsieur, c'est quoi ? »

Rune posa sa tête contre celle de Pernille, tout doucement.
Menteur, va. Faites semblant de vous tenir et de vous lâcher, mais moi je sais.

Tous des menteurs. Svante, Rune, et même Else.

Mais comment la blâmer, au fond.

« C'est de l'amour, Nille. »

Ses cheveux étaient tellement, tellement beaux.

Mars 6829 - 09h00 – abords d'Adriaenssens


« Tout est prêt ? »

Pernille, allongée sur le dos, jeta un regard anxieux à sa sœur. Pour l'instant encore autorisée dans la pièce, elle lui serrait la main droite ; Aksel, posté de l'autre côté, avait pris le relais de Rune pour lui tenir la gauche. Ses petits doigts serrés aussi fort que possible sur ceux de son cousin et de sa sœur, l'enfant fit de son mieux pour ignorer la présence d'outils à l'allure barbare tout autour d'elle ; son cœur battait plus fort que les roues ne heurtaient le sol à chaque roulement de machine. Son sang frappait ses tempes avec l'énergie du désespoir, tentant par tous les moyens de s'échapper par le premier endroit venu pour ne pas avoir à supporter plus de pression. C'était insupportable. La vue de ses jambes coupées était insupportable. Le médecin avait pourtant bien fait son travail ; c'était plutôt agréable à voir. Pas spécialement dérangeant. Sauf que maintenant, il allait falloir tout défaire pour tout refaire. Elle n'avait pas très bien compris, si ce n'était qu'il fallait relier une ingénierie complexe à ses nerfs, ses os, et d'autres termes médicaux dont la jeune demoiselle n'avait que faire puisqu'elle n'y comprenait goutte : mais rien que ça, que l'on comprenne ou pas, aurait réussi à faire pâlir bien plus courageux qu'elle. Ils ne pouvaient pas l'endormir complètement pendant l'opération. La régression de la médecine rendait les médicaments peu efficaces, et si beaucoup mouraient de maladie, plus grave que la mort l'attendait ; les anesthésiants ne marchaient en effet qu'à moitié. Elle aurait mal. Très mal.
Et elle le savait parfaitement.
Ses parents lui avaient bien demandé si elle ne préférait pas vivre en fauteuil roulant : après tout, depuis le temps, elle s'y était habituée. Mais non. Il n'y avait rien eu à faire. Elle avait tempêté, roulé en tous sens, et était même allé jusqu'à crever les roues de son appareillage en signe de protestation. Ça n'avait fait que mettre plus de pression sur le dos des artisans, dont ce charmant jeune homme qu'elle avait croisé l'autre fois – Elisaeus, c'est bien ça ?
Accrochée à son regard, elle pleura presque de le voir détourner les yeux.
Elle avait besoin de toute l'aide qu'on pouvait lui apporter.

Tout le monde, n'importe qui. Même Helle, même Rune, même son pire ennemi – peu importe qui pourvu que ce soit quelqu'un avec deux yeux pour la rassurer, une bouche pour la réconforter et deux mains pour serrer les siennes. Aksel s'inquiétait plus qu'elle ne le faisait elle-même, et comme toujours à l'approche de la capitale polaire où il avait vu le jour il devenait plus nerveux qu'un chat tenu en équilibre au-dessus d'une piscine ; quant-à Else, elle la regardait avec tant d'amour qu'elle aurait pu s'y noyer. Ça ressemblait à des bateaux-lavoirs, tous ces regards. Des adieux déguisés. Juste au cas où ; pour ne pas regretter.
Comme ça, si jamais ça tournait mal...
On ne le lui avait pas dit, mais elle savait qu'il y avait des risques pour que quelque chose cloche et qu'elle ne se réveille jamais. Ça ferait la deuxième fois. La première avait été par imprudence, la seconde le serait par obstination et rêves de recommencement. C'était bien. Une belle suite ou une belle fin. Elle ne pouvait pas s'inquiéter, non – pas à ce point. Pernille Dresselaers, mourir ? Allons bon !
Même le ciel n'en aurait pas voulu, auraient dit les mauvaises langues.
Elle voulait bien effrayer un peu les oiseaux si ça pouvait l'aider à rester en vie.

« Allez, tout le monde sort. Nous allons commencer. »

La voix grave du docteur chassa les visiteurs avant même que ses mains n'aient à pousser leurs dos et leurs épaules derrière la lourde porte ; fermée à clef pour éviter toute interruption durant l'intervention, il enfila ses gants chirurgicaux et attacha fermement l'enfant à la table. Ce n'était pas n'importe quoi. C'était une grande première pour lui, et si la théorie lui semblait parfaite il redoutait plus que tout la pratique. Ça n'allait pas être facile. Ni pour lui, ni pour les autres, ni pour la fillette.

Ni pour ceux qui, quelques minutes plus tard, durent se boucher les oreilles pour ne pas entendre leur petite fille, petite sœur, petite cousine hurler à en perdre la voix.

Else, serrée contre Rune, crut perdre la sienne dans ses pleurs incessants.
Je vous en prie, faites que ça marche. Je vous en prie.

✂ - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Pernille ? Pernille, mon ange, ma chérie.

Ma Pernille.

Rendors toi, c'est fini.

Ça a marché.

Tu es en vie.

Oh, Pernille, Pernille. Sèche tes larmes.

C'est fini.

✂ - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

« Essayez de bouger ? »

Péniblement, l'enfant parvint à mouvoir sa cheville ; par saccades maladroites, elle réussit à faire décrire de petits cercles au métal. Le sourire du médecin s'élargit.

