Il n’y avait pas de Mad Movies à la bibliothèque du Pensionnat Interdit -il avait vérifié une dizaine de fois. Il avait en revanche extirpé des étagères poussiéreuses une encyclopédie sur les maladies dermatologiques rares et la feuilletait en faisant régulièrement claquer des bulles de son chewing-gum à la fraise, penché sur une des tables vernies, le poing enfoncé dans la joue.

Il était deux heures du matin alors quoi la pièce était déserte et il était à peu près certain de ne déranger personne avec le mode haut-parleur de son mp3 ; aussi ce dernier inondait la pièce d’un best of de Britney Spears qui le faisait distraitement dodeliner la tête lorsqu’il n’en murmurait pas les paroles d’un air absent -l’encyclopédie avait actuellement toute son attention à défaut d’avoir trouvé une télévision ou quelque chose. Il n’aimait pas lire -il détestait ça ; aussi, et malgré le fait qu’il soit majoritairement constitué d’image, il écrasa sa joue contre les pages du livre après une vingtaine de minutes, ses lunettes retroussées sur son crâne. Il aurait aimé dormir mais il craignait pour l’instant de se faire tuer dans son sommeil (il craignait toujours de se faire tuer dans son sommeil) et s’efforçait d’ouvrir les yeux.

Il songeait à sa console oubliée dans la voiture, parce que ce genre de choses pouvait le tenir éveillé pendant des heures entières -plus que n’importe qu’elle rediffusion de The Osbournes. Hélas, il n’y avait rien d’autre que tous ces livres -et peut-être Britney Spears qui feulait toujours d’un ton mielleux dans la bibliothèque.

Il détestait Britney Spears.
Et ses chansons.
Et le fait de les connaitre toutes par cœur.

Ce n’était peut-être plus la peine de continuer à écouter ça ici, mais si son psy avait été là, présent dans cette pièce, il aurait dit quelque chose comme « Monsieur De Baume ; vous êtes dans un moment où vous avez BESOIN d’énergie positive ; de légèreté ». Augustin n’était pas sûr de la pertinence de ce conseil (mais il était certain qu’il aurait dit ça ; il disait toujours ça) mais il n’avait plus que ça sur son mp3, maintenant.

Et si je tournais là maintenant hein? ... Oh non c’est pas possible, c’est juste INSUPPORTABLE, ON TROUVE RIEN DANS CE PENSIONNAT! Oh... Euh, mes excuses, ça je l’avais dit à voix haute, je vais reprendre, mes excuses.

Je marchais déjà dans ce pensionnat depuis des heures, les heures étaient des minutes, les minutes étaient des secon... Mince non, c’est pas ça, je reprends... Enfin non, ça risque de faire un peu trop de fois là, enfin voilà vous avez capté non? Je trouve pas mon chemin, ça m’énerve, c’est insupportable comme déjà dit plus haut, je suis parti de ce hall, seul, j’ai décidé de trouver un endroit où dormir, mais rien, c’est la nuit et y a personne nulle part, et puis je commence à avoir la mâchoire qui me démange, c’est un mal que je traduis comme «Putain d’addiction, casse-toi de là!». Donc voilà, je cherchais juste un endroit où dormir mais j’ai eu soudainement envie de sang, malheureusement, enfin, c’est pas forcément notable, c’est pas vraiment le problème, le problème c’est que je trouvais pas mon chemin, jusqu’à ce qu’il se passe un nouveau truc dans une salle.

