Et je trimbale ma carcasse, Alfred roupillant tranquillement dans mon capuchon sombre. J'ai fouillé dans les garde-robe de mes colocataire et me suis sélectionnée une tenue légèrement plus décontractée qu'à mon habitude. D'où le hoodie surplombés d'une chemise chic que je porte.

Je tiraille mes boutons de manches pensivement.

Les couloirs me semblent toujours plus infinis chaque jour. Pourtant après une semaine, je respire déjà plus facilement. Je suis plus à l’aise et je me conforme plus facilement à l’idée d’être coincé, au dégoût d’une probable fuite. Après tout, ce n’est pas comme si j’étais seul au monde dans cette grande baraque et mes colocataires de chambre ne sont pas exagérément bruyants. Bon, l’envie m’a souvent prise de fracasser la console de Liam contre le parquet, mais armé de décence, je n’ai point agis. Le fait est que, au final, je suis plus chez moi ici que je ne l’ai jamais été ailleurs depuis la mort de ma mère.

Le hall me salue, glauque et sinistre. La liasse de papier accrochée au babillard, puis le mec qui violente la porte. Ah. Un nouveau damné. Je n’ai pas particulièrement envie de le réconforter, il s’habituera à la réalité qu’est le pensionnat bien assez vite.

Un majestueux oiseau cri. Alfred sursaute dans ma capuche et couine piteusement, sentant la présence du prédateur. Je fronce les sourcils, embêté, pendant que le nouvel arrivant s’éparpille dans une discussion hébété avec son AEA. J’imagine que si Alfred se serait mit à me causer, j’aurais sérieusement douté de ma stabilité mentale. Quelques temps. Jusqu’à ce que je me rende compte que la plupart des bêbêtes étaient vouées du don de parole en ces lieux. Au fond, mon rat est plutôt anormal.

Silence. L’oiseau de proie ne dit plus rien. Le pauvre gars non plus d’ailleurs.

« Bienvenue dans ce déroutant pensionnat. Vous y êtes désormais prisonnier. »

Mon apparition est terne, je marche lentement jusqu’à ce que deux maigres mètres de distance nous sépare. J’exécute une légère révérence, comme l’étiquette le stipule, puis m’égare dans les idioties mondaines que composent chaque première conversation décente.

« Je suis William M. Hufflestring. Je suppose que vous avez de la chance d’être tombé sur moi et non sur un des drôles de zozos qui arpentent ces couloirs. »

Je souris malgré moi en repassant les souvenirs de la transe mystique d’Alea dans mon cortex. L’étrange n’est pas toujours une mauvaise chose. La sorcière en est bien la preuve.

« Je vous suggère de commencer par lire ces feuilles », dis-je en pointant distraitement le babillard. Alfred gigote dans ma capuche. « Si vous avez, par la suite, des questions, je me ferai un plaisir d’y répondre. Ce manoir est particulièrement inquiétant lorsqu’on si perd sans guide. »

Alfred couine piteusement, le faucon l’effraie. Ça me déplait, je glisse une main dans mon capuchon sombre histoire de le rassurer. Ma position doit semblée étrange, mais qu’importe, mon rat passe avant les apparences.

« Que cela ne vous déplaise brave volatile, je compte décider par moi-même si cet ‘abruti’ représentera pour moi une infortune . . . »

Je n’apprécie pas juger aux premier abords, même si les premières impressions s’avèrent généralement être les plus véridiques. Les exceptions existeront toujours, qui sait si le jeune homme me faisant face n’en est pas une. Surtout que pour l’instant, l’opinion que j’ai à son égard demeure assez générale, voir totalement neutre. Il s’est retrouvé à un endroit opportun pour une rencontre avec ma personne. Voilà tout.

Alexei se déplace jusqu’au babillard, des émotions contradictoires transformant son visage. Tout le monde passe par là, je me demande comment il s’apprête à vivre la douloureuse réalité de son emprisonnement soudain. Le réalisera-il à l’instant ou le choc viendra-il sournoisement dans la nuit ?

