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 Tes croyances, j'en fais un autodafé {Chess}

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« i see london i see france »
Antoine de Landerolt
Antoine de Landerolt

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Tes croyances, j'en fais un autodafé {Chess} _
MessageSujet: Tes croyances, j'en fais un autodafé {Chess}   Tes croyances, j'en fais un autodafé {Chess} Icon_minitimeMar 9 Avr 2013 - 16:25

« Tes croyances, j'en fais un autodafé »
Rien que des poussières de mots




Un, deux, trois, quatre; les couvertures multicolores dégringolèrent de l'étagère aux bras du jeune homme avec un petit bruit feutré. La chute remua quelques grains de poussière qui allèrent se perdre dans l'air et y dansèrent avant de disparaître parmi les rayons de lumière de ce début d'après-midi. Dehors, il faisait beau: le soleil d'Avril brillait étonnamment fort sur le parc, et Antoine pouvait entendre les rires de quelques pensionnaires depuis la bibliothèque où il avait trouvé refuge plus tôt dans la matinée. D'un geste rendu nonchalant par l'habitude, il appuya sur la tranche d'un cinquième livre, qui alla rejoindre ses semblables sans opposer la moindre résistance. Les yeux bruns suivirent la fuite précipitée d'une minuscule araignée entre les ouvrages avant de se tourner vers la droite et accrocher une table encombrée, quelques pas plus loin. Rapidement, Antoine balaya la distance qui le séparait du meuble et posa sans ménagement sa petite pile sur le fauteuil. Une fois que ce fut chose faite, il fit demi-tour et se rengagea dans l'allée en partie obscurcie par le poids du savoir qu'elle contenait.

Poids du savoir mon œil, pensa-t-il tout en prenant de nouveaux recueils en otage, sans paraître se soucier du titre ou du contenu; il entassait le papier comme une pie amasse les objets qui brillent dans son nid. Par ennuie, par il ne savait trop quelle pulsion bizarre le poussait à faire des tours de livres, mais le résultat était là. Certains étaient bien en train de se courir après dehors et de se rouler dans l'herbe, alors il ne voyait pas en quoi vider les étagères pour s'en faire une maison précaire aurait pu être considéré comme répréhensible. Si à la rigueur cet endroit avait possédé une bibliothécaire – autre que sous la forme d'une apparition vaporeuse et évanescente – fâchée à l'idée de voir sa belle classification ruinée par un pensionnaire en mal de divertissements, il aurait pu se montrer courtois et éviter de vider toutes les étagères pour un prétexte aussi puéril. Mais comme ce n'était pas le cas... Un, deux, trois, un nouvel arc-en-ciel poussiéreux alla se nicher au creux de ses bras. Malgré la mélancolie de l'enfermement et son agacement croissant, cette atmosphère qu'on qualifiait de 'vieillotte' et l'odeur des livres lui rappelait son chez-lui. Nostalgique qu'il était après tant de temps passé entre ces quatre murs gris qui le retenaient prisonnier, Antoine se sentait bien dans la bibliothèque.
Ou mieux qu'ailleurs, en tout cas.

Ses mèches blondes se balancèrent et glissèrent dans son dos quand il se pencha pour poser les nouveaux arrivants sur les précédents. Il se redressa et épousseta sa chemise blanche pour en ôter la poussière qui s'y était collée, et vérifia que sa veste, posée sur le dossier du fauteuil en face de celui dont il se servait pour entreposer son bazar, n'avait pas entre temps disparue dans les mains d'un esprit frappeur facétieux. Rassuré par l'éclat bordeaux qu'il y distingua, il reporta son attention sur la marée d'ouvrages qu'il avait amené sur la table et qui débordait sur le fauteuil et près d'un pied du meuble en bois. Il en saisit un au hasard et l'ouvrit à la volée, sincèrement peu curieux de savoir ce qu'il pouvait contenir. Dans ce tas hétéroclite de pensées et de jugements sans la moindre valeur, il avait vu des réflexions philosophiques, théologiques, des romans d'aventure et d'amour, des rapports sur des états dont il ne connaissait pas l'existence et les traces d'une vie que les autres nommaient passé et qui était son futur. Combien de fois s'était-il attablé avec la ferme attention de découvrir entre ces lignes serrées le secret improbable d'une échappatoire ? Les pages furent secouées et tournées sans entrain; puis le livre jeté sur ses confrères. Il en glissa et atterri à terre sans que ça chagrine Antoine, qui avait repris sont petit manège dénué de sens avec un autre.
Quand on comprenait enfin que lire tout ça ne servait à rien, on en sortait quelque peu blasé et découragé. Mais comme le jeune homme n'avait rien de mieux à faire que perdre son temps d'une manière ou d'une autre, ça ne le dérangeait pas vraiment. En plus, on ne pouvait guère faire pire: le regard qu'il portait sur le monde était déjà assez ennuyé comme ça. Ce que les autres pouvaient être bêtes, tout de même...

