Elle brillait à sa boutonnière, rutilante. Sur sa poitrine comme une coulée d’argent, ou chaleur solaire discrètement rude, elle lançait des œillades brèves : quand ses bottes martelaient le béton – qui absorbait les cris ; les échos mourants, les soupirs – elle était reine au fond du gouffre. Et pourtant ses iris grand ouverts s’y voilaient chaque jour, saisis au grincement sépulcral ; et le soleil déversé sur elle à flots la submergeait d’or. Froide la lumière sous laquelle elle recroquevillait son corps ; si belle, si belle. Si pâle, brûlante de désir et tendre, la chair moirée qu’il caressait du bout des doigts. Si chaudes ses lèvres, si vibrante sa voix.
Vitreux, ses yeux clairs, quand ses ciseaux crevèrent la peau.

Et il s’éveille chaque nuit dans l’écho de ses plaintes ; et le soleil transperce ses rideaux comme les barreaux d’une cage. Et chaque jour en est loin, de ces prunelles fendues du bout des doigts. L'astre acide se suspend dans le ciel, ampoule grésillante, et la crue de son or le rend malade.
Froide entre ses doigts, la croix de fer-blanc usée.
Chaude sous le soleil sa sœur de bois, dressée au charnier.

Morceau de fer sur manche en bois. Et il chante – Un, deux, trois.
La terre se retourne, tourne, tourne. Et s’amoncelle, scelle, scelle.
Le corps tombe, tombe, tombe ; ferme le piège, piège, piège.
Son cerveau de paille n’a rien de celui d’un poète ; les mots s’enchainent, bêtement.
Et la terre ; tasse, tasse, tasse. Plif, plaf, plouf, lalala.
Un petit rire nerveux lorsqu’arrive la fin du manège. Plus que la touche finale ;
L’étoile sur le sapin. La croix de pierre.
C’est bien ça qu’il faut faire ? Ça qu’il est voué à satisfaire.

Il y avait eu leurs lèvres d’abord, qui s’entrechoquent dans un bruit d’émail pointu, mordant, agressif ; il y avait eu sa main ensuite, ses doigts à elle, qui s’enfoncent dans ses cheveux à lui, pour le scalper, le transformer en vaudou, n’importe quoi, tout. Ses ongles sur sa nuque et la bibliothèque qui disparaît, ou alors ils ont disparu à deux, ils ne savent plus, ils s’en foutent, c’est leur guerre à eux, leur catastrophe personnelle. Au diable les coups, au diable les cris. Au diable les regrets, les erreurs, les quiproquos. Elle le repousse pour qu’il l’attire contre lui, pour le sentir qui caresse sa peau, l’enflamme, l’immole. Elle est offrande au Dieu de sa bouche, de sa touche. Elle le griffe dans l’ironie, pour arracher ces horribles souvenirs si sanglants, si pervers, et si cruels. S’il y a encore des cadavres à fournir, elle tient à ce que ce soient les leurs, enlacés, faisant un doigt d’honneur à cette famille de voyeurs sadiques qui les a foutus dans cette prison où ils sont là, maintenant, à bénir, de les avoir rassemblé. Les tapis fous, les pièces tordues, le cimetière bourré de pièges mortels, ils s’en contrecarrent, c’est le brouillard, la buée, l’oubli. Ils se cherchent et s’entraînent, il la porte, elle l’assomme, s’étourdissent en murmurant « Ne pars pas, reste là. » Et ils jurent, comme des enfants, en ignorant le goût des promesses qu’on a du mal à garder, à ne pas balayer. L’Enfer, ils iront ensemble, et sur la tombe, ils feront graver leurs scellés ; et dans ce putain de Pensionnat, il y aura au moins encore une goutte d’amour, une goutte de Kélenda.