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 CAVECCHIO Alex ▬ 'Todavía necesito tu mano.'

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Alex Cavecchio
Alex Cavecchio

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• Age : 31
• Pouvoir : Faire des grues. Des vraies.
• AEA : Echo. Chauve-souris. Fonction : brise-vitres. Spécimen défaillant.
• Petit(e) ami(e) : Pas assez de latinas ici.

RP en cours : Carpets. Bitch plz.

Messages : 85
Inscrit le : 13/08/2012

CAVECCHIO Alex ▬ 'Todavía necesito tu mano.' _
MessageSujet: CAVECCHIO Alex ▬ 'Todavía necesito tu mano.'   CAVECCHIO Alex ▬ 'Todavía necesito tu mano.' Icon_minitimeDim 14 Oct 2012 - 18:21



*CAVECCHIO Alex


Nom – Cavecchio.
Prénom – Alex.
Âge – 19 ans.
Né le – 3 janvier 1993.

Pouvoir
Origami

Peu utile mais assez décoratif, le pouvoir d’Alex consiste à animer immédiatement – et parfois avant même qu’il les ait finis – les origamis qu’il constitue. D’ailleurs, la moitié des feuilles de papier qu’il froisse tente mine de rien de rouler jusqu’au bord de la table, quand bien même elles n’ont aucune forme reconnaissable. Il suffit que le jeune homme exécute un pliage pour qu’un avion s’envole, ou qu’une grenouille saute d’entre ses doigts. Parfois, il est même capable de leur donner, pour un temps, l’apparence fidèle de créatures vivantes – à l’exception de la voix, ses créations étant toutes muettes sans exception. Cependant, la durée de vie de ces objets animés ne dépasse jamais quelques heures… et il faut se souvenir que toutes magiques qu’elles soient, elles sont de papier, et donc particulièrement fragiles.
En outre, Alex n’aime pas particulièrement son pouvoir. Ou peut-être serait-il plus juste d’affirmer qu’animer quelque chose ainsi le rend très mal à l’aise.

Alter Ego Astral
Echo ▬ Chauve-souris.

Ce n'est pas parce qu'on est né comme tout un chacun qu'on devient la même chose que les autres. Alex en est un exemple flagrant ; Echo aussi. Le jeune homme ne se rappelle plus d'où provient son AEA, mais vu la passion qu'il a des chauves-souris, ce n'est pas bien étonnant qu'il ait cette forme en particulier. Son comportement, en revanche, met à rude épreuve les nerfs d'Alex. Echo, fort bien nommée au regard de son sonar déficient, a en effet la mauvaise habitude de s’en prendre aux fenêtres ; et Alex a beau lui expliquer encore et encore que non, ce n'est pas parce que c'est transparent que ça peut être traversé, rien n'y fait. Raison pour laquelle il n'est pas rare d'entendre un choc contre une vitre et de découvrir un mini-rat volant - surnom très affectueux attribué à Echo par son propriétaire - assommé sur le rebord de la fenêtre. Cela l'est d'autant moins qu'Echo refuse de reconsidérer l'idée selon laquelle elle serait un animal nocturne et s'obstine à voleter en tous sens en pleine journée, brouillant d'autant plus ses repères spatiaux.
En un sens, Alex a abandonné tout espoir d'améliorer son cas.

Passions
Alex aime cuisiner ; il aime le break dance, la musique, les chauves-souris, dessiner un peu, mais ne possède ni passion précise ni talent particulier.

N'aime pas / Phobies
Les phobies, il les collectionne. Elles sont innombrables, et ne seront donc pas listées ici. Pour l’exemple, Alex a peur de l’eau, du feu, des hauteurs, de tout ce qui peut couper/râper/tailler/entailler/érafler une peau humaine, des histoires d’horreur, etc. Son perpétuel état d’inquiétude et sa propension à imaginer le pire en permanence n’arrangent rien. Inutile de préciser qu’il y a donc beaucoup de choses qu’il n’aime pas, pour des raisons diverses et variées. Il est également un peu toqué au sens clinique du terme, mais cette tendance à ranger dans les moments de stress ou à se laver les mains sans cesse sert plus à lui donner un faux sentiment de sécurité, et ainsi à le rassurer sur le moment.




♪♫
« J’ai pas besoin de toi, pas besoin de tes bras, ton image reflète ce que j’aime pas… »

Caractère


Alex, en quelques mots, c’est dur à l’extérieur et mou à l’intérieur.
Lorsqu’il rencontre quelqu’un de nouveau, il lui faut avant tout établir une relation hiérarchique avec cette personne : est-ce quelqu’un qui va abuser de lui, que lui-même pourra utiliser comme défouloir, ou bien quelqu’un de sympathique avec qui il pourrait se trouver sur un pied d’égalité ? Le fait que s’en prendre plein la tronche ou en mettre plein la tronche à quelqu’un lui pose des problèmes de conscience amène celui qu’Alex se méfie particulièrement de tout nouveau contact. Et lorsqu’Alex se méfie, il est agressif. L’agressivité est le seul moyen de défense qu’il a su mettre au point, avec la violence physique. Elles consolident sa carapace. Il se montre renfrogné, peu coopératif, voire pas aimable du tout. Il s’attend à ce qu’on lui fasse un sale coup à tout moment.
Cependant, une fois la glace brisée, c’est au contraire un camarade ouvert et sympathique, avec un certain sens de l’humour. Certes, il est plutôt du genre à suivre les autres qu’à s’imposer en meneur, et ce n’est jamais lui qui mène une conversation. Il n’impose pas ses idées et préfère se ranger derrière un plan qu’il pense foireux plutôt que de risquer de se différencier du groupe. Parce qu’Alex ne supporte pas qu’on le différencie des autres. La peur d’être laissé de côté ou pire, victimisé, l’entraîne souvent sur la mauvaise pente et le conduit à commettre des actes qu’il regrette ensuite ; même seul, il peut lui arriver de s’en prendre à plus faible que lui pour combler ce sentiment humiliant de déficience qui coule à tous moment dans ses veines.
A côté de cela, Alex est jovial, assez désinhibé et apporte vite son aide, même s’il lui arrive souvent de le faire d’un air grincheux.
Mais Alex, c’est aussi ce noyau de trouille qui se cache sous les sweats larges et la carapace en carton ; Alex a peur de tout, pour toutes les raisons imaginables. Le monde entier est dangereux, tout peut arriver : c’est avec cet état d’esprit qu’il arrive très vite à envisager le pire d’une situation dans laquelle il n’a pas encore mis les pieds. Et le pire pour lui est que, en plus de mépriser ce ressenti qui le fait se considérer comme lâche, il est incapable de résister à la traction de quelqu’un l’entraînant vers le danger. Ce qui l’amène souvent à se plaindre et à se lamenter pour rien, sans agir contre. Il manque cruellement de volonté et d’audace.
Alex déteste particulièrement qu’on le chatouille sur son androgynie. C’est un point assez sensible, comme tout ce qui en découle. Une allusion à une possible féminité peut le mettre dans une colère noire – et il lui arrive en effet de faire preuve de sautes d’humeur assez violente – tout comme l’idée d’une possible attirance pour autre chose que les filles. Alex est un homme, un vrai, et il tient à ce que tout le monde soit au courant.

Physique


Au premier abord, c’est toujours le même problème. Fille ou garçon ? Comme la plupart des gens avec ce problème, Alex ne dispose pas de caractéristiques physiques suffisantes pour faire deviner du premier coup son sexe. Son visage est trop triangulaire, ses yeux trop grands, ses lèvres trop fines ; sa nuque est fragile, son apparence à première vue assez délicate. Il faut un coup d’œil furibond de ses yeux noirs pour comprendre que non, désolée, monsieur n’est pas une fille. De ce léger problème partent la plupart des considérations d’Alex concernant son apparence physique.
On pourrait le croire de petite taille : en réalité, bien que d’une stature tout à fait convenable pour un jeune homme de son âge, Alex a la fâcheuse tendance de ne jamais se tenir droit, toujours un peu penché en avant. Que ce soit l’habitude de courber l’échine ou une volonté de ne pas se faire remarquer, une fois mariée à la minceur de son corps qui lui donne une allure de rongeur, cette posture le fait généralement paraître moins grand qu’il ne l’est en réalité. L’observateur peut donc glaner la vision d’un individu sec et vif, engoncé dans des sweats trop grands pour atténuer un peu l’effet « souris ».
Alex a les cheveux courts, coupés en mèches inégales avec des épis réguliers, d’un brun foncé ; ils ne sont pas assez longs pour masquer deux yeux perpétuellement en alerte, où s’allume très vite une lueur d’inquiétude. Sa peau caractéristique d’une ethnie du sud est métissée ; il a les oreilles percées, souvent ornées d’un brillant ou d’une boucle légère, et des piercing plus haut de chaque côté. Il lui arrive régulièrement d’ajouter une touche de maquillage à son visage aux endroits stratégiques pour lui faire perdre ses caractéristiques féminines.
Outre ce détail qu’il ne mentionne évidemment devant personne, le jeune homme fait très attention à sa manière de s’habiller : notamment, il ne porte jamais de rose, ou de couleurs qu’il juge « pour les filles ». Le violet est cependant sa teinte préférée. Alex aime les tenues décontractées et les couleurs chaudes, et ne met pas spécialement de soin à chercher des tenues compliquées. Enfiler un t-shirt ou un sweat accompagné d’un jean quelconque, voire d’un survêtement si rien d’autre n’est disponible, ne lui posera aucun problème.


Dernière édition par Alex Cavecchio le Lun 19 Aoû 2013 - 2:34, édité 7 fois
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Alex Cavecchio
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CAVECCHIO Alex ▬ 'Todavía necesito tu mano.' _
MessageSujet: Re: CAVECCHIO Alex ▬ 'Todavía necesito tu mano.'   CAVECCHIO Alex ▬ 'Todavía necesito tu mano.' Icon_minitimeMer 10 Juil 2013 - 3:46

Histoire


Quand on rencontre pour la première fois, c’est toujours un peu gênant. On le, ou la, regarde avec hésitation, sans oser se lancer ; « il », « elle » ? Difficile à dire. On murmure souvent la question à son voisin, eh, à ton avis c’est un mec ou une nana ? Les murmures, c’est fou comme ça s’entend finalement, quand on y est habitué. Et puis on se dit qu’il suffira du nom pour confirmer, c’est pas si compliqué en fait. Allez, on tente, on s’avance, salut moi c’est untel, et toi tu t’appelles comment ?
Salut, moi c’est Alex.
Ouais, et là on est bien emmerdé.

1993


« Ce sera une fille », disait Carina. « T’es pas folle ? », semblait plaisanter Antone aussitôt. Il avait l’air marrant, le futur père, avec sa chemise tendue sur son ventre de buveur, comme si c’était lui qui l’attendait, ce gosse. Lui, tout ce qu’il voulait, c’était un garçon grand et fort pour perpétrer sa lignée ; pas de quoi en faire tout un plat. Il était rigoureusement incapable de comprendre l’entêtement de sa femme. Qu’est-ce qu’ils avaient besoin de s’encombrer d’une gonzesse, d’abord ? Il y avait assez à gérer avec la mère à la maison, déjà, et tous les problèmes administratifs que ça posait. Et puis, c’était pas une fille qui pourrait s’empiffrer avec Antone devant un match de foot dans une dizaine d’années.
Carina, elle, immigrante sans papiers, mariée depuis peu au Parisien qui n’avait jamais regardé que ses mensurations et sa soumission résignée, désirait ardemment une fille. Un petit ange qu’elle pourrait bercer dans ses bras et habiller comme une princesse. Obligée de mettre au monde chez elle, Carina n’alla jamais vérifier le sexe du bébé avant le terme ; et jusqu’au dernier moment, elle espéra de tout son cœur.
… Mala suerte.

1998


    - Alex, ma chérie, on va être en retard chez Lena. Dépêche-toi tu veux ?

« Ma chérie », c’est sans doute les deux premiers mots appris par Alex. Vu la fréquence à laquelle sa mère les lui répète à longueur de journée, elle aurait bien du mal à les oublier, ces mots. La fillette, dont le teint mat s’accorde parfaitement avec la robe sombre, attrape au passage une peluche toute neuve et court saisir la main de sa mère, son joli sourire ouvert sur des dents bien droites.

    - Qu’est-ce que… Tu l’emmènes ? Interroge la jeune femme en apercevant la peluche.
    - Je veux la montrer à Lena !

Alex sourit de plus belle ; cela fait fondre sa mère dans la seconde. Depuis qu’elle lui a acheté cette peluche de chauve-souris, la fillette ne la lâche plus ; elle a une étrange obsession pour ces créatures que Carina, réprimant son dégoût par amour pour elle, n’a jamais pu comprendre. Elle lui parle pendant des heures, et la jeune femme a dû batailler pour lui faire comprendre qu’il était impossible de l’emmener à l’école. Mais bon, à six ans, on n’est pas si tenace, et Alex est une enfant particulièrement sage.
Dans le couloir de leur vieux HLM, Carina n’a pas tourné la clé dans la serrure que sa fille a déjà dévalé l’escalier et frappé chez sa tante ; elle trépigne devant la porte, la grosse peluche serrée dans ses bras frêles. L’équivalent de deux jours de salaire, songe la belle immigrée en la rejoignant ; si le père de l’enfant, soi-disant en voyage d’affaire à l’étranger depuis des années, ne daignait pas leur envoyer une pension mensuelle assez régulièrement, jamais Carina ne pourrait payer de tels cadeaux à Alex. D’autant plus qu’à cet âge, ils grandissent particulièrement vite.
La sœur de Carina ouvre, s’extasie devant sa nièce jusqu’à la faire rougir ; Alex la salue cavalièrement, comme tous les enfants de son âge, elle lui fait distraitement la bise, plus contrainte qu’autre chose, et puis elle disparaît à la vue pour courir rejoindre sa cousine. Felicia rit, invite sa cadette à entrer, discute plus joyeusement que jamais en l’absence de son mari. Felicia est un peu comme Carina ; bien plus heureuse quand son époux n’est pas là. Et Lena comme Alex ne sont pas dérangées par l’absence de père à la maison ; avec toute la famille qu’elles ont dans le quartier de toute façon, les oncles, les tantes, les cousins à tous les degrés possibles, on se perdrait dans l’arbre généalogique. Ce n’est pas d’amour qu’elles manquent.
Dans la chambre de Lena, les deux cousines - les plus grandes amies du monde - jouent ensemble à la poupée ; Carina a une oreille qui traîne pour Alex : elle l’écoute raconter à Lena que sa peluche lui parle, qu’elle est vivante. La mère sourit, attendrie ; mais la conversation qu’elle tient avec sa sœur commence à revenir sur un sujet désagréable.

    - Et donc, Antone rentre quand ?
    - Je ne sais pas exactement… il a évoqué l’idée de finir l’année prochaine, peut-être…

Carina est évasive. Le retour de son mari, elle ne veut surtout pas y penser. Elle en a peur ; et elle sait que sa sœur partage cette crainte. Pour elle. Pour Alex. Mais également que Felicia la tient pour responsable. D’ailleurs elle recommence à tenter de la sermonner, prenant une voix plus grave, presque menaçante :

    - Carina, il n’est pas trop tard pour réparer ça. Il te reste un an, c’est suffisant. Tu imagines ce que dira ton mari quand…

Cette conversation, elles l’ont eu des centaines de fois. Carina balaie tous les arguments d’un vague signe de main ; elle sait que Felicia a raison. Elle sait qu’elle court à la catastrophe. Mais peut-être qu’au fond d’elle-même, il y a quelque chose de cassé, qui l’empêche de faire machine arrière.
Et pendant ce temps, dans la chambre de Lena, les deux enfants jouent à la poupée avec insouciance.




Alex est debout, dans son maillot de bain une pièce rouge, debout au bord de la piscine. A quelques mètres, à sa droite, le maître-nageur répète les consignes de sécurité aux élèves de sa classe ; avec tous les autres enfants autour du bassin, c’est un chahut impossible. Alex contemple ses pieds crispés sur le bord de carrelage froid, elle se penche un peu. Elle est curieuse, Alex. Elle ne sait pas nager, elle n’a jamais mis les pieds à la piscine ; alors elle observe l’étendue liquide en écarquillant les yeux. Ça fait vraiment beaucoup d’eau.
Beaucoup trop.
Elle ne pensait pas au danger, Alex, en se penchant de cette façon ; elle n’a pas réfléchi à la chute. Elle aurait peut-être reculé, sinon, et son pied n’aurait pas glissé sur le carrelage mouillé, elle ne se serait pas cogné la tête en tombant à l’eau. Il y a le choc, et puis la masse écrasante se saisit brutalement de son corps, tente de l’étouffer en s’engouffrant dans sa bouche, tandis que, sonnée, elle se débat et essaie de trouver l’oxygène qui lui manque. Mais elle n’y arrive pas ; elle coule, elle se noie, elle est tout entière avalée par le poids du liquide qui remplit ses poumons.
Et soudain, l’écho des cris contre les murs blancs, à nouveau, alors que deux bras puissants l’arrachent aux flots. Alex tremble, elle est frigorifiée ; avalant goulument l’air qui chasse l’eau de ses poumons, elle hoquète, crache, elle comprend qu’elle a failli mourir. Alors elle fond en larmes en s’accrochant de toutes ses forces au cou du maître-nageur, et elle ne peut plus s’arrêter de pleurer.

1999


Papa est rentré ce soir. Maman n’avait pas l’air contente.
Alex est serrée contre la porte de sa chambre, l’œil glissé dans l’entrebâillement où filtre un très faible rai de lumière. Son cœur bat très fort depuis que sa mère lui a dit d’aller de sa chambre, de ne pas en sortir, qu’elle avait quelque chose à dire à son père. Sa voix était tremblante ; et Alex n’a pas eu le temps de le voir, son père. Maintenant, elle ne fait qu’entrapercevoir son dos, et surtout, surtout, elle entend sa grosse voix qui hurle, par-dessus les bredouillements de sa mère qui tente d’expliquer quelque chose, elle ne sait pas quoi. Alex a peur, sans savoir pourquoi. Elle sait qu’ils parlent d’elle. Elle le sent. Et cet homme continue à crier, vociférer des insultes dans une langue qu’elle ne comprend pas. Les mots se mélangent, dans l’espagnol de Carina et cette langue que lui crache avec violence.
¡ Perdóname, perdóname, perdóname !
Tout à coup, la silhouette massive se retourne, et Alex s’écarte vivement de l’entrebâillement en écoutant ses pas ses rapprocher de la porte. Elle a peur. Elle a peur. La porte s’ouvre à la volée en lui laissant une vilaine marbrure sur le bras, elle tombe avec un glapissement de douleur, et de très loin, elle entend sa mère qui crie. Antone claque le battant derrière lui et s’avance : il est si grand qu’Alex ne voit pas bien son visage. Figée, tremblante, elle se souvient soudain des hurlements poussés pas la voisine du dessus un soir sur deux. Maman a toujours dit que ce n’était rien, de ne pas y faire attention. Aujourd’hui elle a crié pareil.

    - Bon alors, toi. Ta mère dit que j’bois trop pour savoir si j’ai fait un mec ou une nana, hein. On va voir ça, hein, « gamine ». Mon ptit gars.

Alex est terrorisée. Immobile, dans sa petite robe bleue. Et elle aussi, elle crie.




Jeudi. Le soleil brille très fort au-dessus des immeubles, mais ses yeux sont pleins d’eau. La main de Carina traîne sèchement Alex derrière elle à travers le parc, refusant de s’arrêter. La jeune immigrée qui marche tête basse, comme pour ne pas croiser les regards des femmes qu’elle avait l’habitude de fréquenter, reste sourde aux appels, aux prières, aux pleurs ; Alex peut faire n’importe quoi, cette main ferme refuse de lâcher prise. Pourtant elle ne comprend pas : elle ne comprend pas pourquoi elle ne peut pas s’arrêter pour jouer dans le sable avec ses amies, ni pourquoi cela fait des semaines qu’elle n’a pas été chez Lena. Elle ne comprend pas pourquoi elle ne peut pas se changer, alors que ces vêtements la gênent dans ses mouvements : elle voudrait retirer ce short qui la démange sous son pantacourt, remplacer son t-shirt kaki par une chemise colorée. Et surtout, surtout, sa tête est légère, trop légère : Elle a froid malgré le bonnet que maman lui a enfilé sur la tête.
Les ciseaux de la coiffeuse ont claqué tout autour de son crâne – tchak, tchak – sans qu’elle ait son mot à dire, et quand les premières boucles brunes sont tombées sur le dallage blanc comme celui d’un hôpital, Alex s’est mise à pleurer. Elle n’a pas arrêté depuis. Mais Carina n’écoute pas et la tire derrière elle sans pitié, comme sourde, jusqu’à l’appartement. Alex sanglote, elle ne veut pas rentrer, elle ne veut plus jamais revoir son père, parce qu’elle sait que tout ça, tout, c’est de sa faute à lui. Mais Antone attend. Et Carina, la tête dans les épaules, rentre.

2010


    - Alex, c’est ça ?

Le prof vient d’annoncer l’intercours. Les mains dans les poches, assis sur une table de perm’ sans se soucier de salir la chaise avec ses baskets, Alex hoche la tête, renfrogné. Il réagit toujours de la même façon lorsqu’on l’interroge comme ça ; il connaît la chanson, maintenant.

    - C’est Alex pour « Alexandre » ou pour « Alexandra » ?

Il pensait pas à mal, ce type, Alex le sait. Il n’a fait que poser comme il a pu une question qui le taraudait.
En fait le lycéen aurait presque pu répondre sans remous si un petit malin derrière n’avait pas entonné en se balançant exagérément le refrain de la chanson de ce cher Claude.
Alexandrie, Alexandraa.
Déconne pas, connard, moi c’est Alex. Alex tout court.



▬ 1999

Les pieds du petit ne raclent même pas le sol du bout de la chaussure. Il se tient au bord du banc, tout au bord, comme préparé à un plongeon final, il fixe ses tennis qui se balancent et deviennent toutes floues par intermittence, tandis que de grosses larmes remplissent ses yeux sombres. À quelques mètres, Lena échappe à la poigne de sa mère et court dans sa direction en criant son nom. Alex, Alex, ehh, Aleeex !!
Alex renifle, lève la tête et frotte ses yeux avec des poings terreux. Un garçon ça pleure pas. Un garçon ça pleure pas, souviens-toi de ce qu'a dit papa.
Alex ne veut pas, elle ne veut pas. Lena grimpe péniblement à son côté et lui plante un baiser sur la joue ; sa maman lui a expliqué des choses sur Alex mais elle n'a pas bien compris. Lena mélange un peu tout, mais tout ce qu'elle voit c'est Alex qui pleure. Elle lui demande ce qui ne va pas, oubliant Felicia qui assiste à la scène de loin, elle ne voit pas les yeux tristes de sa mère. Alex replie ses genoux contre sa poitrine et éclate en sanglots, inconsolable sans pouvoir mettre de mots sur ce qui la chagrine. Lena la serre contre elle, elle passe les mains dans les beaux cheveux si courts de son amie, lui chatouille les oreilles avec sa longue tresse. Alors Alex relève les yeux, elle renifle, accepte un mouchoir que lui tend sa cousine. Celle-ci la fixe un instant, puis attrape ses doigts dans une poignée de main secrète qu'elles seules connaissent et lui murmure quelque chose à l'oreille. Alex avale sa salive et son chagrin, hoche la tête en reniflant une dernière fois.
Promis ? Promis.





Alex sourit. Debout à côté de la table, sous les spots dont la lumière lui blesse les yeux, il fait poliment la bise à tous les invités qui se pressent fébrilement dans la salle des fêtes. Louée par son père pour fêter sa cinquantaine ; la famille trouve ça drôle, elle n’a pas l’habitude. Alex laisse errer son regard sur cette foule homogène à la faveur d’un répit temporaire. De multiples chevelures sombres, les peaux basanées qui se côtoient ; ici, la chair claire des amis de son père émerge violemment de la masse. Les pensées s’effilent dans sa tête : dans toute cette foule, ils ne doivent pas être plus d’une douzaine à lui être liés par le sang, et en dépit de cela, ils forment une « famille ». Ils habitent dans le même quartier, souvent voisins de palier : tante Marguerita, Abdiel, Jaira, et le vieux Abraham. Micro-communauté fermée, comme un espèce de clan dans cet environnement où tout le monde connaît tout le monde, cercle clos de liens fraternels construits sur la base d’une nostalgie commune et de la recherche du semblable – un instinct grégaire très prononcé, disons. C’est néanmoins la famille de Carina, sa famille – même si on ne peut pas exactement dire la même chose de son père.
Alex regarde sa mère rire auprès de Felicia, un verre épais à la main ; il cherche Lena des yeux, mais impossible de la distinguer parmi la multitude des femmes dans le coin opposé de la pièce. En revanche, il aperçoit la vieille tante Henrietta qui s’approche en claudiquant et exhibant son sourire édenté. Et merde.