Sur cette pensée, il jeta le livre par dessus son épaule, sans humeur et d'un geste souple. Qu'allait-il pouvoir faire avec ça ? Un feu de joie ? L'idée l'emplit d'un plaisir cynique et il secoua la tête dans le vide. Bien sûr, rien de mieux que faire flamber une partie du manoir pour se sentir mieux. Monsieur n'étant pas Pyromane, il se prit à considérer d'une manière plus sérieuse la maison de livres. Peut-être qu'il pourrait s'y enterrer avec un dernier soupir. Et toute cette lecture pour l'éternité...

De toute façon, de l'autre côté du monde des vivants, il y était. Ils y étaient déjà.
Peut-être que faire un feu de croyances abracadabrantes n'était pas une mauvaise idée: mais ce ne serait pas de sa main, hélas.
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MessageSujet: Re: Tes croyances, j'en fais un autodafé {Chess}   Tes croyances, j'en fais un autodafé {Chess} Icon_minitimeJeu 18 Avr 2013 - 23:05

Carnaval de poussière
Eden de connaissances
Toujours ambré de la même redondance.


-

Partout c’était pareil, le même décorum, le même principe d’organisation, pareil. Même dans ce hangar d’âmes damnées par la facétie, dans ce remaniement obtus de Daresbury , il ne s’apposait aucune différence notable à la fondation, l’utilisation et l’apparence de cette bibliothèque. Toutes pareilles, identiques, all the fucking same !

Pas que ce soit une mauvaise chose, je me contentais simplement de constater, lorgnant d’un regard sans lentille, les étagères bondées sur lesquelles rebondissaient quelques rayons lumineux, gracieuseté de l’insistant soleil qui perçait les nuages depuis le début de la journée. Des flocons de poussière flottaient paresseusement dans les airs, virevoltant au rythme des mouvements des intellectuels qui allaient et venaient à leur guise, entre les rangées. Ils n’étaient pas très nombreux, aujourd’hui, se profilant, de temps à autres, dans le coin de ma vision, alors que je déambulais posément quête de quelque chose.

Antoine et une muraille d’ouvrages de papier me paraissait être une chose convenable. Je l’observai d’abord de loin, mèches blondes, chemise blanche et terrible contenance, alors qu’il allait et venait, momentanément coupé du monde, entre le nombre croissant de livres qu’il entassait sur un fauteuil, sur une table et les tablettes de bois sur lesquels ils étaient originellement entreposés. Il semblait à la fois absorbé et désintéressé par sa tâche, jetant les bouquins dans le désordre, sans réellement se soucier qu’ils n’atteignent pas leur objectif, d’une manière terriblement familière –n’est-ce pas Makishima, tu te rappelles la dame gammée martelant ton front et ma langue s’enroulant autour de tes synapses, tu te rappelles, tu te souviendras toujours de moi, n’est-ce pas–, du moins, suffisamment familière pour m’arracher un sourire, un rictus bordant la suffisance, suintant d’insolence adolescente.

