Distorsion temporelle [Pv Ethan-Cippora-Fay]

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Ses doigts glissaient avec agilité sur les touches noires et blanches, comme muent par une souffle invisible. Ethan avait fermé les yeux et se focalisait uniquement sur la mélodie. Les notes semblaient venir d'elles-même, ses mains suivant le rythme, les nuances. Il adorait ce morceau. Un sentiment indescriptible s'emparait de lui dès les premiers accords. Un cocktail explosif d'émotions... Sa main droite exécuta un trille sur le Fa# avant de terminer le phrasé. Nocturne n°20 de Chopin. Oeuvre éditée qu'une vingtaine d'année après sa mort. La mort... L'éclair aveuglant embrasa de nouveau ses rétines, suivi d'une détonation. Fausses notes. Ethan se ressaisit, chassant ces noires pensées de son esprit. Il ne tenait pas à retrouver de suite son passé, pas maintenant. Il ne s'était pas sentit aussi bien de puis longtemps. Avec cette fille des plus singulière. Et ses papillons... Autre fausse note. Encore une. Il était pourtant sur de ce passage. Ces notes n'étaient pas les siennes ! Elles étaient bien trop aiguës par rapport à la position de sa main gauche. Sans aucune harmonie. Le garçon rouvrit les yeux. Un chat immaculé se tenait sur sa droite, ses coussinets antérieurs appuyés sur deux touches à la fois.
Ethan allait formuler sa surprise, mais ses mots restèrent coincés au fond de sa gorge. Une vive douleur assaillit son abdomen, lui coupant le souffle. L'élancement se propagea instantanément sur son torse puis s'entortilla vers sa nuque. En suivi une intense brûlure. L'espace s'altéra brièvement. Ethan réussit, non sans lui arraché un gémissement, à tourner la tête vers son amie avant que tout ne disparaissent brutalement.

Le salon reprit sa place autour de lui en même temps que l'emprise s'estompa. Seul un léger picotement persista au niveau de sa nuque. Un accord dissonant résonnait encore. Ethan fut pris d'une quinte de toux et expectora quelques gouttes de sang qui maculèrent les touches blanches du piano. Il s'essuya rapidement les lèvres du revers de sa main. Que s'était-il passé ? Il détourna le regard vers le canapé vermeil. Vide. Izeiha s'était volatilisé. Tout comme le chat, mais ce dernier importait peu en ce moment.

- Izeiha ?? IZEIHA ?

Il balaya le salon du regard mais le mobilier n'offrait aucune réelle cachette. Tout semblait désagréablement exactement à sa place. Tout sauf son amie. La poignée de la porte du salon tourna lentement dans un léger grincement pour s’entrebâiller.

- Izeiha ? lança-t-il plein d'espoir.

Cependant qu'ils traversaient la terrasse s'étendant en amont du hall d'entrée, un air vaguement familier surgit au loin d'eux et chatouilla leurs oreilles, à Fay et à Cippora. C'était du piano que quelqu'un jouait, vraisemblablement dans le salon, et Fay bien qu'aimant assez la musique classique pour son caractère agréable n'avait jamais réussi à porter un intérêt pointu pour ceux qu'autour de lui on appelait, comme s'ils étaient des amis, Bethov, Mozart, Wagner (avec un vieil accent germanique imité de derrière les fagots). Il s'était toujours contenté d'apprécier l'ambiance précieuse dans laquelle la musique plongeait les lieux coquets, mais il ne s'en sentait pas inculte pour autant, comme la plupart des gens en vérité.

Il proposa à Cippora de visiter d'abord cette pièce-là qui se confondait magnifiquement dans l'imaginaire de Fay avec les sirènes d'Homère, plus toutefois pour le charme enchanté qui les attirait que pour le danger que cela risquait de représenter. Enfin, on était dans la vraie vie, il n'y avait aucune raison de s'inquiéter alors qu'il ne s'agissait que d'un type quelconque qui se faisait mousser en jouant du Chopin le petit doigt en l'air. C'était peut-être justement parce qu'il lui manquait un doigt que les fausses notes se succédaient, jusqu'à se taire finalement. Fay, curieux, s'arrêta donc devant la porte du salon et appuya sur la poignée.