Je suis arrivé dans une sorte de... ouais une bibliothèque quoi, et déjà ma cape s’est pris dans la porte, alors j’étais quand même un peu énervé:

«Pitié, un lit, je ne demande qu’un simple lit»

Alors mon esprit commençait à se détourner, pas comme on l’imagine facilement, genre folie et tout, non, c’était juste des coups d’esprit quelque fois, j’étais fatigué, mais je développais deux sortes de fatigues, celle qui demande du sommeil, et l’autre qui demande du sang. Enfin voilà, j’allais sortir de cette salle, pas que la lecture ne me plaise pas, j’aime beaucoup lire quand je trouve de bons livres, mais là, à je ne sais quelle heure de la nuit, j’avais d’autres occupations, jusqu’à ce que j’entende des bruits dans un des coins opposés de la pièce, comme j’ai un esprit malicieux (Non mais sérieusement, qui utilise ce mot de nos jours?), je m’approchai en m’infiltrant dans les rayonnages de la salle.

Moment poétique

Il faisait sombre, presque à pouvoir dire que c’était une pénombre, le bruit était gênant, le genre de truc auquel t’as envie de dire «Nan!»

Bon, ok, je m’applique...

Je m’aventurai entre les rayonnages frôlant de près tous les âges, placé par ordre alphabétique, quelques auteurs mythiques, du classicisme au surréalisme, faisant cohabiter Rimbaud et Rousseau. Il ne faut pas faire de ratures dans les rayons de la littérature, pour espionner son prochain... il faut être un peu malsain. En fait je crois que j’en ai déjà marre, autant arrêter avant qu’il ne se fasse tard, d’autant plus que cet espèce de décérébré est en train d’écouter de la musique à ...

«Nan mais t’écoutes quoi? Sérieusement? Cette musique? Mais respecte-toi bordel! Respecte-toi!»

En fait, au moment là, j’ai pris son ipod, je l’ai balancé par terre, je l’ai rayé par terre, je l’ai écrasé, je l’ai ressaisi, j’ai du le taper un rayonnage de la bibliothèque... ou sur un mur... Ou alors je l’ai rayé par terre une autre fois avant... Enfin, ça n’a pas d’importance, au final, j’ai ouvert une fenêtre et je l’ai lancé... Je sais même pas où il a atterri. Ah, je l’ai un peu secoué au même moment, surtout au «Respecte-toi!», enfin, je me suis rattrapé.

«... Chuuuuut»

Ah, le divin bruit des bibliothèques, une sorte de pardon, dire que c’est sa faute aussi, on fait pas de bruit dans les bibliothèques... Oh, et puis je l’ai dit dans une posture théatrale, c’était cool, dos tourné, regard porté vers le plafond, immobile, et les mains croisés dans le dos, ça devait faire peur, enfin j’imagine.

Il n’entendit pas Sitan arriver parce qu’à ce moment-là, son mp3 crachait toujours trop fort de la pop musique -en outre, son visage plongé dans les épaisses pages de l’encyclopédie ne favorisaient pas sa concentration. Aussi il ne prit conscience de sa présence seulement quelques secondes avant qu’il ne le saisisse brusquement par les épaules et ne feule rageusement ;

-Nan mais t’écoutes quoi? Sérieusement? Cette musique? Mais respecte-toi bordel! Respecte-toi!

Il le secoua vivement avant de s’en désintéresser le temps de saisir le mp3 et de le démolir avec fureur -scène auquel il assistait en clignant lentement des yeux, étendu sur le tapis par-dessus sa chaise que l’agitation avait fait tomber. Il n’avait même pas répondu, ses lèvres épaisses closes dans une moue perplexe (plus perplexe qu’étonné. Il avait rencontré une fille comme ça en hôpital psychiatrique. L’espace de quelques secondes, il l’avait pris pour elle avant de se souvenir qu’elle mesurait 1m50 et qu’elle était obèse.)

Le mp3 était un vieil objet suffisamment défoncé pour qu’il soit impossible d’employer ses touches pour quelque chose qui ne soit pas le réglage de son et la sélection de musique (aussi, celui qui, autrefois, avait été gravé de la mention « OPTIONS » était inutilisable et il était impossible pour Augustin de changer le fond rose que sa sœur avait sélectionné en guise de page d’accueil) mais restait étrangement résistant et ne s’était pas totalement brisé sous les semelles de Sitan (Britney Spears était encore vaguement audible à ce moment-là quoique sa voix fut éraillée par des grésillements inquiétants et que la coque défoncée ne se soit séparée de ce qui, de loin, apparaissait peut-être comme un écran creusé d’épaisses striures) ; il lui évoqua brièvement une espèce de tank avant de finalement s’exploser des mètres plus bas sans qu’Augustin ne puisse entendre l’impact.