Chaussure bordeaux, bourgognes, de ce rouge-rose sombre qui rappelle les tapisseries d’époque, glissant contre le plancher lisse de la salle de savoir interprété, je m’approchai de lui doucereusement, me penchant, fléchissant mes genoux, la colonne droite, pour ramasser le dernier tome ayant rencontré de trop près le sol. J’en observai le titre, quelques secondes, glissant mes pupilles sur le mot ‘dogme’ avant de les relever pour les poser sur mon colocataire, sur Antoine. Qui venait de jeter un autre livre par-dessus son épaule, ha. Rideau blond disparaissant derrière son dos, je ne pu réprimer la penser récurrente, le petit soupir nostalgique. Ferme les yeux, scotche un sourire sur ton visage et parle dans une voix qui n’est pas la tienne, change tes traits et deviens quelqu’un d’autre, autre chose. Ne voudrais-tu pas m’octroyer ce charmant plaisir, me laisser effleurer l’illusion ? Tes cheveux sont un peu trop longs, mais tu feras l’affaire. Bien sûr que tu feras l’affaire.

Je déposai le livre par-dessus ces congénères qui fourmillaient d’inertie sur la surface de la table, glissant jusqu’au fauteuil pour ensuite, lentement, un à un, rejoindre le sol. J’en saisi quelques uns dans mes mains, construisant la muraille fictive qui s’était chargé d’attirer mon attention, redressant les ouvrages pour les empiler, tous droits. Comme un mur, derrière lequel Antoine pourrait se cacher. Ce serait bien mieux que de se noyer dans un désordre de pages à l’encre à demi effacé.

« Tu compte construire un nouveau château dans lequel t’enfermer ou créer un océan suffisamment large pour t’y perdre ? »

J’avais rencontré Antoine lorsque les yeux violacés d’Émile m’avaient montré le chemin jusqu’à la chambre numéro dix des dortoirs masculins. Pas encore suffisamment proche, à l’époque, d’Aliss pour squatter chez elle, pour amadouer Schlagvu le monstre, et encore trop ignorant pour avoir découvert William, la petite fée, le sang de Lawrence. Et donc, grâce à Émile, grâce à cette petite bouche arrogante de laquelle ne s’échappait aucun son, j’avais rencontré les individus de la chambre. Alejandro et sa clairvoyance –oui j’insistais, j’insistais, dis-moi ce que tu vois, emmène-moi dans ta tête mon chaton– et Antoine, presque trop définissable pour l’être réellement.

Et dans cette définition trop pointue pour être définie, se prélassaient ce genre de remarques, succinctes et bourrées de ce que je croyais être une grossière éloquence. Voulais-tu t’enfermer, voulais-tu te perdre, voulais-tu te noyer ? Moi, j’en avais parfois encore envie, mais shhh il ne fallait absolument pas le révéler. Un secret dans les tempes, un murmure qui s’était enfui lorsqu’Aliss avait guérit mes paumes et qui prenait posément en largeur dans un coin de ma tête, quelque part où on n’avait pas réussi à effacer le sang de Gontrand.

Je claquai ma langue contre mon palet dans l’imitation d’un rire sale, désignant les hauteurs du plafond d’un moulinet sans sens de ma main, gesticulant vivement pour communiquer ma pensée. Je ne voulais pas rester immobile comme tous ces bouquins.

« Ce serait un bâtiment, ou un lac, à ciel ouvert, car de construire un toit avec des livres me semble plutôt, impossible, ya see ? »

Parler pour parler, parler pour initier, sourire dantesque étirant mes lèvres pâles, alors que je m’approchai encore un peu plus, suffisamment pour lui subtiliser un des tomes des mains. Encore des mots sur la couverture, toujours pareil. Je lirai le prochain livre à la reliure solide qui n’aurait ni image, ni mot sur la couverture. Oui, j’aimais les mots, mais les gens leur apposaient de telles utilités, quittant les paradoxes, les métaphores et, frisson plaisant, les contradictions, alors peut-être que parler sans les mots . . .

Je haussai un sourcil à l’intention de celui auquel je comptais affubler le rôle de mon interlocuteur pour le moment, allant déposer le livre que je venais de lui prendre parmi les autres avant de lui lancer un regard, par-dessus mon épaule, plus goguenard que le renard du corbeau. Si vrai dans toute cette ironie de fausseté qui ne servait pas à cacher l’hypocrisie, mais plutôt la curiosité.

« Bonjour, Antoine. »



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MessageSujet: Re: Tes croyances, j'en fais un autodafé {Chess}   Tes croyances, j'en fais un autodafé {Chess} Icon_minitimeDim 21 Avr 2013 - 5:40

...