« Euuhhh... non ? s'excusa-t-il avec le réflexe d'imiter une expression artificiellement désolée, quand le jeune homme appela quelqu'un qui portait le nom très original d'Izeiha. On peut entrer ? »

Il paraissait désespéré, de la même trempe qu'un enfant auquel on dérobait un jouet, sauf que là le garçon était plus vieux que Fay et ce n'était ni mignon ni rigolo. Il donnait l'impression que quelque chose de grave venait d'arriver. Zut, ils avaient raté un truc super important !

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Cippora suivait précautionneusement les pas de Fay, comme un chat perdu suivrait un inconnu. Sauf qu’en l’occurrence, ce chat perdu précédait un énorme percheron noir. Elle jetait des regards intrigués tout autour d’elle. Qui avait construit cet étrange endroit ? Et quelle magie pouvait bien empêcher tous ses résidents de s’en échapper ? Un air de piano vint briser le cours de ses pensées. La musique était rare dans son monde, seuls les bardes la maîtrisaient vraiment. Elle en avait écoutés quelques fois, et elle-même s’était essayée à la harpe, mais elle n’avait pas la patiente d’apprendre. Elle ne connaissait pas l’air qui résonnait un peu plus loin, mais elle eut l’impression d’entendre des sons discordants, comme ceux que peut produire un apprenti.
Elle ne dit rien, mais remarqua que Fay semblait aussi écouter, et même se diriger vers la source de la musique. Il s’arrêta soudainement devant une porte, derrière laquelle devait se trouver l’apprenti en question. La musique s’arrêta et une voix retentie, appelant un, ou une, dénommé Izeiha. Ou peut-être était-ce un animal ? Un Alter-Ego Astral comme disait Fay. Il poussa la porte et s’excusa faussement de ne pas être le ou la Izeiha en question. Il demanda la permission d’entrer.

Cippora se pencha en avant et observa à travers l’ouverture de la porte, curieuse de découvrir l’interlocuteur de Fay. Assis sur un tabouret, face à ce qui devait être un instrument de musique, certainement le piano en question, mais celui-ci n’était pas en bois comme ceux qu’elle avait vus auparavant. Elle remarqua immédiatement les tâches rouges sur le clavier. Du sang. Sa formation de guerrière lui avait appris à repérer rapidement ce genre de détails, car savoir qu’un adversaire était malade ou souffrant changeait radicalement l’approche qu’il fallait en faire.
A priori, elle n’avait pourtant pas de raison d’être sur ses gardes. L’homme semblait pitoyablement perdu, comme s’il s’était soudainement retrouvé en pays inconnu. Venait-il d’arriver, comme Cippora ? Non, ridicule, s’il venait d’arriver, il ne jouerait pas du piano. Une cicatrice sur l’œil. Encore un signe de faiblesse. Ou alors, peut-être un signe de force ? Sortir d’un combat avec seulement une cicatrice était considérer comme une victoire dans certaines peuplades. Chez Cippora, c’était déjà une défaite d’avoir laissé une arme toucher sa peau, qui plus est au visage. Enfin, de toute manière, chez elle il serait déjà considéré comme un faible, car c’était manifestement un homme.

Elle ne dit rien et se contenta d’observer, alerte. D’où elle était, derrière Fay, elle ne le voyait pas bien. Attendant une réponse, elle essayait de deviner rapidement si cet homme était armer ou pas, et ses intentions. Mais pour l’instant, il ne laissait transparaître que de la désorientation et éventuellement une légère peine.

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(hummm juste un détail... Ethan a en réalité 17ans. j'imagine que le 21 ans vient du profil, désolé de cette confusion)