J’étouffe un soupir et l’observe se rapprocher, perplexe. Devrais-je m’emplir de pitié à l’adresse de ce malheureux ? J’entrouvre les lèvres.

« Je . . . », mais ma phrase déprimante ne se voit pas accorder le luxe d’aboutir.

S’en suit une légère altercation entre mes deux interlocuteurs qui prouve être plus comique qu’éprouvante. Je ris dans ma barbe, presque silencieusement. Le nouveau frappe son oiseau, l’acte semble le soulagé profondément. Je souris.

« Bricoler . . . ? Vous aimez fabriquer des objets, mon cher ? ».

Bricoler ? C’est un passe temps ? Que voudrait-il bien faire dans un manoir dévasté ou la technologie est quasi-inexistante. Je promène mes yeux sur le plafond et ses toiles d’araignées. La crise de panique m’ayant expédiée au grenier lors de mon arrivée me semble si loin maintenant. Si ça peut l’aider à gérer les imminentes crises existentielles, à moins qu’il soit de ceux qui ne remarquent pas l’anormalité de notre situation commune. ..

« Je suppose que vous pourriez trouver asile dans le grenier. Cette salle est remplie d’objets diverses dont la plupart n’ont pas réellement été identifiés. Ça et des ours en peluche. Aussi, je suppose que si vous aimez bricoler, vous pourriez rafistoler la cuisine, son état est plutôt lamentable si vous voyez ce que je veux dire. »

Mes propositions s’arrêtent là. Je n’ai pas encore eu le temps d’explorer la totalité du manoir. Je cherchais désespérément la bibliothèque ce matin avant de m’égarer dans les couloirs et d’atterrir malencontreusement ici. Je préférerais une communion avec de charmants livres à une rencontre explicative avec un damné. Ah, douces pages qui tournerez bientôt entre mes doigts, vous me sidérez.

« De surcroît, je ne doute pas que certains ouvrages de la bibliothèque pourraient vous être utile en ce qui concerne vos créations. Il s’agit d’une vraie caverne d’Ali Baba, une mine d’or chatoyante. Vous ne pouvez qu’apprécier cet endroit. »

En aie-je trop dis ? J’espère que mon amour des bouquins, mon intérêt si soudain pour la conversation, ne l’indisposera pas. Mon orgueil en prendrait un coup. Pourtant je ne peux que m’emporter lorsqu’il est question de lecture.

« Oui, une bibliothèque. En effet, il parait que c’est le plus bel endroit de tout le pensionnat après le salon. Vous vous intéressez à la littérature ? »

J’esquisse l’ombre d’un sourire, charmé par l’idée. Puis l’autre, l’air incertain, presque farouche me demande s’il m’est possible de le conduire au royaume des mots. Je coince, fige, puis après un long moment passé à le fixer, agacé par son insolence inconsciente, je soupire. Mon bref sourire a disparu. Il me force à m’expliquer, à lui avouer que je me suis lamentablement perdu dans l’incessant labyrinthe que composent les couloirs.

« Mille excuses très cher, figurez-vous que je me trouvais moi-même à la recherche de ce charmant lieu avant de vous rencontrer. Vous me sembliez si désorienter que je n’ai pu m’empêcher de vouloir vous tenir compagnie. . . »

Je gesticule avec détachement vers l’entrée du hall menant directement à la cage d’escalier et aux charmants couloirs qui m’ont valu mon égarement passager et une rencontre plus que détestée. Je songe à Chelsea, cette blatte dégoutante, plongée jusqu’au cou dans ces déboires et à l’information qu’elle détient sur moi. Je réprime un grognement, il n’est pas convenable de se comporter comme un sauvage en présence de parfaits inconnus. De quoi aurais-je l’air ?