C'était curieux comme nos mains prenaient les mêmes chemins, même après des années d'oubli et une dimension magique entre les deux; un volume rouge à la couverture frappée d'arabesques dorées entre ses doigts fins, Antoine parcouru quelques lignes d'une page jaunie ouverte au hasard de son caprice. Une histoire d'amour, sans doute, quelques paroles mièvres et sans consistance qui lui tirèrent un sourire ironique. Comme le petit garçon qui sillonnait bravement la bibliothèque familiale, la main sur les tranches colorées pour en sortir celui qui attirait le plus son regard d'enfant de cinq ou six ans, il en avait tiré cet ouvrage poussiéreux paré de quelques délicates touches d'or. Enterré là, sous mille et un semblables qui attendaient patiemment qu'une main avide de connaissance ne les tire de leur coma et ne leur fasse vivre les aventures coincées entre leurs phrases imprimées ou manuscrites. Combien de dragons attendaient là d'être terrassés, combien de discours d'être lus, de thèses d'être confrontées ? Il y avait à ses pieds tout un océan de mots et de verbes qui se mélangeaient en une bouillie incompréhensible de sentiments contradictoires. Il ferma le livre aux couleurs chatoyantes dans un bref claquement, le remit sans douceur à sa place. Inintéressant.
Antoine aimait beaucoup les livres, pourtant. Il n'avait pas été rare, quelques années auparavant, de le trouver endormi à son bureau devant un livre, la tête entre les bras. Mais ici, au pensionnat, il y avait trop d'ouvrages et trop de temps: la pensée qu'il aurait pu lire l'intégralité des étagères qui craquaient sous le poids de ces œuvres fades le démoralisait à s'en mordre la langue. A quoi servait une bibliothèque d'une telle envergure si on pouvait posséder tout ce qui se trouvait en son sein ? Antoine voulait pouvoir sélectionner ses lectures, rire et les empiler dans les bras de Marie ou d'Eric en se disant qu'il n'avait pas trop de toute sa vie pour en lire ne serait-ce que la moitié. C'était comme ça que ça marchait – là-bas. C'était comme ça qu'il voulait vivre. Mais tout ça, ça faisait longtemps qu'on lui en avait ôté la possibilité. Oui, bien longtemps. Presque trop.
Toujours pas assez.

Il se baissa pour prendre un livre vert bouteille qu'il considéra d'un œil fixe et égal. Lui, il était vraiment laid. S'il avait eu une allumette sur lui, il l'aurait sans doute réduit en cendres. Comme ça, juste parce que sa couleur ne lui plaisait pas et qu'il en avait assez de se saouler d'histoires abracadabrantes durant son temps libre. Quoique c'était mieux qu'aller perdre sa crédibilité dans une bouteille et s'affaler au milieu d'un couloir, le tout en se pensant rudement intelligent. S'il devait payer pour les autres, qu'il s'immole avec honneur: ce n'était pas tous les jours qu'on pouvait expier les crimes de tout un peuple. Ahah.

Il y a beaucoup de choses que je méprise; la première est l'Amour, qui nous crucifie pour rien. Celui-là sur sa croix, comme il doit bien en rire, à présent.

Un mouvement lui fit lever les yeux vers une tour de Babel entreprise par un fou aux cheveux trop clairs pour être naturels; qu'est-ce qu'ils ont tous, se demanda Antoine, à forcer ces couleurs improbables sur leur tête ? L'idée même lui paraissait absurde et il en frissonnait de penser aux siens, étouffés sous un vert ou un rouge à l'éclat artificiel et déplacé. Celui-ci parlait par énigmes, et Antoine n'était pas certain de comprendre sa réponse s'il s'aventurait à lui poser la question. Un jour, néanmoins, il le ferait: le jeune homme aimait comprendre, quand bien même il aurait parfois du s'en abstenir. Mais comme on le savait, on était seul maitre de sa conduite et de ses décisions. Père et mère oubliés depuis longtemps, laissés de l'autre coté de la porte, conscience balayée d'une épaule depuis de nombreuses années. Antoine avait honte de peu de choses, dans les faits. En regrettait encore moins.