« C'est très bien ! Vous allez essayer de bouger les genoux, maintenant. »

Ça allait faire quelques jours que la demoiselle s'était réveillée avec ses nouvelles prothèses accrochées aux jambes. Maintenant que la première partie était reliée à son corps, elle pouvait débrancher la seconde sans risquer quoi que ce soit : un avantage que les concepteurs, très fiers d'eux, avaient mis au point pour pouvoir les changer si l'enfant grandissait trop ou – plus probablement – les cassait. Le risque, pourtant, était là malgré tout. Si elle prenait trop de poids, la prothèse comprimerait sa peau et ses muscles. Les possibilités de rejet et de dysfonctionnements n'étaient pas à écarter non plus. La douleur était encore présente, elle aussi, et la sensation étrange qui courait le long de ses nerfs l'empêchait souvent de dormir la nuit.
Pour autant, jamais la petite fille n'avait été aussi déterminée à réussir quelque chose. Elle remarcherait. Elle remarcherait. Elle remarcherait. Elle remarcherait.
Mieux : elle courrait de nouveau. Il n'y avait rien d'autre, rien de plus grand que ce but dressé droit devant elle. Si elle mettait des mois à chuter et s'écorcher pour l'atteindre, tant pis. Elle y arriverait. Elle ne pourrait pas vivre autrement. Plus maintenant qu'on lui avait fait miroiter une nouvelle vie devant les yeux. C'aurait été impossible. Ce fauteuil roulant la dégoûtait. Ces roues lui donnaient envie de vomir. Elle voulait marcher. Utiliser ces foutus bouts de métal et s'élancer en avant, s'y appuyer et ne pas tomber. Ces deux béquilles permanentes avaient intérêt à marcher. Elles avaient intérêt à la faire marcher.

« Bon, c'est tout pour aujourd'hui. Je reviendrai vous voir demain, mademoiselle. Je vais informer vos parents de vos progrès.

-D'accord, monsieur ! »

D'un geste de la main, l'enfant fit au-revoir à son médecin.
Déjà, il était de l'autre côté de la porte.
Déjà, elle s'ennuyait ferme.

« Rhmmm. »

Doucement, sans précipitation, l'enfant appuya sur les roues pour avancer. Ses pieds avaient été soigneusement attachés à la marche en bas du fauteuil ; elle ne pouvait pas en descendre sans l'aide de quelqu'un, principalement pour éviter de la retrouver en train d'essayer de marcher trop tôt. Il fallait que son corps est son esprit se fassent à l'idée qu'elle avait de nouvelles jambes, alors même que les sensations que pouvaient ressentir ces deux bouts de métal étaient aussi inexistantes que factices. La mécanique de ces prothèses était vraiment poussée au maximum de ses capacités. On n'aurait pas pu faire mieux, à part peut-être des dizaines d'années auparavant. Les connaissances sur le corps et ce que l'on pouvait en faire étaient restées malgré les décennies traîtresses qui avaient détruit ce monde. Avant, on lui aurait refait des mollets plus vrais que nature.
Aujourd'hui, tout ce qui manquait était une esthétique plus crédible. Le fonctionnement, quoi que différent et d'apparence très sommaire, était d'une complexité rare. Elle n'avait pas intérêt à les abîmer ou à planter des ciseaux dans les fentes et diverses crevasses que laissaient apparaître les articulations. On y voyait des rouages et des fils aussi fins que des aiguilles ; tout ça lui échappait, et de très loin. Pourtant, elle y tenait plus qu'à sa propre vie. Ou du moins presque autant.

En quelques secondes, la demoiselle fut sortie de sa chambre ; en quelques autres supplémentaires, elle atteignit une porte coulissante. Sans prendre le temps de frapper ni quoi que ce soit d'autre pouvant annoncer son arrivée, elle tira la poignée. Avec ses petits bras, c'était tout juste si elle l'atteignait. Ils auraient quand même pu penser à ce cas de figure et les mettre plus bas, franchement...

« BOUHHH ! C'est moi ! »

Le jeune homme sursauta tellement qu'il faillit asperger sa pauvre moustache du café qu'il était en train de boire. Contente de voir son expression affolée et pleine d'incompréhension, la fillette referma tant bien que mal derrière elle et vint s'installer de l'autre côté de la table où il travaillait. Un peu haute pour elle, encore une fois. Ce fauteuil était décidément trop bas.

« Vous auriez pu frapper, mademoiselle.

-Pas envie. Tu fais quoi ? »

Elle vit bien à l'expression de son visage qu'il était excédé ; elle savait aussi qu'il ne dirait rien, donc aucune raison de s'en préoccuper. Elle se contenta de tendre la main droite pour attraper un morceau de rouage, l'air proprement fascinée.

« Tu fais encore des horloges ?

-C'est mon métier.

-Je peux t'aider ?

-Certainement pas. »

Sa voix était presque sèche sans que Pernille ne comprenne pourquoi. Vexée, elle croisa les bras et donna un coup de genou dans le bois de la table.

« Vous allez casser vos jolies jambes, mademoiselle. »

Ton amer. Aucune raison à ça – elle était gentille comme un cœur avec lui. Lèvres pincées, l'enfant reposa doucement ce qu'elle avait pris à sa place. Menton appuyé contre la table, elle resta le regarder un long moment sans rien dire, juste heureuse de pouvoir le regarder faire quelque chose qui la passionnait autant. Les rouages et les montres, les horloges, c'était juste... Magique, à ses yeux. Ayant abandonné récemment son obsession pour les bébés, elle avait adopté celle-là en guise de remplaçante : le pauvre apprenti en était quitte pour devoir la supporter chaque fois qu'elle avait le malheur d'un peu trop s'ennuyer.
Au bout de dix minutes, un soupir fendit l'atmosphère.

