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 Asphyxie.

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(mangez-moi mangez-moaaa)
Claris Linden
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MessageSujet: Asphyxie.   Asphyxie. Icon_minitimeLun 26 Nov 2012 - 0:47

You can come now, we're awake. <= { Claris et Kélian }

    Claris ne sentait plus ses jambes. Son souffle s'étouffait dans sa poitrine, elle le sentait quitter ses poumons avec un chuintement et s'échapper par ses lèvres dans un halètement disgracieux. Plus de dioxyde qui sort que d'oxygène qui rentre, aurait dit son frère. Sauf que là, elle n'était pas en état d'y penser. Parce que là, son cerveau était vide ; il n'y avait qu'une seule chose qui le faisait encore tourner, un mot, un seul, une notion autour de laquelle son esprit tout entier s'était lové et à laquelle il s'accrochait désespérément. Courir. Cours, cours, fuis, ne t'arrête pas. La proximité de la mort semblait souffler une vague glacée sur ce corps qui hurlait à la torture, le poussant en avant, lui donnant des ailes. Cette seule injonction suffisait à animer ses jambes en gelée, à dilater ses poumons dans l'espoir d'y faire rentrer un peu plus d'air encore, à garder la main serrée sur le poignet de Kélian qu'elle tirait derrière elle.
    Elle vit défiler les tombes, la clôture délimitant le cimetière, se rua par l'ouverture et continua à courir, alors même que la terre battue avait fait place à une étendue de gazon vert, alors même que les deux jeunes gens avaient disparu derrière eux. Peu importe le paysage, la peur était toujours là, la menace toujours réelle. On pressait dans sa tête de courir toujours plus loin, si elle voulait vivre. Emmène-le loin d'ici maintenant, pars, si tu veux que vous surviviez tous les deux. Elle avait eu un trou. Du noir. Elle avait peur.
    Elle ne pouvait pas courir éternellement.
    Brutalement, son cerveau enregistra l'information et son corps sauta sur l'occasion pour faire valoir ses droits. Un point de côté vrilla les côtes de la fillette et ses muscles se détendirent. Elle s'arrêta net, et son corps la lâcha : elle lâcha tout, la main de Kélian, la sangle de son sac et le manche du couteau, et elle s'effondra dans l'herbe, les jambes coupées.
    Pendant un moment son esprit fut totalement vide. Rien que du blanc, un son aigu dans ses oreilles, sa gorge et sa poitrine qui brûlaient, et ses inspirations entrecoupées pour essayer de regagner un minimum d'oxygène. Un instant de répit pour se remettre.
    C'était sans compter la terreur, omniprésente, prête à fondre sur sa proie. Alors même qu'elle tentait de reprendre son souffle, Claris fut abandonnée par ses nerfs : elle s'étrangla entre deux respirations, puis éclata en sanglots.
    Et ça ne lui fit pas de bien du tout. Elle se contenta de pleurer bêtement, sans autre raison que l'horreur qui transperçait sa petite tête comme un scalpel aiguisé, et la certitude d'une impuissance totale. Et pleurer ne servait strictement à rien. Et elle le savait. Et elle s'en voulait.
    Mais quand même.

    Il lui fallut un moment pour retrouver ses esprit. Puis la fillette renifla, se frotta les yeux de deux mains pleines de terre, et releva la tête sur son ami que sa crise de larme avait momentanément balayé de son esprit. A cet instant, elle aperçut la tache rouge sur son bras et tout redevint clair. Terriblement clair.

      « Ça va ?! » S'exclama-t-elle malgré l'inutilité de la question Puis elle ajouta un : « Tu as mal ? Je peux t'aider ? » tout aussi approprié.

    Ou tout simplement stupide. Claris essaya de se rappeler ce que faisaient les héros dans les livres, dans ce genre de situation. Rien ne lui vint à l'esprit. Rien du tout.
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Kélian Ael
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MessageSujet: Re: Asphyxie.   Asphyxie. Icon_minitimeDim 2 Déc 2012 - 16:33

Claris l’entraînait à sa suite ; elle l’entraînait et lui se contentait de la suivre, trop préoccupé à aligner ses pas et éviter la chute pour pouvoir penser à quoi que ce soit d'autre. Peu lui importaient la direction et la cadence : il y avait juste ses pas, droite gauche droite gauche, et la douleur lancinante qui persistait dans son épaule. Tombe pas, tombe pas, tombe pas. Encore quelques mètres et ils seraient en sécurité, juste – quelques mètres.
Les deux garçons étaient loin déjà.
Tout lui semblait si ridicule ; et, tant qu'à s'enfoncer dans l'improbable, c'était une gamine de quasiment dix ans de moins que lui qui avait dû saisir son poignet pour le forcer à courir. Il voulait en rire alors même que si elle l'avait lâché, là, maintenant, il se serait probablement écroulé de nouveau. Face contre terre, sans même chercher à rester debout. Pitoyable.
Si sa fierté survivait à ça, il n'aurait plus jamais à avoir honte de rien.
S'il survivait.
Et putain, ce qu'il pouvait avoir froid.
Alors qu'il avait l'impression de courir depuis des heures, enfin, Claris s'arrêta. Il la sentit lâcher prise, la vit s'écrouler ; n'eut même pas le courage de baisser les yeux pour voir ce qui se passait. Il se contenta de jeter un regard circulaire au parc vide, l'air absent. Fit un, deux pas. Il voulut se laisser aller au sol à son tour, ne serait-ce que pour reposer ses jambes douloureuses, mais craint de ne plus pouvoir se relever s'il le faisait. Alors il resta debout, inspira profondément. Et rien ne changea.
Tandis que les sanglots de la fillette résonnaient dans ses oreilles, mille pensées se bousculèrent dans son crâne – le danger, la douleur ; ces pleurs qui lui vrillaient les tympans. Yeux clos, il tenta de trouver quelque chose à dire.
Il ne pouvait pas lui promettre que tout irait bien. Alors il se tut.
Encore une fois, il jura que ç'aurait presque été plus simple de mourir maintenant. Et s'il ne se décidait pas à faire quelque chose pour son bras, c'était sûrement ce qui allait finir par arriver. Alors il jeta un regard en biais à Claris, serra les dents. Puis, d'un coup sec, il déchira sa manche gauche. Le tissu n'émit qu'un faible bruit de protestation avant de se défiler sagement ; sans un regard pour la blessure.
Et maintenant ? Personne ne s'était imaginé qu'un jour il puisse se retrouver dans ce genre de situation. Personne ne lui avait appris. Il voulut s'en énerver, donner un coup dans quelque chose – bouger, n'importe quoi : son corps le lui refusa.

« Ça va ?! »

L'inquiétude de Claris réussit au moins à lui tirer un froncement de sourcil agacé. Balayant son aide du regard, il enroula maladroitement le tissu autour de son bras.
Évidemment que non, il n'allait pas bien. Mais entre le penser et le dire, il y avait un fossé qu'il ne tenait pas à franchir.

« Je suis vivant, grommela-t-il sans conviction. Mon bras moins. » Il serra son bandage de fortune à l'aide de ses dents, pressé de couvrir sa chaire à vif. « Toi, ça va ? T'es complètement abrutie, à... »

Revenir m'aider ? Les mots moururent dans sa gorge ; il baissa les yeux.
Merci aurait été plus approprié.
Sa marque, à demi couverte de sang séché, n'en restait pas moins suffisamment claire pour pouvoir être lue. Alors, au prix d'un effort qu'il cacha de son mieux, il plia son bras gauche pour mieux la regarder. S’entre-tuer, hein ?

« Peu importe. Ils peuvent pas nous obliger à tuer. Y'a pas tant que ça de tarés, ici. » Dit le type livide qui s'est pris un trident dans le bras. « Pas comme si on avait le choix, ajouta-t-il à voix basse, dents serrées. On est pas dans le même groupe, de toute façon. Hein ? »

Marque apparente, las et fatigué ; il y était résolu. Ces types étaient complètement cinglés. A quoi bon regrouper les alliés dès le début ? Lui, Claris, le taré, le blond, la rouquine... Tous devaient être dans un groupe différent. Il ne s'imaginait pas les choses autrement.

{ Lalala au moins c'est fait. B| }
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Claris Linden
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MessageSujet: Re: Asphyxie.   Asphyxie. Icon_minitimeDim 2 Déc 2012 - 19:49

    Que ferait un super-héros dans une telle situation ? Claris ne put que fixer le jeune homme arracher un morceau de sa chemise pour s'en faire un bandage, avant de se rappeler que c'était effectivement un truc que faisaient souvent les blessés dans les livres. Mais c'était étrange ; elle qui aurait pu citer l'intégralité du "guide de survie dans la jungle" qui était plus ou moins son livre de chevet, elle ne trouvait rien à dire en ce moment où cela aurait, peut-être, pu avoir une quelconque utilité. Sa tête restait vide.
    Parce que la réalité avait tout balayé d'un seul coup, d'un seul. Envolée la mascarade ; ce n'était pas un jeu. Et elle n'était rien de plus qu'une petite fille aux jambes trop faibles, aux bras trop minces, au corps trop fragile et à l'esprit trop stupide. Juste une petite fille normale, écervelée, un peu bête des fois, qui fanfaronnait beaucoup mais n'était capable de rien. Au fond, rien de rien. Rien que des rire stupides et des larmes inutiles ; Claris les sentit envahir ses prunelles bleues à la première parole un peu rude de Kélian. Elle qui ne pleurait jamais, elle se transformait à présent en véritable fontaine. Elle en avait honte, mais pas autant que de sa propre inanité. Il ne lui serait pas venu à l'esprit de reprocher au jeune homme une quelconque méchanceté, pour une fois : Parce qu'au fond, c'était de sa faute à elle.
    S'il était parti sans l'attendre, il n'aurait certainement pas été blessé comme maintenant. La tache rouge que son ami s'efforçait de dissimuler se brouilla devant les yeux de Claris dont la vision se morcelait en milliers de diamants liquides. La fillette passa vivement le poignet sur ses yeux et tourna la tête pour cacher ses larmes ; si elle pouvait alléger un tant soi peu le poids qu'elle représentait... elle ne voulait pas qu'on la prenne pour une pleurnicheuse. Elle avait toujours détesté qu'on la prenne pour une faible fillette incapable. Elle...

