Bien calé contre le dossier de la chaise, Alejandro ne cessa de frotter la peau nue de son bras gauche que pour y passer le bout des doigts ; en désespoir de cause, il alla même jusqu'à griffer méthodiquement la surface de l'épiderme. Il avait les ongles si courts qu'il sentait à peine les petites lignes rouges qu'il était en train de dessiner sur son avant-bras. Aux yeux des voyants, ça devait faire de jolies arabesques.
Aux siens, ça piquait juste un peu.
Mais peu importe qu'il les sente ou pas, hein, puisque le but n'était pas de se faire mal. Il voulait juste enlever ce qu'on lui avait collé dessus.
C'est à dire rien du tout, apparemment.
Il n'y croyait pas une seule seconde.
Peut-être qu'il en avait l'air, songea-t-il en tapotant toute la longueur de son bras en quête d'un bord sur lequel tirer, mais il n'était pas stupide. De la même manière que n'importe qui d'autre saurait reconnaître le regard soutenu et le rire stupide qui accompagnait les blagues de mauvais goût, lui savait ce que signifiaient les gloussements rieurs et la claque caractéristique d'une main contre sa peau. Déjà qu'il n'aimait pas spécialement toucher et être touché, il doutait fortement qu'on s'amuse à lui taper le bras sans raison.
Puis il avait cru sentir la caresse élastique d'un papier qui vient coller à la peau, juste avant la montée d'adrénaline brûlante provoquée par le geste. Il n'était pas fou. Il s'en sentait encore mal.
Presque décidé à abandonner le massacre de sa pauvre chair, le jeune homme replongea une cuiller dans le bol de yaourt auquel il n'avait presque pas touché — la faute aux rires et au bras qu'il ne pouvait pas voir. Un simple coup d’œil aurait suffit à confirmer qu'il n'avait rien, sinon.
... Remarquez, il pouvait toujours demander à quelqu'un.
Il n'en avait aucune envie, mais ça aurait encore été le plus simple ; il y avait toujours du monde à aller et venir dans les parages. Ils risquaient de le regarder bizarrement, mais ce serait toujours mieux que de vivre dans le doute jusqu'à trouver quelqu'un en qui il ait confiance.
C'est à dire grosso modo personne, de toute façon.
Il lui avait semblé entendre Claris s'exclamer depuis la cuisine, plus tôt, mais il n'était pas très sûr qu'elle soit encore là. Elle avait tendance à ne pas savoir rester en place.
Dépité et bien trop découragé pour avoir envie d'essayer de parler à qui que ce soit, il repoussa son bol de l'autre côté de la grande table. Bras tendus devant lui, un grognement ô combien gracieux aux lèvres, il laissa son front heurter le bois.
Il avait mélangé du citron avec de la fraise, de toute façon. Ce n'était pas très bon.
Le pire, dans cette histoire, c'était qu'il avait définitivement envie de quelque chose. Ça le travaillait ; il se sentait énervé, depuis tout à l'heure. Son estomac dansait la java.
Et impossible de déterminer pourquoi.