Lorsqu’elle sorti de la salle Yume, la nuit commençait à tomber et le couloir était vide ; la seule silhouette qu’elle était capable de discerner dans l’obscurité était celle d’Emily, une dizaine de mètres plus loin déjà. Elle laissait l’eau que ses vêtements n’avaient pu éponger s’écraser dans son sillage et c’est tout en allumant fébrilement une cigarette que Garry balayait la moquette à la recherche de flaques dans lesquelles ses escarpins en daim auraient été susceptibles de s’abimer.

Bientôt elle se détourna d’elle et pénétra avec prudence dans les dortoirs, le visage baissé dans l’espoir d’en dissimuler la teinte bleue. Elle se glissa dans sa chambre avec toute la rapidité dont elle était capable chaussée de 14 centimètres de talons pour réaliser que la salle de bain était prise ; Aarhyel s’y était enfermée et, malgré les coups qu’elle infligeait à la porte, ne daignait pas de lui ouvrir. Chienne cracha-t-elle en se courbant vers sa table de nuit, seul endroit où subsistaient les produits de beauté qu’elle n’avait pas posés sur le bord du lavabo (elle manquait sérieusement de place). Dans sa hâte elle manqua de laisser s’échapper son dissolvant dont le bouchon se dévissa suffisamment pour en tremper ses doigts. Elle jura une fois de plus, essuya ses mains poisseuses avec une des « lingettes hydratantes aux noix et aux amandes » dont elle dû ouvrir le paquet avec les dents avant de se lever avec sa crème désincrustante (pour le bleu de son visage), sa trousse a maquillage (afin de se farder à nouveau une fois sa peau redevenue normale) un flacon de vernis rouge (pour remplacer celui que le dissolvant avait précédemment effacé), et finalement sa crème réparatrice (pour ses bras abimés par la brulure des fougères) et quelques cotons qu’elle enfoui dans le sac à main en cuir accroché au son porte manteau, à l’instar de l’épaisse veste en fourrure d’hermine qu’elle enfila précipitamment avant d’en rabattre l’épaisse capuche sur son visage boudeur.

Elle n’avait pris que quelques minutes et, déterminée à retrouver un visage humain, se pressa de gagner les toilettes ; elle ne s’attarda pas sur le fait que la lumière soit allumée, qu’une des cabines soit fermée, ne prit pas le peine de souligner d’une grimace répugnée la saleté de la pièce, les traces de doigts sur le miroir ou des empreintes humides sur le carrelage, et posa bruyamment son sac sur le bord du lavabo le plus propre dans lequel s’écrasait bientôt la cendre de la cigarette qu’elle avait toujours aux lèvres. Elle évitait avec obstination de croiser son reflet, et ne se le permis qu’après avoir passé sur son visage angoissé un de ses cotons trempé de démaquillant. Elle effaçait les dernières zébrures turquoise avec acharnement lorsqu’une des cabines s’ouvrit derrière elle.

Trente minutes passées avec Garry, deux humiliations, dont un échec cuisant. Elle voulait VITE sortir de cette pièce pour oublier cette maudite blonde trop maquillée, trop grande et trop maigre (tiens ça rappelait quelqu’un) et pour faire quelque chose de constructif de sa journée au lieu de crapahuter dans la salle Yume pour des prunes – elle pourrait crapahuter dans la chambre n°2 par exemple, ce serait chiant pour Nao et ça serait digne de l’éruption volcanique de Garry. Chouette programme. Elle bifurqua donc vers sa chambre, allant chercher de quoi se changer. Elle poussa la porte, se dirigea vers son armoire et cherchant parmi le fouillis ambiant. Là, un t-shirt portable, non ? Elle attrapa du bout des doigts le tissus, et y jeta un coup d’œil un peu plus approfondi. Bon, ça irait. Elle enfila le haut blanc, enfilant son short bleu marine, et comme un parfait petit matelot elle se rendit à la chambre n°2. Sauf qu’en fait, il fallait qu’elle s’arrête aux toilettes – car évidemment, il n’y en avait pas dans les chambres.
Elle soupira, et se rendit aux toilettes, ouvrant la porte et s’asseyant sur la cuvette d’un air résigné. Elle haïssait ces toilettes, toujours sales, toujours mal fichues. Elle grommela, tandis qu’elle entendit quelqu’un entrer dans la pièce. Oh oh, elle se pencha un peu, mais serait-ce les chaussures de la délicieuse Garry ? Oui oui oui. ET MERDE.

Elle finit par ouvrir la porte, se plantant sur le seuil.

« PUTAIN ENCORE TOI ?! »

Elle lui jeta une œillade meurtrière et tourna le robinet, se lavant les mains dans le lavabo. Elle le faisait machinalement, d’un air absent, avant de se retourner vers Garry.

« Ha, t’as enlevé le bleu finalement. Dommage. »

Ce fut à cet instant qu’elle remarqua un petit détail, qui, lorsqu’il était attrapé, devenait énorme. Sans maquillage, Garry ressemblait grave à… un mec. Hahaha.

« Oh putain, en fait c’est pour ça que Nao te kiffe, t’es un genre de transsexuel drag queen !!! » s’esclaffa-t-elle de façon très gentille.