    - Bonsoir ma chérie ! Comment vas-tu ?

Son français est approximatif et sa voix chevrotante ; elle ne sent pas très bon non plus. Alex s’abaisse à la hauteur de ses lèvres molles, renonçant à la détromper et réprimant une grimace qui serait prompte à la vexer. En quelques années, les membres de la famille ont pu se rendre clairement compte de l’état des choses dans les yeux de son père et les bleus de sa mère ; on les a convaincus, sans qu’un mot soit prononcé. Même si, Alex le sait, ça a dû jaser dans les ménages à l’époque. Les femmes du coin ont la langue agile.
Mais pas tante Henrietta. Elle, elle n’a jamais imprimé ; son « ma chérie », elle ne l’a jamais lâché.
C’est pas sa faute, hein. Elle a plus toute sa tête, la vieille Henrietta, et c’est dur pour elle depuis la mort de son mari, son arrivée en France, tout ça. On lui pardonne. De toute façon, elle fera pas long feu, Henrietta, grogne régulièrement Antone. Et puis, personne ne l’écoute vraiment ; tout au plus réussit-elle à réveiller un léger malaise dans l’entourage du jeune homme.
Alors Alex l’écoute l’interroger sur ses amies et lui parler de vêtements et maquillage, incessant babillage qui lui donne envie de déguerpir. Tant qu’elle ne dérive pas sur le sujet du petit copain, il peut encore faire assez bien illusion, de toute façon. Il la laisse dire. Il laisse faire.
Alex sourit.




Le prof passe, les copies à la main. Avec un gloussement, la fille d’à-côté rompt la conversation qu’elle entretenait avec Alex, et lui se remet à sa place avec un soupir faussement déçu. Il regarde le prof de maths qui se fait siffler à chaque mauvaise note ; un élève se lève et lui balance sa copie pliée de façon à imiter une forme obscène à l’arrière du crâne. C’est toujours comme ça, dans le collège d’Alex, il a l’habitude. On peut pas dire qu’il participe pas, d’ailleurs. Pour lui, c’est tous des cons ces profs, de toute façon ; des glandeurs qui ont rien d’autre à foutre de leur vie que d’enfoncer des mecs comme lui. En plus c’est des racistes, en général, ces porcs. Le vieux matheux a la peau bien blanche, de petites lunettes rondes, et il se tenait droit en arrivant dans l’établissement. Plus maintenant, tiens ; bien fait pour lui, ça lui apprendra. Quand il laisse tomber sa copie sur sa table, Alex lui jette un sale regard et laisse tomber ses baskets boueuses sur la feuille couverte de ratures rouges d’un air ouvertement provocateur. Le vieux ne dit rien, il continue son chemin entre les rangées sous les huées de la classe. On dirait un fantôme. Ça fait pitié. Mine de rien, Alex jette quand même un œil entre ses chevilles croisées, sur le haut de la feuille.
Encore 0. Putain.
Il en a rien à foutre, non. Par contre il va défoncer le crétin qui lui a filé les réponses. Ça, c’est ce qu’il va dire à Enzo en se marrant à la sortie du cours. Mais ça aussi, ça fait pitié.
La boîte de cartouches noires de l’adolescent traverse la salle et va éclater contre le tableau sous les huées de la classe entière.

La sonnerie ne résonne même pas ; à peine peut-elle émettre un crachotement asthmatique depuis qu’Esteban est allé s’occuper de son cas l’année précédente. Mais de toute façon, il n’y a plus personne dans la salle de cours depuis plus de dix minutes : Alex s’éloigne dans le couloir, les mains dans les poches, son sac quasiment vide jeté sur une épaule, et il emboîte le pas à Enzo. Ce dernier commente en ricanant son dernier exploit en date, en se payant la tête du prof, dont les fringues sont sûrement ruinées par l’encre à l’heure actuelle. Elle était ineffaçable. Alex se balance d’avant en arrière sans rien dire, il a les écouteurs enfoncés dans les oreilles. A force d’écouter Enzo dire toujours les mêmes choses, il est devenu capable de répondre de façon naturelle sans même l’écouter parler. C’est un mec trop prévisible, Enzo. Pas méchant, non, un peu con quand même. Enfin, pas méchant, faut voir. Depuis qu’il a vu qu’Alex le laisserait pas lui chourer ses fringues et lui plonger la tête dans les chiottes, ça va. Le mieux pour devenir pote avec Enzo, c’est encore de lui coller une beigne en pleine gueule – et en l’occurrence, c’est ce qu’Alex a fait, le premier jour. Avec une chaise.
Il lui en a pas trop voulu. Enzo est un peu con, mais pas stupide – dans la tête d’Alex, il y a une nette différence entre ceux qui souffrent d'une légère connerie congénitale, et les imbéciles. Les imbéciles finissent toujours par s’attaquer au mauvais morceau. Enzo, lui, il a sa petite clique qui traîne la nuit en rayant les voitures et cambriolant les épiceries ; un de plus ou de moins, ça lui va. Ceci dit, il est pas très doué en cours non plus, Enzo. Comme toute leur classe, d’ailleurs ; et la classe de l’année précédente aussi, et celle de l’année d’avant pareil. C’est pas des lumières dans ce bahut, ou alors c’est juste qu’on leur apprend pas correctement. Ou qu’ils en ont rien à foutre aussi, c’est probable. Alex pourrait peut-être atteindre la moyenne, comme la moitié de sa classe : au fond, ils ne sont pas arriérés non plus. Mais il a la flemme. Il s’en fout, il voit pas l’utilité. L’avenir, ça lui parle pas. Il conjugue tout au présent. Et puis, celui qui a eu plus de 12 au début de l’année s’est mangé une benne le soir même, ça donne à réfléchir.
Dans le coin, mieux vaut suivre le mouvement. Bêler en chœur, c’est bien aussi.
Alors c’est vrai, si ses profs étaient pas tous des nazes, il s’en sortirait peut-être.




Alexandrie, Alexandra…
Sur le coup, il lui a juste lancé un sale regard, au type. Il était pas méchant ; en général, un coup d’œil furibond d’Alex, ça suffit à calmer les gens pas trop cons. Il a beau avoir un petit gabarit, ses yeux tout noirs ont tendance à se remplir très vite de menaces de violence. Et ça, les autres le sentent. Casse-toi ou je te cogne. C’est ça, le message.
Ça aurait pu en rester là. Pas Alexandre, pas Alexandra.
Sans l’élément perturbateur. Il s’appelle Stanley, l’élément perturbateur. Et lui, Alex pense qu’il l’est vraiment. Con.

    - Eh minette, t’as vu comment tu le mates ? Pas très sympa !

Ou quelque chose comme ça, Alex ne s’en souvient plus très bien après coup. L’idée y est en tout cas. C’est vrai que c’était pas sympa. Mais en fait, le sourire de Stanley, il avait juste envie d’en démolir toutes les dents : Et d’ailleurs ça n’a pas raté.
Donc Alex lui a balancé un coup de tête en plein sur la bouche, et Stanley a fermé sa gueule. Bon, certes, après il s’est repris et ça a fini en traditionnel bourrage de coups de poing. Mais au moins, chacun est reparti avec une dose de cocards à peu près équivalente et la même fierté amochée. Il n’en a pas toujours été ainsi.
En primaire, Stanley a été un des premiers à s’en prendre à lui. En plus d’avoir un nom ridicule, le gosse aux cheveux en bataille et aux nikes flambant neuves entendait devenir le roi de la cour de récré. Ou une crétinerie du genre ; en tout cas, tous les boucs émissaires possibles étaient passés entre ses mains.
Et si bizarrement, le changement d’Alex était passé presque inaperçu après ses six ans, Stanley, lui n’avait jamais oublié ce « détail ». Alors en primaire, c’était les bousculades, les mots qui font mal, les animaux crevés dans le sac. Au collège, c’était la cuvette des toilettes, les rossées au fond de la cour et d’autres détails encore moins agréables.
Alex n’aime pas s’en souvenir, déjà. Ensuite, il déteste en parler. Et malgré ça, il n’a jamais oublié. Et maintenant, il ne se laisse plus faire - Il ne veut plus revivre ça, jamais.

Pourtant, c’est assez dur de s’en sortir quand on a été une fois catalogué comme victime dans un quartier comme le sien. Parce que de toute façon, tout le monde se connaît depuis le berceau, ou presque. Alex, il est quasiment jamais sorti de sa banlieue – et au fond, il s’en fout pas mal. Son monde, c’est ici ; ça fait presque dix-sept ans qu’il y vit et il y a peu de chance qu’il le quitte jamais, mais il l’aime comme ça. Sa vie, il l’imagine pas autrement ; et l’avenir, il y pense pas.
Vaut mieux pas.
Mais du coup, il connaît toutes les adresses et tous les visages. Il y en a qu’il est toujours heureux d’apercevoir, et d’autres moins sympa, mais il fait avec. Même si au début, c’était difficile. Ici, tout le monde connaît tout le monde, oui – par l’ami du cousin de la sœur du garagiste de machin, ou quoi que ce soit du même style. Ici, chaque rumeur se répand comme une traînée de poudre. Ici, les histoires restent, et les catégories stagnent. Alex ne sait pas bien comment il a réussi à s’en sortir.
Sans doute à cause de son sale caractère, dirait Magda. Enfin Magda raconte souvent n’importe quoi.




A côté de la petite bande de sa classe, Enzo, Esteban, Diego et compagnie, il y a David. David, c’est pas le même genre, pas du tout. D’ailleurs, sans Alex, il se serait fait casser la figure au premier pied qu’il mettait dans le lycée, Dave. Il était pas du quartier et ça se voyait sur son visage. Ça va mieux, maintenant, il a appris à se débrouiller. Au point même que maintenant, officieusement, ce serait plutôt lui qui veillerait sur Alex et pas l’inverse – ce qui, évidemment, n’est pas trop à son goût.
David, c’est une espèce de gosse de riche à la peau bien trop blanche et aux cheveux bien trop blonds. Il est pas dans la même classe qu’Alex, mais en général ils se rejoignent à la sortie et vont passer des soirées chez l’un ou l’autre, quand ils ne s’invitent pas chez d’autres.
Quand Alex l’aperçoit ce soir-là, devant les grilles, il lui adresse un signe blasé de la main. Dave a coupé ses cheveux et des mèches noires se sont mises à strier le blond originel, depuis qu’il l’a rencontré. Il a des piercings aux oreilles, c’est lui qui a convaincu son meilleur ami de s’y mettre. Il en a à l’arcade aussi, mais Alex, c’est pas trop son truc.
Faut être malade pour laisser cette espèce de perceuse approcher de son visage, quand même.
En même temps, ça l’étonne pas trop de David, ça. Il est du genre un peu dérangé, le meilleur ami : toujours à faire les coups les plus fous pour avoir un peu d’adrénaline. C’est le carcan familial qui lui fait ça.

Le père de David a eu des problèmes, il y a quelques années. D’après ce que raconte le jeune homme, il a conduit son entreprise au bord de la faillite et s’est fait virer ; en plus, depuis que sa femme l’a quitté, il s’est mis à avoir de plus en plus de dettes, et c’est pour ça que son fils et lui se sont retrouvés forcés de déménager dans un quartier comme celui d’Alex. Sans faire de généralités, il faut tout de même avouer que s’il avait pu rester avec sa mère, héritière d’une compagnie plutôt aisée, David n’aurait jamais atterri ici. Sa vie aurait été différente.
Mais Alex se fout de savoir s’il aurait été plus heureux ou non. Il est content que David ait débarqué dans sa vie à lui.
Le premier jour, il était pas loin de lui coller la raclée de sa vie, pourtant.



▬ 2009
C’est marrant, mais la première impression est pas toujours la bonne.
    - Dis, t’es une fille ou un garçon ?
    - … Tu veux que je te pète la gueule, connard ?
    - Euh, ça va… t’énerve pas, c’était juste une question…
    - J’en ai rien à battre, fais pas ton bourge et casse-toi, tu me gênes.
    - Eh, si t’as des problèmes dans la vie défoule-toi sur quelqu’un d’autre que moi, ça sert à rien.
    - C’est ça. A ta place je me ferais oublier, mec.

Le blond s’éloigna d’un air qui se voulait offusqué, mais ses épaules voûtées et sa démarche hésitante trahissait la bonne dose de crainte qui secouait ses veines. Alex le suivait des yeux en accrochant au passage des regards pernicieux qui pivotaient dans la même direction. Les adolescents assis sur les tables ou renversés sur leurs chaises semblaient exhiber des crocs de charognards ; Alex savait parfaitement que le nouveau allait devenir leur cible attribuée dès qu’il aurait mis un pied hors de la salle de classe. Peut-être même avant.
S’il avait eu l’intelligence de débarquer en début d’année, il aurait peut-être pu bénéficier du temps nécessaire pour comprendre qu’il devait choisir très vite une attitude ciblée et s’y tenir coûte que coûte. Ou il s’écrasait, ou il se faisait respecter. Maintenant, alors que les rôles étaient déjà distribués, il n’avait plus vraiment le choix.
Alex savait comment ça marchait. Et franchement, il préférait que ce soit le blondinet que lui qui se prenne les rossées après les cours – voire pire. Tout le monde penserait comme lui.
Cela dit, il compatissait quand même un peu au sort du jeune garçon.

Le cours de sport était de loin le plus désorganisé de tous. Le prof avait tout sauf l’envie de gérer un groupe d’adolescents n’ayant en tête que deux choses on ne peut plus différentes des activités proposées – à savoir mater les filles dans les vestiaires et se tirer en douce pour fumer un joint derrière le gymnase – et ne se montrait jamais mécontent de mettre tous les moutons galeux dehors. Et à vrai dire, ne restaient que ceux qui prenaient plaisir à suer sang et eau pendant deux heures.
Alex ne faisait pas partie du lot. Non pas qu’il eut quoi que ce soit contre le sport en général, mais les remarques de ses camarades lui tapaient sur le système. Et s’il mettait un point d’honneur à se changer dans les vestiaires en début d’année pour mettre les choses au clair, il n’appréciait pas spécialement d’exposer sa musculature d’oiseau à l’air libre le reste du temps.
Il se sentait à l’aise dans des sweats et des trucs qui pouvaient le faire paraître plus imposant qu’il ne l’était en réalité. Ça avait toujours été comme ça.
La capuche rabattue sur la tête, Alex cala ses baskets aux lacets jamais noués contre les barreaux de fer et escalada la grille du gymnase avec l’agilité d’un singe. C’était bien un des seuls avantages que lui procurait sa taille : quand ses potes tout en muscles grognaient en glissant sur les barres lisses pendant une dizaine de minutes, lui s’élevait jusqu’aux piques supérieures en deux temps trois mouvements, sac sur le dos et clope au bec. Un lot de consolation.
Le jeune homme sauta par-dessus le sommet de la grille et retomba au sol en souplesse : ce n’est qu’à ce moment-là qu’il aperçut, collé au mur du gymnase qu’il venait de dépasser dans sa course vers la liberté, un groupe d’ados pas plus âgés que lui. De sa classe, d’ailleurs. Plus particulièrement, trois mecs de sa cité entourant comme par une fausse affection la tête blonde repérée le matin même.
Sur le coup, Alex se contenta de faire la grimace. Il plaignait un peu le type pour ce qui allait lui arriver.
Cela dit, ce n’était pas ses oignons.

• • • ✒

    - T’es débile ou quoi ? Pourquoi t’as fait ça ?
    - Ta gueule sale friqué.
    - Je suis pas friqué.
    - Genre.
    - … La vache je saigne. Et ça s’arrête pas en plus.
    - T’es une vraie tapette, Jean-Charles.
    - David, je m’appelle David Feret. Eh, fais voir ton œil – merde, il t’a pas loupé !
    - Me touche pas putain !




Après ça, Alex a eu beau râler, David a plus quitté ses basques. Au début du coup, il l’a vraiment pris pour une insupportable sangsue incapable de s’occuper de lui tout seul. Un fils à papa qui ne savait même pas faire ses lacets sans aide, ou quelque chose comme ça.
Et il ne s’est pas gêné pour le lui dire. Plusieurs fois, même. Autant de fois qu’il a fallu pour que son ami cesse enfin de s’aplatir devant toute forme d’agressivité et cherche enfin à se rebeller un peu.
Ouais, il avait vraiment une mauvaise opinion de lui, au début. Et puis un jour, comme ça, en passant, David lui a raconté l’histoire de son père. Pourquoi sa mère ne voulait pas sa garde, et plein d’autres trucs encore, dont les fins de mois un peu difficiles ; Alex a compris qu’un niveau de vie semblable à celui de tous ses potes de collège rendait son nouvel ami honteux à l’idée d’inviter qui que ce soit chez lui. Le lendemain, il lui a ramené une de ses Playstations.

Parce que David était un gentil garçon qui ne méritait pas ce qui lui arrivait. C’était juste un mec sympa, un peu naïf, qui allait se faire bouffer tout cru sur les trottoirs de sa cité ; et ça, il fallait qu’il le comprenne.

On lui a toujours dit d’être poli et respectueux, pacifique, sensé, tout le bataclan. Mais ça, c’était avant que sa mère laisse son éducation à un père à la dérive. Alex, lui, trouvait la vie de son pote ridiculement ampoulée. Et de toute façon, l’environnement l’a vite changé.
Il en a marre d’être un gentil garçon, Dave.
Et le changement a été à la fois rapide et radical : disparues, ses mimiques offusquées et ses airs de timide. Bonjour les fringues rock et les mèches, les beuveries jusqu’à cinq heures du mat’ et les copines à répétition. D’un côté, Alex en vient presque à l’envier après un an passé ensemble : parce qu’il est persuadé qu’au fond, David avait ce sacré caractère dès le début, et qu’on l’avait seulement mis sous clé. Quand David veut quelque chose, il fonce dans le tas. Quand David dit qu’il s’emmerde, il se jette devant les voitures pour déconner. C’est un putain de suicidaire. Ou un putain de taré. On pourrait se demander comment le carcan familial peut changer quelqu’un à ce point.
Non, en fait, Alex sait parfaitement comment. Sauf que lui, il est tout le contraire de Dave. Il n’a pas son mérite.
Et en plus, si sa mère le voyait débarquer avec des mèches et des piercings au visage, elle le scalperait sur-le-champ.




Le destin doit avoir un sacré sens de l’humour, parce que quand Dave est obligé de bosser depuis son arrivée pour joindre les deux bouts avec son père, Alex lui, a tout ce qu’il veut quand il veut – ou presque. Du plus loin qu’il s’en souvienne d’ailleurs, ça a toujours fonctionné comme ça.

Quand il rentre chez lui, Alex balance ses chaussures, balance son sac, lance un « Salut m’man » sonore et passe tirer le pot de nutella dans la cuisine avant de filer dans sa chambre et de se jeter sur son lit. En général, on lui demande pas grand-chose ; parfois, sa mère exige qu’il passe l’aspi, range le bordel qui infeste sa chambre, ou quelque chose du genre. Mais c’est rare. Le plus souvent, c’est sa sœur qui s’en charge.
Rejetant ses chaussures par-dessus son lit jamais fait, Alex roule jusqu’à la console flambant neuve négligemment jetée sur la table de nuit. Un peu plus loin, son pc ronronne paisiblement, en veille depuis des heures sur son bureau encombré par des paquets de gâteaux pour la plupart vides depuis longtemps. Vu comme ça, on pourrait croire qu’Alex n’est pas un fan incontesté de l’ordre et de la propreté.
En un sens, ce serait se tromper lourdement.
Les choses ne sont pas toujours ce qu’elles semblent être, et Alex en est l’un des plus conscients, allongé sur le ventre avec un bijou de technologie qui ne lui a pas coûté un centime entre les mains. Ses consoles, il ne les compte plus. Les fringues de marque non plus, même s’il fait gaffe à ne pas les afficher n’importe comment pour ne pas se retrouver désapé dans une ruelle sombre. C’est que papa lui paye tout, à Alex. Tout ce qui, selon lui, constitue un « attirail de mec de son âge ». Si Alex a besoin de thune pour un ciné avec une nana, papa allonge, si Alex a démoli la Wii en se battant avec Rayan, son plus jeune frère, une nouvelle apparaît comme par magie deux ou trois jours plus tard. Bien sûr, à côté des packs de bière qui traînent devant la télé et de la voiture de sport qu’Antone laisse garée à 50km d’Ajaccio, il y a les fripes bon marché de Carina et l’appareil dentaire d’Adelma qu’on attend toujours. Il y a les restos du cœur auxquels Alex refuse tout net d’aller. Le décalage entre les membres de sa famille, il le voit plus ; il a fermé les yeux, il s’est convaincu qu’il n’y peut rien. C’est comme ça c’est comme ça – et il n’ose pas essayer de changer quoi que ce soit. C’est plus facile de faire comme papa.
Ce bel enfoiré.
Trois coups légers frappés à sa porte font se retourner Alex, qui appuie simultanément sur le bouton « pause » avec l’aisance de l’habitude : il se redresse sur un coude pour observer sa cadette de neuf ans, accrochée à la poignée d’une porte qu’il ne ferme quasiment jamais.

    - Maman demande si tu manges à la maison ce soir.

En trois pas, la fillette se retrouve près du bureau et y dépose une pile de linge entre divers câbles abandonnés et canettes de soda vides. La scène est courante, tout à l’air normal, mais Alex peut voir que les yeux sombres de sa sœur présentent une humidité suspecte.

    - Ça va Adel’ ?

A cet âge-là encore, Adelma ne peut pas empêcher ses lèvres de trembler. A la vue de la buée qui envahit ses petites lunettes rouges, le jeune homme s’assoit sur son lit et l’attire sur ses genoux en l’écoutant bredouiller en reniflant le nom de son chat disparu. Alex grimace imperceptiblement : en même temps, il aurait dû savoir que manger les plantes en pot sur le balcon c’était une mauvaise idée, Gargamel ; ce chat n’a jamais été très futé. Alex ne le pleure pas vraiment, parce qu’il n’aime pas les animaux, mais ça fait deux jours qu’Adelma est inconsolable.

    - Même que Gaetan a dit que si on l’avait emmené chez le véto il serait pas mort ! Sanglote-t-elle avec cette insistance gênante qui met le doigt pile sur le problème.

Elle n’a pas tort. Mais le vétérinaire c’est cher. Carina le sait mieux que quiconque ; alors le chat a fini par clamser, tout ça parce que « el padre » ne trouve aux bestioles de sa fille aucune autre utilité que celle de ressembler d’assez loin – et surtout quand il a bu – à un ballon de foot. C’est assez triste, quand on y pense. Alex attrape maladroitement la boîte de mouchoirs située sur le bureau à la limite de ce que ses doigts peuvent atteindre, et essuie le visage de sa cadette.

    - ‘fin tu sais bien que Gaetan dit beaucoup de conneries, quoi. L’écoute pas, il devait avoir une maladie incurable, Gargamel. Et puis il – Alex espère très fort que sa sœur est encore trop petite pour se rendre compte de la vérité – a pas souffert, tu vois.

Ce n’est pas suffisant pour sécher les larmes de la petite, cela dit. L’adolescent retient un soupir et fait un peu sauter son genou en lui racontant quelques blagues sélectionnées pour la faire pouffer de rire entre deux sanglots.

    - Tu sais quoi ? Je reste ce soir, tu voudrais manger quoi ?
    - Des pâtes bolo… Marmonna Adelma entre deux reniflements.
    - Vale, je te fais ça. Et tu sais quoi ? – il remet sa sœur sur ses pieds et lui sourit d’un air complice : il me reste de l’argent de poche en rab’, si tu veux, je t’achète un lapin. Ça te dit ?

Evidemment que ça la tente. Passé le premier remord envers son chat, la fillette a les yeux qui brillent et file avec enthousiasme en direction de la cuisine. Alex retourne à sa console.
En tout cas, le lapin au moins il risquera pas de bouffer des trucs toxiques. Maintenant il reste plus qu’à trouver le fric pour la cage et tout le reste, vu que contrairement à ce qu’il a affirmé à Adelma, le jeune homme a claqué tout son argent de poche dans un pack sur un mmorpg la semaine précédente. Enfin, il se débrouille toujours.

