Laurent, un horticulteur romantique et passionné, lorsqu’il rencontra Sélène, vu tout de suite en elle, Dieu sais pourquoi, la femme de sa vie ; il la courtisa sans relâche, lui présentant des fleurs, des sucreries et autres, encore et encore. Sélène était une femme sérieuse et sévère, mais pas autant qu’elle était ambitieuse. Jeune femme d’affaires moderne, elle rêvait d’indépendance et de reconnaissance, le beau Laurent la laissait plus ou moins de glace, elle ne voyait pas en lui un bon parti…Néanmoins, nous ne saurons certes jamais comment, mais ils finirent mariés, avec un enfant – nous pouvons ici imaginer que Sélène eut de sombres raisons, mais cela n'est pas l'histoire qu'il m'est dû de raconter -. Sélène, lors de sa grossesse n’était pas certaine que Laurent était le père de son enfant, Laurent le savait, mais Laurent s’en contrefichait. Laurent était fol amoureux. L’enfant ressemblant surtout à la mère, il était d’autant plus difficile de savoir s’il en était ou pas le géniteur, mais cela lui importait si peu qu’il ne pensa même jamais à demander un quelconque test de paternité, Lou-Ann était la fille de Sélène, alors il l’aimait de toute son âme, de la même façon qu’il aimait sélène. Elle, à son inverse, réagissait étrangement à son enfant : elle n’aimait pas l’avoir dans ses bras plus que nécessaires et préféra travailler et laisser à son compagnon la tâche de s’occuper de la petite. Alors que c’était Laurent qui n’était pas certain d’être son parent, c’était Sélène qui semblait ne pas considérer la petite Lou-Ann comme une pièce à part entière de son existence. N’allez pas vous imaginez que Sélène maltraita son bambin, non ! Elle s’en occupait très bien…Seulement, il manquait quelque chose. D’autre part, elle n’avait jamais voulu d’enfant, la venue au monde de Lou-Ann était plus ou moins un accident de parcours qui la ralentissait, selon elle, dans son cheminement personnel.
Chaussons, Piano, violon et flute hautbois
Je me souviens de ma mère qui avait par de maintes fois repoussé d’un mouvement de main fluide celle que j’avais tenté de glisser dans la sienne. Je me souviens encore clairement, aussi, de ma minuscule main aux ongles parfaitement limés et vernis qui essayait d’agripper le bas de sa veste, je ne me souviens plus si j’ai déjà réussis – sans doute quelques fois- mais je me souviens qu’elle avait toujours réprimandé mon mouvement, si bien qu’un jour, je ne saurai dire exactement quand, j’avais juste complètement cessé de le faire. Elle voulait que je me tienne droite, à une distance exacte d’elle, que je marche au même rythme qu’elle. Nous étions sur une plaza passante ; nous y passions au moins deux ou trois fois par semaine. Je me souviens des enseignes lumineuses en plein jour, jaune, rouge, violette. Celles en triangles, celles en M et celles en D, puis celles plus petites, et les rectangulaires avec de l’écriture toute bête ; aujourd’hui elles ne sont plus toutes là, certaines si, d’autres ont légèrement changés de forme, d’autres encore ont complètement disparues. Ma mère marchait toujours la tête haute, me dirigeant parfois d’une main en frôlant mon dos si je m’égarais du chemin imaginaire qu’elle me voulait suivre, mais sans jamais vraiment me toucher, je me souviens que parfois je faisais exprès de marcher trop lentement seulement pour ce contacte, mais cette impulsion aussi, à force de réprimandes, j’avais fini par définitivement la contenir.
Lorsque nous marchions sur cette plaza, c’était pour se rendre à l’institut de danse, ou encore à l’Adagio, l’école de musique. Je détestais le ballet. Je détestais encore plus jouer de la flute. Je n’aimais pas jouer du violon, mais j’aimais beaucoup le son. J’adorais le piano, par contre.
Maman adorait toutes ces disciplines et elle n’acceptait pas que j’en manque une seule leçon ; ses yeux brillaient plus qu’à n’importe quelle autre occasion me concernant lorsque je me démarquais des autres enfants. Au tout début, je lui eus dit que je n’aimais pas suivre tous ses cours, à quoi elle avait répondu que c’était simplement parce que c’était trop nouveau et que je finirais par aimer. Au final, sauf pour le piano, je n’ai jamais appris à tout aimer comme elle l’avait prophétisé, mais j’avais instinctivement cherché son amour, donc je fis semblant de lui donner raison et je fis de mon mieux pour que de mille feux ses yeux brillent.
