« J’ai rêvé que je retournais au lycée, cette nuit. J’étais chez moi, et j’allais faire la rentrée des classes. On disait mon nom complet, pas comme ici où je suis juste Mahaut. – Mahaut de Clairlac ? – Présente. C’était bizarre, Alea. Je retrouvais ma vie, mes profs, mes amis. Ils n’avaient pas vieilli, ils avaient la même tête que lorsque je suis partie. Mais moi, j’ai vieilli, et dans mon rêve, j’avais la tête que j’ai aujourd’hui. Des visages d’adolescents, et moi je n’étais pas comme eux. Ils le voyaient tous. J’avais beau être dans leur classe et me comporter normalement, je n’étais pas comme eux.
Dis, tu penses que… ça va paraître stupide. Si un jour on arrive à sortir, même si je n’y crois pas trop, tu le sais bien… Donc si un jour on arrive à sortir, tu penses qu’on arrivera à… redevenir normales ? A rentrer dans les rangs ? Toi, tu es là depuis un an, donc tu devrais t’en sortir, mais moi, moi, ça fait quatre ans que je suis coincée ici. Si j’arrive à sortir, je ne serais jamais comme les autres. J’ai peur, si je retrouve la liberté, d’être à jamais… marginalisée. »

Il se doit d'un Homme des vertus. Droiture. Courage. Bienveillance. Sincérité. Honneur. Loyauté. Respect. Ces grands mots, bien beaux sur le papier, sont pourtant suivis par de nombreux guerriers dont la force est alors mise à l'épreuve dans de rudes batailles. Malgré tout, il leur arrive de retrouver leur tendre famille. C'était le retour de son père que ce jeune garçon attendait, impatient qu'il lui conte ses exploits. Cependant, sa silhouette imposante n'apparut pas à l'horizon. Et elle ne réapparaîtra jamais plus.
Il se doit d'un homme des vertus. Quand celles-ci sont reconnues par l'Empereur, l'Orphelin pourra devenir un Homme.

Il avait accueilli en son sein le néant et l’immensité, le vide et l’accumulation. Portail fixe et immuable dans le temps, il enfermait en son être pourtant, un nombre incommensurable de changements, figés de manière indécente dans leurs bouleversements. Il était le Rien et le Tout ; il n’y avait simplement eu que l’avant et l’après.

Certains le haïssaient de trop chérir, faisant fi de ses bons soins et de ce qu’il leur offrait, ne voyant que leur détresse, marasme noir dont ils ne voulaient se sortir. D’autres savaient en revanche le reconnaître pour sa juste valeur, compatissant à sa solitude et son immobilité. Et puis restaient ceux qui choisissaient de le dédaigner, peu importe le mal que faisaient l’indifférence, le silence et l’oubli. Parce que tout ce dont il était capable, c’était aimer d’un amour-prison, cette sorte d’amour obsessionnel où les mots et les désirs ne sont rien face aux faits ; où penser n’avance qu’à se consumer soi-même.

De la vie, il avait vu passer les âges, les époques, les guerres et les répits. Il avait connu les pleurs et les déchirements, la douleur et la peine. Il avait vu des sourires naître aussi, et ô combien étaient précieux ces souvenirs ! Des sourires timidement esquissés, fragiles comme une tige de cristal mais suffisamment rares pour en devenir inestimables. Et d’autres encore, plus francs, plus libérés, des joies, des vraies qui lui réchauffent le cœur, lui qui devait se contenter de regarder de loin, muet et bienveillant.

Patriarche solitaire dont les enfants déambulaient sous son regard, à l’abri de ses bras immenses.

Dans son cœur sans visage, il sourit. Aujourd’hui plus que jamais résonneraient des milliers de pas, des milliers de lumières. Plus que jamais il recevrait l’innocence égarée, entrant dans son monde et brisant sa geôle.

Comme le monde qui vient.

« Cavecchio ! »
« ...Hein ? »
Alex cligne des yeux, émergeant d'un rêve. La première chose qui s'offre à lui est le stylo dans sa main gauche. La deuxième, le visage congestionné de sa prof.

Et voilà. Collé dès le premier jour... la classe. Le lycéen se renverse sur sa chaise en soupirant : Sa mère va encore gueuler ;super, la rentrée.
« Bien joué, hermano. » Glousse une fille.
Alex la regarde, affirmatif. Puis, il balaie la salle des yeux : près de la porte, il y a Diego et Esteban. Tout semble tellement normal...
La porte. Le souvenir frappe Alex avec violence, et des images de son rêve lui reviennent : Il y a des cris et des appels au secours. La peur ;un craquement sinistre.
Attends... quel rêve ?

Souvenir. Le garçon bondit sur ses pieds dans un fracas de chaise.
« Cavecchio, assis ! »
Mais Alex n'écoute rien.
« Echo ? Echo, t'es où ? »
Cette fois, c'est clair. Cette scène irréelle et son AEA absent l'indiquent : on cherche à lui faire croire que tout est redevenu normal. Que c'est fini, qu'il est sauvé. Foutaises. C'est encore un de leurs tours, c'est certain ;un énième maléfice des I. pour l'aveugler.
« C'est quoi le trip, encore ? Qu'est-ce que vous avez fait des autres ? »
Le garçon recule : ces illusions lui font miroiter des rêves de retour. Mais il ne les laissera pas faire ;peu importe quel sortilège ils emploient, il ne les laissera pas le tuer comme ses amis.
« C'est fini, j'y crois plus ! Je sais qui vous êtes ! »
Reprendre pied avec la réalité, venger les autres. Eux qui avaient découvert le chemin pour rentrer ;ils en étaient si proches... Réveille-toi, Alex !
« Je vous laisserai jamais m'avoir, jamais ! »

Jamais ;il y était presque ! Juste encore un peu...