• • • ✒

Alex adore cette odeur de viande mêlée à celle de la tomate qui fond lentement dans la casserole. Appuyé d’une hanche négligente contre le plan de travail – qui est peut-être le seul emplacement bien rangé de la maison, le domaine de sa mère – il tourne lentement une cuillère à soupe dans le récipient au sein duquel quelques « plop » rougeâtre éclatent de temps à autre. S’il est franc avec lui-même, le jeune homme doit bien s’avouer qu’il adore cuisiner. Il est doué, en plus, donc ses frères et sœurs aussi sont enthousiastes quand il se met aux fourneaux ; et sa mère encore plus. Elle est assise à la table de la cuisine, apparemment absorbée dans la tâche constituant à recoudre un jean complètement déchiré ayant appartenu à Gaetan, mais même sans la regarder, Alex peut sentir les coups d’œil qu’elle lui lance de temps à autre. Elle a beau tenter de le cacher, il sait à quel point le voir faire la cuisine lui fait plaisir ; et il se sent mal à l’aise, préfèrerait effectivement ne pas parvenir à le deviner.
Mais tant que son père n’est pas là, il en profite. Antone hurlerait des insanités à n’en plus finir s’il voyait un de ses fils s’approcher de la gazinière pour autre chose qu’aller se resservir – et encore. Dans le genre macho, on ne fait pas mieux : Alex n’est pas sûr de savoir s’il a toujours été comme ça ou si les « coups de folie » de sa mère début 21ème ont aggravé les choses. Peut-être les deux.
Jetant sans précautions excessives la cuillère sur une planche de bois, Alex se tourne vers la porte en hurlant :

    - A taaaaaaable !

Quelques secondes s’écoulent durant lesquelles le jeune homme ne bouge pas d’un poil, tandis que sa mère range tranquillement son nécessaire à couture dans un panier avant de remettre son assiette en place. Tendant l’oreille, Alex distingue le « tap tap » précipité propre à sa sœur, un bref instant avant de la voir débouler dans la cuisine : son sourire fait trois fois le tour de son visage rondelet. Alex lâche un soupir amusé : il ne lui faut vraiment pas grand-chose. C’est pour ça qu’il aime les enfants : ils sont simples. Pas toujours innocents et adorables, malheureusement. Mais simples quand même.
Les pré-ados, eux, sont vraiment chiants. Alex laisse filer deux minutes, le temps qu’Adelma se jette sur une chaise avec enthousiasme, puis grogne et sort de la cuisine : il parcourt d’un pas sonore le couloir qui mène à l’autre extrémité de l’appartement et ouvre une porte avec fracas.

    - J’ai dit A TABLE BORDEL !!

Quasiment perdus au milieu de monceaux d’objets de toutes sortes, adaptés à des âges allant de la petite enfance aux 15 ans révolus, deux garçons relèvent brusquement la tête – comme s’ils étaient surpris, tiens. Gaetan, allongé en travers d’un matelas jeté par terre à côté de lits superposés, lève les yeux au ciel et envoie balader le magazine qu’il tient à la main, tandis qu’avachi sur un pouf dans un coin de la pièce disparaissant presque sous des entassements de CD et DVD en tous genres, Rayan tire sans se presser son casque de ses oreilles.

    - Tu fais iéche, j’avais trois lignes à finir quoi. Grogne Gaetan en essayant de passer sous le nez de son aîné, debout dans l’encadrement de la porte. Alex lui assène une claque sur l’arrière de la tête.
    - Depuis quand tu sais lire, toi ? Magne ton cul, j’ai pas toute la nuit. Ray’, qu’est-ce que tu fous ?

Le plus jeune hausse les épaules et emboîte le pas à Gaetan vers la cuisine. Avec une insulte étouffée pour la forme, Alex referma la porte et les suit.
Avant la naissance de Rayan, Gaetan et Alex dormaient dans la même chambre, celle qui était désormais la sienne uniquement, non loin de la porte d’entrée. Mais après une semaine de crise durant laquelle le jeune homme avait revendiqué son droit d’aînesse à disposer d’une pièce pour lui seul pour travailler correctement – et inviter des potes voire éventuellement des filles tranquille – Carina avait fini par céder et installer Gaetan avec son petit frère tout neuf. Aujourd’hui, la situation n’a pas changé, sauf qu’Adelma mène une vie relativement nomade, faisant la navette entre la chambre de sa mère et celles de ses frères selon la présence ou non de son père et l’état d’occupation du salon. D’où le matelas traînant un peu n’importe où dans l’appartement.
Pour l’instant au moins, ça la dérange pas. Tout va bien sur Terre.
C’est drôle, mais c’est toujours lorsqu’on se fait ce genre de réflexion qu’un « hic » frappe à la porte. Alex s’arrête avant l’angle du mur et ferme les yeux un bref instant sur le dos de Rayan qui disparaît dans la cuisine : malheureusement, cela n’empêche pas la porte d’entrée de s’ouvrir avec un grincement familier. Alex soupire en silence, puis reprend sa marche.

    - Salut, P’pa.


• • • ✒

Décidément, il aime pas l’ambiance.
C’est pas comme si les repas avec son père étaient silencieux. Gaetan et Rayan passent leur temps à se couper la parole, Adelma lui demande le sel de temps à autre, Carina ordonne aux garçons de se calmer un peu, et Antone rit très fort. Alex lui-même donne la réplique au quinquagénaire qui s’enquiert de ses derniers « exploits ».
Par exploits, Antone n’entend pas des résultats scolaires excellents ou des matchs gagnés dans une quelconque discipline sportive – ce serait peut-être le cas s’il en pratiquait un mais maintenant non – mais plutôt les derniers rackets, les dernières voitures incendiées, les derniers poulets caillassés dans le quartier, et les techniques de casse les plus récentes qu’il ait apprises.
Et puis sinon, la discussion était normale. Parfaitement normale.

    - Et sinon fiston, quand est-ce qu’ils te prennent dans l’équipe de foot ?
    - Je pense pas qu’ils voudront de moi, répond Alex en haussant les épaules, je suis vraiment un tache, tu sais.
    - Dis pas de conneries, gamin, t’es génial pour taper dans un ballon ! Dément Antone avec un rire gras.

Alex sourit ; il sourit même en ayant en tête le fait que son père n’est jamais venu le voir sur un terrain de foot.
En même temps c’est pas plus mal. La dernière fois qu’il s’est retrouvé dans une équipe, un des mecs de la cité d’à côté lui a démis une épaule.
Alex n’est pas franchement taillé pour n’importe quelle forme de sport.

    - Oh, et puis au pire, tu peux retourner avec ces tas de muscles sur le ring ; un nez cassé, y a que ça pour attirer les bombes, tu sais.

Le jeune homme a à peine le temps de sourire évasivement que son géniteur lui balance deux grandes claques dans le dos. Désarçonné, il lui faut une grande dose de self-control pour ne pas recracher tous ses spaghettis d’un seul coup. Le rire d’Antone résonne sous son crâne.

    - Comme ça tu te retrouves avec un bonne femme à la maison avec des hanches canons et qui fait des super pâtes bolo !

Alex ne regarde pas ses parents. Il n’aime pas quand Antone se tourne vers sa mère, parce qu’il voit dans les yeux de Carina ce que cette brute est incapable d’y distinguer – à moins qu’il n’en soit parfaitement conscient et ne s’en délecte : il y a de la peur, il y a du dégoût, du regret, et, pire que tout, de la résignation. L’adolescent ne peut cependant pas empêcher son regard de croiser les yeux tout aussi noirs de Gaetan : son frère a le visage fermé, le regard étonnement fixe. A sa gauche, Rayan et Adelma ont la tête baissée sur leurs assiettes.
Tu veux vraiment être comme lui, dis-moi, Alex ?

Au début il était imperméable à la présence de son père. Garçon bien sage sous le regarde de l’adulte, il prenait soin de tout faire comme Antone le désirait. De remplir toutes ses attentes, même les plus farfelues. Sois un homme, petit gars. Des trucs comme ça.
Aujourd’hui, bordel, qu’est-ce qu’il le déteste.
Il déteste son sourire arrogant et entendu ; son ventre qui pendouille par-dessus sa ceinture, son odeur d’after-shave, le ton de sa voix, sa façon de s’écrouler dans tous les fauteuils de la maison et d’aller et venir à l’improviste. Comme si cet appart’ n’était pour lui qu’un hôtel un peu miteux, qu’il ne se gêne pas pour critiquer : rien de ce qui lui passe sous les yeux n’échappe à ses grimaces de dégoût. Au point qu’Alex se demande souvent ce qu’il fout encore là.
Après tout il sait que le corse n’a épousé sa mère que parce qu’elle était jolie et que son frère aîné arrivé en France avant elle avait réussi à faire fortune. Antone avait besoin d’argent pour ses « affaires » en Corse ; cet argent, il fallait bien qu’il le trouve quelque part, et pour cela, il avait fait des efforts pour être agréable à l’oncle Rafeal. Et que ce dernier ait été assez peu malin sur ce coup-là, ou que son nouveau beau-frère l’ai tellement harcelé avec ses projets qu’il en ait eu assez, il avait fini par accepter.
Bizarrement, Antone avait toujours tout ce qu’il désirait. Toujours.
Pas de justice pour le quinquagénaire confortablement assis sur son profit qui n’a rien de blanc et pur. Alex se souvient des hommes au visage émacié attendant dans le vestibule dans son enfance. Il se souvient des cris de sa mère. Il se souvient qu’une fois, Antone s’est tellement énervé qu’il a lancé sa fille contre la rambarde du balcon. Il se souvient de tout.
Il déteste quand le regard d’Antone passe sur Adelma comme si elle n’existait pas. Il déteste les mains qu’il pose sur sa mère, l’air qu’il respire, la bière qu’il boit. C’est une répugnance prononcée qui lui colle à la peau : il aimerait franchement que le corse disparaisse de sa vie.

    - Papa a raison, elles sont géniales, ces pâtes. Murmure la fillette aux mèches sombres en levant les yeux vers son frère.

Alex lui sourit avec reconnaissance, et une boule chaude se loge dans sa poitrine lorsqu’il voit Rayan approuver de la tête. Une chaleur amère.
Antone régit déjà sa vie.



C’est comme ça partout. Tout le temps.
    - Tu préfères la bleue ou la noire ?

Alex jette un coup d’œil à Adelma qui, la bouche pincée, jauge les deux chemises d’un œil critique. Il fait la moue, détaille les deux d’un coup d’œil rapide, puis désigne la plus sombre d’un geste bref. Il n’aime pas trop faire les magasins : d’une, c’est long, chiant, et il y a un million de trucs plus utiles qu’il pourrait faire de sa journée ; de deux, c’est toujours le théâtre de situations gênantes.
En effet, quand Alex se retourne, sa mère tire un vêtement des rayonnages et le contemple d’un air pensif. Le garçon grimace en le voyant, et décide rapidement de prendre les choses en main : parce qu’il ne suffit pas que Carina et son français foireux lui foutent régulièrement la honte à la caisse ou lors de différentes démarches administratives, il faut en plus qu’elle cherche absolument à massacrer sa vie sociale à coups de barrettes à cheveux et autres accessoires colorés. On peut plus ou moins affirmer qu’il doit protéger sa viande tout seul, face à ses tentatives désespérées.
Et tant pis si ça lui brise le cœur.

    - Qu’est-ce que tu dis de ça, Alex ? Demande Carina en souriant, exhibant un polo que le jeune homme a pourtant déjà remarqué sur plusieurs de ses congénères au lycée.

Mais il l’a entendue buter sur un « m », avant de se replier sur ce prénom qu’il changerait s’il le pouvait ; et tous les scrupules qu’il aurait pu avoir en tant que fils se sont envolés. Il plonge ses poings serrés dans ses poches.
Ne me dis pas « ma chérie ». Plus jamais.

    - Nan, m’man – répond-t-il en haussant les épaules – j’aime pas le rose.

Le sourire de Carina se fane discrètement sur les bords et une lueur de détresse effleure ses pupilles. Elle paraît hésiter un instant sans trop savoir quoi faire de ce qu’elle a dans les mains, ou quoi répondre à son fils, mais finit par replacer le cintre sur son portant d’un geste maladroit, nécessitant qu’elle s’y reprenne à deux fois.

    - Ah, oui, c’est vrai... Excuse-moi Alex, siempre lo olvido

Sur quelqu’un d’autre, ce truc ne choquerait pas. Alex ne déteste pas vraiment le rose, en fait ; mais il ne veut pas imaginer l’apprécier.
Tu veux que je me fasse désaper à la sortie par Stanley et sa bande, maman ? Ou tu préfères que papa me fasse la gueule au carré comme pour le coup de la danse en 6ème ?[/list]
Carina a souvent ce genre d’idées. Lorsqu’Alex était plus jeune, il faisait ce qu’elle lui proposait ; pour lui faire plaisir, peut-être aussi par envie. De la danse, mon chat, ça te dit ? Tiens, j’ai acheté des fleurs ; et si tu nous faisais des gâteaux ?
Et bam, le poing d’Antone dans ta tronche.
[i]Laisse-moi tranquille, maman, d’accord ? Ça suffit, maintenant.


    - Aleeeex, regarde ce que j’ai trouvéé !

L’hispanique émerge de ses pensées juste à temps pour recevoir une tache de violet pétant en pleine figure, au mépris de la présence d’une vendeuse un peu plus loin. Avec une exclamation de colère très mal feinte, Alex se lance à la poursuite de sa petite sœur entre les rayonnages, faisant au passage tomber plusieurs manteaux qui avaient le malheur de dépasser. Il la coince enfin derrière une enfilade de jeans où tous deux s’écroulent sur le sol en riant et où Alex est obligé de la bâillonner en la chatouillant pour ne pas se faire repérer par la vendeuse.
Sales gosses.

    - Il est nickel ce t-shirt Adel’, t’es la meilleure !

Alex est sincère. Il adore le violet. Ce mélange du bleu qui l’indiffère et du rose qu’il ne veut pas porter. C’est plus fort que lui, il a toujours l’impression que le rose lui tire les entrailles hors du corps ; il ne peut pas s’y trouver confronté sans se rappeler aussi des souvenirs désagréables.
Il a l’impression d’avoir un boulet accroché aux pieds en permanence.

    - Eh vous deux, je peux savoir ce que vous faites ?!

A la voix de leur mère, les deux complices bondissent sur leurs pieds : Carina a beau avoir un tempérament modéré, ils préfèrent ne pas jouer avec le feu.

    - C’est bon, vous avez fini ? Adelma, arrange ta jupe tout de suite. Alex, allez m’attendre dehors.

L’adolescent hausse les épaules et rabat sa casquette sur sa nuque.

• • • ✒

Les traces noirâtres dans le lavabo se diluent lentement sous le jet qui éclabousse la faïence blanc cassé. Alex enfouit son visage dans une serviette : l’obscurité humide et ouatée lui fait du bien.
Il déteste ce qu’il voit dans le miroir en rouvrant les yeux.
Rejetant la serviette sur le côté, il s’appuie contre le lavabo et lève plante ses yeux noirs dans ceux de son reflet. Il déteste cette image qu’il lui renvoie ; il déteste ce corps avec lequel il doit vivre sans pouvoir l’accepter.
Dis maman, je suis une fille ou un garçon ?
Ça ne marche toujours pas. Après toutes ces années, il voit toujours dans la glace le reflet de cette gamine avec de longs cheveux noirs. Son visage est le même ; il provoque toujours l’interrogation des têtes nouvelles, les blagues communes mais piquantes des gens qui le connaissent depuis longtemps. Il voit toujours ce reflet aux cils battants dans le regard moqueur de Stanley.
C’est rien, le physique, qu’on dira. Alex écrase son poing sur le miroir en démolissant méthodiquement son reflet des yeux.

    - Quoi mec, t’as pas de couilles ou quoi ? Arrête de te casser la tête.

Rien à faire, il a toujours cette boule dans la gorge. Et en plus maintenant, il a l’impression que « Alex-en-el-espejo » se fout ouvertement de sa gueule.
Il a beau nier autant qu’il veut, l’hispanique se sent mal. Mal dans ce corps qui ne fait pas ce qu’il veut, dans cette tête qui le fait s’arrêter devant les magasins de maquillage et les séries à l’eau de rose de sa mère, qui le rend imperméable aux sports de groupe mais lui fait regarder une chambre crasseuse comme la pire des immondices.
« Putain Enzo, elle craint ta piaule, ça fait combien de temps que t’as pas fait le ménage ? »
« Lâche-moi la grappe Alex, t’es pire que ma daronne ! »

Carina lui disait que tout le monde était différent, qu’il ne fallait pas s’inquiéter. La psy du collège à laquelle il n’a jamais adressé la parole lui racontait la même chose. Mais lui le sent bien, quelque part dans son estomac, derrière ses yeux aux cils trop longs, qu’il y a quelque chose de déréglé.
T’es qui Alex ? Demande son reflet avec un sourire railleur. T’es quoi exactement ?

Le jeune homme se faufile dans le couloir plongé dans l’obscurité en soufflant au passage un « buena noche » discret à la porte de sa fratrie, qui ne reçoit en retour que quelques ronflements. Il a l’impression d’entendre Rayan marmonne dans son sommeil, mais ne prend pas le temps de s’arrêter pour écouter : un rai de lumière filtre sous la porte de ses parents, un peu plus loin.
De retour dans sa propre chambre, l’adolescent ferme soigneusement la porte avant de jeter d’un geste las la boîte de maquillage - qu’il cache dans sa serviette - sur le bureau : ce dernier est désormais propre comme un sou neuf. Les canettes vides avaient peut-être l’air de dater de plusieurs semaines mais en réalité, cela ne faisait pas plus de trois jours qu’elles trainaient là.
En réalité, Alex ne supporte pas la saleté. Et il supporte encore moins le désordre de quelque nature que ce soit.
Sur son étagère, bande dessinées, mangas, boîtes de CD et DVD sont rangés dans un ordre précis qu’il ne supporte pas de voir brisé. Il a l’impression d’avoir quelque chose de bloqué dans le thorax quand quelque chose dans sa chambre se trouve dans un désordre qu’il n’a pas provoqué lui-même à dessein ; et lorsqu’il émiette des chips sur son clavier pour ne pas donner à son entourage une raison de le charrier, ou de le croire différent des autres mecs, il en a la nausée. La saleté l’écœure, le désordre l’agace.
C’est un peu pareil pour sa tête, tiens.
Il se déteste lorsqu’il prend cette foutue boîte de maquillage pour la ranger soigneusement de peur que quelqu’un ne tombe dessus ; il se déteste d’avoir besoin de l’utiliser pour rendre ses traits plus masculins. Et surtout, surtout, il se déteste les rares fois où il regarde cet objet en pensant à l’utiliser pour autre chose.
Je te déteste Alex. T’es un putain de connard Alex. Qu’est-ce que tu crois foutre, au juste ?
Avec une exclamation de colère étouffée, le jeune homme se laisse tomber sur son lit et écrase son oreiller sur sa tête : pour que ces putains d’enfoirés cessent de le prendre pour une nana ou même lui lancer des regards incertains, il faudrait qu’il se balade torse nu H24. Et encore, il se rappelle d’un Stanley goguenard à la piscine au collège.
Y a rien à faire. Il peut porter tous les sweats larges qu’il veut, les fringues les plus masculines qu’il peut, rabattre sa capuche, retourner sa casquette, parler mal et siffler toutes les nanas qui lui passent sous le nez, rien à faire. Rien sur lui ne fait ni véritablement masculin, ni complètement féminin ; il peut pas y échapper, ça sert à rien.
Ça sert à rien.





Il se dressait solitaire au coin de la rue Blanqui, depuis des dizaines d'années que quelqu'un l'avait planté là sur un coup de tête avant de l'oublier aussi vite, assommé de projets de rénovation et d'aménagement sans queue ni tête et sans avenir. Il était resté, solide sur ses quatre pieds dont la peinture verdâtre avait fini par s'écailler et laisser paraître en taches maladives le fer suintant de son ossature. Il laissait son siège de bois aux soins des habitants du quartier ; et la preuve que ceux-ci l'appréciaient était que le banc de la rue Blanqui était toujours là sur le trottoir, tournant dédaigneusement le dos aux voitures qui grondaient sur le goudron, comme lointaines, et regardait bien en face le vieux square que personne n'utilisait plus, à part des groupes de voyous venus s'y battre comme des chiens errants à la nuit tombée. Ce parc était le théâtre de la vie du quartier, une scène branlante sur laquelle les acteurs passaient en courant entre deux pièces, avec le banc comme unique et fidèle spectateur.
Alex passait son temps assis sur son dossier comme sur le dos d'un poney tranquille, la tête renversée en arrière à fixer un coin de ciel bleu ou les gros nuages de l'automne parisien. Quand il faisait trop froid, il descendait sur le siège et se renfrognait dans une doudoune zippée jusqu'au menton, les écouteurs enfoncés dans les oreilles. Quand il faisait chaud, en t-shirt, il forçait le bois usé par les ans à supporter en craquant les saltos arrière qu'il exécutait devant la galerie ou pendant qu'une petite copine quelconque laissait filer un cri d'inquiétude. Il ne comptait plus les heures passées à fixer la balançoire qui s'agitait quelques mètres plus loin sous l'action d'une légère brise, tandis que la population de son petit monde allait et venait : c'était une débandade de "salut", de bises, de poings entrechoquées, de potins, de sales blagues et de fumée de cigarette, de "à plus" et de canettes abandonnées au soir, de bagarres quelques fois. Un hall de gare, presque.


• • • ✒

Alex gratte de la pointe du canif une coulure de cire rouge laissée par les fusées d'Esteban au dernier 14 juillet. Ses doigts pianotent, il suit machinalement la courbe d'un "jte kiff Lijah" à moitié recouvert par un "Natasha fuck gratos", en souriant vaguement au souvenir de la concernée furibonde laissant la trace de ses ongles rouges dans la joue de Stanley.
Le latino replie son couteau un instant en jetant un regard bref aux alentours, plus un réflexe qu'autre chose. Plus loin, après le square, au-delà du local à poubelles qui fait l'assaut du premier immeuble, il y a le grillage défoncé annonçant les limites du terrain vague reconverti en terrain de foot à plein temps. D'un geste rendu ferme par l'habitude, avec un léger balancement des hanches qui fait craquer le bois brillant et couvert d'écritures multicolores, Alex passe une main derrière un morceau du dossier à moitié décroché, branlant et hérissé d'échardes, et le remet en place d'un coup sec. Il sera pas invité par les mecs sur le terrain, pour lui c'est une évidence étant donné qu'ils savent parfaitement à quel point il est nul au foot ; et il n'aime pas se ridiculiser en public - faire le malin, ok, mais faut pas exagérer. Il se souvient encore de la dernière fois où il a raté la balle en essayant de tirer. C'est sûr que les mecs se sont marrés pendant une semaine après ça.
Aux sports de groupe où il se fait inévitablement écraser, Alex préfère largement rester sur son banc, une clope à la main, à attendre quelqu'un avec qui traîner. Il y a toujours du passage, des amis, de la famille, des ennemis qui lui lancent de sales regards et des insultes de loin. De temps à autre, Gaetan vient lui réclamer de la thune avec son groupe, ou il entrevoit Adelma et ses copines au coin d'un immeuble.
Parfois il peut même apercevoir Max, son ancien prof de boxe, surnommé 'Max la menace' par ses élèves sans imagination en raison de son penchant pour la bouteille et du diamètre de ses pectoraux. Max lui colle une torgnole à chaque fois qu'il le voit fumer, Alex, alors maintenant le garçon éteint soigneusement cette "merde d'éléphant en bâton" quand il le voit arriver. Ensuite le trentenaire lui offre un sourire auquel il manque au moins trois dents - dont deux en or - et lui propose de revenir une fois ou deux sur le r


Dernière édition par Alex Cavecchio le Ven 16 Aoû 2013 - 16:01, édité 2 fois
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Alex Cavecchio
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CAVECCHIO Alex ▬ 'Todavía necesito tu mano.' _
MessageSujet: Re: CAVECCHIO Alex ▬ 'Todavía necesito tu mano.'   CAVECCHIO Alex ▬ 'Todavía necesito tu mano.' Icon_minitimeJeu 15 Aoû 2013 - 23:59



    ▬ 2005
    Bon, faut reconnaître qu'au début il avait vraiment pas la gueule de l'emploi.

    En fait de salle de sport, c'était un vieux hangar où l'air entrait mal qui abritait le ring de Max. Les tapis avaient connu de meilleurs jours et on pouvait voir la bourre en sortir à chaque choc appuyé ; même chose pour les sacs de frappe aux couleurs défraîchies. Un gant sur deux était rigide comme un bloc de béton et il n'y avait plus de casque viable aux environs depuis longtemps. Max comptait environ un os déplacé tous les deux jours, les meilleures semaines. Il avait un contrat avec l'hôpital le plus proche.
    Cela dit, lorsqu'il vit le poids plume aux yeux sombres pleins d'une curiosité sceptique franchir le seuil dans le grincement sonore de la lourde porte métallique, sa réaction fut nette et immédiate :

      - Ah non ! Non, on ne s'occupe pas des crevettes ici, c'est pas une garderie ! Sors de là, morveux !

    Le môme s'arrêta, gratta du pied par terre comme un poulain devant sa première piste, avec des regards nerveux vers la porte derrière lui. Max fronça les sourcils et s'approcha en marmonnant des insultes : le gosse avait les cheveux coupés si courts qu'on aurait presque pu le croire destiné à la carrière militaire, n'eusse été la maigreur risible de ses membres. Mais cette coupe n'empêcha pas le boxeur d'hésiter un instant devant son minois de fille ; seule la certitude intérieure que jamais une gonzesse se ne franchirait seule le seuil de sa porte permit à Max de cataloguer tout de suite le gosse dans la bonne catégorie.