« Tu compte construire un nouveau château dans lequel t’enfermer ou créer un océan suffisamment large pour t’y perdre ? »

Un château ? Le blond jeta un œil aux livres entassés sur la table, sous la table, sur le fauteuil. Mortier de pensées et pierres de recueils pour un joli château de songes ? Il faillit en rire. Il voulait bien une pluie de pages pour remplir son océan à sec, par contre. Ça manquait d'eau, chez lui, il n'avait jamais aimé la perspective de s'y retrouver noyé un jour. Les pages, par contre...
Ou un ciel d'encre pour s'y refléter. C'était bien, aussi.

Au milieu des livres, dans cette pièce où le temps était comme suspendu par le silence, Chess était un tourbillon de couleurs et de manies erronées. Antoine suivit des yeux ses gesticulations sans y penser, parce que le contraste était assez surprenant pour qu'il s'y laisse prendre. Il y avait vraiment de drôles d'oiseaux au pensionnat, n'est-ce pas ?

« Ce serait un bâtiment, ou un lac, à ciel ouvert, car de construire un toit avec des livres me semble plutôt, impossible, ya see ? »

Ya see, oui. Depuis qu'il avait brûlé un drapeau du Royaume Uni sous la fenêtre d'Emrys en guise de représailles (cet imbécile n'avait pas à brûler celui de son pays en premier pour oublier ses peines de cœur, aussi), il voyait surtout que cette langue devait le haïr du plus profond de son être.
Antoine reprit un autre livre de sa main libre et comme un enfant à qui l'on aurait lancé un défi, colla les deux ouvrages l'un à l'autre par la tranche, puis les inclina vers l'extérieur. C'était stupide, tout sauf concret, mais est-ce que vider les étagères pour tromper l'ennui l'était plus ? Il sourit de sa bêtise, contempla son toit fictif avec une vague envie d'y mettre le feu – oui, encore. Ça devenait embêtant, cette histoire de cendres.
Chess, un jour je t'expliquerai ma notion relative de ce qu'est un 'toit'.

Son interlocuteur subtilisa une moitié de sa création avant qu'il ait pu la rompre lui-même. Antoine ne fit aucun commentaire, se contentant de suivre le mouvement que Chess imposait au captif, qui alla bientôt rejoindre la masse anonyme étalée sur la table de bois. On ne pouvait pas poser un mot sur ce sourire qu'il lui adressait, c'était tellement hors de tout. C'était une anguille qui nous glissait entre les doigts. Entres les siens, à tout le moins. Les yeux bruns d'Antoine passèrent en un éclair du sourire de Chess au vert du livre: ah, cette couleur le consternait décidément énormément. Il le garda pourtant entre ses mains quand l'autre lui lança par dessus son épaule, comme si de rien n'était, un bonjour qui résonna dans ses oreilles et le long des étagères vides.
Bonjour, Antoine. Bonjour. Son nom, pour la première fois de la journée.

« Bonjour, Chess, lui répondit-il avec ce sourire qui lui était coutumier, je comptais plutôt m'en faire une tombe et m'y enterrer. Je ne sais pas nager. »

Pas de toit. Le toit, c'est le sol des autres. Ça compte toujours ?
Ce n'était pas comme s'il pouvait mentir, de toute façon.

« Ou tout brûler. Seulement, on m'en voudrait certainement et je n'ai pas de feu. »

Pas comme s'il se préoccupait de l'avis des autres pensionnaires, cela étant. Il n'avait surtout pas de feu, et un dessous de moral qui lui chuchotait que réduire un bâtiment en petit tas de cendres grises n'était pas une idée lumineuse.
A défaut de faire partir en fumée toute la bibliothèque, il se contenterait de ce livre vert qui ne voulait pas quitter ses mains. Et pour tous les autres ouvrages, que faire ?
Il leur lança un regard en biais avant de le reposer derechef sur Chess. On peut les lire, les manger, les découper, s'en moquer, on peut tout en faire.
Tant et si bien que rien ne lui venait.