« Tenez, assemblez ces deux pièces. »

Son sourire brilla de mille feux.
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Tightly Wound Spring
Pernille Dresselaers
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DRESSELAERS Pernille { Le long des rails. _
MessageSujet: Re: DRESSELAERS Pernille { Le long des rails.   DRESSELAERS Pernille { Le long des rails. Icon_minitimeDim 18 Mai 2014 - 17:11

Mai 6829 - 09h00 – plaines d'Adriaenssens


« Papa ! Papa, regarde ! »

Aussi tremblante qu'un jeune faon sur ses deux jambes métalliques, Pernille adressa un grand sourire à son père.
Après les quelques semaines de solitude passées à rouler de douleur dans son lit pendant que la capitale polaire leur ouvrait ses portes, elle avait repris de plus bel ses entraînements quotidiens : force était de constater qu'ils commençaient à porter leurs fruits. Si elle ne réussissait pour l'instant qu'à se stabiliser en position debout et à faire un, peut-être deux pas tremblants avant de tomber en arrière ou en avant, c'était malgré tout beaucoup déjà.
Else fatiguait de devoir sans cesse la pousser ; avec ses fiançailles qui approchaient, elle avait beaucoup à faire et moins de temps à accorder à sa petite sœur. Tout n'avait pas encore été réglé à ce sujet : l'enfant ne savait pas même à qui l'on comptait marier sa sœur, mais elle comprenait malgré tout. C'était important, Else avait beaucoup à faire, et – tout le monde était d'accord là-dessus – le plus tôt elle marcherait de nouveau serait le mieux. Son indépendance regagnée soulagerait le dos de beaucoup de personnes dans ce train, dont celui de sa famille au grand complet et du pauvre apprenti horloger. Elisaeus Heerbrant, en effet, s'était vu attitré garde d'enfant à son plus grand malheur ; la petite l'appréciait beaucoup et, quand elle s'appliquait à assembler rouages et fines pièces métalliques, elle oubliait ne serait-ce qu'un instant que si elle était assise et non debout ce n'était pas par choix. Il fallait bien qu'elle se distraie, elle aussi. Ça lui faisait du bien.
La voir si silencieuse et concentrée faisait du bien à tout le monde, à vrai dire.

« C'est très bien, ma chérie. »

Son regard empli d'amour et d'affection tira un grand sourire à Pernille, qui tendit les bras pour qu'il la prenne dans les siens. Une fois hissé contre l'épaule large de son père, elle enfouit son visage dans ses cheveux bouclés.
Il n'y avait rien au monde qui puisse fatiguer Pernille Dresselaers.
Il n'y avait rien au monde qui puisse déprimer Pernille Dresselaers.
Il n'y avait rien au monde qui puisse arrêter Pernille Dresselaers.

Sauf les chutes. La solitude. Les armoires.

Sauf le monde, qui s'amusait de voir cette Reine couchée sur le plateau dont elle était autrefois souveraine. Les pions s'élançaient en avant pour lui voler son territoire ; même ses amies ne la respectaient plus autant depuis qu'elle se déplaçait sur quatre roues et devait demander de l'aide à tout bout de champ pour attraper ceci, atteindre cela, aller ici ou là. Le renversement du pouvoir avait été violent. Il l'était encore, même maintenant.

Elle se sentait seule.

« Quand est-ce que vous arrêterez de me voler Else ?

-Elle va bientôt se fiancer. C'est normal, qu'elle soit occupée.

-Mais je veux pas qu'elle soit occupée, moi. »

La petite fille grogna son mécontentement. Balançant mollement des jambes dans le vide, elle se laissa porter jusqu'à sa chambre sans rien dire ; elle était trop fatiguée par ses efforts constants pour penser à se rebeller contre ses parents. Sa mère ne cessait de l'embrasser et de la féliciter, de toute façon. Quant-à son père... Il faisait la même chose, à sa façon. C'était presque drôle, de voir ces deux géants se baisser pour enlacer et câliner la petite brindille qu'était Pernille. Elle trouvait ça très amusant, en tout cas. C'étaient ses parents. Ils ne la laisseraient jamais tomber.
Contrairement à Else et Rune, qui l'avaient entraînée involontairement dans leurs magouilles bizarres.
Lèvres pincées, elle se laissa asseoir sur son lit et balança de nouveau ses jambes. Innocemment, elle leva les yeux vers ceux d'un brun profond de Frederik.

« Dis, Else va épouser Svante, hein ? »

Le regard qui lui répondit était un peu embêté, résigné et sacrément amusant.
Elle avait bien le droit d'aider ses proches, elle aussi.

✂ - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Emmenez moi à l'église, dit la mariée. Emmenez moi devant Dieu et osez me cracher vos mensonges au visage.
Les hommes ne mentent pas, les hommes sont tous bons. Dieu n'a pas été oublié sans raison.
Emmenez moi à l'église, pleure la mariée. Tout le monde le savait.
Dieu sera le témoin du mariage et de l'enterrement. Mon seul témoin, le plus spécial d'entre tous.
Emmenez moi à l'église ; n'oubliez pas les majuscules et les fleurs. N'oubliez pas l'Enfer, mon Enfer, la plus belle d'entre toutes.

Emmenez moi à l'église.

Oh, ma pauvre Agathe.