      - Qu'est-ce que t'as, t'es bouché ?

    Le moustique pinça les lèvres avec un autre regard derrière lui, dessina un cercle dans la poussière du bout de ses nikes toutes neuves. Max jeta un regard par-dessus ses cheveux noirs et aperçut le coin rouge d'un maillot de foot disparaître derrière un bout de tôle ; il grogna, de mauvais poil.

      - C'est un gage, c'est ça ? Désolé gamin, t'avais qu'à pisser plus loin ; j'ai pas que ça à foutre d'arranger des merdes de moustiques. Allez, dégage.

    Le gosse frémit, mais ne bougea pas. Il était obstiné, celui-là : Max s'apprêta à lui flanquer une calotte pour lui faire débarrasser le plancher, mais au premier signe de main levée, il bondit en arrière, les yeux brillants de quelque chose comme de la colère où du défi.
    Max laissa retomber sa main calleuse et fixa les mollets du gosse, dont il aurait pu faire deux fois le tour avec une de ses mains. Puis il ricana pour lui-même : inutile d'avoir un bon jeu de jambe si un seul coup le cassait en deux.
    Il désigna le ring d'une main nonchalante, ouvertement railleur.

      - Qui ?
      - Rachid. Marmonna le gosse d'une voix dont il ne pouvait dissimuler les aigus de l'enfance.

    Max leva les yeux au ciel avec un geste d'impuissance.

      - Ben je t'en prie, va te faire casser la gueule, mais si tu chouines je te fous dehors.


    • • • ✒
      - K.O !

    C'était la sixième fois que Rachid l'étalait sur le tapis. Alex toussa, les bronches encombrées de poussière, et roula sur le côté. Il faillit succomber à la tentation de se recroqueviller en chien de fusil, les bras serrés sur le ventre parce que l'adolescent - Rachid, trois ans et têtes de plus que lui - en face visait là systématiquement, et de laisser échapper un sanglot. Seule l'idée vague de ce qu'il risquait à perdre son gage le fit poser les mains à plat par terre et se relever pour la cinquième fois, les jambes flageolantes.
    Max le fixait de l'autre côté de la corde, et c'était la peur de coups plus douloureux que ceux qu'il encaissait qu'il voyait dans les muscles tendus du jeune garçon. Coriace comme un cafard, mais un cafard mort de trouille.
    Pourtant c'était bien la première fois, pour Alex, plus habitué à se rouler en boule en suppliant le temps que la grêle de coups s'arrête. Au fond ce n'était pas du courage ou de l'obstination, juste un instinct d'herbivore affolé qui le jetait dans la gueule du lion pour échapper aux crocs des hyènes. Mais alors que la certitude de sa défaite l'envahissait peu à peu, une bile amère lui montait à la bouche, et il ne pensait même pas à la différence entre se lever et rester à terre. Il évitait machinalement, le cœur battant à cent à l'heure, dans l'espoir désespéré de réussir à atteindre son adversaire.

      - K.O !
      - Ça suffit les garçons ! Hurla Max avec un sifflement qui leur vrilla les tempes. C'est fini pour aujourd'hui, rentrez chez vous !

    En passant, il asséna une claque amicale sur l'épaule de l’arabe ; mais le petit latino se précipita sur un poteau pour se pencher sur lui en mâchant une supplique entrecoupée, la gorge sifflante. Max haussa les épaules et ouvrit les bras comme pour prendre le ciel à témoin.

      - Je peux rien pour toi, gamin. Si tu tiens tant à te faire étaler, reviens demain. Allez, casse-toi maintenant.

    Il le voyait bien, qu'il avait la poitrine gonflées de larmes d'impuissance ; mais ses yeux noirs restaient secs. Pourtant en y voyant la lueur éteinte, Max faillit s'attendrir : il aimait les enfants, même s'il n'en avait pas lui-même.
    Ce qui ne l'empêcha pas de foutre Alex à la porte. Fallait pas exagérer non plus. Il lui lança juste un sarcastique "à demain, moustique." avant de lui fermer la grille au nez.

    • • • ✒

    Il était tombé des nues en la rouvrant le lendemain, pour découvrir le mioche assis par terre avec un œil au beurre noir et une grosse coupure au menton, à le fixer d'un air buté.
    Il avait beaucoup protesté. Et même après qu'Alex fut devenu un membre régulier de ses cours, il continua à râler sur le temps qu'il lui faisait perdre. Même lorsque le garçon réussit à prendre une somme considérable de muscle en passant des heures sur les barres, il continua à râler sur sa taille de gonzesse. Il y avait toujours quelque chose qui n'allait pas : il avait une frappe merdique, il causait pas assez ou beaucoup trop, il s'encrassait les poumons avec cette merde de cigarette, il ramenait des nanas chiantes, parfois il venait même pas bordel de tapette, ou alors il avait un bras dans le plâtre et comment on pouvait bosser comme ça, hein, bordel de merde ?
    Mais à côté de ça, Alex finit par en aligner un certain nombre de son poids sur le tapis, et puis des plus grands, qu'il rattrapa un jour grâce à une poussée de croissance intempestive et beaucoup, beaucoup de temps passé à s'entraîner. Après tout, Max était comme ça avec tout le monde. Ça l'empêchait pas de payer une tournée de bière à ses garçons le soir après la fermeture, ni d'observer avec un sourire appréciateur son moustique s'étoffer - il ressemblait vraiment à un mec, de dos, maintenant, au moins - et rigoler avec Rachid qui lui avait collé des claques à n'en plus finir. Il était heureux aussi, au fond de lui, de voir les coquards s'espacer, de ne plus le regarder venir en traînant la patte comme un clebs buté par une bagnole. Mais en même temps, il le regardait frapper à en casser des mâchoires comme si toute la rage du monde habitait ses muscles, et cette violence lui paraissait disproportionnée pour un gamin de son âge. Quoique, violents, ils l'étaient tous. Mais Alex en avait toujours gros sur le cœur ; alors il tapait plus fort, comme s'il ne savait rien faire d'autre. Mais à part ça, il avait l'air d'aller bien.
    Et puis un jour, il ne vint plus, et Max ne le revit jamais chez lui.




    Alex plante son couteau dans le bois, avant de le ressortir en prolongement du geste. Il n'a plus fait de sport depuis cela, et une partie de sa carrure a fondu ; mais ça lui a énormément servi, ça lui sert toujours.
    Mais c'est une partie de sa vie qui s'envole. Pas la pire, pas la meilleure.
    Le jeune homme songe que les environs sont étrangement déserts pour un jour de vacances. Un coup d'œil au ciel lui suggère que ses potes se sont pour une partie enfermés dans leur chambre à jouer sur un mmorpg. Mais si Enzo lui pose un lapin, il le tue.
    Pas de bol pour aujourd'hui, David est descendu dans le sud dans la famille de sa mère ; il faut qu'il se rabatte sur Enzo pour cette fois. Pas qu'il l'aime pas, mais d'une, en ce moment il lui farcit les oreilles avec ses histoires de nanas - pire que Plus belle la vie, limite - et de deux, tout un été sans Dave avec la bande de Stanley désœuvrée qui rôde dans le coin, prête à se friter avec les premiers venus, ça le tente pas des masses. Les doigts d'Alex caressent pensivement deux lettres liées par un trait, il ne relève pas la tête en entendant des voix l'appeler au loin. Les années défilent si vite qu'il ne les voit pas passer. Il a l'impression de sortir tout juste du collège couvert de bleus, d'avoir embrassé sa première fille à l'instant, de connaître David depuis une éternité.

      - Eh ! Alex, mec, t'es sourd ou quoi ?!

    D'un battement de cils, le jeune homme reconnaît Enzo, Diego et trois filles en short et débardeurs dont deux qu'il connaît mal et qui lui jettent des regards presque indécis. Alex les ignore et décroche un sourire à la troisième : Anaïs, son flirt de l'été. Elle a la peau plus claire que ses amies et des cheveux très blonds, les dents pas très droites mais un joli sourire. Et puis elle est moins grande que lui quand elle met ses talons compensés, il trouve ça mignon.
    Enfin, le plus intéressant c'est quand même qu'il piétine les plates-bandes de Stanley depuis une semaine maintenant.
    Pendant que Diego lui envoie un coup de poing dans l'épaule en protestant sur la priorité que donne son pote à la petite blonde, Alex rigole, il fait la bise aux filles sans écouter le latino lui interdire de loucher sur sa copine, la grande brune. Du coin de l'œil, il observe les regards brillants d'Anaïs : malgré ce que lui a assuré Magda, la jeune fille ne lui a rien dit sur un quelconque engagement à l'égard de Stan.
    Il a beau le cacher, l'idée de doubler son ancien tortionnaire et l'humilier en lui tirant sa conquête le fait saliver d'avance. Alex est un rien rancunier.
    Néanmoins, un pincement d'inquiétude le prend au cœur lorsqu'il entend Enzo proposer une petite balade le lendemain soir avec un regard qui ne présage rien de bon. Le fait que l'invitation suive directement une allusion goguenarde au jeune voisin de Diego n'a rien de très rassurant. Alex cherche vaguement un moyen d'éviter les ennuis ; mais ses deux amis parlent fort, les filles ont l'air excitées, Anaïs le fixe d'un air insistant. Et Dave n'est pas là.
    Souriant, Alex effleure d'une main crispée la gravure dans le bois.
    A-L 4ever

    Il abandonne la partie et suit le mouvement.



    ▬ 2007
      - Bon alors, Alex, t'attends quoi ?

    Les oreilles du latino résonnent de sanglots morveux assez désagréables : il baisse les yeux sur le gosse aux vêtements déchirés et à la joue ouverte qui rampe sur le goudron entre les pieds de Kevin. Les klaxons des voitures ne sont pas loin, la ruelle est chaude et les rires de ses camarades lui écorchent les oreilles. Son propre ricanement l'essouffle ; mais en même temps, quand il baisse les yeux comme ça, ça lui rappelle les regards de chien battu qu'il levait sur Stanley autrefois. Une colère sourde le prend à la gorge - plus jamais - il envoie un coup de pied dans la bouche du gamin dont il ne connait même pas le nom. Et au fond, ses couinements le font rire - plus jamais - et il pourrait pas fermer sa petite gueule de merde, d'abord ? - plus jamais, plus jamais. Le gosse crache une giclée de sang dans la poussière et ça le fait marrer. C'est toujours plus marrant d'être le plus fort.

    • • • ✒

    La baffe de Magda après qu'il a laissé son neveu en caleçon dans le square un soir de saoulerie résonne dans sa bouche, sous son crâne, dans sa poitrine.
    Touche pas à la famille, espèce de petite merde, la famille c'est sacré. T'es une sacrée ordure, Alex. T'es un faible, Alex. Tu peux crever, Alex.
    Pardon, pardon. Pardon d'être aussi naze.

    Sa main sur le poignet de David qui gueule contre ces enfoirés qui passent à tabac un parfait inconnu derrière le lycée. Laisse, Dave, c'est pas ton problème mec. Mec, tu le connais même pas, je suis ton meilleur pote merde, écoute-moi au lieu d'aller te faire défoncer la gueule comme un con !
    Ce regard dégouté, ça lui fait mal. Ce "recule Al', j'me démerde" lui retourne les tripes, il en vomirait. Non, non Dave. Fais pas ça. Je suis pas comme toi, moi.
    J'ai pas besoin que tu fasses attention à moi, sérieux. C'est toi qui a besoin d'aide ; c'est toi qui sais pas la fermer et marcher droit.


    C'est ça Alex. Ferme ta gueule et marche droit.




    La droite qu'il reçoit dans la figure l'aligne illico contre le mur crasseux de l'immeuble, juste au milieu du O d'un énorme tag "Niq la police" qui étale ses lettres noires comme une menace à quiconque passe devant. Alex n'a pas le temps de secouer la tête que Stanley l'a rattrapé au col ; d'un geste convulsif, il cale un coude contre sa clavicule pour le garder à distance. Malgré ça, le jeune homme se penche si près qu'Alex peut distinguer des paillettes vertes dans ses yeux bruns. Il lui crache au visage son haleine de tabagique, semblable à la cigarette que son arrivée à fait tomber des mains rêches du jeune latino. Alex s'écrase contre un tag plus petit, un rose qui clame un "Peace&Love" plein d'espoir. Il attend le moment où Stan aura fini de cracher son fiel.

      - Tu t'es cru où, hein pouffiasse ? T'as cru que je te défonce pas la gueule si tu te tapes ma meuf ou quoi ?

    Alex ricane un truc débile sur la virilité du mec au t-shirt rouge et souligne que si Anaïs l'a préféré à lui il doit y avoir une raison. Et puis il bat des cils, mort de rire - quand au fond de lui, une pulsation d'angoisse le pousse en avant.

      - Désolé chéri, je sais que t'aimerais être à sa place mais toi et moi c'est une histoire impossible.

    C'est rare qu'Alex la joue sur ce ton, alors qu'il se jette sur quiconque ose faire une allusion à son androgynie. Comme tout le monde le connait, maintenant, il n'a plus à se justifier ; mais Stanley s'obstine, tellement que parfois il imagine retourner ses allusions contre lui, même si le simple fait de prononcer des mots pareils lui hérisse l'échine.
    Évidemment, que ça ne fonctionne pas. Ce genre de piètres tentatives ne tient jamais longtemps avec Alex.

      - Ouais en fait je m'en bas les couilles, de cette nana. J'aime pas les gouines moi.

    Un sentiment de honte agresse les entrailles du latino comme une giclée d'acide ; honte des sous-entendus de Stan, honte de ce qu'il vient de dire lui-même, reniant tout ce qu'il clame et laissant transparaître son impuissance face aux attaques. Il envoie son genou dans le ventre de Stanley et lui décoche une gauche avec la satisfaction d'entendre son nez craquer dans un écho qui lui paraît trop récent. Puisque la violence, quoi qu'on en dise, est la dernière réponse efficace.

    T'es faible, Alex. Faible.

    2011


    L'eau coule à grands jets dans le lavabo défraîchi, un parmi la dizaine qui s'aligne le long du mur. Alex passe les mains sous le jet. Il frotte. Il appuie sur le distributeur de savon avec une application inquiétante, puis remet ses mains sous l'eau et le frottement de ses doigts a quelque chose de frénétique. Elle est trop froide ; cela fait dix minutes qu'il est là et le contact de ses propres doigts commence à lui écorcher la peau. Mais il ne peut pas s'arrêter : au début c'était machinal, et maintenant il ne peut pas, il ne sait pas pourquoi.
    Ça le prend rarement. Quand il est angoissé ; il range sa maison de fond en comble ou il se lave les mains jusqu'à ne plus les sentir. Alex empoigne le robinet d'eau chaude et les ranime d'une giclée brûlante : il tire sa peau rougie hors de l'étreinte glacée du robinet avec un cri, à la fois de douleur et de soulagement.
    Les paumes posées à plat sur l'émail jauni, il lance un regard à son reflet dans la glace, puis autour de lui. Il est tout seul, évidemment. Le constat lui serre vaguement la gorge.
    D'où ça vient, hein ? D'où ? La réponse doit sûrement être une grosse blague. Elle intéresserait la psy du lycée.



    ▬ 2010
    Y a plein de bons souvenirs, quand même. Des nuits d’été paisibles.

      - PUTAIN DAVID LAISSE-MOI DESCENDRE !!

    Elle n'avait pas si mal commencé pourtant, cette soirée. La fête foraine annuelle du coin avait ouvert quelques jours auparavant et ils avaient prévu une sortie, histoire de tester les montagnes russes. Mais Alex ne savait pas trop comment, d'un groupe de plusieurs filles et quelques mecs assez motivés, ils s'étaient retrouvés à deux ; Dave et lui.
    Jusque-là, ça ne lui avait pas vraiment posé de problème : une sortie avec son meilleur pote, ouais, même si y avait pas de filles. Pourquoi pas.
    Non, le problème s'était posé lorsque Dave avait catégoriquement affirmé que les montagnes russes, c'était naze, sans intérêt, dépassé, etc, et qu'il avait envie de tester une nouvelle attraction à sensations fortes.
    C'est à peu près à ce moment-là qu'Alex, qui intérieurement n'était déjà pas bien fier à la simple l'idée de monter dans l'un des wagons brinquebalants, s'était mis à verdir franchement.
    D'ailleurs, si David s'en était rendu compte plus tôt, ça lui aurait évité pas mal de peine ; et tant pis pour la fierté de l'hispanique. Mais non, et bien entendu, monsieur n'aurait pas avoué à son ami, même sous la torture, qu'il se sentait déjà prêt à vider l'intégralité de son estomac sans avoir encore quitté le plancher des vaches. La honte, quoi.
    Ceci dit, Alex ne tint pas trente secondes une fois en haut.

      - JE VEUX DESCENDRE, MERDE !

    Suspendu au-dessus du vide, Alex en oublie toute dignité : ses doigts s'agrippent au bras de son meilleur ami comme des serres. Sa technique pour évacuer, à Alex, c'est de hurler et d'insulter les gens. Alors il hurle et insulte son pote, en oubliant complaisamment que celui-ci n’y peut strictement rien.

      - Putain Dave, arrête de rire, connard ! Je vais te... Je vais crever, enflure !

    Il a horreur du vide, Alex. La distance entre ses pieds et le sol le terrorise ; la faible épaisseur des bras de métal le tue. Et si la mécanique était mal fixée, et si le harnais lâchait, et si le débile qui commande en bas faisait une crise cardiaque, et si y avait une panne de courant générale, et si, et si...
    Lorsque ses pieds foulent enfin le sol béni, Alex est plus mort que vif. Cependant, face au visage congestionné de David et de ses yeux brillants qui hurlent son envie de rire, il trouve l'énergie de lui hurler une flopée d'insultes au visage et de se tirer d'un pas chancelant. Et le blondinet aurait pu s'esclaffer longtemps si son ami ne s'était pas immédiatement mis à vider ses tripes derrière la première baraque venue. [/i]
    Muchas gracias, vertige.




    C'est qu'il en a, Alex. Des phobies. Des trouilles. Plus que d'étoiles dans le ciel. Au début il a juste refusé de remettre un pied dans l'eau. Et puis il se battait avec Adelma pour ne pas toucher aux araignées énormes qui s'inséraient dans l'appartement par la fenêtre. Une fois, la pression de la foule dans le métro lui a tiré des cris d'angoisse ; il s'est mis à parler de tout comme d'un danger potentiel. Le feu ça brûle ; dans l'eau, on se noie ; un clebs ça peut te bouffer, abruti ; conduis pas trop vite, on va crever. Etc.
    Ça s'est fait progressivement, les craintes s'empilent les unes sur les autres au fil des ans : au bout d'un moment, son entourage a fini par s'irriter. Naturellement. Alex s'est pris quelques claques ; il a fermé sa bouche, il a appris à trembler en silence. À ranger ses affaires dans un ordre aussi millimétré que les tiroirs aseptisés d'un hôpital.
    Mais tout est toujours là, bouillonnant à l'intérieur. Ça va, ça vient, ça craque. Enfin, c'est pas grand-chose, au fond, il vit très bien avec.



    ▬ 2009
      - Mec, cherche pas, je le ferai pas.
      - Mince, Alex, tu risques rien je te dis !
      - Mon cul connard, tu peux dire ce que tu veux !

    David est déjà debout devant la clôture, les mains sur les barbelés ; il encourage du regard son ami qui se tient sur la route, loin de l'herbe, du fossé, et surtout, du pré.

      - Écoute, reprend patiemment son meilleur ami, je serai devant. Je cours, je l'attire et toi tu suis : c'est moi qu'il cherchera. T'as juste à atteindre la barrière.

    Avant, c'était Dave qui le poussait toujours. Qui lui enfonçait un coude dans les reins lorsqu'il freinait des quatre fers ou qui attrapait ses mains dans le lavabo pour les tirer de sous l'eau. Il est comme ça, Dave ; naturellement gentil. Et c'était un peu donnant-donnant. Et c'était ça, un vrai pote.
    Enfin il faut dire qu'Alex et lui n'avaient vraiment, vraiment rien en commun. Ce dernier jaugea l'énorme taureau brun du regard et maudit encore une fois la direction du lycée d'avoir organisé ce voyage dit il ne se rappelait même plus l'objet.

      - Merde salaud, on va crever je te dis.
      - N'importe quoi, il se passera rien. Réplique David avec un grand sourire.

    Alex croise les bras contre sa poitrine. L'air chaud de l'été caresse sa peau bronzée par le soleil.

      - Tu parles. Et si tu l'intéresses pas, hein ? Et si l'herbe est trop haute, si y a des trous, s’il court plus vite que toi ? Tu crois quoi, s'il te chope, que je vais te faire un massage cardiaque ? Je dis quoi à ton vieux si tu te fais étriper, moi ? Et si ce cinglé de fermier rapplique, s'il y a des serpents, si...

    La suite se noie dans un gargouillis étranglé quand David, n'attendant pas que son ami ait une panne d'inspiration, s'approche pour l'attraper par le col et le traîner jusqu'aux barbelés :

      - Bon sang Alex, ce que tu peux être défaitiste ! Allez, hue !

    Alex hurle des insultes au crétin fini qui saute par-dessus les barbelés et siffle le taureau. Ses entrailles dansent la macarena ; il a l'impression qu'il va recracher tous ses repas de la semaine, la peur lui crie de s'enfuir en courant. Mais y a Dave devant. Alors il saute, il court. Dans le sens inverse de ce que son cerveau lui dicte.
    Peut-être qu’il est encore plus fou que lui, parce qu’il a confiance.

    • • • ✒

    Avant c'était Dave. Il était toujours là quand Alex tournait la tête. Toujours là pour le soutenir.
    Mais Dave a été pris en train de fumer du shit avec ses potes dans les toilettes il y a un an. Une fois de trop. Il a été viré vite fait bien fait. Pas de bol que ça ait été lui parmi tant d'autres.





    23:47, rue du Crochet. Accoudé à un mur, Alex racle distraitement la semelle de ses Nikes violettes dans une flaque d'eau égarée là. Il lève les yeux vers la plaque de bronze représentant une couturière qui donne son nom à la rue mais, dans l'obscurité, sa figure trouble est plus monstrueuse qu'autre chose ; elle ne vaut pas la peine d'éclipser les halètements essoufflés, le bruit des coups et les gémissements qui retentissent à sa droite. Alex en détourne les yeux avec un certain malaise et lorsque son prénom est aboyé hors des ténèbres, il reçoit dans les mains un paquet de clopes presque entièrement vidé. Le jeune homme fait la moue, tire les deux cigarettes restantes et les met bien à l'abri dans la poche de son blouson. Puis il fronce les sourcils et le retourne : en voyant une gourmette dorée au nom de Kevin Maçon chuter au creux de sa main, il relève la tête et crie à Diego d'un ton indigné :

      - Eh enfoiré, essaie pas de me refiler ta merde !

    Paquet et bijou rejoignent l'obscurité en vol express. Hors de sa portée, le tortionnaire passé victime crache des insultes à propos de la mère d'Enzo : gloire et déchéance sont le quotidien de ce dernier. Alex ne s'en mêle pas. Ou plutôt, il ne proteste pas.
    Ce qui ne l'empêche pas de tiquer lorsqu'une odeur lourde, nauséabonde et inquiétante lui monte au nez. Enzo a débouché quelque chose dans l'obscurité, quelque chose qui ressemble à un petit bidon blanc. Un bruit liquide déclenche une alarme dans le cerveau d'Alex : il s'avance de quelques pas.

      - Ohé, Enzo, fais pas ça.

    Quelques mecs grondent : il n'en compte pas plus de deux à paraître vaguement de son avis.

      - Tu flippes, hermano ? On va juste lui arranger sa sale petite tête.
      - On va avoir les poulets au cul dans deux minutes ; tu te souviens pas d'Almesh l'année dernière ? Je veux pas me retrouver au trou !

    Le vieux Almesh, brûlé vif dans sa bagnole l'année précédente pour une obscure histoire de dettes. Des membres des familles de la moitié des gars sur place ont été coffrés par les flics sur ce coup-là. Un truc énorme qui leur a permis de coincer les gros poissons du quartier. Le père d'Alex en faisait partie : il a écopé de plusieurs dizaines avec sursis.

      - T'as qu'à te casser la queue entre les pattes, Alex d'amour, si t'as la trouille. Répond très calmement Enzo avant de craquer une allumette.

    Il est fou. C'est la seule chose qu'arrive à penser Alex avant d'entendre le premier hurlement de Kevin. En second lieu il a le temps de se demander ce que ce dernier a fait à son pote pour mériter un coup pareil. Sa troisième réflexion est motivée par les hurlements des sirènes.
    Bordel de merde !
    À croire que les flics les attendaient.