« Voyez-vous, les couloirs de ce manoir sont plutôt joueurs et auront tôt fait de nullifier votre sens des directions aussi aiguisé soit-il. Ce faisant, il n’est pas en mon pouvoir de vous guider jusqu’à la bibliothèque. Je m’y trouverais déjà si je le pouvais. »

Alfred persiste, ses couinements de plus en plus bruyants et remonte le long de mon capuchon, jusqu’au col de mon haut pour essayer de s’y glisser. Je le saisi doucement entre mes paumes et du revers d’une main le caresse affectueusement. Un animal de compagnie qui risque de ne jamais mourir me parait plutôt charmant, peu importe ce qui arrive, la solitude n’est pas une possibilité dans ce vaste endroit. Reportant mon attention sur Alexai, scrutateur. Je dois paraitre bien austère pour ce nouveau intouché par la panique.

Je jalouse presque face à son calme.

« Nous pourrions tenter de la trouver ensemble, mais je ne garantie pas que nous arriverions rapidement à destination. »

Alfred grimpe le long de ma manche. Je fixe Icarius avec insistance, le conjurant presque de tenter une attaque sur mon compagnon grisâtre.

« Qu’en dites-vous ? »

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J’accompagne son rire, joignant mes propres intonations aux siennes avec adresse. Pourtant mon regard se fait toujours aussi neutre, aussi distant et dépourvu de réelle chaleur. Un pensionnaire de plus, l’heure n’est pas à la réjouissance. Comment fait-il pour paraitre si peu perturbé ? Je suis entré dans une crise d’hystérie innommable à mon arrivé. Une crise à laquelle Holly à mis un terme en se détruisant la jambe sur je-ne-sais-trop-quoi. Quelle maladresse, si elle détachait son regard du petit écran de son DS de temps en temps, elle se porterait mieux. M’enfin, j’ose espérer qu’elle a évité les malheurs depuis notre rencontre.

« En effet, la chance du débutant est une force à laquelle il peut parfois prouver dangereux de se frotter. Je m’en remets à vous, mon cher. »

Il poursuit, je retrouve mon vague sourire. Effectivement, il aurait pu rencontrer Chelsea ou se mettre les pieds dans les plats en compagnie d’Alexander. Je n’arrive toujours pas à digérer cette histoire de poulpes carnivores. Je réprime en frisson.

« Certains de ces phénomènes de foire sont plutôt sympathique, mais il faut bien prendre en note de ne pas se laisser berner par l’innocence de certains. Évitez tout particulièrement la dénommée Chelsea Brown, elle soufflera le mal sur vous plus rapidement qu’une horde de serpents vénéneux menacés. C’est une blatte des bas fonds de ce pensionnat, une vermine de la pire espèce. »

Il y en a surement plusieurs autres, plus menaçants, plus déstabilisants que Chelsea, mais je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour rappeler à mon entourage et aux nouveaux arrivants de l’éviter. C’est final, mon ton ne laisse pas de place pour une quelconque contradiction de toute façon. Cette fille, c’est le mal. Point.

Je regarde Alexander se rembrunir et, aussi hypocrite que cela soit, son imperceptible changement d’humeur me réjouit. Nul ne devrait être aussi serein face à un enfermement non-mérité. Personne. Pas même un meurtrier en fuite.

Je câline Alfred, l’atmosphère m’entourant, à peine plus légère qu’il y a quelques minutes. Mon rat couine, mais semble lui aussi se calmer, malgré les yeux luisant qui le guette, posté bien haut sur le lustre.

« Judicieuse idée Alexei, arpentons le sordide labyrinthe définissant cet endroit perplexant. J’espère que vous serez aussi efficace qu’un trèfle à quatre feuilles et nous guiderez vers le pot d’or des leprechauns. »

Par le pot d’or, j’entends la merveilleuse bibliothèque que nous avons tous deux élus en tant que notre destination officielle. Alors que l’autre se met en marche, inquisiteur, j’en profite pour glisser Alfred dans la poche avant de ma chemise. Il y sera bien au chaud.

Puis, m’en remettant à la probabilité que le destin montre une parcelle de clémence envers mon compagnon, je le nonchalamment, rêvant déjà de tenir un bon gros volume de 1000 pages ente mes frêles mains.

Maintenant . . .

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