      « Pas comme si on avait le choix. On est pas dans le même groupe, de toute façon. Hein ? »

    Claris répondit par un reniflement, essuya derechef ses yeux trempés et leva un timide regard rougi sur Kélian, toujours debout ; regard qui descendit sur la marque qu'il avait au poignet. Gorge qui se serre à nouveau, lorsqu'elle se rend compte de cette forme ; cette bête forme qui normalement ne voudrait rien dire, mais qui pourtant signifie trop. C'était plus fort qu'elle ; pourquoi est-ce qu'elle ne pouvait pas s'arrêter ? Réprimant un nouveau sanglot dans un hoquet, la fillette secoua vivement la tête de droite à gauche. Tendit son propre poignet ; de toute façon, elle n'avait rien pour le cacher.
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MessageSujet: Re: Asphyxie.   Asphyxie. Icon_minitimeSam 8 Déc 2012 - 3:32

Non ; aussi simple que ça. Un mouvement de tête de gauche à droite, une négation bête et méchante. Visage fermé, il n'eut pas même envie de baisser les yeux vers le poignet de Claris – et s'il le fit, ce fut uniquement par acquis de conscience. Ou peut-être parce que, aussi dangereuse et urgente soit la situation, il avait besoin de comprendre. Mourir, d'accord. Mourir sans en connaître le but et les raisons...
Hors de question.
Le sifflement dans ses oreilles refusait de cesser mais, au moins, il était encore capable de réfléchir. Les lignes courbes sur le poignet de la fillette étaient faciles à interpréter ; deviner qu'elle avait entendu un message similaire au sien avant de se réveiller était également une évidence. Mais ça ne l'avançait à rien, à rien du tout. Qu'est-ce qu'ils en avaient à faire, de la façon dont on leur avait expliqué les choses ? Leur groupe, l'arme qu'ils tenaient dans leurs mains ? Ça n'avait aucune... Importance. Ils ne faisaient rien d'autre que chercher une sortie dans une pièce hermétiquement close. Ils gagnent et on perd à tous les coups, échec et mat. Qu'une minorité reste en vie était son pronostique le plus optimiste ; et encore – à peine réaliste.
Mais Claris pleurait. Alors il grimaça, mit son pessimisme sur le compte du sang qu'il avait abandonné entre ici et le cimetière. Quitte à clamer qu'ils allaient tous s’entre-tuer, autant essayer de s'en sortir. Ce serait un peu plus glorieux que s'allonger par terre et attendre la mort. Le laisser-aller marchait tellement, tellement mieux en solitaire. Se laisser mourir était une chose ; condamner une gamine en était une autre.
Quoi que, apparemment, la survie de l'un dépendait de la mort de l'autre. Il allait falloir ne pas y penser.

« Aucune importance, marmonna-t-il en regardant autour de lui, yeux plissés. Pas la peine de... Pleurer. »

Ces hoquets étouffés, pourtant si justifiés, le gênaient plus qu'autre chose. C'était aussi désarmant que regarder quelqu'un se noyer sans pouvoir sauter dans l'eau pour l'aider.
Sans compter que maintenant la course finie, l'adrénaline se dissipait peu à peu et la douleur prenait le relais. Lancinante, omniprésente – et la fatigue avec elle. C'était comme regarder un gouffre sans fond et sentir, savoir pertinemment que si on ferme les yeux ce sera la chute.
Froid et indescriptible. Des dizaines de vents contraires qui supplient de vivre et de dormir.

« Écoute. » Yeux vissés sur Claris, il raffermit sa voix ; puis, dans un effort rendu aisé par l'habitude, en chassa toute inquiétude ou hésitation. « Il va falloir trouver d'autres personnes. De ton groupe, ou... »

Il clôt ses paupières, fit un rapide tour d'horizon. Des visages défilèrent devant ses yeux, surmontés pour la plupart de croix ou de points d'interrogation. Il n'était plus sûr de grand chose, mais...

« Clarence, lâcha-t-il finalement, presque à contrecœur. S'il est là. On arrivera à rien tout seuls. »

Sa voix se fit amère – et vraiment, ce n'était pas facile à admettre. Il n'avait pas envie de remettre sa vie ou celle de qui que ce soit entre les mains de quelqu'un en qui il n'avait pas entièrement confiance ; se refusait à espérer tomber sur son meilleur ami pour autant.
Quoi qu'il en soit... A eux deux, ils n'iraient pas bien loin.

« Seulement, à une condition. Et regarde moi bien parce que là, je plaisante pas, ajouta-t-il entre ses dents. Si quelqu'un s'en prend à nous, tu cours. Sans te retourner. Compris ? »

Il ne comptait pas avoir la mort de qui que ce soit d'autre sur les épaules. Le ton de sa voix était sans appel : ce n'était pas négociable. Qu'on le laisse être responsable tant qu'il était encore en mesure de l'être.
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MessageSujet: Re: Asphyxie.   Asphyxie. Icon_minitimeDim 9 Déc 2012 - 12:57

    Respire. Allez, respire à fond et réprime-moi tout ça. Compte jusqu'à trente, lentement, jusqu'à ce que les larmes s'enroulent autour des chiffres et te laissent tranquille. Cette façon de raisonner ressemblait tellement à celle de son jumeau qu'un instant, Claris se demanda s'il n'avait pas élu domicile dans sa tête. Mais non. Non, son frère n'était plus là, n'avait jamais été là où elle l'avait cru, ne le serait jamais. S'il avait été là, elle en était certaine, au fond de sa petite tête pleine à ras bords de mille illusions naïves, rien de tout cela ne serait arrivé. Personne n'aurait été blessé, et ils seraient déjà bien au chaud dans le manoir, et elle pourrait raconter cette aventure à Soren.
    Au lieu de quoi elle était là, par terre, à pleurnicher sans réussir à s'arrêter.

      « Aucune importance. Pas la peine de... Pleurer. »

    Claris déglutit et frotta une fois de plus ses yeux gonflés de larmes. Soucieuse de ne pas infliger à son aîné encore plus de problèmes que ceux avec lesquels il devait déjà composer, elle inspira résolument quelques goulées d'air et ravala les hoquets erratiques qui la secouaient, avant de relever les yeux vers Kélian pour écouter le plus attentivement possible ce qu'il allait décider.
    Car pour Claris, il n'y avait aucun doute quand à qui d'eux deux devait à présent conduire l'attelage. Un jour normal, elle aurait insisté pour prendre le contrôle des opérations. Un jour où il n'y aurait eu ni hurlements ni pluie de pierres, pas de course effrénée, pas de crise de nerfs. Un jour où le soleil aurait été moins froid qu'aujourd'hui.

      « Écoute. Il va falloir trouver d'autres personnes. De ton groupe, ou... »

    Silence. Claris se demanda s'il était bien prudent de chercher à se rapprocher des autres, vu la façon dont ils avaient été accueillis au cimetière. Mais elle se tut, trop apeurée et trop simplette pour pousser plus loin la réflexion. L'important pour le moment était que si elle suivait les ordres du jeune homme, il ne leur arriverait plus rien à tous les deux, et de cela, elle était certaine. L'épisode du cimetière commençait déjà à s'estomper dans son esprit. Kélian lança un nom qui ne lui disait rien, mais elle ne le reçut pas moins d'un hochement de tête docile, presque ahuri.

      « Seulement, à une condition. Et regarde moi bien parce que là, je plaisante pas. - saisie une fois de plus par le ton de sa voix, Claris rentra légèrement la tête dans les épaules - Si quelqu'un s'en prend à nous, tu cours. Sans te retourner. Compris ? »

    La première réaction de la fillette fut d'ouvrir la bouche pour protester, tant cet ordre lui semblait à l'opposé de tout ce qu'elle estimait s'apparenter à l'honneur et à la bravoure - deux qualités dont elle n'avait, au fond, jamais eu à faire preuve.

      « Mais... ! »

    Et puis, bizarrement, elle referma la bouche d'elle-même, comprenant peut-être la nécessité de telles mesures. Elle hocha la tête, puis s'appuya sur les paumes pour se remettre debout, les genoux maculés de terre, avant de jeter un coup d'oeil nostalgique vers le bâtiment dont les tours s'élançaient vers le ciel, de l'autre côté du parc.

      « D'accord mais... ce serait pas mieux de retourner à l'intérieur ? » Proposa-t-elle quand même d'une toute petite voix.
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Heather Maystood
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MessageSujet: Re: Asphyxie.   Asphyxie. Icon_minitimeDim 9 Déc 2012 - 16:48

Your prayers won't be heard today. <= { Heather }

Une branche filiforme craqua sous la chaussure d’Heather. Elle ne comptait plus le nombre de racines, de pierres, de talus, de dénivelés sur lesquels ses chevilles s’étaient tordues avec un gémissement funeste. Ses genoux trop souvent entrainés dans la chute criaient merci. Sourde à leurs prières, toute miséricorde jetée bas, elle portait avec difficulté sa croix vers un trou où se terrer. Elle mourait un peu plus à chaque pas amorcé sur des charbons ardents. Ce n’était que de la terre ; c’était du fer chauffé à blanc. La douleur avait quitté son épicentre pour se répandre dans chacune des parties de son corps selon un complexe réseau nerveux dont elle prenait pour la première fois conscience. Anesthésiant miraculeux. Trépas à petit feu. Son cœur avait retrouvé une régularité de métronome tandis que son esprit se perdait en errances dangereuses. De temps en temps seulement un battement erratique secouait sa poitrine qui se soulevait rapidement, sifflante, et lui desséchait la gorge.