    En l'espace de deux secondes, il n'y a plus personne rue du Crochet. Alex n'a qu'une vague pensée pour Kevin alors que, au coude à coude avec Diego, il saute sur son scooter garé juste à l'angle. Le moteur proteste, les freins grincent, il manque de percuter un gars qui se tire sur une bécane bleue ; tout ce à quoi il peut penser c'est de faire la malle en vitesse. Et tant pis si son scoot n'a pas de plaques, parce qu'il l'a tiré près de la gare avec Thomas Dros l'été dernier : c'est toujours mieux que les autres qui s'enfuient à pied.
    L'absence de casque fait résonner avec plus d'importance les sirènes dans ses oreilles : certes, il va plus vite comme ça, mais il ne peut pas non plus aller se planquer dans une ruelle où les bagnoles des flics ne pourront pas le suivre.
    Quoi que.
    Dans un brusque changement de direction qui fait protester ses pneus, le scooter bifurque dans une rue étroite et s'éloigne de la route. Alex connaît le coin comme sa poche : il serpente dans les ruelles, y abandonne son scooter et court dans la direction du terrain de foot, ou plutôt des immeubles qui l'encadrent.
    Haletant, le latino fait irruption dans la flaque de lumière maladive dispensée par un lampadaire, au milieu d'un groupe de jeunes occupés à fumer. La conversation s'arrête à peine lorsque sans pause ni explication, Alex saute sur un muret et jette son blouson au mec le plus proche, qui l'enfile sans discuter tandis qu'il allume une clope et rabat la capuche de son sweat sur sa tête. Environ une minute plus tard, une voiture s'engage lentement le long des immeubles en allumant sur leur façade des lumières rouges et bleues. Elle s'arrête devant le groupe qui se tait aussitôt. Une portière claque ; Éric Mignon extirpe ses longues pattes de l'habitacle et s'avance vers lui en tapotant les mains sur les poches de son pantalon. L'un des garçons se lève pour l'accueillir, et dans le halo vague du lampadaire, Alex distingue le profil d'Esteban.

      - Salut les jeunes. Drôlement sages, à ce que je vois.
      - Ouais m'sieur. Répond Steb´ avec un rire jovial, on s'emmerde un peu depuis que les filles nous ont lâchés mais bon...

    Éric rigole avec affabilité : il est dans le quartier depuis vingt ans, il connaît les jeunes et les appelle par leurs prénoms. Il n'est pas du genre à taper sur les gamins parce qu'il a peur de se faire descendre. Les jeunes l'aiment bien en retour, mais cela ne dépasse pas le seuil de la tolérance cordiale. Alex se détend un peu : pourvu que le policier n'aille pas voir son visage de trop près, tout devrait bien se passer. Il cligne des yeux avec inquiétude néanmoins en voyant un certain Trevor se pencher depuis le siège du conducteur et aboyer quelques mots à son supérieur. Celui-là est nettement moins cool.
    Mais Esteban a Mignon dans sa poche, et après une dernière blague d'usage, le flic remonte et sa caisse s'éloigne.
    Alex pousse un imperceptible soupir de soulagement et tire sur sa clope avec nervosité. Autour de lui, les dialogues reprennent sans qu'aucune question ne soit posée : moins on en sait, mieux on se porte. Mais l'histoire aura fait le tour du quartier, demain.
    En attendant, Alex aimerait bien que les battements de son cœur se calme et que ses entrailles cessent de crier au meurtre. Il a mal au ventre ; et le stress le fait enfiler les cigarettes, ce qui n'a rien de bon pour sa santé. Néanmoins en entamant sa deuxième, il la savoure particulièrement parce que ce sont ses premières de la journée. Sa mère refuse net qu'il fume à la maison. Son père c'est différent, mais lui n'a droit à rien : et autant Carina peut faire profil bas devant Antone, autant y a certains trucs sur lesquels elle ne lâche rien. Mais rien que dalle.
    Ça n'empêche pas Alex de fumer comme un pompier. Il épuise les paquets et les filtres à une vitesse monstrueuse. Il se remplit la gorge de fumée nauséabonde. Ça empêche ses mains de trembler.
    L'apparition inattendue de son blouson de cuir dans son champ de vision ramène le jeune homme à la réalité. Il lève les yeux sur Esteban qui le lui tend amicalement et se rend compte qu'il avait oublié.

      - T'as de la chance que je sois sympa. Entame le jeune homme en s'asseyant à côté de lui. Anaïs voulait pas qu'on te le rende.

    Alex suit des yeux la direction indiquée, dans laquelle la blonde est blottie dans les bras du type auquel il a confié son manteau. Il ignore ses yeux qui brillent comme ceux d'un chat furieux et remercie son copain d'un geste. Anaïs ne lui a pas encore pardonné de l'avoir larguée en novembre. Il espère qu'elle s'y fera vite.

      - Alors ? Interroge la voix amicale de Steb´ à son côté.

    Alex le dévisage un instant en reprenant une bouffée. Esteban n'est pas comme Enzo. Beaucoup plus cool, même s'il ne peut s'empêcher de faire le mariole. Il fout la pression à personne. Il arbore ses oreilles trouées et son look décontracté aussi facilement que son éternel sourire. Un chic type pas naïf pour un sou.
    En un sens, Alex a presque honte de lui raconter la vérité. Il tente un sourire hésitant.

      - Enzo qui fait encore des conneries...

    Esteban hoche la tête sans faire de commentaire sur l'attitude de son demi-frère, ni sur l'implication d'Alex dans l'affaire. Pourtant il n'est pas dupe, c'est évident.
    Qu'est-ce qu'il y peut, hein ? Se demande le jeune homme en regardant son ami s'éloigner et retourner dans la pleine lumière. Si Dave était là... Si Dave était là, il aurait jamais replongé. Passer de celui qu'on tape à celui qui cogne, petit à petit, ça l'a dégoûté de lui-même. C'est le ras-le-bol qui l'a poussé à s'éloigner de Kevin. C'est Dave qui lui a donné la motivation nécessaire pour dire non à Enzo en dépit de ses moqueries, au début. Il ne voulait pas voir ce dégoût dans ses yeux. Peut-être parce que depuis toujours, David lui a été supérieur.
    Et maintenant ? C'est comme ça, il n'y peut rien. Il préfère ça à se retrouver à nouveau par terre, hein. C'est la loi du plus fort. C'est lui qui a raison.
    Marche droit Alex.

      - Tu tires une de ces têtes mon gars ! T'es bourré ou quoi ?

    Un joint entre les doigts, Rachid vient passer un bras autour des épaules d'Alex, qui répond par un rire asthmatique.

      - Nan mec, mais je veux bien une bière.
      - Dommage, commente le grand arabe alors que quelqu'un lance une bouteille à Alex. Quand t'es beurré t'es... - suit un geste éloquent - tu nous as fait quoi la dernière fois déjà ?
      - Il a accroché le calbute de Ramirez à l'antenne de la caisse au CPE ! S'esclaffe quelqu'un dans un coin.

    Alex éclate de rire avec les autres. Une gorgée amère semble balayer ses idées noires, tandis qu'il essaie de distinguer celui qui lui en a fait cadeau. Une capuche rabattue par-dessus sa casquette verte, ce dernier ne lui donne pas l'impression d'appartenir à une ethnie en particulier. Uen espèce de mélange entre arabe, latino et européen. Il bavarde dans un parler hasardeux avec un géant noir aux biceps plus épais que les mollets d'Alex et à la voix de ténor. Non loin, le dénommé Pedro rit encore au souvenir de ses frasques en lançant des commentaires en demi-portugais que seul un quart d'entre eux comprend. Alex sourit à cette vision. Il parle à ses voisins dans ce français particulier auquel se mêlent entre deux et quatre dialectes différents : il y a de tout, absolument, ici. Jusqu'à la petite asiatique qui habite avec son père sur le palier d'au-dessus. Alex a encore une bonne tête de latino, mais certains comme Enzo ou Kevin ont le sang tellement dilué par des générations métissées en banlieue qu'on serait en peine de dire de quel ventre originel ils sont sortis. Mais ils habitent tous ce bon dieu de quartier. C'est chez eux. Quand une bande différente fait une descente sur leur territoire, les rivalités internes s'effacent et ils se serrent les coudes. La famille avant tout, c'est aussi simple que ça.
    Progressivement, il se déride sous le coup de l'ambiance. C'est jamais lui le centre de l'attention, mais il n'est pas non plus le dernier à ramener sa fraise et à plaisanter. Il se sent chez lui, en sécurité.
    Attaquant sa deuxième bière, le jeune homme observe Anaïs emballer passionnément son copain au sweat blanc. Il ne sait pas pourquoi d'un seul coup, il repense à son premier baiser avec une fille. Cette première copine à qui une fois, il a dit "ma chérie".
    L'adolescent a l'impression qu'une pierre lui tombe au fond de l'estomac. Il sirote sa bière, l'air de rien : il est temps d'aller dormir.




    Alex est assis à la table de la cuisine, penché sur un bouquin de maths qu'il n'a pas ouvert de l'année, quand ils sonnent à la porte. Lorsqu'il s'aperçoit que les voix qui répondent à sa mère lui sont inconnues, il donne une tape sur la joue d'Adelma qui est assise à côté de lui pour la pousser à quitter la pièce. Il entend le pas lourd de son père, en permission d'une semaine, puis sa voix bourrue, et ne résiste pas à la tentation de s'approcher de la porte pour jeter un coup d'œil dans le couloir : il a l'habitude que des gens plus ou moins louches viennent voir son vieux. Mais là, surprise : ce sont des flics.

      - Ah, Alex, mon garçon !

    Grillé. Alex s'approche d'un pas chaloupé, les pouces dans les passants de son jean trop bas.

      - Salut m'sieur. Fait-il à Mignon.
      - Ton frère n'est pas là ?

    Gaetan. Pourquoi Gaetan ?

      - Pas trop, j'crois qu'il dort. Qu'est-ce qu'il a encore fait ?
      - Tu es trop dur avec lui, rit le policier. En fait ce n'est pas grave, je voulais juste savoir ce que vous avez fait la nuit dernière, tous les deux.

    Alex cligne des yeux, hésitant. Derrière le gentil flic, le Trevor dans le rôle du méchant flic lui lance un regard d’hyène.

      - J'étais pas loin de la rue Blanqui, avec des potes. Je crois que vous êtes passés, vous avez pas dû me voir.
      - C'est vrai, vous étiez nombreux après tout. Et tes frères ?
      - Gaetan était au foyer avec sa copine jusqu'à 1h du mat´.
      - Et Rayan ?

    Pour le coup, l'aîné de la fratrie lève les yeux au ciel. Comme si son plus jeune frère était capable de foutre le feu à un pauvre gars dans une ruelle sombre. Même Éric semble reconnaître le ridicule de la question, mais il tient à faire les choses correctement.

      - À la maison. Il est pas sorti.

    Il entend vaguement Trevor grommeler quelques mots dubitatifs, mais un geste impérieux d'Antone le fait se retirer dans la cuisine. Le jeune homme dépasse sa mère, dont le gros ventre semble prendre toute la place dans le couloir, et retourne jeter ses pieds sur la table en fixant le manuel d'un air morose. Des bribes de conversation lui parviennent de l'entrée.

      - ... madame Maçon est dévastée vous savez... oui, le plus jeune... état grave... on ne sait pas si...

    Le lycéen sent son estomac se nouer. Quelques minutes plus tard, lorsque la porte d'entrée claque et qu'Antone lui jette un regard en passant devant la cuisine, Alex se dit qu'il ferait mieux de garder la tête baissée. Mais il regarde quand même. Et l'espèce de fierté qu'il décèle dans ses yeux le remplit d'un dégoût de lui-même plus grand encore.
    Il ne veut rien recevoir de cet homme, il ne veut pas lui ressembler.
    Les yeux baissés sur des formules auxquelles il ne comprend rien, Alex sent les larmes lui monter aux yeux et sa gorge se bloquer. Il pourrait peut-être sortir de tout ça s'il quittait le lycée. Il pourrait aller ailleurs, n'importe où.
    Mais c'est pas la peine, il le sait. Il quittera jamais ce cercle infernal, infliger ou subir. Il est trop faible pour ça. Il lui suffit de faire un début de liste pour le comprendre. Et de toute façon, son bac, il l'aura jamais. Jamais. Faut pas rêver.
    Le jeune homme étouffe. Il se relève brutalement en renversant sa chaise et se précipite sur la porte d'entrée qu'il claque derrière lui avec fracas, manquant de renverser sa petite sœur au passage.

    • • • ✒

    Il regarde ses baskets, et il ne sert à rien. Alex le sait. Il a pas assez de volonté pour être lui-même, pas assez d'entêtement pour parvenir à ses fins. Il ne peut pas briller comme David. Il ne peut pas s'en foutre comme Esteban et même Gaetan. Il les envie mais n'y peut rien ; toutes ces foutues faiblesses lui reviennent à la tête toutes les dix minutes, et il n'a même pas le cran de les supporter ou de les affronter. T'es lâche, Alex. Tu sers à rien, Alex. Il se sent comme un vieux chewing-gum mille fois mâchouillé, remodelé, déformé. Un chewing-gum violet sans goût précis, qui a de toute façon perdu toute sa saveur. On fait ce qu'on veut de toi, de toute façon. Tu ne sais que suivre et subir, de toute façon ; alors que tu as tout ce que tu veux, t'es même pas foutu d'avoir une quelconque valeur aux yeux des autres. Ferme ta gueule, Alex, file droit, Alex. Alors, Alex, fille ou garçon ?
    Le jeune homme s'effondre à moitié sur le dossier du banc. Il fait moche et le ciel gronde. Il a la gorge serrée et mal dans la poitrine. Envie hypocondriaque de se racler les doigts au savon.

      - Putain de chewing-gum de merde.

    Ses doigts s'écorchent aux lettres gravées dans le bois.
    C'est comme une invocation. Un joli sort.

      - T'en fais une tête, monsieur Malabar.

    Alex bat des cils devant une paire de talons compensés bleu pâle. Il les relève sur de jolies jambes, une jolie petit robe noire cintrée, la peau mate et les yeux noirs de Magda qui lui sourit d'un air malicieux.
    Ah, c'est toi.

      - Ça ne va pas, tombeur ?

    Son cousin entame un geste indécis, puis hausse les épaules en marmonnant que ça n'a aucune importance. Et au fond c'est vrai. Il fait toujours tout un plat de pas grand-chose, elle-même le dit souvent. Alex se rend compte que ça fait un moment qu'il n'a pas parlé à la jeune fille. Pourtant, cela parait ne déranger aucun des deux. Le lien entre eux est difficile à expliquer avec des mots.

    A-L 4ever

    Il n’a jamais dit à Magda pourquoi il avait changé le surnom par lequel il la désignait autrefois. C’est pas très grave, après tout, hein ? Dans Magdalena, il y a bien de quoi en faire deux, pourquoi ne pas alterner tous les dix ans, par exemple ? Non, il n’a pas besoin de lui dire que ‘Lena’ lui rappelle trop des jeux à la poupée dans une chambre toute rose. Et qu’il ne veut évidemment pas s’en souvenir.
    Au fond, tout ça, elle le sait sans doute déjà. En la fixant sous des grondements d'orage, Alex se dit qu'elle est vraiment devenue très jolie. Quand il le lui dit, elle rit en secouant ses cheveux noirs, et en fixant ses boucles d'oreilles qui se balancent, Alex se rappelle combien on leur disait qu'e-ils se ressemblaient, plus jeunes. Le poids dans son estomac semble s'alourdir, jusqu'à ce que Magda lui attrape les mains en souriant d'un air mystérieux et le tire derrière elle dans une direction inconnue. Il se demande parfois si elle se souvient et comment elle le voit, de l'autre côté de ses prunelles énigmatiques. Elle a ce qu'il n'a pas et n'aura jamais. Il aimerait la serrer dans ses bras pour combler un vide mais ne sait pas comment le lui faire comprendre.
    Cela dit, là tout de suite, il s'en fiche.
    C'est ça, soutiens-moi encore. Parce qu'on dirait que je sais pas tenir debout tout seul.



    C'était le mois de mars le plus pourri qu'il ait jamais vu. Pour Alex, le soleil aurait plutôt dû briller.
    Il était tout seul, les mains dans les poches et la clope au bec, à se rappeler combien ça avait été agréable de savoir qu'il ne viendrait plus à la maison. Merci le juge, ce jour-là : même Carina avait involontairement laissé filtrer sa joie lorsque la peine était tombée.
    ... Alors pourquoi est-ce qu'elle avait pleuré ?
    Il était tout seul, les baskets enfoncées dans la boue du pire mars qu'il ait jamais vu, debout devant la tombe de son père.
    Et il pleuvait même pas.

    Il avait jamais aimé ce salopard comme ses amis aimaient parfois leur père. Il avait accepté ses cadeaux tout en lui vouant une rancune tenace. Du mépris. Du dégoût. Envers cet homme qui lui avait fait du mal.
    Le deuxième à avoir mâché le chewing-gum, tiens. Cet enfoiré.

      - Je t'ai jamais aimé, salopard.

    Alex crache un bon coup sur la stèle. Elle est belle. Il est sûr que Carina n'en aura jamais une pareille. En plus, maintenant que l'autre est parti, faire rentrer l'argent dans les caisses va devenir un enfer.
    Avec tous les mômes qu'il a fait à sa mère, en plus.

      - T'étais qu'un vieux con égocentrique, de toute façon.

    Alex se sent un peu mal, à insulter ainsi un macchabée maintenant qu'il ne risque plus rien. Mais c'est pas comme s'il pouvait faire autrement.
    Il cherche encore des trucs à dire, du fiel stagnant, quelque chose qu'il aurait rêvé lui cracher à la figure toutes ces fois où il n'osait pas ouvrir la bouche. Mais rien ne sort. Il n'arrive pas même à dire qu'il aurait préféré qu'Antone ne naisse jamais. Qu'il ait une mort plus douloureuse que de clamser bêtement d'un cancer du foie à l'hosto du centre carcéral. Sa tête est vide.
    Il cherche. Il était beau, le 'futur parrain de la mafia corse', tiens. La conviction manque dans ses paroles, tant pis.

      - Même pas fichu de réaliser ces crétins de projets, en plus. C'est qui le raté, hein ?

    Gaetan. Rayan. Adelma. Dilhan, petit cadeau d'adieu. Sans savoir pourquoi, Alex eut une vision d'un homme à peine plus jeune, avec son rire gras, qui poussait le vélo rouge sur lequel son fils criait d'angoisse à l'idée d'enlever les petites roues.

      - Je te déteste, enfoiré.




    Le nouveau petit frère est actuellement la vedette de la famille. Dilhan a beau être né depuis plusieurs mois maintenant, c'est toujours un défilé interminable de tantes, de cousines, de voisines, de gens qui n'ont pas de parenté claire à clamer mais qui veulent voir le beau bébé quand même. Alex a beau les aimer - presque - tous, c'en est presque agaçant. Mais tant qu'ils viennent avec des cadeaux pour le bébé d'une part et le départ d'Antone de l'autre, Alex ne dit rien. Ça aide toujours, puisque maintenant il faut se serrer la ceinture.
    Il a forcé ses frères à faire un grand ménage. Il a vendu les vieux CD de Rayan malgré ses hauts cris, les consoles individuelles et sa propre PSP qui prenait la poussière sur son bureau. Son scooter aussi y est passé, il l'a refourgué à Diego - pas le meilleur avec qui faire des affaires, mais Enzo est toujours tenu par les flics de se tenir à carreau - en laissant néanmoins le sien à Gaetan. À condition de pouvoir l'utiliser également.
    Il a pris un job aussi, au fast-food du coin : c'est pas grand-chose mais c'est mieux que rien.

    Cette fois, c'est Magda qui veut voir le bébé. En la rencontrant à la sortie de son boulot, le jeune homme s'est étonné que ça n'ait pas déjà été le cas : mais elle balaye la question d'un revers de main. Magda ne vient plus très souvent chez lui, mais il n'arrive pas à se rappeler pourquoi.
    Quoi qu'il en soit, le jeune homme embarque sans difficulté son amie sur le scooter de Gaetan. Bizarrement, lorsqu'elle noue les bras autour de sa taille, il a d'un seul coup la bouche très sèche. Au final, il n'est pas mécontent lorsque tous deux descendent devant la porte de son immeuble.
    En haut, Carina abreuve sa nièce de paroles chaleureuses, si heureuse de la voir qu'elle la force presque à rester dîner. Faisant fi des mines renfrognées des garçons, Magda gazouille devant Dilhan tout le temps où il se trouve à portée de ses mains ou même de ses yeux. Alex, dont la seule préoccupation vis-à-vis du 'nain' est de refiler la couche sale à Gaetan - lequel a pour habitude de la léguer à Rayan par la suite - l'observe d'un air d'incompréhension totale. Les filles sont des êtres bizarres, lui disait souvent Max, et il a parfois tendance à croire que c'est vrai. Pour des raison ridicules - mais évidentes - certains camarade de classe semblaient penser de lui qu'il connaissait mieux qu'eux la façon dont fonctionne la petite tête de ces demoiselles. Pas du tout. Il fallait qu'il se débrouille avec ce qu'il avait, comme tout le monde, et ce soir-là, les regards de Magda le perturbaient.
    L'entendre minauder de cette façon était tellement agaçant que lorsqu'Alex n'en put plus, il suggéra à sa mère de remballer son môme avant que cette vieille sorcière ne le kidnappe.

      - Elle fait une crise de maternité en ce moment, faut l'excuser.

    La remarque lui valut d'être bourré de coups de pied jusqu'à ce que tous deux se retrouvent enfin dans sa chambre. Là seulement, Magda consentir à se calmer, et Alex se laissa tomber sur son lit avec un soupir théâtral, les yeux collés au plafond. Il entendit la jeune fille faire le tour de la chambre avec ce qu'il supposait être de la curiosité.

      - Tu les aimes beaucoup, hein.

    Le garçon n'eut pas besoin de se redresser pour savoir de quoi elle parlait. Des posters, photos et dessins de chauve-souris s'étalaient sur ses murs en permanence. Difficile de déterminer d'où lui venait cette passion.

      - T'en avais une, je me souviens. En peluche. Quand on était petits.

    Les yeux fermés, Alex acquiesce par un grognement. Il ne sait pas où est passée la peluche en question et ne tient pas à l'apprendre. Un grincement l'averti que Magda s'est assise sur son lit, et il réalise à quel point le silence est palpable. Il se demande ce qui a changé pour que la conversation soit aussi vide.

      - Et si j'étais vraiment en « crise de maternité » comme tu dis ? Reprend soudain une voix malicieuse.

    Du Magdalena tout craché, ça. Alex n'ouvre même pas les yeux.

      - Ne compte pas sur moi pour te donner un coup de main. Déjà je suis pas assez beau pour toi, même si je suis mieux qu'Esteban - si, je t'assure. Affirme-t-il en ouvrant brièvement un œil. Ensuite faut pas compter sur moi pour avoir des gosses. Pauvres mômes.

    Soudain, le jeune homme sent le contact velouté de lèvres sur les siennes. Il rouvre les yeux en battant des cils, un peu perdu, et fixe le sourire de Magda pendant qu'elle grimpe sur sa poitrine.

      - T'es un imbécile fini. Toujours pessimiste. Et - levant la main pour couper toute protestation - t'es très bien comme t'es, Alex.

    Et si elle l'embrasse encore, Alex se laisse faire. Il serre son corps contre le sien parce qu'il aime sa chaleur, le contact de sa peau, parce que sa présence dénoue les nœuds dans sa gorge et qu'il aime ses baisers autant qu'il aime ses yeux. Et quand elle tire d'un doigt l'élastique de son short, il la laisse faire.

    • • • ✒

    Une odeur de tabac.

      - Oh bordel.
      - Hmm ? Quoi ?
      - Je viens de réaliser.
      - Que...?
      - Je viens de me faire violer par une fille. Merde.

    Et elle ne peut plus s'arrêter de rire.



      - Alors tu m'aimes ?
      - Pas du tout.

    Il la regarde. Ses dents étincellent. Assis en tailleurs sur le banc, il lui envoie sa casquette dans la figure.

      - ... T'es une sacrée chieuse, toi, on te le dit jamais ?





      14/06 21:32 - Alex
      jtm
      14/06 21:32 - Magda
      pa mwa
      14/06 21:34 - Alex
      T méchante. Anais ai + choute ke toi
      14/06 21:34 - Magda
      oui mé ta min goche l panse pa a anais la
      14/06 21:36 - Alex
      T gor. Tu me fe révisai dem1?xD
      14/06 21:38 - Magda
      c ce ke jdiser
      14/06 21:39 - Alex
      mm pa. stp <3
      14/06 21:39 - Magda
      oki
      14/06 21:39 - Alex
      Jtm <3
      14/06 21:40 - Magda
      pa mwa




    Les invités ont le bon goût d'être en noir. Mal à l'aise dans son costume noir et blanc sous les rayons du soleil corse, Alex tire sur sa cravate : il aurait presque envisagé, la veille du départ, de changer ça pour un bermuda à fleurs ouvertement provocateur, mais une poussée subite de maturité lui a fait renoncer à son projet. Dommage. Difficile de profiter du soleil dans ces conditions.
    D’autant qu’il doit encore récupérer du trajet en avion, qui l’a rendu malade d’angoisse des jours auparavant lors duquel il a cru mourir une dizaine de fois au bas mot.