Et moi donc. Urh, j'espère que mon poste ne t'abimera pas trop les yeux. 8'D
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MessageSujet: Re: Tes croyances, j'en fais un autodafé {Chess}   Tes croyances, j'en fais un autodafé {Chess} Icon_minitimeSam 29 Juin 2013 - 0:05

J’aimais beaucoup ses cheveux. Constat d’idylle qui évoquait un attardement sournois sur le physique saupoudré de poussière de pages de mon interlocuteur blond. Mon regard encre alternait périodiquement entre le doré de ses mèches et l’entassement de livres croissant sur le mobilier avoisinant nos corps, alors que mes pas s’agençaient à son parcours initial, traçant un chemin entre ce que nous avions établi être un lac et les étagères contenant le matériel qui nous servirait en remplir ce dit lac. Oui, un lac, car malgré les phrases jetées dans l’air, l’eau me paraissait une alternative plus généreuse que la terre. Antoine avait prétendu, en réponse à mon interrogation visant à ouvrir le dialogue, qu’il s’affairait à s’ériger un mausolée, une tombe étouffante qui le couperait à une vitesse agonisante de son oxygène et l’enfermerait dans un univers muet. Une mort lente, sans pitié et dépourvue de beauté. Mes lèvres s’étaient écartées, en un sourire plus critique, à l’ouïe de sa réponse, lui reprochant silencieusement sa logique. Je refusais de l’aider à fabriquer une tombe, de l’aider à s’enterrer. Bien sûr, j’aurais pu rebrousser le chemin, chercher autre chose, et l’abandonner à son sort, à ses métaphores hirsutes qui germaient posément, mais . . .

J’aimais bien ses cheveux et la possibilité d’arriver à définir ce qu’on ne définissait que par une définition trop pointue. Antoine en un mot, en une phrase, en une image. Des termes pleins les yeux et des non-dits derrière les dents. Un nouveau bouquin entre mes paumes, du même rouge que mes chaussures celui-là, au titre enfantin, sans mélodie. Un bouquin de plus pour le lac forestier qui servirait de lieu de repos éternel à mon colocataire. Je l’imaginais se débattre contre le courant indomptable des livres, arquant son dos et portant ses mains vers le ciel dans une tentative peu fortuite de vivre.

Mais il serait trop tard. Il est toujours trop tard . . . J’appuyai le coin d’un énième tome sur le bord de mes lèvres, élargissant mon sourire et élevant un sourcil dans sa direction, laissant filtrer dans la bibliothèque des paroles empreintes d’une moquerie contemplative.

« Raison de plus pour choisir la noyade plutôt que l’enterrement. Ne pas savoir nager, I mean. Lorsqu’on s’enfonce dans l’eau, comme celle-ci est transparente, on sombre entouré de percées colorées. Alors que si on s’enterre, seul le noir opaque de la terre froide nous porte compagnie. »

Une inspiration, un regard désabusé en direction de ce qui était devenu, à mon sens, notre pile de livres et des souvenirs jouant à l’intérieur de mes pupilles. Un regard ciel et des mèches noires, la contemplation de cette même idée morbide et les même mots pendus sur la même langue. Je m’étais égaré, n’est-ce pas ? En l’espace de quelques années, je m’étais perdu, j’avais laissé derrière tout ce qui m’établissait être celui que je voulais devenir. ─Are you disapointed in me, my beloved creation ? Did I fail you, did I fail myself ?─ Me laisserais-tu me noyer avec toi, Antoine ?

« Si je devais mourir, je préférerais que soit avec toutes les couleurs du monde présentes pour me souhaiter un bon sommeil. »

Je laissai, encore, manège constant, toujours la même chose, le tome s’ajouter à l’échafaudage de pages, glissant mes phalanges contre les reliures et attrapant leur titres des yeux, les lisant à voix hautes. Des cristaux translucides pour mieux renaître, car si les phénix trouvaient leur salvation au sein des flammes, la mienne se situait dans la transparence. Avec toutes les couleurs du monde. À quoi ressemblait ta mort idéale, Antoine ? Tu n’oserais pas me dire qu’il s’agirait de t’enterrer, tout de même. Right ?

Right ?

Dévoilement de dents, voracité tirée d’entre deux courants d’air. Des non-dits derrière les dents et des souvenirs dans les pupilles. La salvation par l’eau et le feu, ainsi que des contradictions à la dizaine découlant des prétentions consignées dans les ouvrages que nous promenions de nos mains. Répondre par bloc, décortiquer toutes ses paroles. La suite maintenant, le feu mis de l’avant, craquant et caquetant, bruyant et invitant.