Ethan ne put cacher sa déception quand un visage inconnue se profila dans l'encadrement de la porte. Malgré toutes les questions sans réponses qui le tiraillaient au sujet de son amie disparue, le garçon dévisagea le nouveau venu. Le ? La ? Ethan ne parvint pas à se décider sur le sexe de l'inconnu(e). Des cheveux blonds hirsutes, deux yeux bleus qui lui rappelèrent, nostalgique, ceux d'Izeiha, des traits fins... Une carrure plutôt fine et élancée, pour résumer, une beauté déconcertante. Le début de sourire qu'il (elle) affichait ne lui sembla pas aussi franc qu'il (elle) tentait de le faire paraître. Ethan ne connaissait que trop bien cette façade. Fille ou garçon ? Il serait assez déplacé de lui demander et puis, était-ce vraiment important ? Il avait bien d'autre soucis en ce moment.
Une seconde tête fit irruption derrière le premier étranger. Il passa d'un visage à l'autre pour tomber sur deux yeux vairons. L'un aussi noir que ses cheveux, le second, encore plus pâle que son visage. Ethan s'y attarda quelques instants avant qu'un mouvement ne se découpe juste au dessus d'elle. Les naseaux d'un cheval soufflèrent sur la chevelure noire de jais. Mais que faisait un cheval dans ce manoir ? A l'intérieur qui plus est...
Les deux inconnu(e)s semblaient aussi décontenancé(e)s qu'il ne l'était mais pas pour les même raisons. Le nom de son amie leur était parfaitement inconnue au vu du "Euuhhh non...". Ethan jugea qu'il valait mieux garder pour lui les dernières minutes écoulées s'il ne voulait pas qu'ils le prennent pour un fou. Il afficha un timide sourire avant de tenter un :

- Euh... bonjour ! Nous ne nous sommes pas encore rencontrés. Je, je me nomme Ethan McFear, je suis arrivé hier dans ce manoir, enfin je suppose.

Hier ? Décidément, les nouveaux arrivaient en masse, ces temps-ci, songea Fay. Dans son dos, il sentait la respiration de Cippora chevroter, comme si elle était sur ses gardes ; ce n'était pourtant qu'un grand jeune homme à l'air désemparé. Rien de plus commun quand on vient d'entrer au Pensionnat Interdit, de toute manière.

« Bonjour, répondit-il ainsi qu'il en avait l'habitude, je m'appelle Fay.
Il hésita une seconde avant de lui tendre la main. Saluer quelqu'un en lui "tapant la bise" ou en lui "serrant la pince", ce n'était pas dans son habitude. Quand on vit tous ensemble on finit par ne plus se dire bonjour ni au revoir aussi gestuellement, et être si nombreux dans un lieu fermé rend de telles démonstrations sociales presque étouffantes. Et de toute façon, c'était quelque chose qu'il n'avait jamais eu l'occasion d'intégrer : personne ne lui disait bonjour au lycée à lui !
Mais pour Ethan, ce devait être un signe rassurant, qui lui rappellerait sans doute sa vie normale.

- Cela tombe bien, dit Fay, je suis en train de faire visiter la maison à Cippora. Si tu veux te joindre à nous...

Son regard parcourut la pièce au passage, et il remarqua les gouttelettes rouges sur le piano. C'était du sang ! Avait-il joué blessé ? Il n'y avait rien sur ses doigts, cependant. Il s'approcha l'air de rien, pour jeter un coup d'oeil plus précis. C'était probablement encore une blague macabre des I., ceux-là ne reculaient devant rien pour "s'amuser" d'eux... Ils espéraient peut-être que cette fois-ci, une rumeur circulerait lançant une malédiction sur le piano auquel plus personne ne voudrait jouer, privant ainsi tout ce beau monde de la gracieuse musique qui se faisait entendre quelques fois. Il appuya sur la touche immaculée à côté de celle qui présentait la tâche la plus marquée et se retourna vers Ethan et Cippora.

- C'est toi, Ethan, qui jouais tout à l'heure ? »
Il décidait de ne rien leur dire encore de la famille I. et de ses agissements. Ils avaient lu sans doute les notes à ce sujet sur le panneau d'affichage mais à son souvenir, il n'y avait rien de très clair. Autant ne pas les inquiéter, ce seraient des frayeurs inutiles. Il ne pensait pas qu'il fallût attendre qu'ils mûrissent à la lumière des lustres du manoir pour l'apprendre, mais Fay ne se sentait pas capable de déployer un exposé à ce propos sans donner l'impression qu'il racontait une histoire vraie de fantômes.