Les cotons (bleus, noir rouge -provenant respectivement ; du liquide précédemment issu de la théière, de eye-liner et du mascara « maxi-volume » enfouis dans son sac, et de son rouge-à-lèvre couleur groseille) chutaient par-dessus la cendre dans le lavabo tandis que penchée vers le miroir elle s’affaissait maintenant à appliquer sur son visage nu une lingette hydratante. Dans un pincement de lèvres hautain, elle entreprit de ne pas croiser le regard d’Emily, subitement apparue derrière elle; Garry était plutôt vexée que celle-ci ait ignorée ses réclamations quelques minutes auparavant, et surtout embarrassée d’avoir eu à lui demander (demander ! Presque supplier) quelque chose -mais il y avait des choses sur lesquelles on ne plaisantait pas ! Son corps, son visage, et ses cheveux (d’ailleurs attachés pour l’occasion -pincés afin que ses mèches blondes ne se glissent pas sur son visage humide).

Elle comptait donc l’ignorer dans le but de préserver son amour-propre; la mention de son visage teint en bleu, alors qu’elle écrasait sa cigarette parmi les disques démaquillants, la fit pourtant tressaillir (elle devait s’y attendre, supposait-elle. Emily ferait ça toute leurs vies) ; et si elle s’apprêtait à accorder à l’adolescente un hochement de tête qu’elle désirait faire passer pour de l’indifférence, comme si le souvenir ne l’embarrassait absolument passes joues rougirent soudainement de colère lorsqu’Emily se mit à évoquer sa féminité sujette à débat ;

« Va te faire foutre, pauvre fille ! » Cracha-t-elle avant de se retourner avec véhémence et de faire quelque pas en sa direction, le regard torve ; elle la fixa quelques instants, penchée sur elle, et quelque chose (quoi ? la lueur de défi dans les yeux d’Emily, son air narquois et nonchalant peut-être) acheva de l’agacer ; elle fulmina :

« Tu me saoules avec tout ça, tous tes trucs, putain, je ne t’ai rien dit. »

Constatant avec ravissement après quelques secondes que son affirmation était exacte, bien qu’elle ne puisse définir exactement ce qu’elle entendait par le « ça » la précédent (en fait, quelques poignées de secondes supplémentaires et elle en aurait été capable : ses remarques goguenarde et la façon dont elle avait de se moquer d’elle alors qu’elle mesurait 1m50 et portait des baskets. En fait, si elle n’avait pas été aussi orgueilleuse : Emily n’aurait même pas dû avoir la permission de la REGARDER, mais c’était sans doute une punition trop douloureuse aux yeux de son inconscient prétentieux.) et malgré le fait qu’elle soit franchement humiliée par la raillerie d’Emily qui avait visiblement « touché un point sensible » parmi tant d’autres chez elle, Garry se redressa avec un peu plus encore d’assurance du haut de ses talons hauts (et aussi : avec une certaine animosité - une malveillance vicieuse) et ajouta avec hargne:

« Et arrête de parler de Nao, d'accord? Ça t’obsède et c’est ridicule. »

Allez, il fallait l’avouer : elle haïssait Garry, et toutes les acidités qu’elle lui rejetait au visage n’étaient qu’une manifestation de sa jalousie. Voilà, c’était dit. Mais elle ne l’admettrait jamais, ça non, il était hors de question qu’elle concède à Garry ses dernières paroles ; Nao ne l’obsédait pas. C’est tout.

« Mais ma pauvre chérie, c’est pas moi qui suis pendue à son cou alors qu’il te trompe toutes les deux heures… »

Elle savait que tout ce qu’elle faisait était gratuit, qu’au fond Garry n’avait pas vraiment fait quoi que ce soit qui pourrait la déranger – ce n’était qu’une pouffiasse parmi d’autres, elle n’était pas obligée de lui en vouloir après tout. Mais non. Ca, elle ne se le disait pas : elle voulait la haïr, alors elle le faisait, voilà tout.
Du haut de son mètre cinquante-deux (précision importante), elle regardait la demoiselle masculine de haut, ignorant autant qu’elle le pouvait ses remarques acerbes. Au final, elles se ressemblaient un peu, non ? Bon, à 30 cm d’écart, mais à part ça, elles étaient toutes les deux chiantes, masculines, goguenardes et surtout susceptibles. C’était sans doute pour ça qu’il les aimait bien toutes les deux…
PUTAIN ça y est elle repensait à lui. Elle chassa ces pensées étranges de sa tête, et se concentra de nouveau sur Garry.
Attendez, mais qu’est-ce qu’elle foutait là de toute façon ?! Pourquoi elle restait ici ? Elle avait terminé tout ce qu’elle avait besoin de faire, elle allait pas en plus se farcir l’autre blondasse juste pour le plaisir, hein…

« Bon, salut. »

Elle commença à s’avancer vers la porte, la poussant avec son épaule pour l’entrebâiller, tournant le dos à l’apprentie ladyboy mannequin.




[Okay, j'avoue, ça craint.]