✂ - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Le regard dans le vide, Pernille murmurait. Elle avait vu les bleus. Elle était là. Elle savait. Elle avait choisi d'ignorer ; perdue dans son propre monde, elle ignorait encore. Ses petites mains agiles assemblaient les pièces, tenaient les outils avec la dextérité et la patience d'un adulte. Pourtant, elle ne regardait même pas ce qu'elle faisait. Elle se contentait de faire, agissant en véritable automate mis sur mode sourd et aveugle. Elle faisait, voilà tout. Rien de plus. Son esprit voguait ailleurs, quelque part entre les fleurs et les pleurs amers d'une famille qui demandait réparation ; en monnaie sonnante et trébuchante, rien que ça. Sille pleurait. Helle pleurait. Pernille ne pleurait pas. Elle était trop grande pour ça, Else le lui avait bien dit. Elle était tellement préoccupée par ses affaires et ses mensonges qu'elle avait à peine été choquée par la nouvelle. Sa petite sœur lui en voulait beaucoup.
Le tournevis griffa sa main sans qu'elle y prête attention. Elisaeus, vigileant, le remarqua sans rien dire de plus. Elle était dans la lune. Très loin, encore plus loin qu'il était possible de l'imaginer, au-dessus des nuages et de la galaxie. Son esprit avait été attiré par un trou noir.
Elle n'aurait plus l'occasion de s'excuser pour toutes ses méchancetés. Et ses bêtises. Et sa désobéissance. Elle qui avait toujours voulu voir un cadavre s'était trouvée franchement déçue. Elle s'en était approchée, naïve et pleine de bonnes intentions, et avait tiré doucement sur une mèche de cheveux, appuyé sur la joue froide mais encore douce. Ce n'était pas la mort, ça. La mort c'étaient des corps méconnaissables, des inconnus, des choses sans importance, un fléau qui ne touchait que ceux l'ayant mérité. La mort ce n'était pas une amie allongée au milieu de fleurs et de larmes acides. La mort ce n'était pas ça. Ça ne pouvait pas être ça.
Pourtant, aussi triste soit la nouvelle, l'enfant se sentait étonnamment détachée.
Complètement ailleurs.

« Elle est morte. »

Le jeune homme lui rendit un regard morne, aussi désintéressé que l'était le sien. Les coups et les blessures avaient comme été transférées sur le corps de Pernille. Elle pouvait les sentir ; le saviez vous ? Elle ne le savait pas, elle. A quel point ça faisait mal de se faire écraser les mains, les pieds. De se faire insulter et cracher au visage ouvertement, sans la moindre retenue. Elle ne savait pas. Pourtant quand elle l'avait vue, d'un seul coup, elle avait compris. Que ça avait – que ça avait toujours eu
de l'importance ;
que ça en aurait toujours.

Les mots, les coups. Et elle, naïvement cruelle. Et elle, le joli bourreau obligé de porter le deuil.

« J'aurais pu faire quelque chose. »

Et elle, et Else.
Les mains de Svante lui semblaient d'un coup tellement grandes et effrayantes. Elle aurait préféré la savoir avec Rune.
Tout le monde l'aurait préféré.
Mensonges, mensonges. Mais motus et bouche cousue.

« Alors pourquoi n'avez vous rien fait ? »

L'amertume dans sa voix, toujours. Quel homme triste. Quel homme mécontent et plein de problèmes. Elle pouvait le sentir d'ici ; ses poings trop serrés, ses muscles trop tendus. Amen, Monsieur. Ça veut dire quoi, au fait ?
Amène moi de quoi vivre ou de quoi mourir, peut-être. Elle n'en savait strictement rien. Seuls quelques passagers s'amusaient encore à prier ; ses parents n'en faisaient pas partie. Ils avaient tout oublié. Les livres sacrés, les rituels, ce qui avait eu de l'importance un jour pour d'autres personnes plus proches de la terre qu'eux.
Mais comment l'être, dans un train où l'on devait garder les morts jusqu'à la prochaine destination pour les enterrer ?

Et encore.

Elle ne parlait pas des plus pauvres qu'on jetait par la fenêtre.

Personne n'en parle, de ça.

« Je ne sais pas. »

Elle ne savait vraiment pas.
Et c'était ça, sûrement, qui lui faisait tellement mal à l'estomac.
Se demander « pourquoi ? » et ne pas pouvoir se répondre sans se tuer soi-même.

Parce que tu es égoïste, Pernille.

Alors elle ne savait pas.
Ne saurait jamais.

Et ça continuerait de faire mal encore un moment, avant qu'elle oublie.
Parce que tout le monde oublie, non ?
Tout le monde.

✂ - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

« Je vais y arriver. »

Les chutes, encore et encore. Les genoux écorchés, les mains râpées, la peau bleuie et endolorie. Les regards admiratifs et ceux, tout là-haut, d'une fille dont elle ne pourrait plus jamais brosser les cheveux. Ça faisait mal. Pesait lourd, sur ses épaules trop étroites.
Pourtant, elle devait le faire.

« Je vais y arriver. »

Ses cuisses tremblaient à n'en plus finir. C'était comme tenter de se déplacer sur des échasses ; elle avait beau les sentir d'une façon diffuse et complexe à décrire, ça n'en était pas moins incompréhensible et douloureux. Elle ne comprenait pas. Ne voulait pas comprendre – trop pressée, entêtée. Si elle s'était arrêtée deux minutes pour tenter d'intégrer le fonctionnement de ce qu'elle avait au bout des pieds, ça aurait été mille fois plus simple : mais non. Non, non, non. Elle voulait faire ça à sa façon. Simplement, sans prises de tête. Elle voulait marcher comme elle avait toujours marché, pas réfléchir à ce qu'il fallait faire pour réussir à avancer.
Juste marcher. Elle voulait juste marcher.
Un pied devant l'autre, comme toujours.