La scène avait été rapide, franchement surprenante, et le temps que son regard ne se détache de la fenêtre ouverte Sitan avait repris une position plus noble ; vaguement effrayante aussi, parce que malgré la lumière ce type avait une peau grisâtre de cadavre -et des putains de yeux rouges ; surtout ça. Il lui intima le silence et Augustin attendit une dizaine de secondes avant de proposer la voix trainante, en se redressant à l’aide de la table ;

-...j’ai du xanax sur moi si vous voulez.

Peut-être lui était-il redevable d’une certaine façon. Il détestait Britney Spears et ses chansons et de les connaitre par cœur et puis tout ça -il le répétait tout le temps. Il n’avait plus aucun moyen de l’écouter et ce n’était même pas de sa faute... ! Il ajouta tout de même dans un vague haussement d’épaule ;

- En revanche, mon psy va avoir la haine, mec.. Sérieux.

Est-ce que ce type l'écoutait ? Est-ce qu'il souhaitait que ce type l'écoute vraiment ? Il avait été facile de parler avec cette fille obèse qui pulvérisait les objets contre le carrelage mais ce type ne portait ni de mini-jupe ni d'appareil dentaire -il était quelque chose comme dix fois plus impressionnant malgré la dizaine de centimètres qu'Augustin avait de plus que lui. Suffisament impressionnant pour que l'emploi du mot mec paraisse soudainement dangereux. A part cette encyclopédie sur la table, il était la seule chose qu'il restait à fracasser contre le sol.

Je suis pas fou, non, je suis pas fou, je suis un mec normal, enfin... Ouais si, bouffer des clodos c’est normal pour moi, alors je suis un mec normal, et vous savez, j’en parle souvent du fait que je suce le sang des gens, c’est une obsession oui, surement, mais à chaque fois que j’en parle j’ai cette image du SDF que je croisais souvent, toujours au même endroit, pas forcément celui que je vois le plus souvent, parce que y en à un autre, petit il m’appelait «Petit prince», mais comme j’étais radin, ça changeait rien, je lui donnais que dalle. Bref, ce SDF, je le voyais tous les jours, quand j’allais en cours, que je revenais le midi, que j’y retournais à 14H et une fois que je rentrais, bref, quatre fois par jour, surement le clochard qui a le plus influé dans ma vie, mais à chaque fois que je parle de mes débuts en tant qu’homme addictivement modifié, je pense pas à ce clochard, je pense à un autre, qui était devant une sorte d’hotel, un grand bâtiment qui se répandait sur tout le quartier, même au dessus du centre commercial, et c’est l’image de cet homme qui me vient dès que je parle de SDF, alors que je passais pas souvent pas là, je le voyais peut être qu’une fois par moi, et je serais incapable de dire à quoi il ressemble, et je l’ai jamais vidé de son sang lui en plus... Bon Dieu, je suis vraiment quelqu’un d’inintéréssant, enfin bon, je sais même plus pourquoi j’ai dit ça.

Euh ouais donc, je suis pas fou, mais j’aime pas la musique pas bien, enfin, vous vous rendez compte, on développe la musique et les instruments depuis des millénaires (Enfin, j’en sais rien, je n’ai pas accès à un quelconque moyen de savoir la date de naissance de chaque instrument, et je n’ai pas envie d’ouvrir un livre «Histoire des instruments», ce serait honteux et flippant), ouais, donc voilà, on est passé du Luth au violon, ça fait des évolutions, c’est cool, et il a suffit que quelqu’un invente une nouvelle vague de trucs qui font du bruit, et ça a tout ruiné, non mais c’est vrai, regardez, je suis pas fan, mais lors du XXeme siècle, c’était essentiellement des groupes qui étaient connus, et les groupes qui marchaient étaient basés sur des bons MUSICIENS, des gens qui savaient JOUER d’un instrument, et il suffisait pas forcément de chanter des paroles pourries, mettre deux trois sons à l’électronique qu’on peut reproduire avec seulement quatre touches d’un piano, oh, et pour en faire le succès de la saison, autant rajouter la marque «Featuring» et ramener un autre de ses amis qui a aucun talent. Putain d’arnaque.