Il ne faut pas en croire que j’en devins un prodige, oh ça non. J’étais loin d’être la meilleure en ballet malgré tous mes efforts, si bien que ma mère finit même par arrêter mes leçons à force de déception. Je n’étais pas trop nulle quand même ! Seulement il y avait toujours plus bon que moi et ma mère ne semblait pas apprécier que je ne sois jamais au centre de la scène. Ma mère, elle voulait que je sois la meilleure et pas moins. En contrepartie, j’étais déjà bien plus forte en musique ! Toujours pas un prodige, mais…J’étais douée au violon et presque – je dis bien presque- un prodige au piano, puis sans doute la meilleure à la flute sous la tutelle de mon enseignante de musique.
Ma mère me fit arrêter le violon en premier. Restaient le piano et la flute. Je n’aimais pas la flute. J’aimais le piano, j’aimais tellement le piano. Maman, elle, aimait que je sois la meilleure. J’étais meilleure au piano qu’à la flute, mais Jean-François, un garçon blond et un vrai prodige, était encore meilleur que moi au piano, et personne n’était meilleur que moi à la flute.
Je ne pardonnerai jamais à maman.
Hibiscus, tilleul, armoise et rosiers
Papa n’était pas comme maman. Étant petite, je voyais le temps passé avec mon géniteur comme un refuge enchanté après une longue quête dans la forêt de ronces maternelle. Nous avions un solarium géant dans la maison, ainsi qu’une serre à la cour. Mon père s’occupait des plantes, c’était son métier : il créait de nouvelles plantes par les métissages de plusieurs espaces, les élevait, s’en occupait, etc. À la maison nous avions un nombre impressionnant de fougères et de fleurs, autant dans le salon que dans le solarium, que dans la serre ou même dehors lorsque la température le permettait. Papa, s’il était à la maison, était immanquablement en train de s’occuper de ses plantes. Maman disait toujours que c’était une perte de temps, pourtant elle n’était pas peu fière lorsque des visiteurs complimentait le jardin ou les divers assortiments floraux qui pullulaient la maison. Mon père était un passionné : il pouvait parler de son rosier préféré pendant des heures, enfilant dans ses monologues une foule de jeux de mots ringards comprenant des noms de fleurs compliquées et inconnues de la plupart des gens. Avec le temps j’en ai adopté quelques-unes, les gens devront donc pardonner si mon vocabulaire compte parfois quelques mots se terminant en us qu’ils n’auront jamais entendus et que je ne prendrai sans doute pas le temps d’expliquer.
Mon père, pas comme ma mère, ne semblait pas attendre de moi que je sorte matière à prix Nobel à chaque devoir remi, ni que je sois sacrée prodige chaque fois que mes doigts touchaient un instrument. Il était toujours fier de moi, particulièrement lorsque nous parlions de verdure, et il me le disait sans cesse.
Lorsque maman m’a sorti du piano et ordonnée de ne plus y toucher afin de me concentrer sur la flute, papa et elle ce sont gravement disputé, évidemment c’est maman qui a gagné…Officiellement, en tout cas. En secret il a acheté un petit clavier électronique qu’il cacha pour moi dans la serre - maman n’y met jamais les pieds - et il me faisait jouer pour lui lorsqu’il s’occupait de ma fratrie végétale.
Je ne comprends toujours pas comment lui et ma mère peuvent former un couple. Elle est toujours froide avec lui, parfois un peu méchante. Papa reste toujours gentil, il sourit doucement, il la laisse gagner leurs disputes la plupart du temps – du moins en apparence-. Au début de mon adolescence, lorsque j’ai commencé à manifester mon irritation envers ma génitrice, mon père m’a gentiment réprimandé et demandé de rester polie lorsque nous discutions d’elle. Mon père aimait ma mère. Éperdument. Pour cela il m’arrivait de le traiter d’idiot ; mon père n’était pas laid…pour un vieux, et il aurait facilement pu se trouver une petite amie beaucoup plus gentille que maman.