La blonde n’avait plus peur. Sa superbe partie en fumée âcre lui piquait encore les yeux, néanmoins plus une larme n’en coulait. Plus d’abaissement ni de déconfiture : le temps était à l’action, lever les bras en dépit de ses muscles endoloris et de ses articulations noueuses en un geste de défi à son corps lui-même. Sa volonté l’avait sculpté selon son bon plaisir ; la voici tantôt brune tantôt blonde, pommettes saillantes ou visage rond, silhouette longiligne d’un être délié ou rondeurs voluptueuses de la Renaissance. Elle imposait à cette machine rouillée, couverte de vert de gris, une cadence discontinue et plus grinçante qu’un chœur de rats crevés. Elle porta instinctivement sa main valide à la poche de son short sale et sourit, l’air absent. Tout était en place, et cet ordre semblait rendre grâce à sa vigilance. Elle tendit l’oreille, attentive, et ne perçut que le bruit de son propre sang battant à ses tempes meurtries. Jusqu’à ce qu’une voix étouffée lui parvienne, déformée par des années d’un silence de mort. Elle déglutit péniblement et contenu l’excitation qui lui vrillait le corps, s’immobilisa à quelques mètres d’eux. Maystood avança derechef, découvrit deux silhouettes dont la plus grande lui tournait le dos ; l’autre, petite, coiffée d’une couronne blonde comme les blés, lui faisait face sans lui renvoyer son regard. Quelques secondes s’écoulèrent avant que l’information ne procède à son cerveau, déformée par ses perceptions maladives. Oh, oh ! qu’elle aurait aimé ne jamais se souvenir. Un son cassé courut le long de sa gorge et s’écrasa dans les airs ; manifestement, la clef de la jolie poupée n’avait pas été correctement remontée et les rouages grippés ne fonctionnaient plus aussi bien qu’avant. La belle mélodie hautaine n’avait plus rien d’orgueilleux et les tambours troués ne jouaient plus de mélopée furieuse :

« Kélian ? »

Un concerto pour une voix d’une brève seconde qui s’achevait sur une note plaintive d’espoir, mélancolique. Des mèches folles s’échappaient de la queue de cheval d’ordinaire si bien ordonnée d’Heather ; son parfum chanel était supplanté par une odeur rance de transpiration ; sa tempe gauche était marquée d’un hématome rouge violacé, répugnant ; une méchante coupure sur sa lèvre inférieure se remettait à saigner à chaque syllabe qui l’étirait. Son bras nu était maintenu droit par une attelle de fortune où sa veste faisait office de corde ; un immonde bracelet sombre moucheté de noir s’enroulait autour de son coude inerte ; des meurtrissures dessinaient d’affreux tentacules sur son cou ; ses joues cramoisies étaient marquées ici et là par des taches de rousseur. Ses yeux nus semblaient trop fins et leur bleu délavé ; un filet de sang coagulé coulait de son nez ; ses yeux étaient rouges comme jamais ; ses genoux, couverts d’égratignures, de poussière et de terre, ne tarderaient pas à suppurer ; son visage triste et éperdu était un mélange de crasse et de blessures que l’on avait du mal à distinguer les unes des autres.
Malgré sa tenue très légère, une simple brassière noire d’encre et un short, elle avait chaud. Son piercing en s’arrachant de son nombril au terme d’une énième chute ou lors de la bataille avait laissé une marque sur son nombril découvert. Agitée de tremblements, elle se laissa tomber, amortit sa chute de son bras valide et essuya d’une main terreuse ses yeux de javel.

« C’est moi, c’est moi, je, je… »

Et déjà son regard de pierre analysait une situation qui pourrait tourner à son avantage ; des calculs froids, meurtriers couvaient sous cette chair meurtrie. Les arbres seuls et l’humus et le sable figuraient les muets témoins de ses projets. Le bras du garçon était blessé. La gamine, épuisée. Mais elle aussi, oh ! elle aussi.


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Kélian Ael
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MessageSujet: Re: Asphyxie.   Asphyxie. Icon_minitimeDim 16 Déc 2012 - 4:33

Claris étouffa sa protestation d'elle-même et il ne put que prier pour qu'elle l'ait bel et bien compris. Il était bien placé pour savoir qu'abandonner quelqu'un, peu importe la situation, était plus facile à dire qu'à faire. On se croit capable de sauver et s'enfuir en un claquement de doigts ; ridicule.
Celui qui ne mourait pas souffrait toujours le martyr.

« D'accord mais... ce serait pas mieux de retourner à l'intérieur ? »

Kélian contempla l'idée ; dirigea son regard vers le bâtiment. Retourner à l’intérieur, hein ? Comme si. Ils pouvaient essayer, bien sûr. Ils n'avaient à priori rien à y perdre, si ce n'était du temps dont de toute façon ils n'avaient plus besoin. L'horloge jouerait toujours contre eux.
Ses yeux gris se reposèrent sur Claris, plus fatigués que froids à présent. Comme si, oui.

« Quand tu joues à un jeu, tu lui mets des limites. Si on a été transportés à l’extérieur... » Il chercha le couteau des yeux, sondant l'herbe autour d'eux d'un regard las. « On peut essayer, mais ça m'étonnerait qu'on puisse rentrer. »

A quoi bon se donner la peine de les déplacer si c'était pour les laisser retourner se cacher entre les murs presque réconfortants de cette bâtisse ? Ça n'aurait eu aucun sens. Ça ne les aurait pas desservi, en tout cas – et il doutait franchement que ces tarés se soient donné la peine de leur céder un avantage. Cela dit, d'autres auraient pu avoir la même idée. Vouloir se réfugier à l'abri était une réaction normale. Sûrement. Ils risquaient de croiser du monde en allant par là. Et même si c'était dans ses intentions, la morsure brûlante du métal se rappelait à son bras nu chaque fois qu'il se résignait à devoir trouver quelqu'un d'autre. Pas le choix.

« On a qu'à aller par là, concéda-t-il enfin, serrant le couteau qu'il venait de ramasser dans sa main droite. C'est du pareil au même, de... »

Une voix, dans son dos, le coupa net. « Kélian ? » ; reconnaissable, brisée mais clairement reconnaissable – et s'il n'avait pas été si sûr de lui, il aurait pu croire à un fantôme. Tourne sur tes talons, demi-tour, regarde qui voilà : la princesse du superflu, l'impératrice du maquillage et des détails sans importance. Toujours bien habillée, les ongles manucurés et un sourire hautain aux lèvres. La belle idiote. La reine de la course sur talons hauts, l'abrutie qui lui donnait des surnoms stupides et tâchait ses ongles de dessins fantasques.
Brisée en mille morceaux.
Il resta coi ; ne sut que dire. Son murmure se perdit dans une vague d'inquiétude et d'incompréhension – il crut même, l'espace d'une seconde, être en proie à des hallucinations. Heather grimpait les escaliers sur des talons aiguilles avec une aisance que devaient lui envier même les chats ; elle ne tombait pas, non. Jamais.
Alors quand son corps s'écroula au sol, son corps réagit de lui-même : ses foulées, rapides, l'amenèrent en quelques secondes près de la jeune femme. Le couteau fut de nouveau posé sur l'herbe tandis qu'il posait un genou au sol ; sa main valide, quoi que salie de sang et de terre, vint se poser sans rudesse sur l'épaule de la blessée.
En morceaux, complètement en morceaux. Même sa voix, quand elle l'éleva, lui parut étrangère à celle qu'il entendait si souvent d'ordinaire. Son bras, ses jambes, son cou. Son bras.
C'est pas le moment de se sentir mal.
Il vérifia que Claris ne s'était pas éloignée, tenta de remettre ses idées en place. Impossible.

« Heather, her, Heather – t'avises pas de crever maintenant, je te préviens ! Tu tiens le coup, hein ? »

Sonné par les blessures de son amie, il détailla bien malgré lui ce visage endolori où le sang et les bleus avaient remplacés le mascara et le fond de teint. Ça aurait pu être lui, couvert d'hématomes et de coupures ; ça aurait pu être Claris.
C'était peut-être le type aux cheveux blonds, dans le cimetière. Merde, merde...

« Qu'est-ce qui t'est arrivé ? »
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MessageSujet: Re: Asphyxie.   Asphyxie. Icon_minitimeDim 16 Déc 2012 - 22:48

    Elle aurait été tellement mieux à l'intérieur. Les murs de pierre, si hauts, auxquels tous les pensionnaires reprochaient sans relâche leur emprisonnement, ne lui avaient jamais paru aussi réconfortants. Tournant ses yeux clairs en direction du château, la fillette aurait voulu s'élancer vers l'une des portes ouvertes sur l'extérieur, se réfugier dans son ombre, là où elle aurait pu se cacher, là où elle aurait pu oublier toute cette histoire. Ce cauchemar.

      « Quand tu joues à un jeu, tu lui mets des limites. Si on a été transportés à l’extérieur... On peut essayer, mais ça m'étonnerait qu'on puisse rentrer. »

    Claris n'écoutait son aîné que d'une oreille, toute projetée qu'elle était vers la perspective de pouvoir se mettre à l'abri dans le renfoncement rassurant des arcades de pierre. La subtilité du raisonnement ne l'atteignit pas ; tout dans sa tête était beaucoup trop simplifié pour la situation. Qu'y pouvait-elle ? Quelles idées pouvaient passer par la tête des autres pensionnaires ? Le fou du cimetière mis à part, il ne pouvait pas y avoir autant de gens prêt à les tuer sur place en les voyant. Claris ne pouvait pas l'envisager. Mais elle avait peur. Et comme lors de leur fuite éperdue, la totalité de ses idées se concentraient dans ce mince faisceau de possibilités. Retourner sur leurs pas était hors de question.
    En fait, elle poussa même un soupir de soulagement lorsque Kélian valida la retraite.