    Un peu en retrait du monde qui se presse dans le hall ouvert, le jeune homme fouille la populace des yeux, mal à l'aise dans cet environnement entièrement inconnu. À l'autre bout de la pièce, Carina discute avec un inconnu affligé d'une calvitie précoce, accompagnée de son frère Rafeal, très droit dans un costume qui met sa silhouette en valeur. Sans lui, jamais la mère d'Alex ne serait venue à Ajaccio, réclamer son dû en tant qu'épouse d'Antone. Ce n'était pas son monde ; mais Rafeal avait insisté jusqu'à ce qu'elle cède. Un coup d'œil apprend à Alex que Gaetan est encore au buffet, sur lequel il s'est jeté sans se préoccuper des regards et jugements portés sur sa conduite et les larges bandes rasées sur les côtés de sa tête. Gaetan porte ses clous, piercings et tatouages bien en évidence n'importe où : quoi que feignant lui aussi la nonchalance, Alex envie sa légèreté. Lui est incapable de se moquer du regard des autres.
    Un autre coup d'œil. Leurs cadets sont restés à la maison - cela ne s'était pas fait sans protestations. L'aîné, lui, aurait préféré ne pas venir du tout : il n'aspire, à vrai dire, qu'à oublier au plus vite tout ce qui a trait à son père. Une partie désagréable de sa vie rayée du planning, hop, nettoyage.

    Les murmures.
    Alex les sentit avant de les entendre. Son regard termina son tour d'horizon sur une triplette d'adolescents groupés dans un coin de la pièce, qui palabraient visiblement en le regardant du coin de l'œil. Se voyant découvert, le garçon eut un sourire gêné et esquissa un geste de la main. L'une des filles regarda ailleurs avec embarras ; la troisième, elle, continua de le fixer sans gêne ni sourire.
    Alex ne leur rendit pas leur salut.
    Putain de chewing-gum. Il avait l'impression d'avoir vécu mille fois cette scène.

    Évidemment, comme il fallait s'y attendre, le boulet du groupe ne tarda pas à tenter une approche. Et le boulet du groupe, c'était le mec.

      - Salut ! T'es mignonne tu s-

    Le genou d'Alex, en l'atteignant à la hanche, lui coupa la fin de sa phrase.

      - Tu sais pas faire la différence entre une robe et un costar', ducon ?!

    Enchantés, bienvenue à Ajaccio. C'est plus ou moins ce que le jeune homme retint du discours de la première fille qui accourut en voyant son camarade en difficulté : il se contenta de les observer avec méfiance, l'un après l'autre.
    Alex n'aimait pas l'inconnu. L'inconnu était dangereux.
    Puis, la troisième eut l'intelligence de lui tendre une main neutre. Lorsque le latino détailla son visage, il n'y vit aucune émotion particulière, à peine la marque d'un profond ennui.

      - Excuse Ghjuvan, c'est un abruti. Tu peux l'ignorer si tu veux.

    L'intéressé, une armoire à glace dont les cheveux semblaient hésiter fortement entre un roux franc et un châtain très banal, ne parut pas vraiment d'accord avec ces deux affirmations. Mais son amie l'ignora purement et simplement.

      - Je m'appelle Rinata. Et elle - ajouta-t-elle en désignant le dernier membre du trio d'un signe du menton - c'est Stella.

    Alex jeta un regard à la grande fille aux yeux bleu clair, puis fixa la main tendue de la plus petite en mâchant et remâchant les trois noms d'un air concentré de ruminant en pleine mastication. Finalement, il saisit la main qu'on lui tendait.

    • • • ✒

      - Vous êtes frères et sœurs ?

    Non, ils n'avaient aucun lien de parenté. Simplement ils étaient voisins tous les trois depuis très longtemps ; depuis que Stella avait quitté la ville même pour emménager à la campagne, non loin de l'endroit où se tenait la réunion actuelle. Ghjuvan avait eu une petite sœur mais elle était morte dans l'accident de voiture qui avait tué sa mère ; Stella avait deux sœurs plus jeunes, et Rinata était fille unique. Mais Alex crut comprendre que le nouveau copain de sa mère avait un fils.
    Pourquoi est-ce qu'ils étaient là ? Leurs parents étaient liés à Antone par le sang, les affaires ou le business. Entre tous les vautours, le match était serré.

      - Tu restes combien de temps ?

    Une semaine. Cool, comme ça ils allaient pouvoir faire des trucs ensemble.

      - Pas trop dur pour ton père ?

    Non, pas trop, merci. Toutes nos condoléances ert le bla bla bla habituel.

      - Vous faites quoi, plus tard ?

    Stella est encore en seconde mais elle veut devenir aide-soignante. Rinata, elle, part à la fac de mêdecine l'année prochaine. Quant à Ghjuvan, il achève tout juste sa première année de droit. Oui, Alex retape son bac, répond-t-il, pas bien grave, non, il ne sait pas ce qu'il fera plus tard.
    Un silence embarrassé laisse entendre que les trois amis perçoivent qu'il n'a pas envie d'en parler.

      - Vous voulez aller piquer une tête ? Mon voisin a une piscine.

    Alex aime déjà Rinata pour avoir brisé le silence avec cette proposition.

    • • • ✒

    Alex se met à l'aise. Quand le courant passe, tout va bien.
    Dès lors, au lieu de s'ennuyer à mourir avec Gaetan et les adultes, le jeune homme passe jours et nuit avec ses nouveaux amis. Stella est pour lui le type même de la jolie fille écervelée qui a toujours quelque chose à dire : Alex la trouve un peu idiote, mais pas méchante. Rinata, elle, a toujours l'air de se moquer de ce qui l'entoure comme de sa première couche : jamais il n'arrive à déceler sur son visage autre chose qu'une profonde indifférence. Sa voix est monotone, elle fait le minimum, jamais plus. Du coup, le latino ne sait pas s'il est plus à l'aise en sa présence que face aux babillages incessants de Stella. Mais une chose est sûre, c'est que ce n'est pas la compagnie de Ghjuvan qui le branche, en tout cas.
    Ghjuvan est bizarre. Alex n'arrive pas à le cerner. Souriant et décontracté au premier abord, de brusques et inattendues sautes d'humeur le font régulièrement se renfermer sur lui-même et grogner sur quiconque s'approche. Son humour peut changer du tout au tout en l'espace d'une seconde et virer au glauque et au mauvais goût ; une fois, il a saisi Alex par le cou en riant pour l'entraîner plus loin, mais sa poigne sur la nuque du latino lui a fait penser à celle de Kevin dans ses années collège. Il ne sait pas sur quel pied danser avec Ghjuvan. S'il doit lui coller des baffes pour qu'il cesse de le coller ou s'aplatir et le laisser faire. Dans ses bons moments, c'est un chic type après tout. Mais quelque chose chez lui le met profondément mal à l'aise.

    • • • ✒

    Alex s'éloigne un peu du feu. Son bermuda racle la terre et ses pieds de calent contre une racine.

      - Passe-moi la bière, Rina'.
      - Laisse-en aux autres ok ? Alex, t'en veux ?
      - Ouais. Stella ?
      - Non merci ; file-moi un chamallow.
      - ´gaffe c'chaud... Aha ah !

    Le jeune homme bondit soudain hors de portée de l'adolescente, qui laisse échapper un gloussement.

      - Tu me donnes combien, Stella d'amour ?
      - T'as pas une copine, Alex ?
      - Mec, je suis son frère, fais gaffe.
      - Oh, vous nous emmerdez tous les deux !

    Stella lève les yeux au ciel et plaque un baiser sur les lèvres d'Alex sous les sifflements de Ghjuvan. Rinata lève les yeux au ciel et prend une brochette, tandis que la jeune fille décroche avec les dents ses chamallows de celle d'Alex.

      - Et moi je peux en avoir un, baby ?
      - Dans ta gueule, si tu veux !

    Touché par la brochette brûlante lancée par son ami, le corse mime l'agonie en roulant sur le sol, un chamallow entre les dents. Puis, tandis qu'Alex allume un baladeur branché à des enceintes miniatures et commence à faire danser Stella, il lèche les résidus de bonbon sur le bâtonnet en lui lançant un regard significatif. Alex marque un temps d'arrêt, puis se penche vers Rinata pour l'inviter à se joindre à eux.

      - Mec, t'es dégueulasse... Allez Rina', viens avec nous.
      - Non merci, je préfère vous regarder vous dandiner d'ici. En plus dans 30 secondes Ghjuvan roulera par terre et se cramera le cul, je veux pas rater ça.
      - Allez mon aaaange, détends-toi un peu. Insiste le jeune homme en la tirant vers lui. La basse-cour a besoin de tes lumières.

    C'est peut-être l'effet de l'alcool, ou la lumière qui trouble sa vision, mais quand elle danse, elle n'a plus l'air aussi froide. Alex est persuadé de l'avoir entendu rire. Peut-être lorsque Ghjuvan complètement bourré est parti se déclarer avec passion à un arbre, ou quand Stella s'est endormie d'un seul coup dans la poussière. Pourtant, Alex était persuadé de ne pas avoir bu tant que ça. Parce qu'il ne supportait pas l'alcool, il faisait généralement attention à sa consommation. La crainte de s'humilier devant un public qui s'en souviendrait le lendemain n'était pas anodine.
    Les lumières dansaient encore quand le jeune homme se retrouva assis dans la poussière, une canette de Coca à la main, à caresser timidement Zapy, le chat de Rinata.

      - Encore une petite, Rina' ?
      - Désolée Alex. T'es pas exactement mon type.





      - ... Cela dit, il faut avouer que t'en es pas loin.

    Alex en reste comme deux ronds de flanc. Les yeux écarquillés, il dévisage son amie comme un poisson stupide face à la vitre d'un aquarium.

      - ... Tu peux répéter ?
      - Je disais que vu ton apparence physique, je...
      - Non, pas ça. Quand je t'ai demandé pourquoi Ghjuvan avait l'air de me faire la gueule.
      - Ah, ça.

    Rinata n'a l'air ni vexée ni particulièrement récalcitrante lorsqu'elle agite une énième fois les copeaux de charbon dans le barbecue. Mais après un moment, elle marque un arrêt et lève les yeux au ciel comme si elle se trouvait devant le dernier des imbéciles.

      - Bon sang, mais c'est pourtant évident !? Il est gay, Alex !
      - Ghjuvan ?
      - Non, Zapy !
      - Gay ?

    La jeune fille esquisse un geste de désespoir avant de retourner à ses grillades. Alors que des flammes se mettent à bondir dans les interstices de la grille, Alex est trop occupé à remettre de l'ordre dans ses pensées pour songer à appeler les pompiers.

      - Mais c'est quoi le rapport avec...
      - T'es vraiment bête ma parole. C'est évident qu'il a flashé sur toi dès le premier jour.
      - Hein ?!

    Le cri de stupeur du jeune homme est soudain noyé dans une explosion de vapeur et un cri d'agonie. Il se retrouve aussitôt trempé du sommet du crâne jusqu'aux épaule par les retombées du seau que vient de jeter Rinata sur le grill.
    Il la dévisage, incrédule pendant que, très calme, elle repose l'ustensile et tire sur une de ses mèches mouillées.

      - J'ai oublié de te prévenir. Je ne réussis jamais un barbec' du premier coup.

    Alex est un peu sonné. Il se demande vaguement si elle ne l'a pas fait exprès.
    Il avale sa salive en la regardant rassembler ses ustensiles comme si de rien n'était, mais ne parvient pas à construire une question cohérente.

      - Je pense que ça doit être à cause de tes jolies gambettes.

    Alex ne leur jette même pas un coup d'oeil. Il sent que quelque chose lui échappe.

      - Moi aussi je les aime bien, d'ailleurs. Mais c'est pas ta faute. Comme je disais hier...
      - ... Je suis pas ton type, hein ?

    D'un seul coup, il a la bouche sèche. Rinata lui lance un coup d'oeil prudent par-dessus le barbecue.

      - . Moi je préfère les filles.

    Le jeune homme profite du bruit du charbon renversé pour fermer les yeux et inspirer un bon coup.

      - ... Je suis sur le cul.
      - Je vois ça.
      - Et Stella...
      - Est-ce que tu es homophobe, Alex ?
      - ... Imagine. Grogne l'intéressé en évitant son regard. Qu'est-ce que tu ferais ?
      - Rien. Ne le prends pas mal, mais tu as beau grogner beaucoup, tu ne fais peur à personne.

    Il le sait bien. Ça ne l'aide pas à dénouer le nœud dans son estomac, ni à trouver la voie à suivre. En désespoir de cause, il grommelle dans sa barbe avec mauvaise humeur pendant un moment. Jusqu'à ce que son amie reprenne :

      - Stella parle beaucoup. Elle a une copine, à ce qu’il paraît, je ne l’ai jamais vue. Après, tu l'as vue hier ; en plus, elle m'a dit qu'elle trouvait ton frère super craquant. Cela dit, toi, tu es vraiment mignon.

    Alex hoche la tête sans vraiment écouter. Tout d'un coup, une montée de panique lui traverse l'abdomen.

      - Merde, qu'est-ce que je dois faire ?

    Les braises se mettent à rougeoyer et Rinata se redresse. Elle le regarde droit dans les yeux ; soutenir son regard est malaisé, parce qu'on dirait qu'elle ne cille jamais.

      - C'est ton problème. Mais t'as tendance à te laisser faire, Alex. Le laisse pas choisir à ta place. Personne.

    Pour une fois, l'androgyne n'a même pas l'hypocrisie de s'


Dernière édition par Alex Cavecchio le Sam 17 Aoû 2013 - 14:18, édité 3 fois
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Alex Cavecchio
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CAVECCHIO Alex ▬ 'Todavía necesito tu mano.' Empty0 / 1000 / 100CAVECCHIO Alex ▬ 'Todavía necesito tu mano.' Empty

• Age : 31
• Pouvoir : Faire des grues. Des vraies.
• AEA : Echo. Chauve-souris. Fonction : brise-vitres. Spécimen défaillant.
• Petit(e) ami(e) : Pas assez de latinas ici.

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CAVECCHIO Alex ▬ 'Todavía necesito tu mano.' _
MessageSujet: Re: CAVECCHIO Alex ▬ 'Todavía necesito tu mano.'   CAVECCHIO Alex ▬ 'Todavía necesito tu mano.' Icon_minitimeVen 16 Aoû 2013 - 0:00


    Les fins d'année laissent toujours à Alex un goût étrange derrière langue. Il éprouve le besoin vague et frémissant de faire un bilan complet des douze mois écoulés mais, à chaque fois, c'est un marasme d'événements épars et mélangés, comme secoués au shaker, qui lui reviennent en tête. Quant aux mois suivant la rentrée, octobre grisâtre et novembre pluvieux, ils se dissolvent lentement dans sa mémoire comme dans une flaque terne et triste. Les années d'Alex se terminent fin août.
    En tout cas, il n'arrive jamais à dresser un récapitulatif complet du temps écoulé. Les points positifs et négatifs, la prédominance de bons et de mauvais moments, se recoupent sans cesse dans ce quotidien où gloire et décadence vont toujours de concert. Si bien qu'Alex peine souvent à déterminer si sa vie est parfaite ou s'il se noie dans une mare de purin. Comme maintenant.

    C'est vraiment une fin d'année bizarre, songe quand même le latino en prenant le chemin de chez lui, à pied, après avoir raccompagné Magda. Il a la capuche rabattue pour se protéger du crachin gris chichement déversé par le ciel, qu'il exècre infiniment comparé au grand soleil jaune du sud. La mer lui manque, et pourtant, il ne l'a pas encore vue une seule fois. Dans sa tête, tout est mélangé : comme si cette année avait été riche en événements sans pour autant comporter quelque chose de marquant. On dirait qu'elle fait juste partie d'un tout. D'un grand chewing-gum tout mou, un peu mélasse.
    Une fin d'année bien spé. Songe Alex en s'approchant du mec affalé par terre, la tête couverte comme pour le refléter, appuyé contre un mur couvert de tags.
    Radioactive biatch.
    Temps bizarre, soirée bizarre, situation spé. Alex se rapproche et pousse du bout d'une basket le genou trempé de Stanley.

      - Va te faire foutre, connard. Mâche difficilement le moribond - ou presque.

    Alex cligne lentement des yeux en se demandant si une serpillère c'est pas pire qu'un chewing-gum. Il a l'impression que le temps s'est ralenti, puis figé entre les gouttes de pluie, comme une gelée épaisse et transparente. Il ne sait plus trop qui est le tortionnaire et qui et la victime, qui il doit craindre et de qui il doit se moquer. Du jeune homme qui détourne la tête devant lui, la bouche en sang, sans doute.
    Mais il en a pas trop envie.

      - Qui c'était ?
      - Te regarde pas.
      - Tu peux bouger ?
      - Je suis pas une tafiole, moi.

    Cela dit, il n'en fait rien. Alex fixe le sweat rouge dont la couleur est sa marque de fabrique, le regarde essuyer cette même nuance qui dégouline sans discontinuer au coin de ses lèvres. C'est la première fois en treize ans qu'il se pose la question.
    Pourquoi du rouge ?

      - Enzo ?
      - Qu'est-ce que tu piges pas dans "va te faire foutre", mec ?

    Pas Enzo. Enzo en a rien à battre de Stanley. Alex n'ajoute rien mais, pour une raison ou une autre, il aurait aimé savoir. Peut-être une autre fois.
    Il s'approche du jeune homme, le saisit sous un bras et le force à se redresser de moitié, comme un pantin au centre de gravité introuvable le ferait péniblement. Stan le repousse d'un mouvement brutal et s'adosse au mur dont la noirceur n'est pas seulement d'origine. Alex se demande si c'est grave, s’il crade son sweat rouge comme ça.

      - Je te ramène chez toi ?
      - Plutôt crever. Mon vieux me buterait.

    Il n'a pas dit non. Drôle d'ambiance. Alex n'insiste pas, parce qu'autour de lui, tout le monde a des raisons plus ou moins inavouables pour plus ou moins n'importe quoi.

      - T'as qu'à venir crécher chez moi ce soir.

    Il ne sait pas de quel bordel de dieu lui vient cette putain d'idée. Vu son air de pure ironie, Stan non plus. Le latino l'ignore et soutient le type au sweat rouge sous les épaules.

      - J'ai besoin de quelqu'un pour finir des succès en duo sur ma Xbox. Mes frères sont vraies taches.

    Il aimerait quand même bien savoir qui. Le Radioactive biatch se fout de sa gueule.
    Bizarrement, il est sûr que Max aurait dit de leur éclater la tête.

    • • • ✒

      - Oh, Stanley ! Bonsoir.

    Sur le pas de la porte, les deux jeunes gens fixent Carina en silence. Alex parce qu'il est éberlué par cette capacité qu'a sa mère d'ignorer tout de sa vie, et Stan, sans doute, parce qu'il est surpris de l'accueil.

      - B´soir m'dame Cavecchio... Finit-il par marmonner sans trop savoir où poser les yeux.

    La mère de famille sourit aux adolescents et retourne dans la cuisine comme si de rien n'était. Alex soupire. Alertée par le bruit, la tête à moitié rasée de Gaetan émerge d'une porte toute proche, et son air désabusé paraît demander à son aîné ce qu'il fout encore. Le jeune homme fixe le nouveau piercing de son frère, au nez, d'un air qui le prie pas si poliment que ça de se casser en vitesse. L'adolescent lève les yeux au ciel et disparaît dans sa chambre, tandis qu'Alex pousse sans ménagement Stanley vers la sienne, après avoir ouvert la porte d'un coup de pied.
    Deux minutes plus tard, il le rejoint avec la trousse de secours dans une main et la Xbox dans l'autre, en priant pour que ce bref intervalle n'ait pas suffi pour que le type en rouge foute le feu à sa piaule. Claquant la porte après avoir constaté que ce n'est pas le cas, il lui envoie la première dans la figure et s'emploie à installer la seconde sur la multiprise derrière son écran plat.

      - Pas très mignon ta piaule, mec. T'aurais pu faire un effort.

    Alex l'ignore royalement, concentré sur ses branchements. Il a beau avoir répété ce geste de dizaines de milliers de fois, l'automatisme ne vient pas. Et il fait bien attention à ne pas se foutre les doigts dans la prise.
    Dans son dos, Stan se tait, ce qui est généralement révélateur chez lui d'une indisposition majeure.

      - C'est ça que tu fais quand tu sèches ? Dessiner des rats volants ?
      - Des chauves-souris. Corrige Alex en raccordant le câble vidéo. Sans mettre les doigts dans la prise.
      - Pareil.

    Alex suit le câble du bout des doigts avec un luxe de précautions. On ne sait jamais. Et si le lapin d'Adelma avait été le grignoter ?

      - Trop bien rangé, mec. Et trop violet pour moi.

    Alex ne sait pas trop pourquoi, à ses oreilles, sa voix a des échos de reddition. Après avoir vérifié les branchements trois fois, il se plante devant la télé et l'allume du bout du pied. L'écran d'accueil s'affiche avec une complaisance rafraîchissante.

      - J'ai regardé sous ton pieu.
      - Et ?
      - J'ai pas trouvé tes pornos.

    Et sans doute pas non plus la boîte de maquillage qui y vit depuis des années. Quoique. Alex ne sait plus quoi penser.

      - Parce que ma frangine passe son temps à chercher son lapin en-dessous. Répond-t-il sans se retourner.

    Connard de lapin. Alex saisit les manettes et va se laisser tomber sur son lit à côté de Stan à reculons.

      - Fous pas du sang sur mes affaires. T'es J2.

    Drôle de soirée.

    2012


    Bilan provisoire selon Magda. Stanley et toi ne vous arrachez plus la tête à chaque fois que vous vous voyez. Enzo veut te coller la tête dans la boîte aux lettres de son immeuble sans qu'on sache pourquoi. David a refait surface en venant te pleurer dessus qu'il s'emmerdait trop dans son nouveau bahut. Ta mère a un nouveau copain, avec un emploi stable. Le lapin d'Adel' est tombé du balcon mais Esteban l'a retrouvé et il est encore vivant. Et tu vas plus souvent en cours.
    Tu deviens sage, M. Malabar ?


    Alex repose le combiné. Il rajoute un trait sur son dessin de roussette. Disons que s'il n'a pas son bac cette année, il est bon pour la supérette à vie. Disons que David est fan du lapin d'Adelma, comme s'ils étaient frères de sang. Disons qu'il est heureux de le revoir. Et que Stanley est trop bon à GTA.
    Il sait pourquoi Enzo veut le passer à tabac : ça énerve le petit caïd qu'un de ses sous-fifres se débine. En sachant qu'il a son ancien pote contre lui, Alex en vient presque à regretter les voitures incendiées et les punching-balls sans visage. Mais lorsque Dave lui est retombé dessus, comme ça, sans prévenir, il a pas pu. Il peut pas continuer comme ça quand ses yeux bleus le regardent.
    C'est plus ou moins son meilleur câble de survie.

    On pourrait croire que tout va bien.
    Bizarrement, Alex ne le sent pas bien.
    Il renverse ses étagères.
    Des pansements sur ses doigts dissimulent de la chair mise à vif à coups de brosse à dent.
    Qu'est-ce qui ne va pas, Alex ?



    ▬ 2008
    Ce jour-là comme tous les autres, la cloche ne sonna pas. Dix minutes avant l'heure, pourtant, un flot d'élèves s'échappa des classes en raz-de-marée incontrôlable et se répandit sur les pavés de la cour, au mépris des enseignants qui se plaquaient contre les murs avec les craintes d'être emportés. Anne-Sophie leva les yeux de ses dossiers, vers l'horloge murale située sur la cloison face à son bureau, juste à la bonne hauteur pour que son regard s'y porte machinalement. 12:15. Le temps d'un quart d'heure plus ou moins relatif à une fin de cours que personne ne connaissait avec exactitude. La jeune femme se leva calmement, passant les doigts dans son carré de cheveux bruns. Elle rehaussa ses lunettes sur son petit nez et se dirigea vers la porte, en songeant qu'il serait grand temps de remplacer la cloche déconnectée par Esteban Diez, qui avait visiblement l’intention d’en faire l’œuvre de sa vie.

    Dans le couloir, Anne-So se tint en haut des escaliers qui mènent à son bureau, sur la porte duquel était affichée une plaque portant son nom. Elle observa la vague des élèves avec une tendresse maternelle et bienveillante, tout en lançant parfois une remarque à travers la cohue.

      - Kevin, Marion, allez jouer les tourtereaux ailleurs, vous gênez le passage ! Enzo, remonte-moi ce pantalon ou change de caleçon, merci. Je peux savoir à qui appartiennent les baskets accrochées au néon, s'il vous plaît ?