J’aimais mon père, mais mon père était un faible. Du moins, je le croyais alors.
Baudelaire et Rock psychédélique
Après l’école primaire où je ne fus pas bien plus qu’un fantôme discret qui passait ses recréations dans un coin isolé – ou en compagnie des profs -, je fus envoyée dans une école privée mixte : St-Alexandre, à la base c’était une école exclusivement masculine, mais depuis quelques années elle acceptait aussi les filles, nous étions néanmoins encore en très petite minorité : en 1978, les classes de trente élevés comptaient rarement plus de cinq filles. St-Alexandre fut jadis un monastère qui se transforma en école religieuse. Une aile du bâtiment hébergeait d’ailleurs encore des frères et il n’était pas rare d’en voir dans les jardins. Notre enseignant de français en deuxième et en troisième année était notamment un vieux moine un peu sénile qui parlait des règles de grammaire avec une voix ronronnante.
L’uniforme était sévère, mais la plupart des filles en roulaient la jupe ; cet uniforme, peu importe comment je le portais, ne m’allait pas du tout ; trop mince, je flottais dans la jupe trop longue, dans le polo trop large, mais ma mère m’interdisait de faire quoi que ce soit pour remédier à cette crise vestimentaire. J’eus bienheureusement, au cours de ma première année, une poussée de croissance étonnante – je n’ai pas grandi d’un centimètre depuis, mais ce n’est pas plus grave que ça- qui rendit rapidement mon apparence moins ridicule. Autrement j’étais dans l’orchestre, je n’avais pas d’amis, j’avais de bonnes notes. Le niveau demandé aux élèves dans cette école était bien plus haut que dans toute autre école secondaire des environs, mais nous ne trouvions pas moins ici que ce que l’on pouvait trouver dans toutes autres écoles. Il y avait des gens cool, des perdants et finalement des gens invisibles. Je fis d’abord partie de la dernière catégorie : personne ne m’embêtait, personne ne faisait attention à moi, le tout changea néanmoins lorsqu’en deuxième année je devins première flute dans l’orchestre. Il y avait dans l’orchestre des gens bien plus ambitieux que moi, une fille de quatrième, en particulier, visait le conservatoire national depuis déjà deux ans et vue ma nomination comme une menace à ses ambitions. Cette fille n’était pas particulièrement populaire, elle faisait à la limite partie des invisibles tout comme moi, ce qui ne l’empêcha pas de rendre ma vie misérable ; elle passait les répétitions à essayer de me faire tomber, en classe elle riait de moi sans se faire voir par les professeurs, me lançait des morceaux de papier, emmêlait mes cheveux avec de la gomme, etc. Quant à mes livres, cahiers, crayons, partitions qui disparurent, bien que je n’aie encore aucune preuve, je me doute qu’elle y a été pour quelque chose. De vilaines rumeurs quant à mon intégrité se rependirent à mon sujet vers la fin de ma deuxième année, des rumeurs qui, sans doute par l’intermédiaire d’enseignants soudoyés, parvinrent aux oreilles de ma mère.
Ma vie était presque insupportable à cette époque, encore plus à la maison qu’à l’école.
Les vacances d’été entre ma deuxième et ma troisième année furent toutefois –presque- merveilleuses. Si les vacances étaient synonymes de congé pour certains, elles ne l’étaient pas pour moi. À défaut d’avoir l’orchestre avec qui pratiquer, j’avais au moins deux leçons de musique par semaine, mais aussi trois jours de cours par semaine. Généralement les cours d’été étaient pour ceux qui devaient reprendre un cours afin de ne pas redoubler, ou bien pour les élèves de cinquième à qui il manquait une matière pour accéder à un programme d’éducation supérieur particulier. Moi c’était pour prendre de l’avance. Ma mère voulait que je termine mon secondaire avec le nombre maximal de crédits et pour cela je devais faire tous les cours, ce qui n’était pas possible avec le cheminement régulier.