      « On a qu'à aller par là. C'est du pareil au même, de... »

    Claris ne comprit d'abord pas pourquoi le jeune homme s'était interrompu. Concentrée sur autre chose, elle n'avait pas perçu ce qui l'avait arrêté, l'évènement perturbateur venu compliquer les choses, une nouvelle fois. Et puis le jeune homme pivota d'un geste sec et, sans que la fillette puisse dresser le tableau de la situation, se précipita vers les arbres aux feuillages bruissants d'ombres.
    Et ce n'est que lorsqu'il se fut agenouillé que Claris reconnut la nouvelle venue.
    Enfin. Reconnaître était un bien grand mot. Malgré toutes ses illusions qui persistaient, elle ne put retenir un mouvement de recul, croisant les bras autour d'elle comme si elle avait soudain très froid. Ou comme pour se protéger de l'indicible.
    Cette forme humanoïde cassée, effondrée, que soutenait Kélian, cet automate à la chevelure abîmée et aux joues terreuses avait quelque chose de terrifiant pour Claris. Son coeur hésitait entre l'effroi et la pitié. Cette poupée cassée, c'était Heather.
    Claris n'avait jamais cru que la femme qu'elle avait traité de sorcière, celle qui hantait les couloirs avec une bête effroyable accrochée à ses talons aiguilles, celle qui couvrait ses yeux pâles d'un maquillage parfait lui apparaîtrait un jour comme un cadavre qui respire encore. Cette femme parfaite, magnifique dans sa cruauté et pitoyable de douleur, à la voix cassante et non cassée, aux griffes couvertes de couleurs brillantes maintenant souillées de crasse, était-ce Heather ? Claris pensa qu'il y avait quelque chose qui n'était pas à sa place. Cette vision avait quelque chose d'indécent ; elle aurait voulu l'effacer de sa mémoire, quitte à retrouver le tyran dont la seule vue suffisait à la figer sur place, plutôt que cette poupée rachitique bonne à jeter.
    Elle aurait presque prié pour ça.
    La fillette mit un moment à reprendre ses esprits, tandis que Kélian adressait à la jeune femme exhortations et questions dont elle n'écoutait pas le sens.
    Et puis, un sursaut de crainte refit surface dans sa poitrine, et elle recula de quelques pas. C'était Heather, après tout. Heather ne pouvait pas avoir de bonne intentions - disait sa tête, qui cherchait à retrouver l'ordre originel. Elle faisait sûrement semblant. Elle faisait semblant, hein, et elle n'allait pas tarder à se redresser et à faire quelque chose qui ne lui plairait pas du tout. Pas vrai ?
    Claris ne savait pas si elle le désirait ou le redoutait. Si elle avait envie de partir en courant ou d'aller aider son ami. Dans le doute, elle ferma sa bouche et ne prononça pas le moindre mot.



Aha, je poste quand même un petit truc pas très évolué, pour indiquer que Claris pense, même si elle ne fait rien |D C'est important, tout de même.
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MessageSujet: Re: Asphyxie.   Asphyxie. Icon_minitimeVen 28 Déc 2012 - 23:08

Heather tressaillit. Elle qui aspirait tant au couvert du bois enfouit son visage contre l’épaule meurtrie de Kélian, le souffle encore court. Une pitié écœurante dégoulinait des lèvres de son ami en flots inendiguables. Sa propre carcasse ne lui en inspirait pas tant : déformée, brisée çà et là, couverte d’ecchymoses et d’entorses, sa superbe avait glissé de son visage sans qu’elle s’en rendît compte. En d’autres circonstances le bleu violacé qui marbrait sa peau, les mouches noires qui la maculaient et la tache lie-de-vin à la base de son cou lui auraient fait grincer des dents et briser, d’un geste empreint d’une colère éperdue, une pierre dans la mare mensongère qui proférait de telles insanités à l’égard de cette splendide reine. Mais serrer la mâchoire déchaînait un feu d’artifice à hauteur de ses tempes et faisait danser sur une musique bourdonnante d’immondes petits spectres colorés devant ses yeux. Elle promena une nouvelle fois sa langue sur ses lèvres et en retira un goût métallique de sang caillé qui ne la quittait plus depuis que, machinalement, elle venait heurter une molaire déchaussée.

La blonde ne songea pas à cracher sur cette pitié qu’elle ne connaissait guère que de réputation –et quelle réputation ! Elle n’avait plus qu’une salive sanguinolente à offrir ; fidèle servante de ses Médisances, ces intraitables seigneuries comptaient la mettre au service d’une honnêteté crue au tranchant mortel. Elle n’avait rien perdu de son poison qu’un babil insidieux se chargeait de saupoudrer sur cette foule de pâles figures attentives. Mieux que Claudius, elle tuait Hamlet et se couronnait de son diadème serti de rubis. Elle ferma les yeux puis souleva difficilement ses paupières : dieu qu’elles pesaient lourd ! Une vie de crème et de fard les avaient-ils donc entièrement usés ? Elle les essuya de son bras droit, à la recherche de quelque soulagement qu’elle ne trouva pas, puis le relança autour des épaules de son ami, secouée de sanglots. Chacune des larmes qui traçaient un sillon clair sur ses joues crasseuses emportait avec elle un peu de la couleur de ses iris plus délavés que le ciel du nord ; bientôt toute chaleur les déserta tandis qu’ils fondaient comme fondrait un glacier gigantesque. Elle n’hésitait pourtant pas. Sa douleur se bornait à son corps quoiqu’elle en habitât jusqu’à la plus misérable parcelle. Son esprit, libre, battait la campagne –il brisait des œufs, polluait l’eau d’une bile amère tandis qu’il vomissait tout le mal de ce monde.

Peu férue d’économie, c’est d’un geste expert du poignet qu’il arrivait à Heather d’exposer, non sans fierté, une étiquette négligemment oubliée sur la doublure d’un manteau ourlé de vison. Une arrogance toute spéciale qui lui crevait le cœur. Kélian, Claris portaient comme une barrière insurmontable leur nom, leur visage, leur voix à l’accent trop familier qui blessait les tympans de la jeune femme. Ces infâmes codes-barres l’attiraient. Elle chercha presque le Repentir mais s’égara en chemin pour retrouver un vieil ami toujours prêt à la secourir lorsque le besoin s’en faisait sentir et articula entre deux inspirations douloureuses :

« Oh, Kélian, je suis désolée, je suis désolée… Je voulais pas que ça se passe comme ça, je voulais juste m’en aller, pleurnicha-t-elle en reniflant. Mais elle m’a frappée, j’ai essayé de me défendre mais j’y arrivais pas, je pensais que ça serait facile, mais j’avais trop mal. Je pensais pas qu’elle… »

Son bras trainait toujours inerte le long de son flanc, seulement maintenu par son attelle de fortune. Une feuille humide s’était collée à son poignet ; elle ne prit pas la peine de l’en retirer et parcourut d’un bref coup d’œil le reste de la scène. La gamine aux cheveux blonds la fixait, monstre d’orgueil déchu de son piédestal : ma petite, ne me trouves-tu pas encore plus effrayante vue de près ? Ce n’était pas la hauteur depuis laquelle elle dardait jadis son regard de serpent sur ce monde grouillant d’insectes qui la faisaient sembler plus froide qu’une étoile ; cet être n’était pas plus humain au milieu de ces vers. Elle avisa la lame et son attention, une nouvelle fois, s’y accrocha. Elle s’appliqua à la laisser glisser plus loin et tendit la main vers Claris avant de la laisser lourdement tomber au sol :

« Je te fais peur ? Je suis pas un monstre, je te le jure, j’ai rien fait, je voulais juste… Je voulais retrouver tout le monde, mais elle m’a attaquée et je ne savais plus quoi faire. Je suis pas un monstre, je suis pas comme elle, je t’en prie… »
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MessageSujet: Re: Asphyxie.   Asphyxie. Icon_minitimeVen 4 Jan 2013 - 23:32

Lorsqu'Heather appuya son visage contre son épaule, Kélian sentit sa gorge se serrer. Noir, noir, noir – tout était noir. Toujours pas de couleurs, plus de blanc ni de gris : rien que du noir. Une obscurité qui n'en finirait pas, qui n'en finirait plus. Fini, terminé. Il ne voulait plus voir quoi que ce soit d'autre qu'une pénombre familière et rassurante ; tant pis pour la lumière et les fenêtres. Tant pis, tant pis. Il valait mieux courir les yeux bandés. Fermer les portes.
Bâillonner de son cœur jusqu'à ses poumons.
Sa main droite posée au sol et la gauche abandonnée au froid qui lui sciait l'épaule, il prit une profonde inspiration. La situation était différente, elle n'avait même rien à voir. Ce n'était pas de sa faute, cette fois. Il n'avait strictement rien fait de mal. Et puis Heather n'était pas morte – abîmée, oui, mais pas complètement cassée : elle pouvait encore être réparée, ils pourraient se débrouiller.
C'était différent et pourtant, la sensation était la même. Exactement la même. Les injustices, la malchance. Les cris et l'indifférence.

La colère.

Elle s'infiltrait dans ses tympans blessés, dans ses veines déchirées, coulait le long de son bandage d'infortune mal serré ; elle suintait de partout, se répandait comme la gangrène dans ses nerfs et ses pensées. Elle se fit sentir quand il remarqua qu'il ne pouvait plus voir Claris, tambourina dans sa poitrine quand Heather prit la parole. C'était injuste, ridicule, ça n'avait pas le moindre sens ! Ils allaient tous crever, juste pour...
Les amuser ?
Risible.
Ses poings auraient beau se serrer, rien ne pourrait s'embraser. C'était noir, noir, noir. Des cendres.
Rien que des cendres.