«En fait, je crois que j’ai envie de sucer ton sang»

Dites, vous avez jamais pensé aux signes astrologiques? Enfin, je parle essentiellement du signe du cancer, parce que c’est celui qui marche le plus souvent, bref, imaginez-vous êtes du signe du cancer et vous mourrez d’un cancer, quand vous mourrez, combien de gens ont du trouver ça vachement ironique? Si ça m’arrivait, je rigolerais énormément pendant que la faucheuse essayerait de m’effrayer. Bien sûr, ça marche mieux si on est tué par un taureau sous le signe du taureau, mais je suis même pas sûr que ça soit arrivé à une personne, alors y a peu de chance que quelqu’un, poursuivi par un taureau ou piétiné par celui-ci ait eu l’idée sur le coup de se dire «Et! Je suis signe du taureau en plus!». Perso je sais pas mon signe, mais je suis sûr que ça sera un truc impossible genre «Sagittaire» on peut pas faire de blague mortuaire ironique avec ce signe «Et! Imagine un mec qui est sagittaire et qui meurt de... Enfin...», bref vous avez saisi le concept.

Je m’ennuyais un peu, pour décrire vite fait ce que j’ai pu faire, je me suis assis face à l’autre attardé, je crois qu’il m’avait parlé, bref, ce mec lit des trucs sur les maladies dermatologiques rares, et après, c’est qui le monstre? Non mais sérieusement, bref, j’ai du balancer le bouquin par terre, je me souviens plus si c’est maintenant ou après, puis je me suis accoudé à la table en fixant ma source de distraction, vous savez la pose décontracté, du mec un peu menaçant qui s’approche petit à petit, genre limite un peu affalé sur la table, le mec méchant mais qui fait genre il est sympa.

«Ton nom.»

Et puis ensuite j’ai...

«Ton nom!»

Enfin je me suis permis de

«Ton nom et ton prénom bordel, allez, dépeche toi! Action, réaction, action, réaction, je te demande ton nom, tu me réponds direct»

J’ai sortis mes dents, mes... merde, je me souviens jamais du nom des dents, bref, «les dents pointus», depuis ma transformation j’ai l’impression qu’elles sont plus longues, mais je suis pas sûr (Vu que je ne peux pas me voir dans un miroir! Ahahah! Putain d’inconvénient qui sert à rien). Bref, j’ai sorti un peu mes dents, pour faire peur. Ensuite, j’ai balancé la table en me relevant d’un coup, ça fait limite un spasme, puis ensuite j’ai continué dans mon passe temps, et je me suis mis à marquer pas par pas en me rapprochant petit à petit de l’homme.

Ah, et j’ai pas vraiment compris, mais au moment là y a un chandelier qui est apparu au dessus de nous au plafond, et y en a d’autres qui sont apparus aux murs, n’éclairant la pièce que par toutes ces bougies, je crois que c’est mon pouvoir... Putain ça sert à rien, mais ça fait limite angoissant... ou convivial, ça dépend des gens.

Enfin bon, allez. Action...

Le type ne voulait manifestement pas d’antidépresseur et les mains qu’Augustin, plongées dans les poches de son slim afin de les y extraire, y restèrent enfouies. Sitan, néanmoins, répondit un peu plus tard visiblement sans n’avoir écouté un seul de ses mots;

- En fait, je crois que j’ai envie de sucer ton sang.