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L’inconnu se présenta. Ethan McFear. Un nom typiquement humain. Aucune ambigüité possible. Elle laissa Fay parler. Elle nota la maladresse de ce dernier. Comme lorsque Cippora l’avait rencontré, quelques instants plus tôt, sa politesse était hésitante, légèrement fausse, il ne devait pas être très à l’aise en présence d’autres personnes. Etait-il possible d’être si seul avec une beauté androgyne comme la sienne ? Les gens des environs ne devaient pas y être habitués, contrairement à Cippora. Elle ressentit l’espace d’un instant un élan de colère envers ceux qui avaient probablement mit Fay à l’écart à cause de sa différence. Elle était habituée à ce type de comportement, car son propre fils adoptif en avait souffert.
Mais là n’était pas la question. Et puis, peut-être se trompait-elle du tout au tout sur le compte de Fay. Peut-être n’était-il qu’un fils de bourgeois élevé dans tant d’aisance qu’il en oubliait la politesse élémentaire.
L’androgyne entra dans la pièce, révélant à Cippora un salon richement arrangé, sombre et secret, mais au confort enivrant. Elle remarqua une cheminée richement sculptée, que seuls les rois pourraient se payer, chez elle.
Après un instant de contemplation, Cippora emboîta le pas de Fay. Elle se déplaça cependant avec méfiance, ayant toujours redouté les endroits trop attirants. Son expérience de guerrière lui avait apprit à ne jamais baisser sa garder, et Ethan ne suscitait pas aussi naturellement sa confiance que Fay. Elle n’aimait pas sa cicatrice sur le visage, surtout sur un visage si jeune. Son regard, bien qu’un instant auparavant effrayé, était empli de défi et de volonté. En s’approchant, elle se rendit compte qu’il était grand et maigre. Le physique d’un adolescent en fin de croissance, filiforme, mais pas autant que celui de Fay.
Entre deux paroles de ce dernier, elle décida tout de même de se présenter, pour ne pas passer pour un oisillon effrayé.

« Cippora Telrunya, arrivée il y a quelques instants. Et Biewyn. »

En présentant son Alter-Ego Astral, elle désigna l’animal d’un mouvement de tête. Fay avait beau lui avoir expliqué que ce n’était plus son ami de toujours, Cippora ne pouvait réellement se faire à cette idée, car il lui était trop précieux. L’énorme étalon noir la suivait de son pas lourd. Le bout du nez sur le sol, il semblait inspecter les lieux. Quand elle le nomma, il releva sa grosse tête, les oreilles pointées vers l’avant en signe d’attention, puis secoua son encolure.
Fay demanda à Ethan si c’était lui qui jouait de la musique précédemment. Bonne question.

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- Cippora Telrunya, arrivée il y a quelques instants. Et Biewyn.

Ethan inclina la tête en réponse à la fille aux allures de garçon manqué. Elle semblait bien méfiante, alerte, prête à bondir au premier bruit ou geste suspect, surtout de sa part.

Le blondinet s'approcha du piano et posa délicatement un doigt sur un Sol. Le marteau frappa la corde qui vibra doucement...

- C'est toi, Ethan, qui jouais tout à l'heure ?

Mais le jeune homme ne percuta aucun de ces mots. La note continuait de résonner sous le doigt long et fin de Fay. Etrangement, les gouttes des sang s'animèrent sous la fréquence du Sol. La plus large et plus proche de la touche enfoncée s'étala lentement vers le bord du piano. A sa gauche, trois autres gouttes se rejoignirent. Ethan frissonna. De son angle de vue, se profilaient deux lettres, deux points... O.I.
L'adolescent cligna des yeux. Il pencha la tête. Rien à faire. Elles étaient toujours là, le narguant. O.I. Ces initiales réveillèrent quelques choses dans son esprit mais il n'arrivait à mettre un doigt dessus. Il avait beau chercher, il n'arrivait pas à y rattacher quelque chose. Toujours ce foutu trou noir. O.I. Cette mémoire défaillante... Mais qu'avait-il fait ? Qu'avait-il vécu pour en arriver à occulter une partie de son passé ? O.I. Les paroles de Fay s'incrustèrent enfin dans ses pensées.