Cet été-là, je devais suivre un cours de science. Dans un cheminement normal, les troisièmes années choisissaient entre deux cours de science. Moi j’en faisais un pendant l’été et ferrai l’autre pendant l’année scolaire. Je crois qu’il n’était pas habituellement possible d’avoir ce genre de cheminement, mais ma mère a toujours été une personne très convaincante et a dû acheter quelqu’un de haut placé dans le ministère de l’Éducation afin que je bénéficie de cette faveur. Quoi qu’il en soit, pendant ces cours, j’ai rencontré un garçon. Un gentil garçon. Mignon qui plus est. Il venait de Montréal, il suivait un cours de français parce que son père, la version masculine de ma mère d’après sa description, voulait justement qu’il intègre St-Alexandre et pour ce faire, il devait obtenir une note de plus de quatre-vingts sur cent.
Je peine à me souvenir quant à comment nous nous sommes premièrement parlé. Je crois que c’est lui qui était venu pour me demander des directions et qu’ensuite une conversation naquit, puis une amitié. Le fait que nous étions inscrits pour des raisons similaires et dirigés par des figures d’autorité semblables y fut peut-être pour quelque chose, au final ce n’est plus très important. Il fut mon premier et, en ce jour, mon seul véritable ami. Il se nommait Pierre-Olivier, mais il demandait toujours à être appelée Olivier, ou Oli, il trouvait les noms composés insupportables, moi il m’appelait Ann ou encore contractait mon nom de sorte que cela sonne comme « Lwan » ou encore « Lounn ». Pierre-Olivier devient très rapidement l’être le plus cher à mes yeux. Nous découvrîmes après un moment qu’il avait déménagé pas très loin de chez moi – à trois ou quatre rues de différences – et à partir de ce moment je dû apprendre à m’évader discrètement afin que nous nous rejoignions, chose que ma mère remarqua tôt ou tard et tenta de m’empêcher de refaire, bien qu’elle ne connaissait pas la raison de mes escapades et ne chercha étrangement pas à la découvrir.
J’avais d’abord gardé Pierre-Olivier secret, mais après un moment, peu après que l’année scolaire ait recommencé, que l’école ait oubliée ma réputation, que la fille de l’orchestre soit entrée dans son maudit conservatoire, bref, alors que moi et Pierre-Olivier vivions une année scolaire joyeuse et paisible, je fis la terrible erreur de me confier à mon père. J’aurais cru qu’il aurait gardé mon secret, mais j’avais tort. Mon père était un traitre.
Ma mère qui ne s’était pas remise des rumeurs de l’année précédente ne vu pas d’un bon œil que je fréquente un garçon. Il me déconcentrait, disait-elle malgré que mes notes fussent aussi hautes que jamais, il était une mauvaise influence, disait-elle encore, alors qu’elle ne le connaissait pas. Elle ne voulait plus que je le vois et sa surveillance devient presque impossible à surpasser. Il était arrivé avec des waky-talky pour améliorer cette situation ; il s’installait parfois dans le parc à côté de chez moi et nous pouvions ainsi parler pendant des heures, souvent pour ne rien dire, tant que nous étions discrets.
Nous nous voyons toujours à l’école aussi, alors nous passions nos moindres pauses ensemble. Nous étions tout simplement inséparables. Pierre-Olivier me parlait de toute sorte de choses, des choses que je n’avais jamais entendues, sans doute à cause de ma mère. Il me parla de Montréal, de la St-Catherine, il me parla de romans : de Sade, de Ducharme. Il me parla aussi de la poésie de Baudelaire, de celle de Verlaine et celle de Rrimbaud. Il me fit découvrir la musique. Mes connaissances se limitaient jusqu’à lors aux classiques que ma mère trouvait acceptables, que je ne détesterai jamais, mais qui seuls ne suffisaient pas à étancher ma soif. Il me fit découvrir Pink Floyd, The Doors et Cream, Clapton. Il me fit découvrir la politique, il m’offrit par l’intermédiaire des journaux, des livres et de la musique, une conscience sociale.
Mais vous vous doutez que c’est trop beau pour durer, hein.
Solitude, amitié et beau garçon.
Le père et Pierre-Olivier, à peine un an après s’être fait transférer ici, devait encore déménager, cette fois en Saskatchewan. C’était une belle journée, celle où il a dû me l’annoncer. Il faisait chaud dehors, il n’y avait pas de soleil, mais une brise légère juste assez fraiche. Il était calme, il avait l’air mal à l’aise, mais lorsque je l’ai questionné il me dit avoir simplement mal dormi. C’était une journée d’école et lors de la dernière pause il m’avait demandé de sécher mon cours pour aller me balader avec lui dans les sentiers de la forêt située non loin derrière l’école.