Sérieusement ? Il fronça vaguement les sourcils sans toutefois vraiment se départir de son air atone. Ça ressemblait à une pathétique tentative de drague (plus encore que ses propres tentatives ; et elles l’étaient vraiment). Il répondit en tirant distraitement sur son long t-shirt blanc avec dans la voix ce qu’il espérait faire passer pour un intérêt poli;

- ...Ah?

Il ne souhaitait pas heurter ce type. Il était plus petit que lui mais Augustin se sentait vaguement inoffensif devant ce type complètement lunatique. Il était peut-être somnambule ou quelque chose comme ça -ou drogué, en plein délire ; plongé dans ses réflexions il semblait plutôt absent. Il ajouta tout de même après quelques secondes de silence ;

- …Hum, et bien... merci, mec.

Peut-être que c’était ça qu’attendait le type, parce qu’il entreprit de s’accouder contre la table après l’avoir débarrassé du livre ; l’encyclopédie des rares maladies dermatologiques s’écrasa mollement, ouvert. Il entendit la tranche grincer alors qu’elle se tendait, et la dévisageait curieusement jusqu’à ce que Sitan, maintenant extirpé de sa torpeur, ne l’interroge avec violence, les dents retroussées et pointues. Vraiment très, très pointues. Et longues. Il avait les dents pointues et longues et le teint gris et les yeux rouges et c’était une description qui lui évoqua soudainement un VAMPIRE ; mais c’était ridicule. Vraiment ridicule -peut-être pas plus que cette porte qui ne s’ouvrait pas ; et que ces pouvoirs incompréhensibles ; mais vraiment ridicule et il ne pouvait pas penser à une chose pareille. Il ne pouvait pas parce qu’il était concentré à reculer de façon à éviter la chute de la table devant laquelle il se tenait debout.

Il pensait que cet homme allait sans doute finir par le tuer ou sauter lui-même par la fenêtre (c’était ce qu’avait fait cette adolescente obèse) et le pensait encore lorsqu’il répondait précipitamment en le voyant s’approcher de lui à pas lents ;

- ...Augustin, je m’appelle Augustin...Okay ? Augustin.

Il le dévisageait et détourna à peine le regard pour les chandeliers; les chandeliers n’étaient pas le genre d’objets de mise pour les soirées romantiques ? Il avait vu des dizaines de films, comme ça. Il supposait que c’était le pouvoir de ce type (le pouvoir. Un putain de pouvoir ! Il repensa au sien et cette histoire de paralysie qui finirait sans doute par s’avérer franchement utile ; la tournure des évènements était assez suspecte). Sitan continuant à avancer Augustin expliqua, le ton pédagogue, les mains tendues devant lui :

-... je suis pas intéressé, mec, vraiment... Je veux dire, je suis hétéro et tout, tu vois ? Désolé.

Il avait oublié le vouvoiement mais au point où il(s) en était-ent, il supposait que c’était quelque chose d’assez négligeable (sans doute plus que ces chandeliers qui lui semblaient sur le point de s’effondrer sur le sol à chaque instant.)

Ce mec était quand même vachement étrange, enfin, il avait l’air plutôt calme et plutôt dispersif... dispersif, je sais même pas si ça veut dire quelque chose, enfin bref, ce mec était plutôt évasif (C’est tout de même mieux hein!) Enfin, comment on peut penser à chercher des sous-entendus pareil.

Action, réaction.

J’étais assez proche de lui à ce moment, ‘fin, du genre à sentir le souffle de l’autre, il restait immobile, j’aurais pu le lécher sur la joue, même si c’est sale... putain, comment j’ai pu avoir une telle idée, enfin, ouais, c’est totalement dégueulasse finalement, ça fait flipper et tout, mais c’est du genre à ce que je détruise tout l’univers oppressant d’un coup parce que ce type pourrait être du genre à mettre des crèmes de beauté et tout, alors ça aurait un putain de mauvais goût. Bref, tout ça pour dire que je l’ai pas jeté, j’ai fait un petit mouvement brusque, comme ça, pour m’amuser, et d’un coup je lui ai donné un coup de paume sur sa tempe gauche, ce type a dégringolé comme si tous ses os se brisaient, il est tombé sur le côté, se cognant la tête contre le mur, et se retrouvant seul allongé sur le sol.