« Non.» Elle cracha en barrant la porte -et de ses doigts soigneusement manucurés, fébriles et blafards elle harponna violemment les étroites épaules d’Emily.

Malgré l’épaisse veste en fourrure qui étoffait vaguement son corps osseux et sa taille rendue imposante par ses hauts talons, sans maquillage et passablement éreintée, Garry était loin de représenter la figure d’autorité auquel elle aspirait à ce moment-là -elle s’en rendait amèrement compte alors qu’elle enfonçait ses ongles dans la chair lisse et froide d’Emily, creusait hargneusement dans ses omoplates. C’était presque nerveux, machinal et inconscient ; et elle relâcha vaguement son étreinte lorsqu’elle en prit conscience avant de répéter : « attends »
Elle n’était en vérité pas certaine de ce qu’elle voulait lui dire mais l’idée de la laisser partir maintenant, de sa propre initiative, l’irritait. Elle était consciente pourtant qu’Emily ne lui implorerait jamais l’autorisation de disposer -ne l’implorerait jamais de rien ; elle était Emily et Garry supposait qu’elle préfèrerait mourir que ça.

« Tu... »

Si elle était paraissait embarrassée, mordait nerveusement sa bouche sèche c’était notamment et surtout parce qu’elle n’avait aucune raison de la retenir auprès d’elle dans des toilettes humides et blafarde -aucune bonne et légitime raison ; même pas un prétexte acceptable. Butée, elle refusait d’aborder le sujet de Nao -avec Emily ou non. C’était quelque chose qui la rendait maussade ou fiévreuse mais rarement ou jamais enthousiaste -elle le griffait avec une cruauté incompréhensible et lui subtilement ou pas, susurrait des remarques railleuses et c’était souvent, exclusivement, ça.
Si elle le blâmait sans culpabilité ce n’était franchement pas une solution concluante et Emily le soulignait avec justesse -elle n’était pas sûr d’apprécier l’intention pourtant. Et elle restait silencieusement penchée vers elle et son visage -son nez retroussé et sa bouche boudeuse - dans une proximité plutôt embarrassante, tentative ultime d’intimidation plutôt maladroite. Elle était consciente de sa lourde odeur de tabac et de parfum capiteux et de démaquillant -quelque chose de mielleux, amer et plutôt indigeste assez réconfortant dans la façon dont il imposait sa présence.

« Moi, je ne t’ai jamais rien fait. » elle articula finalement. Le moi visant avec plus ou moins de tact, son adorable-et-jovial éphèbe de petit-ami.

Elle sentait sa main s’enfoncer dans son épaule comme les serres d’un rapace. Un rapace vêtu de fourrure et peinturluré comme une Drag Queen. Bon. Un sourire goguenard naquit sur ses lèvres, et elle repoussa Garry du bout de ses doigts de pachyderme anorexique. Attends, attends, attends… Elle n’allait pas non plus lui supplier de rester auprès d’elle pour lui tenir un mouchoir et éponger ses larmes quand même ? Elle soupira, et plaquant sa main libre contre la porte de la petite pièce sympathique, Emily contemplait la pauvre petite mannequin.

« Jeee ? Jeee ? Tu vas y arriver Barbie, encore un petit effort… »

Barbie. C’était habituellement dédié à Nao, mais aujourd’hui elle pouvait faire un petit effort rien que pour elle. Elle avait certes l’air un peu mal à l’aise, déconcentrée peut être, mais c’était loin d’arriver dans le top 5 des soucis d’Emily (le premier étant de se venger, le second de pécho Nao et le reste il valait mieux ne pas les connaître – mélange de Pétra, choses interdites et de la Tour). Autant dire qu’elle s’en fichait comme de ses chaussettes trouées – ou des premières culottes de Garry, du moins si elle avait toujours été une femme.
Elles étaient assez proches pour se donner un baiser, ce qui dérangeait fortement Emily qui avait d’autres souhaits que ceux-là (la pelle c’est mieux). Elle poussa Garry du bout des doigts en s’appuyant sur son nez, le sourire ironique retrouvant place sur ses lèvres. Il se fana instantanément cependant lorsqu’elle articula sa dernière phrase, et Emily comprit immédiatement la teneur de la phrase. Comment osait-elle ? Juger ses relations avec Nao, juger comment il la traitait. Elle sentait la chaleur monter et son visage s’embraser, si bien qu’elle préféra tourner court à la conversation. C’était beaucoup moins drôle quand c’était elle la cible des moqueries, en particulier lorsqu’elles pouvaient être vérifiées. Mais ça, elle ne l’accepterait jamais.

« T’en sais rien petite princesse. Ca fait longtemps que je le connais tu sais, ton charmant petit… petit ami ? Enfin le truc qui y ressemble quoi… Quoi que, même pas. »

Elle ne se laisserait pas désarçonner, ce serait trop jouissif pour Garry, du moins le pensait-elle. Elle préféra sourire, tripotant la joue de la charmante asexuée, la pinçant entre ses doigts.

« Mais bon ma bichette, sois pas triste, y’a peut être un autre crétin à vouloir de toi… »



[Allez Garry, rentre dans la porte bien ouverte \o/]