Le feu dans le sang. Je pouvais te montrer cela n’importe quand, la braise dans les veines et la lave séchant sur les nerfs. Ricanement, un, puis deux et pourquoi pas trois ? On balais le bleu, on balais l’eau, on garde tout cela pour plus tard. Pour jamais.

« Quoique tout brûler c’est encore mieux. La mort c’est crade, anyway. »

Il parlait de conséquences, de la nausée des lois et des normes. Assurément, on t’en voudrait, mais le venin de quelques rats ne valait que très peu lorsque comparé à l’exaltation et l’intensité de la possibilité que tu évitais. Des flammes partout et la terreur, la vie, de ceux qui avaient préféré se terrer entre de hautes étagères plutôt que sous le soleil. Et ce manoir se rafistolait de lui-même, anyhow. La Véranda et sa fleuraison s’était chargée de me le prouver. Les conséquences relevaient de l’illusion, comme toutes ses pages barbouillées de savoir subjectif, d’interprétations personnelles.

« Si je brûle tout à ta place, personne ne pourra t’en vouloir . . . Qu’en dis-tu ? »

Je lui donnerais le choix. Comme je l’avais, il y avait de cela si longtemps, donné à un autre, dans l’espoir de ne pas me voir déçu. Le psychologue dans le trône du patient et les flammes entre les synapses qui n’arriveront jamais percer le rêve. J’aurais tant voulu qu’il brûle tout, ce jour là. Il avait fait mieux, il avait eu tort.

Antoine réparerait tout cela, n’est-ce pas ?

Je farfouillai dans ma poche et en extirpai l’un de mes compagnon de toujours, un briquet simplet, tout d’onyx vêtu. Je l’agitai au-dessus de la pile de papier, croisant le fer avec ses yeux bruns.

Loin d’être bleus.

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MessageSujet: Re: Tes croyances, j'en fais un autodafé {Chess}   Tes croyances, j'en fais un autodafé {Chess} Icon_minitimeVen 24 Jan 2014 - 23:53

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Il lui lança un regard presque fâché ; peut-être pour lui reprocher de toucher à quelque chose qui ne lui plaisait pas ou pour enfoncer une épine dans un raisonnement qui ne lui paraissait pas dépourvu de sens – mais lui électrocutait bien la colonne vertébrale. Il ne pouvait pas savoir. Et Chess non plus ne pouvait pas savoir que pour lui, l'eau était constamment semblable à celle de la Seine qui s'écoulait, fainéante, dans un lit sale et marécageux en plein cœur d'une ville empuantie par l'odeur des fumées grasses des abattoirs. Un livre sur un autre. Non, il ne pouvait pas savoir que la terre lui paraissait plus accueillante dans ses poumons que ce liquide noirâtre qui ne cessait de s'agglutiner à ses songes. Encore un. On pouvait chanter sa beauté et ses louanges, de son temps, elle ne ressemblait guère qu'à un amoncellement de cadavres qu'on récupérait plus loin dans un filet. L'eau avait le goût de la mort, et la Seine était laide.
Antoine se trouva trop critique, même à son goût pointilleux. Il n'allait pas empêcher Chess de se maintenir la tête sous l'eau s'il le laissait s'assommer de fausses philosophies et de poésies douteuses en retour. Les différences faisaient la joie de tous les gratte-papiers, elles laissaient de longues traînées de poudre derrière elles. Il n'y avait qu'à voir tous les opinions entassées dans de si petits volumes, comme si l'auteur avait voulu y condenser sa pensée et la rendre la plus compacte possible. Il fit vibrer quelques pages pour le plaisir de les entendre fouetter l'air, libérant cette odeur de renfermé qu'il appréciait tant. Il l'avait aimée, autrefois. Il avait aimé aussi, entre deux étagères. Celles-ci étaient mornes et ne lui inspiraient que la plus parfaite indifférence.

Il ferma le livre, songeant que c'était tout aussi bien. On se perdait vite entre deux draps de regrets. On pouvait même s'y noyer sans perdre pied, en silence.

