À mon époque, l'adultère était tout aussi tabou qu'à votre époque. Et pire encore s'il y avait enfant, celui-ci n'avait aucune éligibilité dans la famille. Ce fut mon cas. Père était très frivole, surtout avec les belles domestiques qu'il employait. Normalement, il leur incombait d'avorter avant que Mère ne s'en rende compte. Vous imaginez bien que Mère était au courant du vice de son Mari, mais tant que cela ne s'ébruite pas elle jouait les faux-semblants pour le bien de la famille. Sauf qu'une des domestiques n'avorta pas comme la règle l'obligeait. Un scandale aurait dû éclater. La famille aurait dû perdre toutes crédibilités aux yeux des autres bourgeois. Mais il ne se passa rien. La domestique accoucha, prit son argent et disparu. Laissant une fille aux griffes de cette famille.

Mais étant la seule enfant de l'homme, je fusse élevé par ma « Mère ». Si on puis appeler cela de l'éducation. Lorsque nous étions invités en société, je devais jouer à la petite fille modèle. Traité avec mépris par cette femme qui se faisait passer pour ma mère. Totalement abandonné par mon propre géniteur, qui devait sûrement voir en moi la domestique dont il a abusé éhontément. Seule. Toute seule, je suis. Seule ? Non dans les recoins de cette demeure, il y avait un monstre terrifiant, plus terrifiant que Mère : Carmilius. Le chat de la maison. Un être d'une totale perfidie. Se cachant dans l'ombre pour mieux me faire peur. J'étais persuadé qu'il m'espionnait pour le compte de Mère. Chaque fois que je faisais une bêtise, que je récurais mal la vaisselle, Mère arrivait soudainement et me châtier avec sa canne. Je le voyais ! Le sourire sournois de Carmilius, comme s'il était heureux d'avoir rapporté mes erreurs et de me voir, me faire battre. J'étais maigre, je n'avais pas le droit de souper comme les autres. Tout ce dont j'avais le droit, c'était du pain rassis et de l'eau comme repas du matin au souper. Mon anniversaire ? Rien ! Je n'avais même pas le droit de le fêter. Mère disait « elle est née un 25 décembre, cela suffit amplement comme cadeau... » Mais elle rajoutait d'un air si méprisant « ... même si elle n'est pas un cadeau ! Ou plutôt un cadeau empoisonné. » Mais un jour Père, est-ce par pitié ou par générosité, m'offrit mon premier et unique livre : Alice au pays des Merveilles.

Mon esprit étriqué transposa l'histoire du livre dans mon imaginaire. Mais mon imaginaire n'était pas celui d'un enfant aimé. Je me perdis dans les méandres de mon esprit. Plus le temps passé moins j'arrivais à discerner la réalité de mon imagination. Carmilius se transforma en Cheschire, un chat plus terrifiant, à m'en rendre folle. Ce rêve cauchemardesque me poursuivit aussi longtemps que j'essayais de fuir le « pays des merveilles » que j'avais créé. Mère devenant la Reine Rouge voulant me couper la tête, mon père l'homme aux chapeaux fous. À 19 ans, alors que Père et Mère étaient de rendez-vous, je mis feu à la maison familiale. Pansant que Cheschire se tapissait dans les ombres pour me tuer. Je péris dans les flammes de ma folie.

J'errai dans les limbes de ma propre folie. Essayant en vain de fuir les protagonistes du pays des Merveilles dans les rues de Paris. J'étais persuadé que tous voulaient me tuer, plus que je ne le suis déjà. Avec un seul but : rapporter ma tête à Cheschire. Tous ? Non pas tous ! Un seul n'était pas pris par ma folie. Un petit être... Enfin plus grand que ces comparses, mais s'affublant d'un gilet rouge, d'une paire de lunettes et d'une montre gousset. Toujours à répéter qu'il est en retard. Durant 125 ans, je dus survivre à ma folie, débusquant les pièges orchestrés par Cheschire. Ce qui ne me fit pas tomber totalement dans la folie ? Ce jour ou Père m'offrit le livre. Ce jour où j'ai vu pour la première fois un sourire apaisant s'affichait sur le visage de Père. Seulement pour revoir cela, je ne sombrerais pas. Mais le destin en décida autrement.