« JE. VAIS. Y. ARRIVER. »

Joue contre le sol, elle se redressa à quatre pattes avant de s'appuyer sur ses deux pieds en métal. Il n'y avait pas une chose sur cette Terre qui puisse la faire renoncer à l'idée de marcher. Elle tenait debout ; maintenant elle voulait pouvoir courir. Un pied devant l'autre. L'autre devant le premier. On recommence. On recommence. Avec mille précautions, le visage tendu par l'effort, elle tendit ses bras de chaque côté de son corps pour éviter de chuter à nouveau. Allez. Allez. Tu peux le faire, Pernille. Tout le monde compte sur toi, Pernille.

Tu me brosses les cheveux, Helle ?

« RAAAAAAAH ! »

Son cri résonna longtemps entre les parois du compartiment ; aussi longtemps que le bruit de son poing, lorsqu'il vint s'écraser contre la cloison en face d'elle.
T'as vu ? Je l'ai fait.

Ce n'était pas si dur, de survivre aux épreuves.

T'aurais quand même pu rester un peu plus longtemps.

Septembre 6829 - 21h30 – zone trois


« Félicitatioooon ! »

Les talons de la fillette continuèrent de marteler le sol sous ses pas tandis qu'elle souriait à sa sœur, faisant voler ses courts cheveux bruns à chaque nouveau saut dans l'air.
D'une main, elle fit danser Else ; fascinée par le mouvement presque magique de sa jupe autour de ses jambes frêles. Et ça l'était, en un sens. Magique.

Elle l'enviait tellement.

« Je ne vois vraiment pas de quoi on nous félicite. »

Else, visiblement au comble de la joie, tira la langue à Svante ; ennuyé, il lui rendit le geste avant de ne frapper son frère aîné, trop amusé par la situation pour pouvoir s'empêcher de faire quelques pitreries dans le fond.
Au final, c'était tout de même lui le gagnant. Lui et Else. Pas Svante. Le garçon à la peau mate, complaisant, avant cependant joué le jeu avec une admirable gentillesse – et rien que pour ça, Pernille était un peu rassurée de lui confier sa sœur. Sans le concours de toutes les personnes présentes dans la pièce, jamais ces fiançailles n'auraient eu lieu. Ou du moins pas comme ça, pas entre ces personnes-là. Tout le monde savait que l'aîné des frères Dresselaers aurait préféré marier sa fille au seul fils véritable de son frère. Les mariages entre cousins étaient monnaie courante et, n'en déplaise à certains, Frederik trouvait à Rune une douceur et une force de caractère parfaite pour sa précieuse enfant. De plus, ils s'entendaient à merveille : apprendre qu'elle préférait de loin épouser le second avait été un choc, quoi que le père de ce dernier en avait été très content. Il n'avait aucun mal à trouver mille prétendantes pour Aksel et Detlev le suivait en bonne position, mais ce jeune homme-là avait une peau trop foncée qui n'inspirait rien de bon dans une société où les peaux claires prévalaient. Else était l'aubaine à laquelle il n'aurait jamais osé penser.
C'était la meilleure solution pour tout le monde. Bientôt mariée, Else ne pourrait pas gérer le train ; Rune aurait les responsabilités qu'il voulait et que, en tant que fille du conducteur aîné, Else lui aurait volées s'ils s'étaient fiancés. Tout est bien qui finit bien.

Aux anges, la jeune fiancée laissa Rune la prendre dans ses bras pour mieux tourner sur lui-même. Vole vole vole, mon bel oiseau.

Mais pas trop loin, hein ?

Pernille serra son short entre ses petits doigts trop maigres, un sourire un peu pâle aux lèvres.

« Mais comme tu es mariée avec Svante, pas de bébés avec Rune ! »

La grimace qu'elle lui rendit, agrippée au cou de son cousin, criait des « je m'en fiche » à en perdre la voix.
C'était Svante qui s'en fichait, dans l'histoire.
Et heureusement, mon Dieu. Plus jamais de bleus sur des peaux si jolies qu'on en mourrait de les voir froissées.
Plus jamais mourir parce qu'on aime et qu'on est aimé.

✂ - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Tic tac. Tic tac.

« Dis, Elisa... Pourquoi t'es pas marié ? »

Le jeune homme ne leva pas la tête ; le bruit des jambes de Pernille se fondit dans le décor, grincement habituel au milieu de ceux des horloges qu'il créait ou réparait. Elle n'avait jamais vraiment songé au pourquoi du comment avant ce jour : ça lui était juste venu, comme ça, d'un seul coup. Il n'était pas si vieux qu'elle se plaisait souvent à le penser, mais il n'était pas si jeune pour autant. Souvent fiancés à seize ans, rares étaient les jeunes hommes qui ne se mariaient pas avant leurs vingt ans. Or c'était à peu près l'âge qu'il devait avoir, Elisaeus. Une vingtaine d'années, quelque chose comme ça. L'absence d'alliance à son doigt avait de quoi intriguer. A peu près autant que ses sourires crispés et son air détaché, souvent ailleurs.
C'était son énigme. Il ne l'aimait pas, ça, elle le savait.

Mais pourquoi ?

