Alicia renifla bruyamment, les yeux encore clos. Il y avait vraiment une sale odeur. A quoi cela pouvait-il ressembler? Du hareng fumé, mouais, ça devait être ça. Avec une légère odeur de café cramé, une pointe de crème peut-être? Nan... Pas assez raffiné pour ça. Alicia cligna des yeux, aveuglée par une lumière pourtant terne et moribonde. Trois choppes vides étaient étalées juste devant son nez, un léger filet de bière s'écoulant encore de l'une d'elles, hommage à une soirée bien consommée.
La jeune femme renifla encore. Oui, c'était bien du hareng fumé. Qu'est-ce qu'elle pouvait détester le hareng fumé ! Elle cligna à nouveau des yeux, cherchant à éclaircir sa vision. Beuh... Ce mal de tête ! La table sur laquelle reposait son crâne endolori était pour le moins inconfortable. Vieux bois crasseux depuis longtemps creusé de sillons. Et le tabouret sur lequel elle reposait? On ne décelait même plus sa couleur d'origine.
Nouveau battement de paupière.
*J'suis où là? Trop miteux pour le Ver de Mer et pas assez pour le Lion Vagissant. Reste la Gelée Verte et le Cygne sans Tête.*
Alicia entendu alors la patronne beugler contre son larbin pour qu'il ré-essuie le bar.
*Mouais, le Cygne sans Tête, ça fait aucun doute.*
Nouveau clignement des yeux. Oh eh puis cette odeur de hareng fumé ! C'était vraiment abominable. A croire qu'on en faisait cuire exprès pour la motiver à se bouger. OK elle était habituée à passer ses soirées dans ces tavernes mal famées ces derniers temps, mais s'endormir sur une table crasseuse auréolée de cadavres de chopes de bière... C'était une première. Du moins pour cette semaine.
Alicia ricana, ce qui lui relança son mal de tête. Xann devait se faire un sang d'encre ! Au risque de se percer le crâne la jeune femme s'autorisa un deuxième ricanement. Quelle tête il ferait s'il la découvrait là !
Alicia prit une grande inspiration et releva la tête.
*Ouh ça tangue !*
La taverne était encore plus bordélique que d'habitude. Jonchée de cadavres de bière et de soulards endormis comme elle sur leur table, le calme relatif n'était perturbé que par les beuglements de la patronne. Les rideaux étaient tirés mais le soleil levant laissait percer un ou deux de ses rayons, donnant comme un air de mysticisme à la pièce.
Alicia releva tout à fait la tête, ou plutôt la redressa, posant son menton sur la table, fronçant les sourcils. Il y avait quelque chose aujourd'hui, un évènement particulier, et cette pensée ne lui plaisait pas. Elle savait qu'il y avait quelque chose mais sans se rappeler quoi elle savait qu'elle ne l'apprécierait pas. Bref, haussant les épaules et poussant un long soupir elle se décida à entamer cette journée qui se laissait désirer.
Se redressant elle confondit plafond et plancher, et, ni une ni deux, elle tomba à la renverse, les quatre fers en l'air, sur le dos, regardant à l'envers la patronne qui, s'apercevant de l'identité de sa cliente, ne savait plus où se mettre.
Alicia gloussa, et, tout en restant le monde à l'envers, improvisa un "salut" de la main à la patronne. Celle-ci eût le bon goût de détourner le regard et de s'en aller derrière le bar s'occuper de ses affaires.
Basculant cul par dessus tête elle se retrouva à quatre pattes, sa boisson d'hier venant toquer à sa gorge pour savoir s'il était temps de sortir.
*Misère... J'suis dans un d'ces états !*
Mi-trainant mi-marchant à quatre pattes, Alicia se glissa jusqu'à la sortie de l'établissement pour le moins douteux. La lumière du jour, cette fois, crue et claire, lui perça quelque peu les yeux avant qu'elle s'y habitue, mi-grognant mi-jurant.
Elle aperçut devant elle une fontaine. C'était la providence même ! Un regard à gauche, un regard à droite. Et ce mal de tête ! Chienne de vie, ne pouvait-elle donc l'épargner un instant? Ses yeux étaient plissés pour filtrer la lumière et épargner quelque peu ses orbites déjà bien mis à mal.
Glissant de pas en pas, se redressant à moitié, elle se jeta littéralement dans la fontaine qui disposait d'un bassin généreux où elle put s'immerger totalement. Oh divine sensation que cette fraicheur de l'eau ! Elle sentait déjà les séquelles de la veille se disperser.