« Si je devais mourir, je préférerais que soit avec toutes les couleurs du monde présentes pour me souhaiter un bon sommeil. »

Antoine aurait aimé lui parler d'une fille qu'il avait connue et qui avait embrassé son reflet d'un peu trop près. Il aurait aimé lui dire à quel point il était certain qu'elle avait souffert jusqu'au bout et qu'en fermant les yeux, elle n'avait dû voir qu'une surface déformée pour lui mirer quelques mots d'amour du bout des lèvres – de ceux qu'on oublie si vite et pour lesquels, paradoxalement, on se retrouve debout sur le parapet d'un pont, en équilibre précaire. Qu'elle n'avait eu le temps d'apercevoir aucune couleur car là-dessous il n'y a rien pour vous souhaiter bonne nuit ni vous tenir la main. Antoine laissa une réflexion imparfaite se perdre entre les mots de Chess, qui passaient par une oreille et ressortaient par l'autre sans laisser leur marque.

La couverture qu'il aimait le mieux était celle qui ne portait aucune lettre d'or sur sa face vieillie.

« L'eau est aussi noire que la terre. Tu serais déçu. » Finit-il par dire, ayant réussi à maintenir debout une petite tour qui ondulait dangereusement comme une danseuse ivre. Il en était tellement persuadé que même sous un arc-en-ciel de bulles multicolores, il se serait obstiné à tout voir en noir et blanc.

Le feu gardait sa préférence, même si comme Chess le disait, c'était crade. La mort n'était pas belle, il lui donnait son assentiment. Elle raidissait les bras aimés et empêchait les lèvres de s'étirer sur un sourire qu'on avait tant baisé. Elle n'avait guère d'allure qu'au théâtre, à la scène, là où rien n'était vrai et offert à l'enthousiasme ou la vindicte publique. Elle n'était belle qu'enveloppée de grands mots et tombait le voile une fois dans son plus simple appareil. Nue, elle était défigurée, elle n'avait rien d'attrayant. C'était pour cette raison qu'Antoine ne comprenait pas qu'on puisse y poser le pied de soi-même.

La mort n'a rien de fascinant, Chess. C'est beaucoup trop simple. C'est beaucoup trop lâche.

« Si je brûle tout à ta place, personne ne pourra t’en vouloir . . . Qu’en dis-tu ? »

Question piège ? Le jeune homme supporta son regard sans ciller et sans la moindre gêne – il aimait bien les jeux pourvu qu'on attende rien de lui, pourvu que ça ne laisse au matin que des traces superficielles. Il finit par sourire en retour quand il réalisa qu'il s'en moquait éperdument. Qu'avait-il à perdre, sinon l'attention d'un fou qu'il soupçonnait capable de voler même avec une aile cassée ? A moins qu'il n'ait jamais quitté la terre et que tout ça se passe dans sa tête. Chess, tu es sûr que tu dois baisser la tête pour dévisager les autres ? Chess, tu es sûr que ce n'est pas plutôt le contraire ?

« Et si je te laisse faire, qu'est-ce qu'il me restera ? Peut-être pas ce que tu veux entendre. »

Il avait envie de le vexer. Vieille habitude de gamin préoccupé des réactions qu'il pouvait susciter chez les autres. En mal encore, puisque l'enfant ne sait jamais s'y prendre autrement que brusquement – et qu'il ne disparaît jamais totalement.
Son amour était extrêmement maladroit.

« Quel sort réserve-tu aux gens qui te contrarient ? »

Il voulait mourir comme il l'entendait, et pas sous l'eau. Jamais sous l'eau. Je déteste les cordes.
C'était fou comme un simple mot pouvait amener cette obsession malsaine. Il se sentait tout à coup extrêmement mal à l'aise, et il ne savait pas si c'était la faute des livres qui tournaient vers lui des regards presque centenaires ou les déplacements d'air trop peu naturels dans son dos. Antoine lança le livre vert à Chess, celui qu'il n'aimait pas. Elle aimait le vert. Il détestait cette couleur de bouteille grossière.
C'était électriquement statique. Il n'aurait pas été contre bouger un peu. Provoquer la main du spectre. Ou de Chess.

Yoyo:
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