« Parce que. J'ai été fiancé, commenta-t-il en serrant un écrou. C'est tout. »

Ai été ? Uh. La demoiselle décida de ne pas approfondir le sujet, consciente que l'usage du passé signifiait sûrement que soit la demoiselle était partie avec un autre avant le mariage, soit elle était morte. L'un comme l'autre n'étant probablement pas de bons souvenirs pour cet homme qui lui avait tant appris malgré lui, mieux valait rester silencieuse. Ce serait mieux pour l'un comme pour l'autre de ne pas commencer la moindre bagarre, sachant qu'ils avaient à y perdre bien plus qu'ils risquaient d'y gagner. Pernille y aurait perdu son ami, qu'il veuille l'être ou non ; Elisaeus aurait perdu son travail, qu'il ait été réellement méchant ou non. La petite fille se savait suffisamment teigne et bête, par moments, pour aller dénoncer le garçon aussi vite qu'il aurait levé le ton ou la main sur elle. Il le savait ; c'était pour ça qu'il restait si courtois, d'ailleurs.
Ça ou une autre raison, au fond, ça lui était assez égal.
L'important était qu'il était assez intelligent pour ne pas s'attirer volontairement des ennuis et que, franchement, ça le desservait bien. Il n'y avait pas meilleure tactique pour rester en paix que de s'attirer les grâces de ceux qui pourraient vous causer les ennuis dont vous ne voulez pas entendre parler : en ce sens, il était un des mieux placé dans ce train gigantesque.Rares étaient ceux qui s'étaient un jour attiré la sympathie d'une des filles Dresselaers, en dehors des Dresselaers eux-même et de quelques premières classes bien avisés.

Pour un simple apprenti horloger originaire d'Haeyer, c'était beaucoup plus qu'il n'aurait pu l'espérer en arrivant ici. Fréquenter la fille du conducteur, rien que ça.

« Et toi ? Pourquoi n'es-tu pas fiancée ? Ta sœur l'est, elle. »

Touchée en plein point sensible, l'enfant grinça des dents.

« Je suis trop petite. Mais bientôt, tu verras... Je serai mariée, et avec un garçon aussi beau que toi ! »

Le compliment le fit sourire malgré lui.

Et où avait-elle vu ce sourire, bon sang...

Si seulement elle avait pu s'en rappeler.
Si seulement.

Novembre 6832 - 10h20 – désert de Vervoort


« Tickets !

-Tickeeets ! »

La routine avait repris de plus bel. Fièrement debout, toute habillée de blanc, elle remit en place son petit chapeau avant de présenter son coffret en bois aux gentlemen de la rangée gauche. Detlev, habillé lui aussi de cette même couleur immaculée reversée aux contrôles, s'occupait de la droite. Else était trop occupée à préparer son mariage pour pouvoir s'occuper de choses aussi triviales ; il fallait s'y habituer. Pernille boudait encore souvent de la voir changer d'occupations, devenir plus mature et bien moins présente pour elle, mais l'enfant se consolait en s'accrochant aux jupons de Sille. La petite fille était bien plus docile et calme depuis la mort de sa sœur aînée. Quant-à Lina, elle était égale à elle-même : une poupée sans volonté, gentille et jolie. Seule Helle, avec qui la différence d'âge s'était fait sentir avec les années, avait fini par leur préférer la compagnie de demoiselles plus âgées. Ses parents n'avaient rien trouvé à y redire. Au fond, ce n'était pas très important.
D'un geste habitué, la fillette tourna la manivelle de sa boîte ; grince le mécanisme, s'activent les rouages, un joli sourire poli – et une courbette en guise de remerciement, histoire de ne pas avoir l'air d'une parfaite rustre.
Peu à peu, à mesure qu'ils avançaient, les tickets commencèrent à s'amonceler dans les coffrets des deux enfants. Cela faisait bien longtemps qu'ils n'avaient pas eu de problèmes avec d'éventuels trafiquants de faux-tickets ou des personnes montant à bord sans payer leur dû. C'était un problème qui avait été récurent à une époque ; les mesures drastiques prises contre les concernés avaient dû refroidir les foules. C'était compréhensible. Parfaitement compréhensible.
Elle-même n'aurait pas risqué sa vie uniquement pour monter dans ce train. La vie en ville ne devait pas être si terrible, non ?

« Merci Messieurs !

-PERNIIIIILLE. »

Agacée, l'enfant se tourna vers son cousin.

« Detlev ?

-Il a pas de tickets. »

La surprise prit le pas sur la colère ; adossé à la porte, l'homme en question posa sur elle un regard morne et désintéressé.
Pourquoi fallait-il toujours que tout soit si compliqué ?

Elle n'avait rien demandé à personne, elle.

« … Elisa ? »

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« ARRÊTE !

-RESTE LA JE TE DIS ! »

D'un bond, Pernille sauta en avant ; dans un grincement douloureux, ses jambes la propulsèrent sur le dos de son cousin.
Crac boum. Les deux adolescents, cloués au sol, gémirent sur leurs corps douloureux.
Il ne fallut pas plus de quelques secondes au plus âgé pour pousser un cri agacé et tenter de se remettre debout ; accroché à son cou et ses épaules, indifférente au brouhaha que son refus d'obtempérer aux ordres avait créé dans le petit wagon, Pernille alla jusqu'à le mordre dans le cou pour le faire taire. Loin de se laisser faire, Detlev tenta à nouveau de se relever – tout ça pour chuter lourdement, handicapé par le poids faible mais malgré tout conséquent que pesait sa cousine sur son dos. Se déplacer avec une fille bien décidée à vous maintenir à terre accroupie sur vous était plus difficile qu'il n'y paraissait, aussi frêle soit-elle. Ses mouvements vifs et rapides étaient aussi précis qu'ils étaient violents : la demoiselle semblait plus décidée que jamais à ne pas laisser son ami fuir jusqu'au premier wagon pour prévenir son père ou son oncle.
Parce que c'était Elisaeus.

Pas lui, pas lui.
On ne le jetterait pas dehors, elle refusait catégoriquement.
Jamais de la vie.

« BOUGE PAS ABRUTI !