Nous avons râlé ensemble sur notre professeur d’économie, lequel nous venions de troquer pour des arbres, râlé contre la bande de garçons qui se montraient toujours déplaisant à notre égard, râlé contre la cafeteria, puis il me l’eut dit. Je crus d’abord à une mauvaise plaisanterie, riant d’abord, l’implorant ensuite de me dire que j’avais raison de rire , mais non…Il restait alors deux semaines avant son départ.
J’ai pleuré. Lui aussi. Nous avons passé nos deux semaines à sécher nos cours – oh oui, et ma mère fit de ma vie un véritable enfer après, aussi.-. J’aurais dû lui dire, j’aurais tellement dû lui dire combien je l’aimais. Nos deux semaines restantes furent ponctuées d’éclat de rire, de larmes, de silence, mais de rien d’autre. Il partit tôt un matin, je n’eus pas le choix d’aller en cours pour passer un examen de français, le pire c’est que finalement, je n’ai pas pu accomplir la tâche ; j’étais à peine arrivée à faire deux paragraphes de développement et je me doute que les grandes taches d’encre qu’avaient étendues mes larmes incontrôlées rendirent la lecture de ma copie difficile et aient contribué à ma mauvaise note.
Nous nous envoyions des lettres, sinon je lui ai souvent envoyé des fleurs séchées, longuement écrasées entre les pages d’un livre avant d’être glissées dans mes lettres. Même ma mère n’osa pas se plaindre de cette correspondance, sachant sans doute qu’elle ne gagnerait pas cette fois.
Mes longues journées d’écoles devinrent grises, le poids du monde semblait peser sur mes épaules lorsque je me promenais seule dans les couloirs. Même mes performances à l’orchestre sentaient l’accablement, semblerait-il que j’arrivais à faire mélancoliquement lyrer même la plus joyeuse des mélodies. La pesanteur de l’absence de Pierre-Olivier s’allégea lentement, mais pas ma solitude. Je passais souvent mes pauses dans la bibliothèque à faire mes devoirs ou à Lui écrire des lettres, beaucoup de lettres que je ne lui ai jamais envoyées et qui s’accumulèrent dans un livre à reliure métallique qui finit par me faire office de journal intime.
Je fuyais la compagnie des gens qui auraient pu me prendre en pitié ; ma vie sociale scolaire se limita pendant quelques semaines à mes professeurs et aux courtes discussions qui étaient indispensables pour les cours ou l’orchestre. Être prise dans mon petit univers, centrée sur ma solitude ne me dérangeait pas. Vivre juste pour détester ma mère, pour détester l’école et n’aimez que le minuscule moment, de temps en temps, où je pouvais lire une lettre de Pierre-Olivier me convenait totalement. Le temps fit pourtant son œuvre, les inconnues avec qui je devais faire un projet scolaire devinrent des connaissances sympathiques, les heures de repas que je dus passer avec elles sur les devoirs devinrent agréables si bien que même après la remise du travail, je déjeunais encore avec elles. Elles étaient trois, deux d’entre elles étaient amies depuis l’enfance, l’autre ne les connaissait que depuis de début de l’année scolaire. Inconnues de la gent populaires, elles aimaient les livres, les mangas, les séries télé rétros, les jeux-vidéo et autres encore. J’ose croire que si les choses étaient restées sans incident, j’aurais pu avoir une fin de scolarité normale et agréable.
L’incident ci-haut mentionné concerne un garçon de l’équipe de foot, un beau garçon, un grand brun, large d’épaules, qui, semblerait-il, aurait même de bonnes notes. Un garçon si généreux qu’après un match, dans le vestiaire, eut l’amabilité d’essayer de faire profiter ma pauvre personne de son corps d’étalon extraordinaire. Je ne parle pas ici d’un viol, je vous rassure toute suite, juste de moi qui me suis sentie d’abord affolée, un peu touchée, mais bien rapidement révoltée et qui ai tenté de le repousser gentiment, qui ai crié, qui l’ai frappé, puis de lui qui fâché de s’être fait jeter par une fille banale, ait justifié son œil au beurre noir en disant c’était moi qui me suis forcée sur lui et qui, frustrée, l’ai frappé violemment avant de partir après qu'il m'ait repoussée. Mes trois amies me croyaient, évidemment, je n’eus pas de problème de ce côté-là. Ce furent les moqueries de l’équipe de foot et les vacheries des meneuses de claques qui me donnèrent envie de me de disparaitre dans le plancher dès que je mettais les pieds à l’école.