«AHAH! ACTION!»

... Plus de réactions. Finalement, c’était pas une si bonne idée enfin... PUTAIN IL ÉTAIT INCONSCIENT! Il me semble qu’il respirait plus, enfin j’en sais, putain il est mort quoi! J’ai buté un mec sans même en profiter pour lui sucer son sang! Ok.. ok... il m’avait cherché quand même, c’est de la légitime défense, enfin, il écoutait de la musique pourrie quand même, il m’a cherché, je peux même faire croire aux autres qu’il m’a dit «Allez! Viens! On se la donne!». Les autres... ah oui c’est vrai qu’on est surement pas seul, enfin, j’ai l’air de quoi maintenant, je rentre dans un pensionnat et je bute un mec juste après, et comme c’est fermé, je peux même pas fuir!

Fuir... c’est peut être la meilleure chose à faire, j’ai attrapé les rebords de la fenêtre que j’avais utilisé pour jeter l’ipod, je l’ai emprunté également et j’ai commencé à courir comme un cinglé.

Cinglé, finalement c’est peut être ce que je suis, j’ai buté un mec pour rien quand même, bon, je l’avais déjà fait, mais au moins j’avais une bonne excuse «Non mais tu vois, je suis accro au sang, c’est pas ma faute» ça marche peut être plus que «Excuse-moi, c’est la bière», mais ouais là non, j’ai aucune excuse, je l’ai même pas vidé de son sang... je devrais peut être y retourner pour le faire... De toute façon, enfin, j’en sais rien, je sais plus.

Ne plus savoir, surement ça, il faut réfléchir se poser, d’un point de vue extérieur, qu’est qui va se passer. Analyse. Le corps sera découvert, y a peu de chances que quelqu’un découvre que c’est moi, je viens juste d’arriver, mais si on comprends que je suis vampire, on va m’accuser, qu’est-ce qui pourrait faire qu’on découvre que je suis le meurtrier? Personne ne m’a croisé, c’est déjà ça... Les empruntes et toutes ces conneries, ça marchera surement pas, et comment on pourrait me retrouver... PUTAIN, MAIS C’EST QUOI ÇA? En fait, depuis que je suis sorti par la fenêtre, y a des chandeliers qui sont apparus partout où j’ai marché, COMMENT ON PEUT NE PLUS ME RETROUVER ALORS QUE Y A UN PUTAIN DE CHEMIN DE CHANDELIERS! Bon, calme-toi Sitan, réflechis... Déjà, commence à courir un peu partout, comme ça y aura des chandeliers partout et ça sera plus chiant de te retrouver, au moins tu feras chier les enquêteurs et puis... Si y a pas de corps, ils vont juste trouver des chandeliers partout, j’aurais l’air bizarre, c’est pas grave, on me soupçonnera pas d’avoir tuer un mec. Il faut cacher le corps.

Le corps, il était resté dans la bibliothèque, il fallait y retourner, surement le cacher quelque part, avec un peu de chances personne ne se rendra compte de sa disparition, cet endroit est assez bizarre pour que ça choque personne, bref, j’ai repris le même chemin en inverse en parsemant malencontreusement des chandeliers partout pour brouiller les pistes le temps de récupérer le corps, arrivé à la fenêtre, j’avais du paniquer pendant plus d’une heure aux vues des chandeliers qui étaient partout dans cet espèce de parc, enfin voilà, la bibliohèque et ce cher Augustin.