-C'EST TOI L'ABRUTIE ! »

Un coup de coude brutal dans l'estomac fit tomber Pernille à la renverse ; le souffle coupé, elle crachota ce qui restait d'air dans ses poumons. Le garçon en profita pour partir en courant et, larmes aux yeux, elle jura entre ses dents. C'était pas possible. Il fallait trouver une solution. Vite, vite, que faire, comment, pourquoi, où...
MINCE A LA FIN !

« Detlev... »

Vidée de ses forces par le coup qu'elle venait de recevoir, la fillette mit un moment à se redresser sur les genoux ; plus encore à se hisser sur ses jambes. Si on ne l'avait pas saisie sous les aisselles, en fait, elle n'était pas certaine qu'elle aurait réussi à le faire. Reconnaissante, elle pencha la tête en arrière et offrit un pauvre sourire à Elisaeus.

« Il faut que tu t'en ailles, Elisa.

-Oh, ne t'en fais pas pour moi. »

Son allure décontractée fut loin de la rassurer. Au contraire, même, elle fut envahie d'une panique telle que l'adrénaline lui rendit immédiatement ses forces.
Brusque mais pas violente, elle tapa dans ses bras.

« Si, je m'en fais ! Tu sais pas ce qu'ils vont te faire ! Ils vont te jeter dehors, ils ont une tolérance zéro, ils vont...

-J'ai un ticket, tu sais. »

… Uh ?

« Alors pourquoi t'as – »

Un bras se referma sur son cou.
Tétanisée, terrorisée.

« Parce que. »

Non non non.
C'est dangereux de rester seule, Pernille.
A ton avis pourquoi vous êtes toujours deux ?
Pourquoi, hein ?

Non !
Les gens te détestent, Nille.
Les gens t'en veulent.
Tu fais n'importe quoi.


Mais –

« Elle aurait eu vingt-deux ans. »

Mon Dieu, elle manquait d'air.
Plus d'air.

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« Lâche moi !

-Non.

-LÂCHE MOI !

-Non.

-AU SECOURS, AIDEZ MOI ! »

Fermement tirée en arrière par les bras solides d'Elisaeus, l'enfant pleurait à en perdre la voix ; ses parents allaient forcément arriver, ou Monsieur Watrigant, ou Rune, ou Else – mais s'ils arrivaient trop tard ? Si elle était déjà morte ? L'idée de se retrouver allongée au milieu d'un cercueil glacial la tétanisa et de nouveau, le jeune homme dut tirer excessivement fort pour traîner ce poids mort. Les personnes autour d'eux, premières puis à présent deuxièmes classes, les regardaient passer sans rien dire. Pas un ne se leva. Pas un ne vint l'aider. Elle eut beau tenter de tendre le bras sur le côté pour s'agripper à quelque chose, de se glisser par en-dessous ou de lui griffer le visage par en haut, rien n'y fit : il reculait avec la sûreté et l'allure d'un soldat en marche, rapide et décidé. Rien n'aurait pu l'arrêter. Pernille en était persuadée.

« MAIS AIDEZ MOI A LA FIN ! »

Sa supplique laissa tout le monde de marbre.
C'était affolant. Incompréhensible.

Ils étaient tous indifférents. Elle aurait tout aussi bien pu ne pas être là.
Peut-être qu'ils pensaient à un jeu bizarre.
Peut-être qu'ils s'en moquaient complètement.

Ils auraient pu applaudir qu'elle ne se serait pas sentie plus mal.

C'était comme ce jour où, malade, elle avait erré.
Seule une personne était venue l'aider.

Et cette personne, elle...

« ... »

… Avait un si joli sourire...

« … Caroliane Heerbrant ? »

Un sourire tordit les lèvres d'Elisaeus.

« C'est ta sœur, c'est ça ? HEIN, ELISA !

-... Était. »

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« Elle... était tombée enceinte. Son fiancé venait de mourir. On se croyait maudit, eh. Ma future femme était morte de maladie quelques temps auparavant. Mais c'était prévisible, au fond. Tout le monde meurt jeune, à Haeyer. La moitié naissent malades. On est tellement plus à l'abri dans ce train, tu ne trouves pas ? »

Ses gesticulations avaient cessées. Les yeux dans le vague, traînée sans chercher à bouger, Pernille écoutait sans réussir à entendre. A comprendre. Pourquoi parlait-il au passé, hein ? Était, était. Ses paupières se fermèrent pour se rouvrir, sèches et douloureuses. Tu me brosses les cheveux ? C'était impossible. Elle s'était juste cognée. Elle avait l'air d'aller bien, quand... Le souvenir de l'armoire lui tombant sur les jambes crispa son corps de bas en haut, provoquant d'affreuses douleurs fantômes dans ses membres absents. Elle ne savait pas, ne savait plus – ne voulait pas savoir, pour peu qu'on lui en laisse le choix. Les autres devraient arriver bientôt. Bientôt, ils la sauveraient des griffes de celui qu'elle avait un jour pris pour son ami. Yeux baissés vers ses prothèses cachées sous une fine couche de tissu blanc, elle laissa les larmes rouler sur son visage pâle.
Il l'avait trahie. A moins que ce ne soit le contraire ?
Est-ce qu'il avait déjà eu de bonnes intentions avant ?
Est-ce qu'il avait entendu exprès le jour où elle serait seule avec Detlev pour la piéger ?
Est-ce que tout ça était planifié depuis la première fois où il l'avait aidée à se relever ?

Non, non, non. Pas Elisa. Je vous en supplie, pas lui.