« Je te fais peur ? Je suis pas un monstre, je te le jure, j’ai rien fait, je voulais juste… Je voulais retrouver tout le monde, mais elle m’a attaquée et je ne savais plus quoi faire. Je suis pas un monstre, je suis pas comme elle, je t’en prie… »

Calmement, sans brusquerie ni brutalité, Kélian posa sa main droite sur l'épaule d'Heather et la repoussa. Doucement, attentif aux blessures qui coloraient sa peau de rouge ou de bleu pour ne pas lui faire mal. Claris était derrière ; il devait garder un œil sur elle. Ils n'iraient nulle part en restant par terre, ils n'arriveraient à rien en se plaignant et en maudissant le sort de les avoir fait un jour rentrer dans cet endroit. Rien ni personne ne pouvait changer le cours des choses. Comment avaient-ils pu croire qu'on les laisserait tranquilles ?
Il ne serait jamais question de sortir. Jamais.
Accroupi, il pivota légèrement pour faire revenir Claris dans son champ de vision ; heurtant le couteau qui, dans un bruit de métal humide, glissa à quelques pas de lui.

« Reste pas si loin, lança-t-il à l'adresse de Claris ; sans comprendre la raison pour laquelle la fillette pouvait vouloir garder ses distances. C'est pas le moment de jouer à ça. »

Parce que les cris effrayés de l'une et les médisances de l'autre n'étaient rien de plus qu'une mauvaise blague, n'est-ce pas ? Rien de sérieux. Qu'elles s'aiment ou pas, elles n'avaient rien à craindre l'une de l'autre.
Le contraire était impensable.

« Tu as vu d'autres personnes ? »

Et elle qui ?
La question mourut sur sa langue.


Dernière édition par Kélian Ael le Mar 29 Jan 2013 - 11:07, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Asphyxie.   Asphyxie. Icon_minitimeDim 6 Jan 2013 - 0:34

    Heather pleurait. Elle pleurait. Cette révélation asséna un tel choc à Claris qu'elle resta muette et figée de stupeur, incapable de plus qu'un regard stupide collé à cette image irréelle. Heather qui pleure. Chaque sillon que les larmes traçaient sur sa joue terreuse plongeait un peu plus la fillette dans un monde à part, imaginaire ; mais pas un imaginaire fleuri rempli de bonnes odeurs de sucre ou de piaillements d'oiseaux, non. Un ailleurs comme celui qui assaille la nuit entre les draps, quand l'horloge tourne sans pouvoir vous emporter au pays des rêves et que les ombres font tout pour vous étouffer. Un ailleurs obscur, un ailleurs qui fait peur et donne envie de se cacher sous le lit ; on le ferait si on avait pas peur du croquemitaine caché dans ce recoin sombre...
    Claris frissonna. Que ce soit elle ou que le vent ait forci, elle avait froid. Elle sentait à nouveau sa gorge se nouer. Et le regard implorant que lui lança la femme échevelée n'arrangea rien.

      « Je te fais peur ? Je suis pas un monstre, je te le jure, j’ai rien fait, je voulais juste… Je voulais retrouver tout le monde, mais elle m’a attaquée et je ne savais plus quoi faire. Je suis pas un monstre, je suis pas comme elle, je t’en prie… »

    Claris déglutit. La voix geignarde attaquait ses tympans et faisait couler de la pitié en masse dans sa gorge. La petite n'avait pas un mauvais fond ; elle était capable d'oublier les tortures d'hier si le tortionnaire changeait de masque. Ce qu'avait l'air de faire Heather en cet instant précis. La question n'était pas de savoir si tout cela était vérité ou comédie ; d'ailleurs, l'analyse de la fillette n'allait pas jusque là. Mais malgré le frisson de crainte qui lui avait d'abord donné la chair de poule, il semblait impossible qu'elle soit encore dangereuse pour qui que ce soit. Claris avait l'impression de contempler un clown cassé, un de ceux qui font peur en souriant méchamment mais qui apitoient une fois réduits en miettes. Elle aurait compati.

      « Reste pas si loin. C'est pas le moment de jouer à ça. »

    La fillette, docile, avança de quelques pas. C'est qu'elle avait confiance en son aîné, et que pour le moment il restait le plus calme des trois ; ou bien il semblait le plus maître de lui-même. De toute manière, Claris n'avait toujours aucun doute sur la capacité de Kélian à gérer la situation ; quoi qu'il arrive, elle n'en démordrait pas. C'était plus rassurant comme ça.
    Malgré elle, Claris aurait voulu en savoir plus sur ce qui était arrivé à Heather. Que ce soit par une curiosité déplacé ou l'envie de savoir ce qui les attendait, eux aussi. Elle aurait elle aussi posé la question, pour savoir qui, qui entre les murs du pensionnat était capable de faire une chose pareille à un autre être humain, alors qu'elle avait toujours pris cet endroit pour une nouvelle et merveilleuse maison.
    Mais on lui avait retiré sa langue. Squick.
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MessageSujet: Re: Asphyxie.   Asphyxie. Icon_minitimeSam 19 Jan 2013 - 12:30

Heather luttait contre l’endormissement qui peu à peu dévorait les plus délicieuses parcelles de sa belle attention pour ne laisser derrière lui que quelques miettes méconnaissable de sa superbe d’antan. Elle ferma les yeux, sourde aux imprécations pressantes qu’un inconnu trop familier hurlait dans sa tête : le vrombissement qui n’avait de cesse de vriller ses tympans se transforma en berceuse et le roulis du bateau en calmes vas-et-viens. La blonde, en mille morceaux, songea à s’y abandonner : parce qu’il n’y eût jamais dans sa vie rien de plus simple que ce geste-là. Des nuages cotonneux lui ouvraient les bras tant le précipice tutoyait les étoiles –ces garces brillantes la gelaient jusqu’à l’os. Enveloppée d’un linceul léthargique tissé de chloroforme blanc comme neige, elle se laissa glisser le long d’une pente qu’elle ne remonterait plus.
Mais la bête griffue reprit ses droits, inébranlable monstre aux yeux jaunes et ronds comme des billes. Les trous dans sa peau, les bosses sous les écailles, la chair tuméfiée effrayait les petits enfants qui croyaient, débiles, que la porcelaine ne pouvait que se fendiller avant d’éclater en bris épars sur le sol. L’humus boirait bien ses larmes plus tard, lui qui en avait tant avalé ! La morsure du tissu autour de son bras la réveilla et, alors qu’un infâme croquemitaine avait jeté par-dessus son épaule le cadavre asphyxié sous les draps, une détermination funeste lui fit soulever les paupières dans le noir. Le couteau s’écarta de quelques coudées –complot ! La partie se jouait contre elle –complot ! Son bras démis ne bougea pas d’un pouce en dépit de ses muettes directives –complot, complot, complot ! Son bras se resserra subrepticement autour des épaules de Kélian tout contre elle. Les battements erratiques de son cœur, tantôt fous et tantôt d’une folle lenteur, la pétrifiaient. Elle remit de l’ordre dans son esprit ravagé. Sans couteau elle n’était rien ; déjà elle était protégée ; Claris, Kélian derrière une armada de miroirs déformants s’agitaient vainement mais ne lui auraient rien fait ; d’autres si ; Selenda emporterait jusqu’à la tombe de terre, de feuilles et de poussière près des racines millénaires d’un pin ridicule la marque sanglante de son orgueil ; demeuraient d’autres âmes perdues dans les recoins du pensionnat à attendre la délivrance ; il lui fallait ce couteau. Il crucifia son regard un instant, une vague grimace imprimée sur ses traits crasseux.

Eh merde.

« Tu as vu d'autres personnes ? »

La rage fit vibrer la voix d’Heather alors qu’elle répondit –empreinte de douleur et d’un empressement paniqué :

« C, Courtney, bafouilla-t-elle. Je ne sais pas où elle est, je lui avais promis… »

Allons, pauvre menteuse ; depuis quand une vipère faisait-elle avaler des couleuvres. Empêtrée dans ses atours de tragédienne, Maystood maudit mille fois Shakespeare et Molière. Elle reprit la parole, engoncée dans cette armure de voiles pastel déchirés et de vulnérabilité diaphane :

« Une sorte de diable, et… J’ai trop mal, et qui me croira, de toute façon. Personne ne me croira. On va tous mourir ici, il faut que vous vous cachiez, quelque part. »

Elle recula de quelques centimètres et planta ses iris javellisés dans ceux de Kélian, puis de la petite qui lui fit tant de peine. Résolue, elle reprit :

« Allez, il faut vous en aller, et tu, tu es blessé, partez, maintenant. Claris est toute petite. Et Selenda, elle… Allez-vous-en, conclut-elle avant d’hésiter et, agitée d’un sanglot : je ne veux pas mourir. »

Ah, pauvre petite chose. Allez, il est l’heure de partir, maintenant.
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MessageSujet: Re: Asphyxie.   Asphyxie. Icon_minitimeVen 1 Fév 2013 - 9:12

Claris avança ; Kélian respira. Un peu mieux, à peine – juste assez pour ne plus avoir l'impression d'étouffer, pour ne pas suffoquer. Suffisamment. C'était tout ce qui comptait : suffisamment. Il n'en était plus à s'inquiéter de son confort mais de sa survie et, curieusement, son esprit semblait avoir assimilé l'information à une rapidité affolante. Suffisamment. Il se contentait du strict nécessaire, maintenant. Juste assez de sang, juste assez de force, juste assez de clarté d'esprit. Il n'en demandait pas plus et n'obtiendrait rien d'autre.
Et puis il avait mal, Heather aussi, Claris avait peur et lui aussi – bien sûr que oui, lui aussi. Juste assez courageux pour ne pas s'évanouir sur le champ, hein ?