- Je... oui. Je jouais... Mais comment s'appelait cet air déjà ? Prélude ? Non... Nocturne. Oui c'était bien ça. Nocturne. De Moz... Chopin ! Nocturne, de Chopin, répondit Ethan, sans pouvoir détacher son regard des initiales vermeilles.

Il sentit son coeur battre plus fort contre sa poitrine. Il sentit le sang pulser au bout de ses doigts, le sang pulser contre ses tempes. Son instinct le mettait en garde. Une force malsaine régnait en ces lieux. Elle était là, quelque part. Peut être là, à l'observer. A les observer...

Sujet: Re: Distorsion temporelle [Pv Ethan-Cippora-Fay] Ven 28 Jan 2011 - 21:20

Un instant, un court instant, Fay eut le sentiment qu'Ethan était sur le point de s'évanouir, ou de fondre en larmes, ou les deux. Il penchait tristement la tête en plissant les yeux, une expression à la fois absente et douloureuse appliquée sur son visage comme un drap sur un cadavre chaud. Un instant fugace où il eut un élan d'empathie si fort pour le jeune homme qu'il rencontrait, que son absence hésitante de retour sur la première impression laissa subitement place à de l'inclination bienveillante. En tant que victime éternelle, il trouvait toujours un truc à ceux qui souffraient, quel que soit le genre de souffrance. Cette tendresse s'accrut lorsqu'il se rendit compte que son nouvel ami se laissait progressivement abattre par la timidité. Fay lui adressa un sourire qui se voulait chaleureux.

“Hmm, d'accord. Je ne suis pas très mélomane à vrai dire, mais ça me disait quand même quelque chose...” Commenta-t-il histoire de rassurer un peu ces deux inconnus dont il était devenu en quelque sorte le guide.
Il ajouta : “c'est agréable, la musique classique, à écouter.”
Bigre. Il avait beau être le vétéran en ces lieux, il ne pouvait pas s'empêcher de redevenir Fay dans une telle situation... C'était pire encore que s'il avait dit “C'est qu'il fait bien beau aujourd'hui.”, parce qu'alors ils auraient peut-être pu rire un peu, étant donnés les rideaux tirés sur les longues fenêtres haussmanniennes. A ses dépends, certes, mais passer pour un simplet valait toujours mieux que pour une personne inintéressante...

Dans le genre personnage intéressant, ils étaient bien servis tous les trois, se fit-il la réflexion. Il invita du geste Ethan et Cippora à s'asseoir, et ouvrit la marche en contournant le canapé, celui-ci étant tourné vers la cheminée éteinte. Avec sa beauté exotique et son attitude d'aventurier en alerte, la jeune femme semblait être sortie d'un livre de fantasy, ou encore jouer un figurant du Seigneur des anneaux. Enfin, ça c'était surtout dû au cheval.
Quant à Ethan, bien qu'en apparence il incarnât tout ce qu'il y a de plus normal, Fay trouvait en son regard à la couleur indéfinissable un je-ne-sais-quoi de mystère, de défi et de folie. Comme si ces yeux avaient vu des choses auxquelles lui n'aurait jamais seulement songé. Ces histoires de roman de gare carrément dix-neuvièmes, passionnantes et soupirantes, transparaissaient véritablement dans le brillant de la fine cicatrice qu'il arborait à côté de l'oeil droit.