Sortant la tête de l'eau elle prit une grande et bruyante inspiration. Elle se sentait revivre. Deux gardes se dirigeait vers elle. Tournant la tête vers eux ils écarquillèrent des yeux, la reconnaissant. Ne pipant mot et détournant le regard ils s'inclinèrent légèrement devant elle et poursuivirent leur route comme si de rien n'était. Alicia gloussa derechef. Elle adorait semer ainsi le trouble chez les autres.
De nouveau debout et fraiche comme l'aurore, Alicia s'étira, s'épanouissant à une nouvelle journée où faire les 400 coups s'avèrerait l'activité principale.
Le soleil éclairait sa peau d'albâtre, ses longues boucles roses dévalant sur son dos et sur la courbure de sa poitrine. Elle portait son habituel maillot de bain rose clair mais avait pour une fois relégué son casque dans sa chambre. Pieds nus comme à son habitude elle sauta à pieds joints pour sortir du bassin.
Se dirigeant vers le manoir de sa démarche dansante et chantonnant doucement, elle n'accorda pas un regard aux garçons dévisageant ses formes outrageusement exposées. Oh elle faisait honte à la famille Merwyn, et ce, de bien des manières, mais c'était un jeu auquel elle excellait et qui ne cessait de la divertir de bien des manières.
Arrivée à l'enceinte qui cerclait le manoir Merwyn, elle se glissa derrière la grille par le petit trou qu'elle avait pratiqué il y a de cela des années pour permettre ces escapades nocturnes. Le dissimulant de nouveau afin de ne pas perdre ce loisir auquel elle tenait tant, elle se dirigea jusqu'au cerisier devant la fenêtre de sa chambre. Y grimpant avec agilité elle bondit dans sa chambre d'une des solides branches de l'arbre.
Poussant un soupir de satisfaction elle s'étendit sur son lit, ses boucles roses venant comme tracer une auréole autour de son crâne. Fichue soirée ! Elle en était engourdie de partout. Ce n'est qu'après un toussotement qu'elle réalisa que son frère était en réalité présent à l'entrée de la pièce dès le début de son apparition.
Il lui déblatéra un discours de son air pompeux et insupportable habituel. De manière à bien l'exaspérer elle mima, toujours allongée ses mimiques, traçant dans l'air de grands gestes des bras et mimant une façon de parler ampoulée avec de grands mouvements de lèvres. Elle cessa cependant ses mimiques en entendant les mots "anniversaire" "banquet" "mariage". Se rappelant soudain ce qui était prévu pour la journée elle se releva, avec un air très digne, acquiesçant, se rapprochant de son frère comme résignée.
Puis, profitant de son effet de surprise, fonça de côté pour le contourner et s'engagea à toutes vitesses dans le couloir pour l'empêcher de l'attraper. Elle cria, même, pour le défier :
"Tu m'attrap'ras pas, tu m'attrap'ras pas !"
Dévalant les escaliers à toutes vitesses, elle bouscula un couple de nobliaux venant de pénétrer dans le manoir pour le banquet d'anniversaire et les fit tomber à la renverse, semant la zizanie, fonçant vers la cave.
"Faut apprendre à tenir sur ses pattes les vioques !"
Voilà qui retarderait son frère, lui qui tenait tant à "l'image de la famille".
Fonçant dans la cave, elle aperçut une porte sur la gauche, celle habituelle qui donnait sur la cave à vin, mais une autre porte sur la droite qu'elle n'avait curieusement jamais vu jusqu'à maintenant. Elle connaissait pourtant chaque pièce du manoir comme sa poche. Curieuse, elle s'en approcha, mais interrompue par l'arrivée de son frère.
Levant les mains avec exagération, comme pour se rendre, elle fit une mimique effrayée, tout aussi exagérée pour l'exaspérer davantage encore.
"J'me rends ! Écoute, j'veux bien te suivre où tu veux, seulement si j'peux jeter un tout piti piti regard derrière c'te porte. Ça roule ma poule?"
Elle utilisait volontairement un vocabulaire très familier pour l'agacer mais, sans attendre sa réponse, se dirigea vers la porte qu'elle ouvrit, succombant à sa curiosité, passant de l'autre côté, ayant du mal à comprendre tout ce qui s'exposait à elle.