« C, Courtney. Je ne sais pas où elle est, je lui avais promis… »

Courtney ; le nom sonna, résonna, tenta de se faire entendre un moment puis disparut dans l'oubli. Courtney ce n'est rien, ce n'est personne. Une anonyme. Innocente, sûrement, mais pas quelqu'un pour qui il était capable de ressentir de la peine : son épaule s'affaissa légèrement. Il ne sut pas s'il aurait préféré qu'un de ses amis soit cité ; n'était concrètement pas en état de s'en soucier. Tout ce qu'il savait était qu'Heather avait été salement amochée et qu'ils devaient s'éloigner coûte que coûte, se rapprocher du manoir comme ils l'avaient initialement prévu. S'en aller en tout cas. Ne pas rester immobile parce que si elle était blessée comme ça, ce n'était certainement pas à cause du vent ou des arbres. Elle avait croisé le chemin de quelqu'un qu'ils devraient éviter ; il fallait s'éloigner.
L'idée, doucement, se fixa dans son esprit endolori.

« Une sorte de diable, et… J’ai trop mal, et qui me croira, de toute façon. Personne ne me croira. On va tous mourir ici, il faut que vous vous cachiez, quelque part. »

Diable ? Le mot peu familier trouva malgré tout un faible écho dans sa mémoire ; une sorte de diable. Un monstre cornu. Incapable de voir à qui elle pouvait faire allusion, Kélian laissa cette nouvelle information s'éteindre au profit de la suivante. Des yeux, il pressa Heather de continuer : de s'expliquer. Pourquoi personne ne la croirait ? Pourquoi devaient-ils se cacher – quoi que non, ils devaient se cacher, c'était une évidence ; mais pourquoi personne ne la croirait ?
La question refusa de le quitter. Alors même qu'elle reculait, son regard pour un instant bloqué dans le sien, elle persista entre ses tympans. Pourquoi ?

« Allez, il faut vous en aller, et tu, tu es blessé, partez, maintenant. Claris est toute petite. Et Selenda, elle… Allez-vous-en. »

Sourcils froncés, Kélian sentit son cerveau se gripper.

« Selenda ? »

Qu'est-ce qu'elle venait foutre là-dedans ? Il jeta un regard empli d'incompréhension à Heather, puis à Claris ; les informations ne semblaient plus passer correctement de ses oreilles à son cerveau – la perte de sang, sûrement : pas le temps de s'y attarder. Alors il se redressa complètement, maudissant le manque de réaction qui lui avait valu ce bras blessé, et jeta un coup d’œil vers la bâtisse au loin. Il n'avait pas été assez vite une fois, on ne l'y reprendrait pas. Ils devaient se dépêcher. Tant pis pour les questions.
A demi tourné vers Claris comme pour la rejoindre, il fit signe à la jeune femme de se lever.

« On va pas te laisser crever là, t'es stupide ou quoi ? cracha-t-il dans une vaine tentative pour chasser ses interrogations. Tu vois quelque chose, Claris ? »

On ne sait jamais ; si quelqu'un - ou quelque chose - arrivait, mieux valait s'en rendre compte avant d'être pris au piège.
Comme pris d'une hésitation brutale, il reposa son regard sur Heather.

« Attends. Ta marque. C'est quoi, ta marque ? »

Bêtement, comme pour montrer l'exemple à un enfant récalcitrant, il leva avec difficulté son poignet gauche ; marque à nue. Lui et Claris n'étaient peut-être pas dans le même groupe, mais la chance finirait bien par tourner. Elle pouvait être avec l'un deux. C'était possible.
Pourtant, il ne réussit pas à s'en persuader. L'idée qu'ils puissent tous avoir des marques différentes ne l'avait toujours pas quittée ; des sadiques, complètement tarés. Personne ne s'en sortirait.

{ COMPLOT }
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MessageSujet: Re: Asphyxie.   Asphyxie. Icon_minitimeVen 15 Fév 2013 - 22:18

    Claris frotta la peau de ses bras nus en une tentative dérisoire pour se réchauffer ; cependant, elle n'avait pas la tête à se concentrer sur les pitoyables tentatives de son corps pour se raccrocher à quelque chose de réel. En réalité, le froid n'avait pas de prise sur elle ; le froid extérieur, celui d'une brise fraîche de fin d'année.
    Le gel qui s'attaquait à elle en profondeur, en revanche, la statufiait de l'intérieur. Il courait sur ses organes et les paralysait un à un. Il grippait les rouages de son cerveau et bloquait son organisme sur le mode sans échec. Fonction vitales activées. Fonction cognitives off.
    Figée sur une expression déboussolée, Claris ne parvenait plus à lâcher Heather des yeux, comme si invoquer son image encore et encore allait lui permettre de comprendre que ce n'était pas en les fermant que tout cela disparaîtrait enfin. Jamais la fillette ne s'était sentie aussi prise au piège de son propre corps. Elle aurait voulu devenir un esprit et s'envoler bien vite très loin d'ici.

      « Allez, il faut vous en aller, et tu, tu es blessé, partez, maintenant. Claris est toute petite. Et Selenda, elle… Allez-vous-en. » Disait la gorge essoufflée du pantin abîmé.

    Claris essayait de redémarrer son système nerveux. Le moteur toussait un peu. Tout ce qu'elle parvenait à comprendre pour le moment, c'était que Heather avait raison. Raison, raison. Est-ce qu'ils allaient tous mourir si ils ne s'enfuyaient pas dès maintenant ? A cette idée, la vague de froid s'engouffra dans ses poumons et elle crut qu'elle allait suffoquer. Guère plus utile qu'un petit poisson jeté hors de son ruisseau.

      « On va pas te laisser crever là, t'es stupide ou quoi ? » La voix de Kélian, plus énergique, plus violente, déchira d'un seul coup le papier bulle qui entourait la gamine. Elle sursauta quand il se tourna vers elle, comme si son cerveau repartait. « Tu vois quelque chose, Claris ? »

    La fillette faillit s'étouffer en avalant trop précipitamment une goulée d'air ; celle-ci s'écoula dans sa gorge comme une traînée de métal glacée. Un mouvement nerveux de ses genoux la fit se retourner, dans un sens, dans l'autre, comme si vérifier après un si long moment d'immobilité si un potentiel ennemi s'approchait avait un quelconque intérêt. La peur qui enserrait la cage thoracique de Claris lui faisait distinguer un fou sanguinaire derrière chaque buisson. C'était encore pire que cette horrible course.
    Ses lèvres engourdies laissaient filer une faible et rauque dénégation, lorsque le jeune homme reprit brusquement, à l'adresse d'Heather :

      « Attends. Ta marque. C'est quoi, ta marque ? »

    Claris déglutit et rentra la tête dans les épaules. Elle n'était pas certaine de vouloir connaître la réponse. Mais elle ne savait pas ; perdue, elle n'avait pas d'avis. Si elle avait été seule, sans doute n'aurait-elle rien pu faire de plus que de se recroqueviller dans un coin en tremblant de tous ses membres. Elle, la petite fille bravache, qui n'arrivait pas à faire mieux que s'en remettre aux décisions des adultes.
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MessageSujet: Re: Asphyxie.   Asphyxie. Icon_minitimeLun 25 Fév 2013 - 23:21

Exactement, susurra la brise fraîche en secouant les branches nues et fatiguées des arbres. Tu as raison, Heather, et ce n’est pas le moment de te laisser aller. Lève-toi et marche, avait dit le Christ –et tous ces bourgeois au sourire tantôt cupide, tantôt soucieux prêtaient une attention maladive à Ses propos. Sa chair raclait le sol et s’encrassait dans la terre sèche ; ses organes fonctionnaient ; son cerveau ne marchait plus correctement ; ses yeux embuaient le paysage. Elle lutta et offrit à ses compagnons une fissure dans son visage de glaise qui, sans doute, se voulait badine. Et puis elle ferma les yeux, juste une seconde, espéra que tout irait pour le mieux, pas plus d’un instant. Son diaphragme se souleva frénétiquement, quelque part entre le rire et les larmes, pour se débarrasser de ces soulèvements incongrus et dérangeants. C’était triste, dieu que c’était triste ! Sa vie ici n’aurait pas dû se terminer comme ça –dieu que c’était triste. Elle releva la tête. Lève-toi et marche, qu’ils disent : et c’est la vie, et on se lève, et on marche. Kélian était un imbécile. Claris était stupide. Pourquoi s’être levés ce matin-là ? N’auraient-ils pas eu leur compte de rêves bien au fond de leur lit, sous leurs couvertures rugueuses ? Dieu, dieu que c’était triste.

Mais ce n’était pas triste pour elle. Pas tant que ça, précisa-t-elle en reniflant. Quelque chose de cassé dans sa tête n’avait de cesse de claquer contre sa raison : c’était insupportable. Elle fit ce qu’elle pouvait. Prête à se hisser sur ses grandes échasses maigres couvertes d’échardes, la blonde se laissa retomber au sol lorsque la voix de son ami, son si bon ami, impérieuse, résonna à ses oreilles : ta marque. Allez, ta marque, pauvre conne, tu sais que tu dois la montrer. Rien qui changeât quoi que ce fut à la donne ; après tout, Kélian était un imbécile, Claris était stupide, et le couteau gisait à quelques enjambées de là. S’ils devaient en arriver si loin, autant ne pas traîner.
A peine plus tôt, Maystood avait dû relever sa manche et dévoiler aux regards inquisiteurs de son équipe la marque qui ornait son poignet : ces arabesques auraient pu, là-bas, lui coûter la vie. Son orgueil avait été plus cher. Doucement, sans mot dire, elle avait obtempéré, consciente que la docilité restait le seul atout dans sa manche –car ce qui se cachait en-dessous n’avait rien d’un fantastique joker. Décidée à obtenir la garantie d’une vie meilleure avant de la perdre pour de bon, elle espéra que ces deux-là n’auraient pas la même que la sienne. Que toutes trois diffèrent, ah ! C’aurait été demander beaucoup. Le cœur battant, elle lança les dés et baissa les yeux, éperdue ; porta son poignet à son visage ; défit, avec mille précautions, le bandeau de tissu qui masquait l’indicible. Les souvenirs se précipitèrent contre le battant, lui retournèrent l’estomac. Barrez-vous, hurla-t-elle en son for intérieur, barrez-vous, allez-vous-en, partez, partez ! Un petit morceau de chair semblait brûler contre sa cuisse. Les vêtements frottaient sa peau irritée.