    Dans la succession effrénée de têtes brunes et de maillots multicolores, certains s'arrêtaient parfois pour corriger leur allure. D'autres laissaient filer la remarque avec dédain, ou comme s'ils ne l' avaient pas entendue, à l'image d'Enzo qui ne remonta résolument pas son pantalon.
    Anne-So n'y accordait pas beaucoup d'importance. Contrairement à la majorité de ses collègues, elle ne voyait pas dans cette marée humaine l'assemblage d'individualités violentes et dangereuses qu'ils redoutaient tant. Elle voyait des enfants, certains en bonne santé, d'autres, trop nombreux avec des problèmes. De famille, d'école, des problèmes avec leur tête, avec cette cité qui les retenait et les façonnait, avec cette ville qui ne voulait pas d'eux, ce monde qui les empêchait d'avancer. Face à des adultes incompréhensifs et murés dans la crainte.
    Anne-Sophie, elle, les aimait beaucoup. Tant pis si ce sentiment n'était pas partagé par tous. Elle aurait voulu une plus grande complicité avec beaucoup d'entre eux, mais concevait avec beaucoup de pragmatisme l'impossibilité de ce souhait. Alors elle y allait pas à pas. Sans forcer les choses.
    Un hurluberlu avec des dreadlocks, un baggy à motifs army et une casquette aux couleurs du brésil la frôla presque en sautant à l'aide d'une seule main par-dessus la rampe de l'escalier où elle se tenait. La jeune femme s'époumona en le voyant disparaître en contrebas :

      - Anthony, tu vas finir par te rompre le cou !
      - Salut m'dame.

    Anne-So se retourna à temps pour arrêter dans sa course le jeune latino qui s'apprêtait à contourner l'obstacle pour rejoindre son camarade. Le garçon stoppa sa course en dérapant sur ses lacets défaits et lui offrit une expression ouverte et transparente de naïveté. Sur son visage qui n'indiquait ni fille ni garçon, le masque de sérieux qu'il élaborait avec minutie s'évanouissait d'un coup sous l'effet de la précipitation. Anne-Sophie lui sourit.

      - Laisse-moi au moins te dire bonjour, Alex. Vous allez manger dehors ?
      - Si, señora. Répondit le garçon à l'allure de moineau.

    Anne-Sophie était toujours désarçonnée par les langues étrangères qui fusaient joyeusement dans la bouche de ses élèves, alors même qu'ils parlaient tous français. Ils semblaient partager un langage commun qui lui était incompréhensible.

      - Et tu as l'intention d'aller en anglais après, bien sûr.

    Le collégien battit des cils.

      - Ouais.
      - Menteur, s'amusa Anne-So. Allez, file. Bon appétit !

    L'enfant fila comme une anguille en lui retournant la politesse. La jeune femme le regarda partir, un vague sourire aux lèvres. Puis elle se retourna, afin de voir arriver en retrait du flot qui allait en se tarissant, traînant ses nikes blanches sans se presser, un garçon en t-shirt rouge.

      - Ah, tu tombes bien, je t'attendais.

    Certains adorables. D'autres méfiants comme des chiens battus. Jetés, cassés, oubliés, trop gâtés ou écrasés par la pression. Et par-dessus tout, avec personne pour croire en eux. La jeune femme ouvrit sa porte devant le collégien.




      13/03 16:34 – Ray
      pb les vignes rustam scout son 3 help

    Portable en main, il faut deux secondes à Alex pour comprendre le message. Puis, il lâche une obscénité à haute voix en bondissant du banc, qui se met à vibrer dangereusement en réponse au choc.

      - Je vais buter ces putain d'enfoirés de mes deux !

    Dans son groupe, certains éloignent leur clope d'un air interrogateur, d'autres lui demandent ce qui se passe d'un air sérieux. C'est assez rare, les coups d'éclat, chez Alex. Il se fait rarement remarquer, au final.
    Mais pour le coup, il s'en fout. Que Rustam essaie de toucher à un cheveu de son frère, et il en a l'impression qu'un courant électrique passe par ses baskets. Il oublie direct qu'ils sont plus nombreux, qu'il pourrait s'en prendre une, ou quoi que ce soit.
    La famille c'est sacré, bordel.

      - Ce fouille-merde de Rustam veut cogner mon frère parce que je lui ai tiré son scoot. Lâche le latino en se précipitant vers le coin de la rue pour arrêter Diego et lui emprunter sa bécane.

    Le jeune homme lui lance un regard peu amène, mais la lui cède quand même, tandis qu'Anthony et Esteban se lèvent pour le suivre. Parce que quoi qu'il arrive dans le coin, tu touches à un mec, t'as 80% de chances de voir sa famille rappliquer pour t'en mettre une. C'est quasiment une règle immuable.

      - Hijos de puta. Commente Anthony en jetant son joint avant de faire rugir le moteur.

    • • • ✒

    Rayan Cavecchio était en train de se dire que 1) il n'aurait peut-être pas dû se lever ce jour-là 2) il aurait peut-être dû appeler Gaetan aussi quand même et 3) il n'avait jamais aimé les scooters. Son premier réflexe en voyant son casque audio hors de prix passer entre les mains d'Antoine Goujus et Maxime Ristaud fut de se demander pourquoi c'était à lui que ce genre de chose arrivait. Le second fut de songer à demander à Alex de se tenir tranquille à l'avenir, étant d'un naturel trop pacifique pour pouvoir réellement en vouloir à son frère. Cela dit, songeait-il en observant les trois malabars qui l'avaient acculé contre un mur, un peu d'aide n'aurait pas été de refus.

      - Hmm les mecs. Je sais que vous voulez que je ferme ma gueule et tout, mais si mon frère et ses potes rappliquent, vous êtes mal. Non, sans dec'.

    • • • ✒

    Concrètement, Les Vignes se situent à la périphérie de la cité d'Alex, juste derrière le collège, formant comme une frontière entre deux territoires rivaux. C'est en raison de cette dangereuse proximité qui permet des mélanges entre cités au sein même de l'établissement que les ennuis ne manquent pas au sein du bahut de ses frères, et qu'il arrive parfois que des rixes entre quartiers éclatent dans les environs.
    Informations hors de propos pour l'instant, puisque les agresseurs de Rayan ne viennent pas d'aussi loin : Alex n'aurait pas risqué de se mettre à dos la cité d'à-côté pour un misérable vol de scooter. Pas sûr que ses potes le lui auraient pardonné.
    En soi, la confrontation n'est pas digne des plus grands films d'action de l'histoire. Les équations en bagarres de rue, elles sont bien plus rapides que celles du profs de math. D'abord on compare le nombre. Ensuite les armes potentielle, puis les tailles et muscles respectifs, et enfin, éventuellement, on prend en compte la différence d’âge. Après ça, la faction minoritaire a plus qu'à batailler un peu pour l'honneur avant de se faire étaler - sauf les rares enragés qui se battent jusqu'à l'hosto.
    Par conséquent, une fois qu'Alex a débarqué avec ses deux copains plus grands que lui et les collégiens, gueulé un "tu touches à mon frère j'te défonce la tête petit con !" des plus classiques, et enfoncé son genou dans le ventre du plus goguenard pour appuyer ses dires, tout va assez vite. Alex n'enregistre pas tous les détails : il est plus habitué au un-contre-un ou au dix-contre-un, pas aux bagarres à forces égales. En général, pour des raisons assez évidentes, ce n'est pas à lui qu'on fait appel en premier dans une situation de ce genre. Pas assez de carrure. Alors ça le change.
    Alex, ça le dérange pas de taper sur des collégiens. Dès lors qu'ils ont menacé son frère, qu'il leur assène avec un coup de pied dans la gueule. Mon frère, mon sang. T'y touches pas.
    Les trois lascars sont dégagés proprement, sans pouvoir protester autrement qu'avec des regards noirs.

      - Hijos de puta. Conclut sobrement Anthony en se rallumant une taffe.
      - Allez viens Ray', on s'arrache.

    Sans un remerciement pour ses potes, au contraire de son cadet qui les distribue du bout des lèvres, Alex lui tend son casque et le jeune garçon le récupère avec gratitude. Sur le siège de son ancien scoot, le latino vérifie la prise des mains de son frère sur sa taille. La tension retombée, ça le reprend : l'idée que s'il déconne, Ray n'a pas de casque et peut s'éclater le crâne sur la chaussée. Il descendrait presque de son engin pour le pousser à coté de lui, moteur coupé. Il sait pas trop ce qui le retient : sans doute le regard des trois garçons le fait-il replier ses entrailles crispées au plus profond de son ventre et serrer les dents. Dissimuler. D'une action rotative sur la poignée, il fait grogner son moteur et démarre en trombe.




    Magda avait raison, comme souvent. Toucher à la famille, c'est une insulte personnelle, une offense qu'on ne laisse pas passer, un coup dans les bijoux voire pire encore. Ça reste accroché à l'estomac jusqu'à ce qu'on s'en débarrasse - et de préférence de manière rapide et douloureuse.




    Planté dans l'encadrement de la porte, Alex se demande quoi faire devant la tuerie qui a lieu dans le salon. Il fronce les sourcils, perplexe, pendant que des éclats de voix retentissent par-dessus les rires frénétiques du bébé hissé en haut de sa chaise de plastique bleu. Gaetan, seulement vêtu d'un bermuda blanc laissant voir le nouveau tatouage de dragon qu'il a entre les épaules, plonge sous la table avec un cri de rage, tandis que Rayan, son éternel casque rouge autour du cou, cherche un peu désespérément à protéger l'électronique fragile qui parsème la pièce de la colère de son frère. Alex cligne des yeux, impuissant devant ce bordel monstre et seulement capable de fixer une commode en contreplaqué blanc qui vacille dangereusement. Gaetan hurle une insulte et soudain, une boule de poils grise surgit de sous les meubles en vrac à toute berzingue.

      - Rattrapez-le bordel de merde !!

    En se précipitant hors de sa cachette, le jeune semi-punk heurte le bord de la table du crâne avec un bruit sourd. Une bordée de jurons suit immédiatement l'incident.

      - Je vais scalper cette catastrophe sur pattes et le bouffer dans un burrito !

    Alex songe à faire remarquer qu'on ne met pas du lapin dans un burrito, en général, mais ledit lapin le fait bondir hors du passage en lui fonçant directement entre les jambes, lui arrachant une exclamation étouffée. Il n’aime pas cette bestiole.
    Tout comme Gaetan, il lui trouve un air vicieux.
    En attendant, l’animal affolé cavale d’un côté et de l’autre dans le couloir, l’air totalement perdu. Alex jette un coup d’œil à ses frères : Gaetan se tient la tête en marmonnant une flopée de jurons tandis que dans son dos, Rayan repose prudemment la Xbox sur la commode. Tant d’agitation lui retire facilement sa capacité à crier.

      - Elle est où, Adel’ ?
      - J’en sais rien et j’en ai putain de rien à foutre ! Beugle le plus âgé en donnant un coup de pied rageur dans un coussin. Sa saloperie de merde à poils m’a niqué ma console et elle est même pas là pour la foutre dans son trou ! Bordel de merde !

    Une tirade uniquement composée d’insultes dans différentes langues, soit la technique de communication usuelle de Gaetan, accompagne l’oraison funèbre de l’engin en question, tout neuf et tout juste reçu par colis express. Mine de rien, Alex a mal pour son frère. Cependant, à l’instant présent, il se demande surtout où a bien pu passer sa cadette.

      - Rayan, tu veux pas récupérer ce malade ? Moi j’y touche pas.
      - Le lapin ou Gaetan ?
      - Ptain zyva ta gueule. Crache ce dernier en quittant la pièce.
      - Le lapin, crétin. Corrige inutilement Alex par-dessus le fracas d’une porte claquée avec furie. Tu peux aller dans ma piaule le temps qu’il se calme, mais si ce truc chie n’importe où ça va barder.

    Rayan grommelle un peu et replace son casque sur sa tête avant d’aller à la poursuite de l’animal : à part Adelma, il est le seul à apprécier cette boule de poils machiavélique dans la famille. Alex sait qu’il l’attrapera pour la préserver de la colère de son aîné.
    Avec un énième soupir, trop las pour s’énerver, le latino parcourt du regard le salon sens dessus-dessous ; un coup d’œil à une pile de cahiers traînant dans un coin le résout sans peine à quitter la pièce comme si de rien n’était, sur un brui feutré de porte coulissante.

    • • • ✒
    Alex traverse le couloir sans prendre la peine d’écouter à la porte de Gaetan – il a passé l’âge. Au lieu de cela, il dépasse placidement les portes qui s’alignent le long des murs et pousse celle de la salle de bain : une fois à l’intérieur, il se dirige droit sur la fenêtre, l’ouvre en faisant coulisser la vitre, et balance une jambe à l’extérieur.
    En douceur, le latino se réceptionne sur l’escalier de secours qui passe environ un mètre sous la fenêtre. Le métal résonne faiblement sous ses pieds, et quand il lève la tête, il a droit à un aperçu de ciel gris piqueté de nuages sombres. Alex monte l’escalier : chaque marche émet une vibration de gong lorsqu’il y place un pied. Il ne regarde pas en bas. Surtout pas en bas. Ne pense surtout pas à quel point ce truc a l’air fragile, qu’il pourrait céder, que lui-même pourrait glisser ou…
    Il se focalise sur le nombre de fois qu’il a emprunté cet escalier sans mourir. Ça devrait suffire, pourtant.
    Pas vraiment. Mais il fait avec.
    Lorsqu’il débouche sur le toit, Alex repère presque immédiatement la tête couronnée de cheveux bruns qui se penche au-dessus du vide. Adelma lui tourne le dos ; elle porte un t-shirt si long par-dessus son short qu’on la croirait en robe. Le jeune homme s’approche d’un pas traînant nettement perceptible. Nettement perceptibles aussi sont ses reniflements.

      - Oh, Adel’.

    La jeune fille ne répond pas. Alex va s’adosser au rebord à son côté, refusant de regarder la ville en contrebas, en songeant à quel point il était simple de la réconforter quelques années plus tôt. C’est dur pour tout le monde, quand un enfant grandit un peu plus tous les jours, pas vrai ?

      - Gaetan a pété une durite. Si c’était le but gg, tu gères.

    Il tourne la tête de trois quarts pour observer sa cadette et donner un sens à ses mouvements.

      - … Non ? Traduit-il devant son signe de tête, alors qu’est-ce qui ne va pas ? Tu t’es disputée avec Maylis ? Esmail t’a emmerdée ?

    D’un seul coup, avec un soubresaut proche de la violence qui prend Alex au dépourvu, la petite brune éclate en sanglots et se réfugie comme un boulet de canon au creux du sweat de son frère. Lequel, le souffle coupé, grimace fortement. Et en comprenant, encore plus.
    Il l’a plaquée. Ah ouais.

      - Tu veux que j’aille lui apprendre la vie à ce fils de pouffiasse ? Propose-t-il en serrant la fillette contre lui.

    Adelma secoue la tête dans l’épaisseur violette de son pull. Alex soupire. Elle continue de sangloter.

      - Te mouche pas dans mon sweat, sista’.

    Elle ne lâche même pas un éclat de rire.

    Les mecs sont des enfoirés, tu sais.



    J’trainais les pieds, des casseroles… J’n’aimais pas beaucoup l’école…
    Alex se balance un peu d’avant en arrière sur le dossier du banc, en enroulant autour de ses doigts le câble de ses écouteurs. Il regarde autour de lui avec la musique à fond dans des oreilles qui n’entendront certainement plus rien dans quelques dizaines d’années ; de ses doigts à la peau rêche, il porte une cigarette à ses lèvres et en tire une bouffée, esseulé dans un paysage gris parisien.
    Alex fume trop et il le sait. Avant, il ne voyait pas passer les paquets ; maintenant, avec le nouveau copain de sa mère qui n’est pas aussi généreux qu’Antone, il lui arrive de loucher avec inquiétude sur son stock. La gorge sèche, il sait qu’il ne devrait pas, il sent presque les cellules cancéreuses s’installer sous sa peau avec leurs petites affaires.
    Comment tu vas crever, Alex ? D’un cancer des poumons à 30 ans, connard. Et avant ça…

      - Alex ? Bonjour.

    Pourquoi n’entend-t-il jamais les gens avant qu’ils arrivent ? Ça lui éviterait un bon paquet de problèmes, pourtant, songe le latino en pivotant son bassin vers l’arrière pour dévisager la nouvelle venue. Il lui faut un instant pour se remémorer sa taille de biche et ses lunettes rectangulaires, derrière lesquelles scintillent des yeux alertes couleur chocolat.
    Eh hombre, mate un peu la nana en tailleur là-bas ! – La blonde ? C’est la psy, débile. – Merde. – Comme tu dis. – Elle est canon pourtant.

      - Salut m’dame.

    Anne-Sophie laisse échapper un joli sourire et contourne le banc pour se placer devant son ancien élève ; lequel la suit des yeux, pas vraiment méfiant, mais tout de même interloqué. Dans le coin, on sait depuis un bail que la psy du collège participe aussi à un projet d’étude sur les ZUS parisiennes. Au début, ça en a gêné beaucoup, et elle n’était pas très aimée.
    Mais Anne-So’ a un truc. Un truc qui met en confiance, un truc qui donne envie de lui parler, de lui plaire, d’avoir son approbation. Elle plaît aux gosses, elle leur donne le sentiment de compter.
    Alex le sent comme ça.

      - Vous faites quoi ? Du repérage ? Z’avez pas de caméras avec vous aujourd’hui ?
      - Oh, je ne passe pas mon temps à ça. Répond la jeune femme en passant une main sur la sangle de son sac. Et puis, les types de la tv n’ont pas besoin de tout voir. Ils ne sont pas au zoo, ici.

    Un clin d’œil malicieux tire un sourire pénible à Alex. En la dévisageant, il se dit que s’il se levait, il serait sûrement plus grand qu’elle maintenant. Anne-Sophie est de ces femmes qui paraissent détenir le secret de la jeunesse éternelle.
    On ne peut pas plaire à tout le monde. Mais en – un rapide calcul – cinq ans environ, la jeune femme a réussi à se faire accepter par au moins 50% des jeunes. Ce n’est pas un maigre exploit.

      - Que deviens-tu, Alex ? J’ai appris pour ton père.
      - Pas grave, c’était qu’un enfoiré de toute façon. Marmonne le jeune homme en tirant sur sa clope, avec une franchise devenue naturelle face à la psychologue.
      - Peut-être. Concède la jeune femme. Ça va à la maison en ce moment ?
      - Ouais tranquille.
      - Comment va Rayan depuis la dernière fois ?
      - Ca va. L’autre salaud est pas revenu.

    La discussion n’a rien de très extraordinaire. Alex s’attendrait à se trouver en confiance, ou même à être rassuré par la présence de la jeune femme ; après tout, il se souvient qu’avoir quelqu’un qui s’intéresse à lui l’avait poussé vers l’avant, plusieurs années auparavant.
    Pourtant cette fois, à mesure que la conversation s’étend et s’étiole, le jeune homme sent son humeur s’assombrir, une petite bête d’énervement s’agiter dans son thorax. Il redoute des questions qui feraient mal, ou auxquelles il n’aurait pas de réponse. Il craint les yeux de la psychologue, qui ont toujours l’air de savoir tout ce qui se passe dans le quartier – et ce qu’il s’y passe, il ne veut pas qu’elle le sache. Honte, frustration. Un gros bouillon qu’il n’arrive pas à démêler pour le reste. Sa bouche s’assèche, ses réponses se font brèves, voir cassantes.
    Je vais bien, vous savez.

      - Dis-moi Alex ; est-ce que tu vas bien ?

    Silence. Le jeune homme lui oppose une façade blasée fraîchement repeinte.

      - Tu es inquiet pour ton bac ? Poursuit néanmoins Anne-Sophie sans se démonter.

    Alex pianote des doigts sur le dossier du banc. Il aimerait qu’elle s’en aille et elle le sait.

      - Alex ?
      - Vous pouvez pas me foutre la paix un peu ? Siffle le jeune homme entre ses dents.

    Le bois abîmé craque sous son poing serré, une bonne partie se défait à moitié sous le choc. Alex serre les dents et garde les yeux baissés sur la cigarette qui se consume entre ses mains.
    Tout va bien.
    Tout va bien.

      -Ne fais pas de bêtise. Laisse planer une voix douce au-dessus de lui. Il ne veut pas voir ses yeux. Il ne veut pas de compassion ou d’apitoiement. Tu n’as pas fait de bêtise récemment ?

    Cette façon de lui parler comme à un gamin.
    Tu crois quoi, que j’ai essayé de m’ouvrir les veines ? Moi qui ose à peine m’approcher d’un cutter ? Une parodie d’éclat de rire s’étouffe dans son larynx en même temps qu’une toux pleine de fumée.
    La fenêtre était trop haute. Tout est bien trop haut pour moi. Putain de chewing-gum.
    David. Il faut qu’il voie David. Magda. Ou une bouteille de Despé’, au choix – n’importe quoi pour décoincer sa cage thoracique. Il faut qu’il tape dans quelque chose. Ou alors il faut qu’il ouvre un robinet pour essayer de chasser cette odeur de fumée et ces cellules noirâtres qui pullulent sous sa peau. Ses doigts en tremblent presque.

      - Alex ? – la sensation insupportable d’une main sur son épaule – Ca va aller, tu sais.

    Bien sûr que non. Evidemment que non. Comment peut-elle dire des trucs pareils à un ramassis de gosses inutiles, cruels et sans avenir ?

      - Foutez-moi la paix. Murmure-t-il d’une voix rauque.

    L’envie de s’excuser le taraude impitoyablement, mais il sait qu’elle ne l’exigera pas, alors il s’abstient, parce que c’est toujours plus facile d’être désagréable et de passer ses nerfs sur ces personnes gentilles et compréhensives qui tendent l’autre joue après une claque. Ça lui laisse un goût répugnant dans la bouche.
    Foutez-moi la paix.
    Les sandales d’Anne-Sophie crissent sur les gravillons sans que le latino relève la tête. Tout ce qu’il veut, c’est voir ses chevilles s’éloigner, ne pas relever la tête vers ses yeux, parce qu’il sait exactement ce qu’elle pense. Elle le lui a déjà dit, il y a longtemps.
    T’as tellement de colère en toi, Alex.

    Elle est contre qui, cette colère ?




    ▬ 03/06/2012 00:24
      - Sérieusement les garçons. Qu’est-ce qui vous est passé par la tête ?



    ▬ 02/06/2012 21:12
      - Debout toi, lâche cette connerie et suis-moi ! On a un truc à faire !
      - ‘tain tu me fais quoi là Alex ? Attends, merde !
      - Magne-toi !



    ▬ 03/06/2012 00:24
      - Incendie criminel, rien que ça. Vous avez vraiment merdé les gars.



    ▬ 02/06/2012 22:00
      - … T’avais pas dit que ton pote serait là ? A deux ça craint, quand même.
      - Eh, si t’as la trouille, t’as qu’à te casser, hein !
      - C’est pas ce que je dis. Mais le vieux va nous tuer si ça se sait.
      - Je croyais qu’il te faisait pas peur.
      - C’est pas le problème.
      - Sérieux, fais pas chier.
      - Ok, ok. J’t’aurai prévenu.



    ▬ 03/06/2012 00:26
      -Vous vous rendez compte de ce qui aurait pu arriver ?
      - On est désolés, m’sieur.
      - Désolés ?!
      - On pensait pas qu’il y aurait quelqu’un. C’était fermé, merde !



    ▬ 02/06/2012 22:30
      - Ca crame bien quand même.
      - T’entends rien ?
      - Euh…
      - Putain Alex, la gamine !



    ▬ 03/06/2012 00:32
    Pourquoi y aurait eu quelqu’un, d’abord ? C’était tellement inenvisageable que ça ressemblait à un traquenard. Assis sur un siège en plastique de couleur indistincte, à côté de Stanley et son sweat rouge, Alex a l’impression qu’on lui a cogné la tête dans une plaque de béton. Il est comme anesthésié ; les paroles du flic lui passent au-dessus du crâne sans atteindre ses oreilles, comme s’il était plongé dans une piscine très profonde.
    Dans l’eau, on se noie. Tu le sais, hein ; tu croyais que le feu, ce serait mieux ?
    Ils ont reçu l’ordre de garder le silence, mais celui de Stan est chargé de ressentiment. Non loin, derrière plusieurs personnes en uniforme qui vont et viennent dans le couloir, Trevor parle d’une voix placide dans un combiné noir. Alex sait qu’il appelle leurs parents.
    Il commence à se rendre compte à quel point il a merdé.

      - Franchement vous avez de la chance que la petite n’ait rien.

    On choppe combien pour incendie criminel ? Sur le coup, tout tournoie dans la tête d’Alex, il ne se souvient plus de rien. Mais il ne pense pas en être quitte pour une simple garde-à-vue. A sa droite, Stanley secoue la tête, puis enfonce sa capuche sur ses mèches brunes et se laisse tomber dans le fond de son siège. Le latino aimerait croiser son regard mais en même temps, il redoute ce qu’il y trouverait.
    Qu’est-ce que tu fous, bordel ?