Alors que j'échappais à la Reine Rouge et son armée, me retrouvant au bois de Boulogne. Un tic-tac incessant me fit stopper de ma course frénétique. Essoufflé, me rapprochant du tic-tac, entendant une phrase simple : « En retard ! Je suis en retard ! » Derrière un arbre se tenait le Lapin Blanc, consultant sa montre gousset. À ma vue, il sauta dans son terrier. Devais-je le suivre ? Ou alors devais-je pousser les portes du manoir qui s'offrait à moi ? Je crus entendre mon cœur battre... Mais je suis morte. Plus j'avançais vers le manoir, plus mon cœur se mettait à battre fortement. Alors, mes mains redevinrent entité pour pousser les portes. En entrant je sentis une douce brise chatouiller mes cheveux. J'espérais qu'en poussant les portes de ce manoir, j'y trouverais le pays des Merveilles sains d'esprit... Ou pas !

✘ Que peut penser un inconnu d'Alice : Elle paraît extrêmement distante, voir froide. Elle est d'une timidité maladive. Peur de s'approcher, de communiquer. Néanmoins, elle se comporte en enfant ayant reçu une éducation parfaite. Jamais grossière, d'une politesse à toute épreuve. Tout dans la retenue, jamais de superflus lorsqu'elle prend la parole - même si de mémoire de vivants, personnes n'a jamais entendu le son de sa voix.

✘ Que disent d'elle ces proches :
✘ Mère : « C'est un fardeau ! Une erreur même de la nature. J'ai tout mis en œuvre pour éduquer cette enfant, en vain. Une empotée de première, elle n'a aucune personnalité et n'arrive même pas à se comporter correctement avec des enfants de son âge. C'est une enfant vraiment bizarre. Vivement que mon cher mari m'offre un second enfant moins simple d'esprit. »

✘ Père : « C'est une enfant sage et timide. Je sais qu'elle paraît froide, mais elle est pourvue d'une imagination folle. Elle arrive à s'inventer des mondes merveilleux. J'espère qu'un jour, elle arrivera à se faire des amies. »

✘ Que dit le Pays des Merveilles d'elle :
✘ Cheschire : « Alice ? C'est une fille gentille. Joyeuse et joueuse. J'aimais bien jouer à chat avec elle, mais je n'ai jamais compris pourquoi elle avait si peur de moi. »

✘ La Reine Rouge : « J'avais recruté Alice pour repeindre mes rosiers en rouge et aller chercher mes hérissons de golf. C'est un véritable tir au flan… QU'ON LUI COUPE LA TÊTE !! »

✘ Le Chapelier Fou : « Nous prenions souvent le thé, mais un jour Cheschire a débarqué pour jouer à chat et la pauvre petite prise d'une démence a voulu lui planter un couteau. Devant m'interposer, elle croit désormais que j'essaye de l'assassiner pour le compte du chat. »

Je ne suis pas très grande, moins d'un mètre et soixante-dix centimètres, je fais très maigre, certains me considèrent anorexique, voir rachitique. Les autres domestiques de la maison disaient que ma folie venait de ma couleur de cheveux. Une tignasse longue et lisse d'un roux flamboyant, à en mettre le feu à la maison, que j'agrémente toujours d'un nœud. Je porte le plus régulièrement possible des robes, en même temps les femmes de bonnes familles et bien éduqué ne porte que des robes, souvent à fleur et dont la couleur se rapproche de mes yeux bleus. Anormalement éteins, vide, sans aucune once de lueur de vie. J'agrémente mes robes d'un tablier, cela évitait de me salir lorsque je devais faire la domestique. Aujourd'hui je trouve que cela a du charme et fait 'habillé'. Tout cela rehaussait par des escarpins noirs vernis.