Elle leva le poignet. Là, sous sa paume écorchée et ses ongles cassés, courait un entrelacs de veines, artères prises sous la chair qui rampaient jusqu’au cœur, conglomérat violacé et rosâtre où s’agglutinaient par endroit fils sombres et meurtrissures, sang caillé et pourpre sur une surface plus longue que large, étalée sur quelques centimètres. Pas de trace d’une peau d’albâtre nulle part ; pas de marque non plus. La peau autour de la plaie avait rougi. Quelque part, au pied d’un arbre robuste, gisait un bâton taillé en pointe, perdu entre ses racines. Heather frissonna. Tenta de se justifier. Vaine, que tu es vaine, ma jolie ! Et quelle vaine tentative ! Aucun son ne sortit de sa gorge. Mutilation. Mais je n’avais pas le choix, non.
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MessageSujet: Re: Asphyxie.   Asphyxie. Icon_minitimeDim 3 Mar 2013 - 6:06

Claris laissa s'échapper un « non » presque inaudible ; non, il n'y a personne. Non, pas de danger. Non. Il n'eut pas le temps de s'en réjouir, pas le temps non plus de définir si c'était une bonne ou une mauvaise nouvelle : pour l'instant, l'absence de protagonistes extérieurs le rassura. D'autant plus que sa douleur au bras commençait à s'estomper, s'engourdir – et il n'était pas assez stupide pour croire que c'était une bonne chose, très loin de là. Ce bras lui était nécessaire. Vital. Gourd et douloureux, peut-être, mais vital. S'il devait se défendre de la main droite, il n'irait pas loin.
Voire nulle part.
Un vent de panique souffla entre ses côtes quand, soudain, les conséquences le prirent à la gorge.
Et si ça s’infectait ? S'il perdait l'usage de son bras ? Si Heather ne pouvait plus jamais utiliser le sien ? Si Claris s'écrasait les doigts ? Si quelqu'un perdait un œil, une main, s'abîmait la jambe de manière irréversible ? Survivants ou pas, ils...
Auraient perdu, quoi qu'il en soit.
Kélian baissa doucement son poignet en voyant son amie lever le sien ; observa, incrédule, la demoiselle retirer le bandage qui le couvrait. Ses yeux passèrent à la dérobé sur la silhouette fragile de Claris, l'image des courbes noires courant sur sa peau encore imprimée sur ses rétines. Jusque là, c'était la seule qu'il ait jamais vu excepté la sienne. Deux marques différentes : deux groupes. Est-ce qu'il y en avait cinq, dix, vingt – et est-ce que ça avait seulement une importance, il était toujours incapable de le dire. Pour l'instant, il ne voyait que deux possibilités.
Soit obéir pour survivre...

Soit changer les règles du jeu.

Le bras d'Heather était à nu.
Sa gorge se serra sur un douloureux silence ; yeux écarquillés, visage crispé sur une grimace impossible à réprimer, Kélian ne put prononcer le moindre mot. Pas de cri, pas de bruit – juste le poignet de son amie, la chair à vif et les battements de son cœur qui menaçait d'imploser à tout moment. A vif. Pas de marque, pas de peau, pas de –
Sa main droite vint le bâillonner dans une vaine tentative pour réprimer un haut le cœur brutal. Même après avoir détourné les yeux, l'image refusa de le quitter : le rouge, la chaire, les veines, son estomac noué sur lui-même – et son cœur qui, de nouveau, menaçait de lâcher.
Dégoûté.
L'Erinyen dut se retenir de faire un pas en arrière. L'incompréhension seule réussit à ouvrir ses lèvres closes ; juste un mot, rien qu'un – « Pourquoi ? » Mais rien à faire, rien. Aussi muet qu'Heather, que Claris, incapable de faire entendre le moindre son, pas même la plus petite et insignifiante voyelle. Condamné à se taire et à attendre. Et lui, les jambes raides et la respiration presque coupée, planté là comme un pantin dont on aurait coupé un fil, n'osa même pas tenter d’élever la voix de nouveau.

Jamais le silence ne lui avait semblé si glacial.

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MessageSujet: Re: Asphyxie.   Asphyxie. Icon_minitimeDim 3 Mar 2013 - 12:04

    Un haut-le-cœur échappa à Claris, qui sentit son estomac faire un bond entre ses côtes. Elle plaqua ses deux mains sur sa bouche et ferma les yeux avec affolement, comme quand le monstre surgit à l'écran pour dévorer la pauvre princesse apeurée.
    Ou quand on regarde un film que les adultes nous ont défendu de voir et que, d'un seul coup, la caméra zoome sur la victime et ses tripes à l'air.
    On enfouit sa tête dans un coussin comme pour asphyxier l'image terrible, mais rien à faire : on sait que, la nuit venue elle sera là, lancinante, et que cette vision nous fera trembler pendant des jours encore.
    Il aurait fallu écouter les adultes ; il aurait fallu être sage et obéir, au lieu d'assister à un tel spectacle. On aurait dû rester à sa place, oui. Maintenant on est bien puni.
    Claris, elle, sent la peur étrangler ses organes, comme déterminée à la faire vomir. C'est horrible. Ses yeux se mouillent, mais même les larmes ont peur de sortir. C'est encore pire que lorsque le garçon de tout à l'heure voulait les tuer, pire que la course éperdue, que la douleur de ses jambes, pire que tout. C'est la concrétisation sanglante, indicible, de la réalité de leur cauchemar. Claris n'a jamais vu une plaie plus horrible qu'une écorchure au genou qui l'a bien fait pleurer, mais qu'un coup de sparadrap à rapidement effacé. Claris a peur de la vue du sang ; Claris est trop petite.
    Toute petite. Une gentille petite fille. Elle n'a rien fait, jamais jamais, rien fait de mal. Pourquoi est-ce que ça lui arrive à elle ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi, le crescendo dans l'horreur paralyse sa tête, elle est bien trop petite pour tout ça, elle voudrait que ça s'arrête, mais le métronome, le métronome dans sa tête ne la laisse pas tranquille, parce qu'il faut bouger maintenant, bouger si on ne veut pas mourir, pas le temps de pleurer non, sèche tes larmes ce n'es rien.
    Ça pourrait être pire.

      « Faut qu'on y aille. »

    Le calme dans voix de Claris est presque choquant. Mais tant pis ; le danger est partout, ça fait mal, il faut partir. Elle a les yeux dans le vague, les bras ballants, une poupée de chiffon, vidée de sa bourre par un enfant sans scrupule. Les larmes ont laissé des sillons terreux sur ses joues pâles, ses genoux sont écorchés et une grosse marque violacée est imprimée sur son bras. Et pourtant elle n'a même pas encore laissé tomber une goutte de sang. N'aie pas peur, n'aie pas peur.
    Non, non, elle ne peut pas survivre toute seule.
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MessageSujet: Re: Asphyxie.   Asphyxie. Icon_minitimeDim 3 Mar 2013 - 18:52

Un silence glacé courut depuis les piliers du temple jusqu’aux troncs noueux de la forêt pour ramper jusqu’à Heather. Il volait de feuilles d’acanthes en feuilles vacillantes sur leur perchoir d’écorce, de bouche en bouche et de langue en langue. Les cœurs eux-mêmes avaient momentanément cessé de battre pour reprendre leur mélopée de plus belle, pressés de pomper au cerveau les bouffées d’oxygène qui lui faisaient si cruellement défaut. L’air vicié du pensionnat n’apportait aucun calme dans ces paires de bras et de jambes fatigués. Il ne déliait pas la langue de la jolie blonde au teint cireux plus qu’il ne délassait les muscles endoloris de la petite aux joues roses. Que le danger guettât, la fille n’en doutait pas un instant. Il ne se tapissait plus au bois, lustrait ses écailles à la lumière déclinante du jour déjà rouge qui chassait par longues banderoles le bleu de son ciel pour se vêtir des couleurs de l’automne et des fruits pourris.
Ses iris pâles comme la lune, et aussi froids que la brise hivernale, accrochèrent ceux de Kélian. Ceux de Claris. Nul ne les empêcha de tomber lourdement au sol avant de se couvrir d’un épais manteau de chair à la doublure noire : ne ferme pas tes jolis yeux, susurra la voix doucereuse. Maystood l’entendait sourire derrière ses airs tristes. La douleur remonta le long de son bras qu’elle tint serré contre son sein, qu’elle berça d’avant en arrière, la mâchoire pendante, incapable de rien expliquer. Les pulsations fiévreuses qui agitaient la chair dans le réseau de veines marbrées lui rappelèrent le métro, les trains qui basculaient de leurs rails de fer. Les jointures qui se cassaient.
Les jointures. Puis ce fut son coude, sa tête, ses genoux, ses chevilles, puis ce fut un concert de plaintes grinçantes qui remonta à ses oreilles. Elle renifla encore une fois sans rien dire, le regard arrimé aux silhouettes plus figées que des cadavres mais encore trop chaudes pour être tout à fait mortes. Claris était si jeune. La blonde eût envie de passer un bras hâve autour de ses épaules, de l’emmener s’asseoir plus loin, de lui dire que tout allait s’arranger. Regard coulé à son bras, cassé. Kélian était si naïf. Tout à l’excès devenait beau. La scène était magnifique. Son corps hectique allait se jeter, tête la première, dans son plus grand final et jeter aux combles le burlesque de la situation pour en arracher des larmes amères. Elle le jura, debout sur ses échasses.