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Cippora fut surprise qu’Ethan mette un nom sur l’auteur de la musique. Chez elle, les noms des ménestrels n’avaient pas de réelle importance. Leur nom était connu des musiciens, mais on ne les précisait pas, en général, car l’important était le message transporté par leur air, le sentiment ou l’aventure qu’ils avaient voulu y conserver. Mais le titre lui plut. Nocturne. Comme ces nuits de pleine lune ou les loups hurlent à la lune. Ces nuits où parfois elle les rejoint pour écouter leur chant mystique résonner au cœur de la forêt. Un sourire rêveur s’attacha à ses lèvres alors qu’un voile se déposait devant ses yeux, lui remémorant ses images de bonheur et de communion ultime avec Nature.
Elle secoua la tête. Ce n’était pas le moment de se laisser bercer par le lent poison de la nostalgie. Elle remarqua immédiatement qu’Ethan ne se sentait pas bien. Pourtant, il n’avait pas l’air faible ou malade. Il ne dégageait pas une odeur de maladie, définitivement. Mais un malaise prononcé se lisait dans ses yeux, fixés sur le piano et, visiblement, le doigt de Fay qui s’y était posé. Un danger. Un piège. Quelque chose. Un regard aussi inquiet, limite paniqué, ne pouvait signifier qu’une chose : il savait quelque chose. Quelque chose de dangereux. Par instinct, elle eut envie de bondir sur le dos de Biewyn et d’empoigner ses armes, prête au combat… Mais ce n’était pas la solution. L’endroit était clos, trop petit, pas idéal pour son style de combat.
Fay parla, mais Cippora ne l’écoutait pas. Ses sens aiguisés en éveil, elle pouvait percevoir les battements de cœur des deux jeunes hommes et sentir qu’effectivement, celui d’Ethan s’emballait. Avec ses allures de louve, elle bondit en avant. En un claquement de doigt et dans un silence presque meurtrier, elle se retrouva juste devant Ethan, son visage à quelques centimètres du sien, accroupie pour être légèrement en dessous de lui malgré qu’il soit assis et ses étranges yeux vairons plongés dans les siens.

« Qu’est-ce qu’il y a ? lança-t-elle brutalement. Qu’est-ce que tu nous caches ? Quel est le danger ? »

Ses sourcils étaient froncés, son visage légèrement penché sur le côté. Scrutant le moindre sourcillement du jeune homme, le moindre signe d’agressivité suffirait à la faire sortir de ses gongs. Elle était habituée à une vie dangereuse, dans un monde rude où une seconde peut faire la différence. Elle ne jeta pas un œil à ce qu’il regardait, trouvant bien plus de réponses sur son visage.

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Il y a des moment où la vie vous semble tourner sans vous, où le monde vous apparaît d'une autre facette. Le temps semble ralentir, les choses défilent devant vous dans une infinie lenteur. Vous êtes là, spectateur... enfin plus que d'habitude pour certains. C'est comme si le monde cessait de tourner autour de vous, comme si vous n'existiez pas une fraction de secondes. Un peu comme un mauvais rêve, un cauchemar où vous n'êtes pas maître de votre corps.

Ethan sentit juste un léger souffle, un mouvement d'air qui caressa son visage livide. La vision des initiales s'évanouit pour faire place à deux troublantes étoiles. Le jeune homme ne cilla pas devant les yeux accusateurs du garçon manqué. Fay n'était déjà plus là, à hauteur du canapé. Ethan ne pouvait le voir en ce moment, perdu dans un combat visuel.
Cippora lâcha quelques mots mais Ethan n'était pas très doué pour lire sur les lèvres. Il ne l'avait jamais été en fait. Toujours cette désagréable impression de ne pas faire partie de ce monde. Juste ce sifflement permanent dans ses oreilles. La jeune femme réitéra sa question. Mais cette fois quelques bribes passèrent le bourdonnement strident et le garçon revint sur terre aussi rapidement qu'il en été parti.
S'il ne savait pas bien lire sur les lèvres, il savait au moins parfaitement donner toute crédibilité à ses propos, qu'ils soient vrais ou au contraire totalement faux. Il n'en était pas bien fière, n'aimais pas en abuser, mais parfois les circonstances l'y poussaient. Et c'était le cas. Il ne tenait pas à ce que les premiers contacts qu'il avait ne le prennent pour un fou ou un froussard chétif. Ethan plongea son regard plus profondément dans les prunelles de Cippora :

- Je ne vois absolument pas ce que tu me cherches, commença Ethan tout en effaçant discrètement les initiales du revers de sa veste bleu marine. C'est juste que tout est si singulier en ces lieux... je suis un peu déboussolé par mon arrivée. Je n'ai pas encore pris mes marques. Et je ne sais même pas comment je suis tombé sur ce piano.

Ethan soutint ses propos sans montrer la moindre émotion. C'en était presque enivrant. Comment pouvait-il user si naturellement de ce "talent" alors que n'importe qui d'autre rougirait, détournerait le regard ou n'arriverait à aligner deux mots à la suite sans bredouiller.
Il se leva sans quitter Cippora des yeux et rabaissa le battant sur les touches sans un bruit.

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