Malgré ses mains posées en barrières, Sitan continuait à avancer d’un air mauvais jusqu’à ce qu’il puisse sentir son souffle contre son menton ; il songea un instant à le repousser d’un mouvement brusque de la main, ou à le paralyser -puisqu’il y était visiblement qualifié- mais le type fut plus rapide, et, en écrasant sa paume contre sa tempe, lui fit heurter le mur de son crâne, à l’instar de son mp3 quelques minutes plus tôt. Aussi, il n’entendit pas Sitan s’éloigner, inconscient de ses membres douloureux et palpitants (le sommet d’une épaule ; l’arrière de sa tête, un angle pointu de ses hanche sur lesquels un épais hématome noir ne tarderait pas à mûrir). Son visage avait été épargné, quoique ses lunettes étaient tombées à quelques pas de lui lors de sa chute et que, dénuées de leurs larges verres, ses yeux semblaient plus cernés que jamais.

Silencieux et immobile, il resta une trentaine de minutes assommé avant de basculer dans un sommeil plus léger ; sans doute celui dans lequel il était censé reposer il y a des heures de cela (quelle heure était-il maintenant ? Deux heures et demi, environ, sans doute). Malgré la chaleur estival le sol était froid et franchement trop inconfortable pour qu’il ne puisse s’y éterniser ; aussi, le moindre de ses mouvements suffisait à réanimer la douleur dans ses (futures) ecchymose jusqu’à finalement le réveiller après une heure demi passées sur le parquet.

Il cligna lentement les paupières, encore étourdi ; balayer furtivement la salle du regard après avoir saisi ses lunettes à tâtons lui permit de constater que la pièce était maintenant vide et que le type avait disparu sans laisser aucune trace de sa présence (ou rien d’autre que le livre écrasé sur le sol et lui-même. Eventuellement, son mp3, dehors, brisé contre ce qu’il supposait être des pavés -il n’était pas vraiment sorti).

Ce type était complètement malade, n’est-ce pas ? Il ne comprenait vraiment rien à la scène précédente, n’avait pas le cœur à se venger. S’approcher de ce malade était la dernière chose à faire dans sa liste de choses à faire (elle ne contenait rien d’autre que ça, « se relever », « trouver une game boy color » et « se nourrir », mais il supposait que ces derniers projets étaient maintenant mis de côté) et il s’apprêtait à prendre la fuite -il allait le faire ; vraiment, il s’apprêtait à se mettre debout puis à sortir d’ici-, lorsque la lumière des chandeliers (celle qui lui avait explosé les pupilles lorsqu’il avait ouvert les yeux tout à l’heure -il la reconnaissait très bien) apparût aux alentours ; il la voyait dans le parc, par la fenêtre, mais également au loin, vers le couloir. Il resta à attendre Sitan, résigné, quoique effrayé, les mains nerveusement fourrées dans les poches de son slim; et, lorsqu’il l’aperçu enfin, cracha avec consternation ;

- Putain, mec, tu es complètement cing- ; puis, précipitamment comme l’idée lui traversait l’esprit, le gela dans son mouvement afin de continuer, vaguement absent alors qu’il regardait avec une fascination stupide le corps brusquement immobile de l’homme ; -glé. Sérieusement.

Il se demandait juste combien de temps la paralysie allait-elle durer. L'avantage résidait dans le fait que Sitan ne le savait pas non plus. Peut-être pensait-il qu'il pouvait en choisir la durée ou quelque chose?...il songea brièvement que le remettre en colère était malvenu et hasarda en haussant les épaules:

- J’ai toujours du xanax, en fait.... Je veux dire..., il ne parvint toutefois pas à trouver les mots lui permettant d'achever sa phrase en ayant l'air amical -il venait tout de même d'user son pouvoir sur ce type et ce n'était pas quelque chose qu'il se sentait capable de faire passer comme positif, sauf à ses yeux. Il aurait aimé fuir mais la perspective de recroiser Sitan, furieux, une prochaine fois, l'en dissuada aussitôt quoiqu'il ne fut pas sur du fait que sa présence puisse apaiser les choses.