« Enfin. Si le médecin n'avait pas été si préoccupé par ta santé, le bébé aurait pu être sauvé. Remarque, si tu ne l'avais pas entraînée là-dedans, elle n'aurait même pas été blessée. »

Alors elle était morte ? Pour de vrai ? A tout jamais ?
C'était trop injuste.
Elle l'aimait vraiment, Caroliane.

« Si elle n'avait pas perdu le bébé, elle ne se serait pas suicidée. »

Dans la penderie ?
Hahaha.
Pourquoi ce n'était pas drôle, pourquoi –

« ET ON NE LES AURAIT PAS JETES PAR-DESSUS BORD COMME DES SACS DE MARCHANDISE ! »

Son cri s'étouffa dans sa gorge quand elle fut violemment projeté contre le mur. Sous la violence du choc, elle ne vit l'espace d'un instant plus qu'un blanc immaculé devant ses yeux ; aussi naïve que sonnée, elle se demanda si c'était ça, la mort. Ne plus voir que du blanc, être froid et raide. Ne plus avoir la possibilité de s'excuser, de pardonner, de jouer, de rire, de passer sa main par la fenêtre pour ramasser des flocons de neige immenses, d'être coiffée, de sauter sur le dos des autres, d'avoir mal, de...
De vivre, tout simplement ?

« J'en ai eu assez de pleurer. »

Assise par terre, les deux mains sur la tête, Pernille poussa un glapissement affolé quand il se ressaisit de son bras.
L'alarme de sécurité résonna à en percer les tympans des passagers tandis que la porte d'urgence s'ouvrait, lentement mais sûrement, sur un paysage défilant à toute allure.

« Toi aussi, tu dois savoir ce que ça fait. »

Une main ferme la poussa en arrière ; et tandis qu'elle s'y agrippait, terrorisée, la dernière chose qu'elle vit fut le visage affolé d'Else qui hurlait son prénom.

Oh, je ne pourrais pas être à ton mariage, ma pauvre sœur.

Son corps bascula dans le vide.

Je suis tellement désolée pour tout.

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Le destin fait bien les choses.
Et, parfois, la cruauté des uns dépasse celle des autres.

« Allez, tiens le coup... »

Enfin, une réaction.
Un cœur qui bat.
Bien. Ça veut dire qu'il y en a un, là-dessous.

« Pernille ? »

Les yeux de la fillette s'ouvrirent lentement. Le sable lui piquait les yeux ; elle mourait de chaud.
Et tout ce qui lui revenait, le corps perclus de blessures et de bleus de la taille de gros cailloux, fut d'avoir tiré sur le bras d'Elisaeus dans sa chute.
Yeux grands ouverts sur sa silhouette élancée au bras démis, elle ne put empêcher les larmes de mouiller ses yeux. A peine nées, déjà séchées. Le soleil ne leur laissait pas même le loisir d'être tristes.

Pourtant, la chaleur qui se dégageait des bras qui la portaient n'était pas si désagréable.

« Pourquoi tu me laisses pas mourir là.

-On va mourir, de toute façon.

-Non.

-Si. »

Sans brutalité, il la reposa à terre.

« Il y a trop de sable pour tes jambes. Rentre là. Avec un peu de chance, ça s'écroulera sur toi. »

Le sarcasme ne plut qu'à moitié à l'enfant, sonnée autant par le choc de sa chute que par la chaleur. Heureusement que le train avait ralentit à cause des dunes et de la sonnette d'alarme qu'avait déclenchée l'ouverture des portes : sinon, ils seraient probablement mort sur le cou. C'était déjà un miracle qu'aucun d'eux ne se soit brisé la nuque.
Bras croisés, elle dédaigna la porte du vieux bâtiment qu'il lui indiquait.

« Ils vont revenir me chercher.

-Ce train ne fait pas demi-tour, mademoiselle. Tu vas mourir et moi aussi. »

Les larmes lui remontèrent aux yeux ; agacé, il la poussa dos à la porte.

« Rentre et attends moi. Je vais essayer de chercher des secours.

-Tu reviendras pas. T'as voulu me tuer.

-Je veux toujours te tuer. Mais j'aimerais vivre, moi, alors tu peux être sûre que je reviendrai. »

Promis juré ?
Bras tendus, elle se serra contre lui un bref instant. Il écarta les siens, grimace aux lèvres, comme s'il s'était agit de quelque chose de sale ou de dégoûtant ; sans s'en formaliser, l'enfant fit demi-tour et ouvrit la porte.

« Je suis vraiment désolée, Elisa. J'aimais beaucoup Caroliane. »

Dans un bruit sourd, la porte claqua dans son dos.
Elle était fatiguée, voulait dormir, manger, boire. Ça faisait sûrement des heures qu'ils marchaient quand elle s'était réveillée près de cette vieille bâtisse à demi démolie qui aurait, au moins, le mérite de lui offrir un coin d'ombre avant qu'elle ne meurt réellement de chaud.
Sans se formaliser du changement de décor, elle trébucha et tomba lourdement.

Pitié, je ne veux pas mourir.
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Allen Winters
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MessageSujet: Re: DRESSELAERS Pernille { Le long des rails.   DRESSELAERS Pernille { Le long des rails. Icon_minitimeVen 23 Mai 2014 - 23:18

Attention, Attention chers PI-tiens ! Préparez vos boules quies ou allez vite en acheter si ce n'est pas déjà fait car ... PERNILLE EST LA !
Bienvenue à toi petite fifolle, je te valide, ne fais pas trop de bêtises ♥

Tu connais le chemin qui te mènera jusqu'à la gloire alors vas-y fissa, je compte sur toi ! ♥
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MessageSujet: Re: DRESSELAERS Pernille { Le long des rails.   DRESSELAERS Pernille { Le long des rails. Icon_minitime

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