    • • • ✒
    ▬ 03/06/2012 01:00
    La mère d’Alex arrive en premier, accompagnée d’Ihsane, l’homme aux mains pleines de cambouis qui vit chez eux depuis plusieurs mois maintenant. Alex ne l’aime pas. Il lui jette un regard noir au moment où il passe la porte, mais les yeux de Carina le lui font baisser direct. Il donnerait n’importe quoi pour être ailleurs au moment où Ihsane s’approche du policier et commence à lui parler à voix basse. Tant qu’à faire, il aurait préféré que Stanley parte en premier. Pour s’expliquer avec son père, peut-être, il ne sait pas bien – non, au fond, il sait parfaitement qu’il n’aurait rien pu faire pour son camarade à part envenimer la situation. Peut-être qu’il aurait juste voulu s’épargner l’humiliation qu’il sent dégouliner dans son estomac à l’heure actuelle.
    Même si Stanley n’en a certainement rien à foutre de sa situation. Trop occupé avec sa propre merde.
    C’est ta faute, connard. Pourquoi tu l’as entraîné là-dedans ?

      - Alex ? Viens, on s’en va.

    Le jeune homme lève un regard flamboyant sur cet homme qui n’a rien à foutre dans sa vie, dont il ne veut pas et dont il ne voudra jamais.

      - Me dis pas ce que je dois faire ! T’es pas mon père !

    Il s’arrache au siège d’un mouvement brusque et bouscule quasiment Ihsane en s’éloignant, sans un regard pour le jeune homme au sweat rouge, pour les flics à l’air agacé ou pour sa mère, surtout pas pour sa mère. Il se fout de savoir s’il a le droit ou pas de partir. Qu’ils le rattrapent et le foutent en taule s’ils veulent. Il s’en fout. Il se fout de tout.



    ▬ 03/06/2012 01:40
    Alex est assis sur les draps prune, les yeux baissés sur ses mains, doigts croisés, crispés, glacés, comme s’ils ne devaient jamais plus se décoller. La longue jupe brune de sa mère se balance, quelque part près du mur qui lui fait face. Il ne l’écoute plus crier.
    Il sait qu’il l’a déçue, profondément déçue. Il sait aussi que cela fait 18 ans qu’il ne cesse de la décevoir, encore et encore.
    Rien de ce qu’il fait ne correspond à ce qu’elle aurait voulu. Il n’est ni intelligent ni travailleur, il ne réussira pas mieux qu’elle dans cette vie qui s’étend droit devant lui, triste et misérable. Il n’est même pas fier, courageux ou persévérant. Il n’a rien à lui offrir.
    Il sait qu’il n’est pas l’enfant qu’elle aurait voulu avoir.

      - Tu sais comment ça va finir, Alex ? Tu le sais, ça ?

    Sa voix est étouffée ; le jeune homme se demande si elle pleure, mais ne lève toujours pas les yeux.
    Tu sais comment tu vas finir, Alex ? En taule à 20 ans, avant de crever d’un cancer à 30, ça te rappelle personne ? C’est bien ça, la vie que tu voulais, non ?
    Mais de toute façon, c’est pas ta faute, on sait bien. C’est les autres. C’est ce foutu chewing-gum qui ne veut pas disparaître.
    Dis-moi, Alex, est-ce que tu détestes ta mère ?
    Il aurait tué ce reflet dans le miroir, qui lui souriait d’un air ironique. Eh bien Alex, qu’est-ce que tu as ? Qu’est-ce que tu es, Alex ?
    Ne lui en veux pas. Ce n’est pas sa faute.
    Désolée, ça ne s’est pas passé comme ça. Alex garde les yeux rivés au tapis. Il ne veut pas voir la douleur, déception, rancœur, dans ceux de sa mère, pourtant de la même couleur. Il sait qu’il a tué la petite fille qu’elle pensait avoir, il y a bien longtemps de cela.
    Tu es une mauvaise mère !
    Va-t-en. Je ne veux pas t’entendre.

    … Contre qui ?




      - Tu te fous de ma gueule ?!

    Le bruit d’un truc qui se brise. Lena lance un cri indigné. Lena.

      - Eh, calme-toi ! Ça va pas la tête ?!
      - Ferme-la ! Toi tu me dis ça comme ça, tranquille ?! C’est quoi ton problème ?!
      - C’est quoi ton problème, Alex ?! Arrête !
      - Je m’en fous de ton avis ! Casse-toi de là, tout de suite !

    C’était rien de grave, pourtant ; c’est ridicule de s’énerver pour ça. Ils pourraient en parler, tout simplement. Mais Alex crie et balance des coups de pied dans ses affaires.
    Je t’ai dit que je voulais pas me marier, que je voulais pas d’enfants. J’étais sérieux. Pauvres gosses.
    Personne voudrait d’un père comme moi. Personne voudrait d’un fils comme moi non plus.

    Battre femme et enfants, c’est ça qui t’attend ? Tu peux aller crever. La bouche de Lena retient ces mots et les laisse gravés sur la porte en la claquant.

    … Tellement de colère.




      * Rubstar is online
      Batman93 : yo cv?
      Jollyfish : cc rubstar
      Mallow91 : yop tu va pvr ns aidé mec
      Rubstar : yo tt le monde
      Rubstar : pb ?
      Batman93 : raid
      Mallow91 : raid
      Rubstar : apel
      Mallow91 : ok
      Jollyfish : peu pa lé mec ya ma pote ki vient la
      Mallow91 : merde
      Mallow91 : dégaj la
      Jollyfish : o tu dec, l sé fai plaké koi
      Rubstar : …
      Jollyfish : a+
      Mallow91 : a+
      Rubstar : a+
      Batman93 : a+

      * Mallow91 is afk
      Batman93 : tu pren le troll?
      Rubstar : nn. T’as merdé mec
      Batman93 : ?
      Rubstar : Magda.
      Batman93 : tin me fai pa chié avc ca ok?
      Rubstar : ok
      Rubstar : …
      Rubstar : ca va ?
      Batman93 : tg et nik moi ce troll





    En soi, Alex a l’habitude des poings de Stanley. Il les a reçu tellement de fois sur la figure au long de sa courte vie qu’il est capable de prévoir exactement le timing auquel il va se faire frapper et la douleur que le coup va occasionner sur une échelle de 1 à 10.
    Sauf aujourd’hui.
    Quand le jeune homme reçoit la droite de Stan dans la figure, cela lui fait bien plus mal que ce qu’il aurait cru.
    Sans doute parce que cette fois il ne se la prend pas pour rien.

      - « Désolé » ? T’es « désolé » ?! Tu te fous de moi ?! Tu sais ce que j’ai pris à cause de toi ?!
      - Exagère pas, mon oncle nous a empêché de passer en taule. Marmonne Alex en lorgnant du coin de l’œil les mains du mec en rouge.
      - C’est pas le problème ! S’écrie ce dernier, fou de rage. T’as merdé, Alex, putain ! T’as merdé grave et tu m’as embarqué là-dedans comme ça, sans réfléchir ! Sérieux, c’était quoi cette idée à la con ?!
      - Arrête de gueuler, ok ?! J’avais un compte à régler avec ce salopard, le reste, on s’en balance !
      - Si tu veux finir au trou tu t’y casses tout seul mec !

    Peut-être que c’était une forme de vengeance inconsciente. Ou alors un suicide déguisé. Alex regarde son ennemi de toujours en serrant les poings, incapable de lui opposer des arguments valables. Le jeune homme crache par terre d’un air dégoûté, puis le regarde en se retenant visiblement de le frapper à nouveau.

      - Merde Alex. Merde. T’es pas David.

    Le latino sent quelque chose se bloquer dans sa gorge. Tu te trompes. Tu te trompes, c’est pas ça le problème. Il ne sait plus bien.

      - David fait des trucs de connard et un jour il va se tuer, mais il sait ce qu’il fait. Il met pas les autres dans la merde. Toi tu fais n’importe quoi. Putain Alex, plus jamais tu piges ?!

    Ta gueule. Par un vieux réflexe, les deux mots ne sortent pas, et Alex n’est capable que de regarder le jeune homme tourner les talons après un dernier coup dans le mur et s’éloigner d’un pas rageur.
    Content ?



      - Allez, reste pas là et viens.

    Lorsqu’il a levé les yeux des lattes de bois et de ses baskets aux lacets défaits, la nuit était tombée, et la lueur des lampadaires se reflétait sur les cheveux blonds de celui qui lui faisait face. Alex savait qu’il avait une sale tête. Il se demandait s’il n’avait pas avalé une canette de bière sans s’en apercevoir. Si ça faisait longtemps qu’il était là.
    Comment David l’avait trouvé, par contre, c’était plus ou moins évident.
    Le grand blond lui avait attrapé le poignet pour le tirer de son banc.

      - Tu verrais ta gueule, Alex. Faut que tu te changes les idées, viens.

    Sa main était agréablement chaude. Alex s’était laissé entraîner, comme si souvent. Confiance ; parce que c’était Dave.

    • • • ✒

    La lumière lui faisait mal aux yeux. Il y avait des couleurs monstrueuses, qu’il n’avait jamais vues auparavant ; la musique lui éclatait les oreilles et putain, qu’est-ce que c’était bon. Alex se lova dans le fauteuil sur lequel se reflétait toutes les lumières du projecteur et avala une nouvelle gorgée de son verre. Il ne savait pas ce qu’il y avait dedans, mais il adorait ça. Les basses lui vrillaient les oreilles, faisaient vibrer ses os : il ne savait plus très bien où il était, avec qui, et ce qui se passait. Un appel lui parvint de la piste où des formes sombres, quelqu’un qui criait son nom ; il s’élança à sa suite et perdit les notions du temps et de l’espace. En fait, danser il aimait ça, il en avait rien à foutre des autres, les flashs lui bousillaient la rétine, la fille en face était superbe, la musique lui écrasait les neurones – il y avait trop de monde, trop près, comme s’il se noyait sans en avoir peur et comme s’il en voulait encore. Encore. Quelqu’un lui saisit la main. Il perdit pied.




    Le lendemain matin, la première chose qu’Alex vit en ouvrant les yeux fut le plafond de sa chambre.
    Blanc.
    Normal, parfaitement normal.
    La douleur aiguë et perçante qui s’alluma sous son crâne lorsqu’il commit l’imprudence de retirer un bras de son front l’était beaucoup moins.
    Le jeune homme jura et roula sur le côté avec un râle de souffrance, enfouissant son visage dans son oreiller pour tenter de broyer l’aiguille qu’une monstrueuse gueule de bois lui enfonçait dans le cerveau. Il mit un moment à récupérer les capacités nécessaires pour se demander ce qui s’était passé.
    Il ne s’en souvenait pas.
    Précautionneusement, mais sans cesser de grimacer, le latino s’assit sur son lit, le coussin entre les mains ; il crut instantanément qu’il allait rendre son repas de la veille sur-le-champ.
    Le banc ; David l’avait embarqué avec lui. Une boîte qu’il connaissait. C’était quoi son nom ? Jacuzzi ? Nan, sûrement pas. Et après ?
    La vache, il avait super mal au crâne.
    Après il se souvenait plus. Des éclats de lumière, la piste de danse, le titre d’une musique connue qui résonnait dans sa tête meurtrie avec insistance. Les lèvres de la fille en bleu, ses mains sur ses hanches, et puis… la même couleur que le truc qui se dissolvait dans son verre… ensuite…
    Ensuite…
    La respiration d’Alex s’arrêta littéralement. Son cerveau accusa une panne d’une minute complète.
    Putain.
    L’oreiller revint se plaquer sur son visage et il se laissa tomber en arrière sur le matelas en désirant la mort avec une ardeur nouvelle.
    Oh bordel de dieu.

    Il avait embrassé David.






    N’y pense pas. N’y pense surtout pas.
    Alex sirote son milk-shake comme si de rien n’était. Ses jambes se croisent et se décroisent sous son siège. Face à lui, assis sur une banquette, Dave touille le fond de son verre d’un air concentré.
    Ne pense à rien. Fais le vide.



    ▬ 3 jours plus tôt
      - Allô Steb’ ?
      - Alex ? ‘tain il est tôt, kesstuveux ?
      - T’étais où hier soir ? En boîte ?
      - Hm ? Ouais, avec les autres, pourquoi ?
      - En fait j’ai un blanc de quelques heures, tu m’as vu ou pas hier ?
      - Toi ? Euh, non. Enfin je t’aurais pas reconnu, je pense.

    Un éclat de rire bref. Alex ferme les yeux et respire.

      - Pas de connerie à signaler, alors ?
      - Non mon gars, t’es pas grimpé sur le toit cette fois. Ou alors j’ai raté ça et je regrette.
      - Débile. Merci Steb’.
      - De nada, vieux. Bon, si ça te dérange pas, je retourne pioncer.

    Tonalité.




    Tonalité. C’est tout. Il ne s’est rien passé. Rien du tout. Si ça se trouve tout cela n’était qu’une hallucination ridicule. Limite il devrait peut-être le demander à son pote, qui lui répondrait non en rigolant. Il pourrait faire ça.
    Mais non. Le latino reste muet comme une carpe tout en essayant de paraître naturel. Mais c’est difficile, puisque quand il regarde ses mains sur le verre il doit occulter l’emplacement où elles avaient pu se trouver trois jours plus tôt ; qu’il a encore la sensation de ses mèches contrastée sur les doigts ; que le seul souvenir précis qu’il ait de cette soirée est celui de ses…
    N’y pense pas !
    En s’arrêtant au dernier moment après avoir tenté de s’enfoncer le crâne dans son verre, le jeune homme renverse la moitié de son milk-shake sur la table.

      - Putaiiin !

    Les deux jeunes gens sautent sur leurs pieds en même temps pour éviter de s’en foutre partout ; Alex bondit sur les serviettes tandis que David redresse le verre. Leurs mains se frôlent, on dirait une mauvaise comédie, le latino retire la sienne comme sous le coup d’une brûlure.
    Silence.
    N’ayant visiblement rien remarqué, David éponge avec des serviettes. Alex laisse résonner ses paroles dans des oreilles vides sans en saisir le sens.


    La porte du bar claque et l’air chaud de juin les envahit. Ils ont fini de parler du bac, de ce qu’ils vont faire de leurs vacances, de Magdalena et d’Enzo, des études sup’ de David. Un silence s’installe peu à peu, qu’Alex trouve particulièrement désagréable. Il traîne ses baskets sur le goudron ramolli dans des ruelles poussiéreuses, les mains dans les poches, le regard rivé au sol.
    Personne ne sait. Si ça trouve même lui il sait pas.
    Dave ne lui a rien dit. Il lui en aurait parlé, si ça s’était vraiment produit, ou s’il s’en souvenait. Il lui aurait dit quelque chose. C’était un accident, après tout. Rien de grave.
    Enfin si, c’était grave. Mais là n’était pas le problème. Alex aurait préféré n’importe quoi à ce silence dénué de certitudes qui le rendait fou.

    Un ricanement. Au bout de la rue, lorsqu’Alex lève les yeux, il y a Diego. Appuyé contre un mur, avec les mains dans les poches et un sourire goguenard.
    Pas ça, écoute. Pas maintenant.
    Le sang se glace dans les veines du jeune homme ; il n’a pas besoin d’écouter ou même d’entendre, ou de lire sur les lèvres, pour savoir ce qui sort de la bouche de Diego. A sa droite, un mec avec un maillot du Real Madrid lui dédie une grimace sarcastique.
    Tais-toi. Tais-toi.
    C’est plus fort que lui ; quelque part dans sa moelle épinière, c’est comme si laisser passer l’insulte équivalait à signer son arrêt de mort. T’es pas grand-chose, Alex, mais là t’es plus rien.
    Diego se retrouve dans le mur, et le latino lui envoie un coup de tête en pleine figure.
    Ferme ta sale gueule, Diego. Fermez-la, tous !

      - JE SUIS. PAS. GAY. PUTAIN !

    Le conflit dégénère assez rapidement, puis s’apaise d’un coup une fois que quelques coups ont été échangés. Diego et son camarade s’éloignent en leur lançant des insultes auxquelles Alex répond sans vergogne en essuyant le filet de sang qui lui coule sur le visage.
    A priori, rien d’abîmé. Normalement.
    Il devrait se tourner vers David pour vérifier si le fan de Madrid lui a pas cassé quelque chose mais bizarrement, ses pieds restent collés au sol. Il a la bouche sèche.
    S’il te plaît. C’était un accident. Dis-moi ça.
    Un coup d’œil vers l’arrière. Le blond a un vague sourire sur les lèvres, un sourire qui saigne. Alex sent quelque chose se figer dans sa poitrine et l’entraîner vers le bas.
    Non. T’as pas pu me faire ça, bordel.
    Il cherche des mots, mais impossible de mettre la main dessus. En désespoir de cause, le latino balance un coup de pied rageur dans le mur le plus proche.

      - Merde !

    Le pire, c’est peut-être qu’il ne dise rien. Rien pour se défendre, rien pour argumenter. Pas la moindre rancœur.

      - Tu… ! Les mots s’étranglent.

    Un soupir. C’est tout ce qu’il peut récolter de sa part. Tout a déjà été dit.
    Merde, merde, Dave !
    C’est son meilleur ami. Il sait tout. Absolument tout ; personne ne le connaît aussi bien que Dave. Et pourtant.
    Alex se sent trahit. Il le déteste.
    Comment t’as pu. Comment t’as osé ?

      - Merde !

    Une poubelle se renverse avec fracas. Alex ressent le choc comme une douleur sourde dans la cheville. Il quitte la ruelle sans savoir sur quoi cogner. Sans savoir.
    T’as merdé. Grave.




    … Il y a une bouteille sur la table de chevet. Par la baie vitrée, les lueurs artificielles de la ville volent au liquide qui la remplit sa teinte neutre pour y refléter toutes les nuances de l’arc-en-ciel. La pièce est plongée dans l’obscurité.
    Bizarrement, la lumière l’agresse, ce soir. Le jeune homme s’assoit au bord de son lit et contemple le flacon. Ses doigts serrent machinalement les pans de draps froissés, aux plis déjà anciens. Quelques coups sont frappés à la porte.

      - Dave ? Tu ne manges pas ?
      - Déjà fait. Murmure sa voix, à peine assez forte pour se glisser par la serrure.

    Son père abandonne la partie, et son pas inégal s’éloigne le long du couloir. David tend la main vers la table de chevet : ses doigts hésitent à l’approche du verre, puis saisissent plutôt le plastique de son portable.
    T’as raison. Je suis un connard.
    Il effleure la rubrique sms, puis renonce et se rabat sur le multimédia. Des photos défilent. Sur certaines d’entre elle, il y a une personne à qui on chanterait bien une chanson de Claude François.
    Désolé. Mais faut pas croire…
    Le portable inutile retourne vite fait sur la commode, en un choc bref et mat. Le jeune homme saisit le goulot de la bouteille, et des reflets y dansent brièvement lorsqu’il la débouche.
    Si j’avais pu. J’aurais voulu te dire…





    Je traîne les pieds j’traîne mes casseroles… J’n’aime toujours pas l’école…
    Le soleil tape sur la nuque d’Alex. Ça fait un moment qu’il a quitté son banc.
    Les mains dans les poches, un t-shirt blanc uni sur le dos, le lycéen erre dans les rues de son quartier, saluant ceux qui l’interpellent, ignorant les autres, remarquant à quel point elles semblent dépeuplées. L’été lui fait toujours cet effet-là.
    Un été de plus.
    Bientôt les résultats. C’est ce qu’a fait remarquer Rayan ce matin. Alex a juste enfilé ses chaussures sans répondre.
    Sa vie est à chier.
    Et merde, il serait temps qu’il y fasse quelque chose.
    Peut-être que c’est le soleil qui lui éclaircit les idées et chasse les parasites noirs qui aiment à y pulluler. Quoi qu’il en soit, il se sent d’humeur à prendre des décisions.
    Presque un mois tout seul l’a fait réfléchir à ses priorités.
    Ça va bien ? Non, madame, ça ne va pas bien. Je vais devoir prendre sur moi.
    S’il a ce foutu bac, il rappellera Magda. Il s’excusera autant de fois que possible, jusqu’à ce qu’elle lui pardonne. S’il l’a, il convaincra Gaetan de ne pas transférer le lapin d’Adelma chez Stanley. Il ne baissera pas l’échine devant Enzo. Il sera poli avec Ihsane. Il prendra des cours de break dance. Et il rappellera David.
    Dave lui manque. Tout le monde lui manque. Pourtant tout est encore là. Il n’y a qu’à recoller les morceaux.
    Le chewing-gum, ça colle aussi.

    Ou pas.
    Comme un nuage noir à l’horizon, la nuque bronzée surmontée de cheveux sombres d’Enzo se profile au coin de la rue. La respiration d’Alex se bloque dans sa poitrine : toutes ses belles résolutions s’envolent. Il ne pense qu’à une chose : fuir. Se cacher quelque part où Enzo ne pourrait pas lui mettre la main dessus. Il s’engouffre dans une ruelle, la plus proche, s’y enfonce à reculons. Trop tard, il est certain de l’avoir vu se retourner dans sa direction. La série de tout ce que pourrait lui faire subir le latino défile dans sa tête, tandis qu’il cherche à tâtons une issue de secours, une porte connue, quelque chose, n’importe quoi.
    Ses doigts rencontrent le bois. Puis une poignée, étrangement froide malgré la canicule, qu’il empoigne et actionne résolument. Alors que la silhouette d’Enzo se profile à l’angle de la rue, Alex fait volte-face et franchit d’un bond la porte vers un lieu inconnu.
    Encore plus qu’il ne le croit.




Informations Hors-RP

Avez-vous bien lu les règles ? Nanananaanana { Tralalala ~ } - Nii'
Où avez-vous trouvé ce forum ? Une pizza aux anchois, je vous prie.
Est-ce votre premier perso...
♦ ...Dans un forum RP ? Je me dispense de cette réponse.
♦ ...Dans ce forum ? J’ai croisé Alex sur le bord de l’autoroute. Il avait l’air perdu, alors je lui ai ouvert la portière. A la réflexion, je sais pas si j'aurais dû. Parce que ça a duré longtemps, cette histoire.
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(sauce BBQ ouais)
Ralph
Ralph

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Masculin Pseudo Hors-RP : Sköll
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• Age : 30
• Pouvoir : Expédier ad patres.
• AEA : Son paquet de clopes. Ou le chat mouillé avec des ailes, à voir.
• Petit(e) ami(e) : Hans. Leurs QI se répondent.

RP en cours : Turn left and then straight to the grave.

Messages : 657
Inscrit le : 08/08/2010

CAVECCHIO Alex ▬ 'Todavía necesito tu mano.' _
MessageSujet: Re: CAVECCHIO Alex ▬ 'Todavía necesito tu mano.'   CAVECCHIO Alex ▬ 'Todavía necesito tu mano.' Icon_minitimeLun 19 Aoû 2013 - 2:41

Fiche terminée ♪ Je sais, on y croyait plus.
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Delicate Boy
Emrys Sulwyn
Emrys Sulwyn

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Féminin Pseudo Hors-RP : Nii' / MPDT
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• Age : 31
• Pouvoir : Ressentir les émotions des autres.
• AEA : Bilboquet. L'escargot. Le meilleur. Le plus rose.
• Petit(e) ami(e) : Iwa coeur coeur love ♥ (Mais il n'oublie pas Soren.)

RP en cours : Dysphorie en Euphorie.

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CAVECCHIO Alex ▬ 'Todavía necesito tu mano.' _
MessageSujet: Re: CAVECCHIO Alex ▬ 'Todavía necesito tu mano.'   CAVECCHIO Alex ▬ 'Todavía necesito tu mano.' Icon_minitimeLun 19 Aoû 2013 - 5:48

Tu l'as fait. TU L'AS FAIT. Like

Donc pour moi tout va bien, ta fiche est en règle et sent bon le milk-shake. Ton petit latino-franco-corse peut donc aller rejoindre tes autres personnages pour agrémenter le PI de son doux caractère de tic-tac saveur menthe et fruit des bois. Sauf si quelqu'un d'autre a quelque chose à redire. Ça arrive jamais, mais.

Tu connais le chemin :

Faire recenser ton pouvoir

Comme c'est un double compte, je ne te propose pas l'aide du Staff. Par contre, je te souhaite un bon jeu et plein de RPs pour animer la vie de ton chérubin Lama de Nii
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CAVECCHIO Alex ▬ 'Todavía necesito tu mano.' _
MessageSujet: Re: CAVECCHIO Alex ▬ 'Todavía necesito tu mano.'   CAVECCHIO Alex ▬ 'Todavía necesito tu mano.' Icon_minitime

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CAVECCHIO Alex ▬ 'Todavía necesito tu mano.'

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