Oh, puis ma mère, qui évidemment avait eu vent de ces rumeurs.
Ma vie, du moins je le croyais alors, était un véritable enfer. Ma mère me rendait folle. Elle croyait les rumeurs, elle ne croyait rien de ce que je lui disais et mon père, bien qu’il m’épaulait, n’allait pas contre ma mère.
Elle insultait sans cesse Pierre-Olivier : elle disait que c’était lui qui m’avait entrainée dans cette débauche. Je crois que c’est plus ou moins à partir de ce moment que j’ai commencé à vraiment la détester, même si, en fouillant dans ma mémoire, je ne puis comprendre comment j’ai pu faire autrement avant lors. Je me couchais le soir en sachant qu’au matin je la verrais, en sachant qu’en la fuyant, j’allais me retrouver à l’école, entourée de gens souvent méchants à mon égard, pour ensuite de nouveau la voir avant de recommencer cette routine haineuse. Par moment j’avais envie de tout briser, souvent je lançais des livres, surtout des carnets de partitions, encore et encore sur le planché de ma chambre, je passais mon envie de crier dans l’insonorité de mon oreiller de plume, puis souvent, aussi, je pleurais, je passais des nuits entières à pleurer, presque volontairement parfois, car ainsi mes nuits se faisaient plus longue et je trouvais un certain réconfort dans le fait d’avoir plus d’un battement de cils entre nos confrontations.
En 1983, j’ai 17 ans, mais je suis loin de frôler l’indépendance. Ma mère dirige ma vie. Je viens de terminer le secondaire, mais je me doutais que ce n’était pas la fin de mes malheurs. Si l’idée de ne plus revoir bon nombre de mes co-étudiants trop bêtes pour poursuivre leurs études au supérieur m’enchantait, l’idée que j’allais poursuivre les miennes dans un domaine et dans une école que ma matriarche choisirait pour moi, pas autant. Ou pas.
Elle hésitait entre médecine et droit et dans une tentative de me donner l’impression que j’y avais mon mot à dire, me demanda mon opinion. Personne ne peut imaginer le bonheur malsain qui germa dans ma poitrine en réalisant qu’il n’y avait pas de bonnes universités à proximité, surtout pas pour faire médecine.
Merci. Bon soir. J’avais feins un intérêt particulier pour ce domaine et pour les prestigieuses universités situées à l’étranger. Quelques mois plus tard, j’étais hors du pays avec une grosse bourse scolaire et je serais sans doute arrivée saine et sauve sur mon campus si j’avais obéi au chauffeur lorsque notre voiture était tombée en panne dans la campagne menant à mon parc universitaire. Déjà que cette route était un long détour que nous avions été obligés de prendre pour éviter un blocage pour cause de construction. Il avait dit qu’on était plus bien loin, alors après une heure passée à le voir farfouiller sous le capot, je me suis énervée et j’ai décidé de marcher droit devant moi avec ma valise principale en me disant que j’allais bien finir par tomber sur ma nouvelle résidence.. Ou alors que le chauffeur allait me rattraper avec sa voiture réparée.
Après tout juste quelques minutes de marches, j’avais aperçu la silhouette d’un énorme château, définitivement ce que je m’attendais à voir quand j’imaginais ma nouvelle école. Je me souviens avoir trouvé ridicule qu’on ait passé plus d’une heure sans bouger alors que notre destination était SI proche. Une vingtaine de minutes plus tard, je cognais à la grande porte, mais n’eut aucune réponse...Mais après tout, il était déjà tard et j’étais en retard de plusieurs heures, alors je m’étais dit que ce n’était pas étonnant que le comité d’accueil m’ait abandonné. La porte n’était toutefois pas verrouillée, alors je ne me suis pas gênée pour entrer, pensant que j’allais bien trouver un garde de sécurité quelque part pour lui expliquer ma situation.