« Faut qu’on y aille », asserta Claris avec un calme adulte. Heather approuva silencieusement ; il fallait y aller. Hésitante, elle mit un pied devant l’autre une fois, puis deux, chancela, posa sa main sur l’épaule de Kélian, la bonne –tomba, les paumes pleines de terre, et se saisit sans trop de discrétion du couteau. Se relevant vaille que vaille, son bras toujours bloqué dans l’attelle de fortune, l’air absent, absente peut-être, elle leva une seconde le nez vers le ciel et avança. Doucement, pour ne pas tomber. Derrière, juste assez vite pour ne pas se laisser complètement distancer.

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MessageSujet: Re: Asphyxie.   Asphyxie. Icon_minitimeMar 5 Mar 2013 - 10:27

La voix de Claris résonna dans ses tympans, familière et lointaine. Faut qu'on y aille, faut qu'on y aille. Il s'accrocha à cet ordre comme un noyé tente vainement de suivre les bulles d'air qui le ramèneront à la surface : désespéré, perdu, sans la moindre notion de haut ou de bas. Il faut y aller, bouger, s'en aller, faire quelque chose, ne pas rester là – lutter contre l'endormissement qui s'empare si vite des corps immobiles. Il ferma les yeux, les rouvrit, chercha sans s'en rendre compte à éviter la silhouette d'Heather qui se hissait sur ses jambes abîmées. La vision d'une chaire plus vive que morte lui noua à nouveau les entrailles, nausée morbide presque aussi insupportable que sa propre lâcheté. Il lui semblait presque la sentir se répandre dans son corps au rythme affolé de son cœur d'habitude si lent ; nourrissant ses craintes, se cherchant des excuses et des raisons pour fuir en cas de danger.
Plus de morale, plus de principes. Kélian, tu avais promis.
Poings serrés malgré la douleur qui irradiait dans son bras gauche, le jeune homme laissa Heather s'appuyer sur son épaule, vérifiant machinalement qu'elle allait bien – si tant est que ce soit seulement possible dans son état – quand son corps heurta de nouveau le sol. Ses yeux gris se reposèrent sur Claris, presque trop calme et mature vu la situation ; il n'eut cela dit ni la force ni la clarté nécessaire pour se demander quel genre d'attitude pouvait ou non être normal face à toute cette mise en scène. Les blessures d'Heather, plus graves et impressionnantes que les leurs, avaient rayé en une seconde tout les cauchemars et les espoirs de réveil. Certains tuaient.

S'ils avaient réussi à s'échapper du cimetière, ce n'était pas pour crever cent mètres plus loin. Hors de question.

Rigide et fatigué, victime d'une chute brutale d'adrénaline, Kélian mit malgré tout une jambe devant l'autre. Heather s'était redressée, Claris était debout ; avancer, avancer. Il fallait toujours avancer, merde – pourquoi ils ne pouvaient pas tout simplement hisser un drapeau blanc et être ramenés à l'intérieur ? Sa fierté, il n'en avait plus grand chose à foutre pour le moment. Si quelqu'un réussissait à se moquer de lui, ça voudrait dire qu'ils étaient encore en vie.
Chaque chose en son temps. Survivre primait sur tout le reste.
A peu de choses près.

Un soubresaut de lucidité le fit se retourner ; ses mains étaient vides toutes deux, et maintenant qu'ils étaient de nouveau en mouvement la paume de sa main le chatouillait désagréablement. L'idée qu'il ait si vite pu s'habituer à avoir une arme sur lui le dégoûta. Il n'en fit pas cas. Si lui ne comptait tuer personne avec, ce n'était pas une raison pour le laisser dans l'herbe – parce que d'autres beaucoup moins scrupuleux ne se gêneraient pas pour le planter entre ses côtes, c'était certain.

« Attendez, le... »

Ses yeux gris effleurèrent la lame du regard : Heather. Il acquiesça sans mot dire, lèvres closes, sans plus se préoccuper de l'arme que la jeune femme avait ramassée, et se concentra sur le chemin à suivre. Vers le manoir.
Heureusement que le type de tout à l'heure avait été suffisamment courageux pour occuper l'autre taré. Heureusement que le trident ne l'avait pas touché entre les omoplates. Heureusement que ni lui ni Claris n'avait décidé de tuer l'autre sur la simple base d'une marque. Heureusement qu'Heather avait réussi à s'enfuir.

« T'as toujours ton arme, Claris ? »

Heureusement qu'il était tombé sur des personnes si bienveillantes et civilisées, hein ?
Abruti.

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MessageSujet: Re: Asphyxie.   Asphyxie. Icon_minitimeJeu 7 Mar 2013 - 15:26

    Elle ne bouge pas, comme vide. La peur s’en va et ses yeux partent un peu dans le vague, elle est là sans y être. C’est qu’elle est trop fragile pour affronter la peur, la petite Claris. Si elle y repensait, ne serait-ce qu’un instant, elle ne pourrait que s’écrouler, en larmes, et ne plus bouger du tout. La terreur d’enfant prendrait le pas sur son envie de survivre : il vaut mieux la maintenir debout comme un tréteau autour duquel s’enroule, reconnaissante, la tige d’une plante fragile. Après ça, on peut avancer. Un pied devant l’autre, comme un pantin mécanique qui aurait passé d’âge mènerait un cortège formé d’une poupée cassée et d’un pierrot éraflé. Elle était belle, la petite troupe, de marionnettes qui claquent des dents en chœur. Un orchestre d’os entrechoqués et de peaux qu’on déchire.
    Au fond, tout ce que voulait Claris, c’était rentrer à la maison. Peu importe laquelle et peu importe comment. Elle voulait juste que quelqu’un de plus grand, de plus âgé, de plus mature qu’elle la prenne dans ses bras et la porte jusqu’à son lit pour la border en lui assurant que tout cela n’était qu’un mauvais rêve. Mais cette vision impossible se diluait dans un brouillard anesthésiée, et elle s’apprêtait à se remettre en route, raide comme un pantin. La voix de Kélian seule osa percer ce silence atterré pour s’adresser à elle.

      « T'as toujours ton arme, Claris ? »

    Claris cligna des yeux une fois, deux fois. Puis elle hocha la tête avec une sorte de soubresaut, comme si ses cervicales étaient rouillées et refusaient tout effort continu. Par un quelconque miracle, la sacoche brune était toujours accrochée à son épaule, cisaillant sa chair, et l’objet dont elle n’avait que faire se trouvait toujours lové à l’intérieur. Elle n’avait qu’une vague idée de la façon dont il convenait de s’en servir, mais cela ne l’empêcha pas, avec une curiosité et un besoin tactile tout enfantin, de le tirer de sa besace et d’en tenir une poignée dans chaque main. Elle avait l’air gauche, mal à l’aise, avec cette chose dont elle aurait pu rêver mais qui l’encombrait désormais dans son ignorance, dressée devant son visage décomposé aux yeux tristes.
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MessageSujet: Re: Asphyxie.   Asphyxie. Icon_minitimeJeu 7 Mar 2013 - 23:45

Un brusque sursaut agita la conscience de Kélian : Heather la regarda convulser. Elle exultait. La voir se débattre, empêtrée dans des chaînes de logique, de souvenirs, et surtout de raison qui couvraient de roses cet instinct primaire. Il regarda sa chance lui filer sous le nez, l’attrapa par le bras et la laissa s’en aller sans rien ajouter. Pas d’adieux larmoyants tandis qu’un sourire brillait au coin des yeux de la belle. Il semblait réverbérer l’éclat du soleil bas sur la lame qu’elle tenait fermement serrée entre ses doigts fins. Sans doute l’aurait-il regretté plus tard, si le temps lui en avait été donné. Et sans doute cette brève seconde d’hésitation lui aurait-elle arraché des gémissements frustrés ! « Je le savais », on n’avait de cesse de le dire : si vous le savez, pauvres fous, susurra Maystood, ne restez pas oisifs à cette heure et venez voir maman. Kélian se retourna et questionna Claris. Froncement de sourcils. Voilà le problème –quelle gentillesse de le pointer du doigt ! La gamine sortit de son sac une sorte de bout de bois poli rattaché à un autre par une sorte de crochet métallique. Une arme d’asiatique, ça, cracha-t-elle avec un dédain évident. L’utilisation que la petite plus si fanfaronne eût pu en faire restait obscure et douteuse, tant et si bien qu’elle en devenait presque drôle.
Heather n’avait peur de rien ; Heather ne comprenait rien et n’imaginait rien. Devant ses yeux, un livre d’images étalait son contenu stupide. Ses joues pâles reprirent de la couleur. Comment faire, comment faire chère Elise ? Avec un couteau, cher Eugène, avec un couteau. Heather sourit bêtement, avança bêtement, leva bêtement le bras. Un coin de sa bouche remonta et les muscles de son visage tressaillirent –bêtement.
Une poussée d’adrénaline, un peu d’air fendu, une moue extatique. Et pan. La jonction entre l’épaule et le cou, la nuque ou la jugulaire ; à défaut de précision, la blonde frappa avec force et attendit l’impact ; et l’enfer m’accompagne, récita-t-elle. Ecoutez votre martyr. L’enfer m’accompagne.
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MessageSujet: Re: Asphyxie.   Asphyxie. Icon_minitimeJeu 7 Mar 2013 - 23:45

Le membre 'Heather Maystood' a effectué l'action suivante : Lancer de dés

#1 'Dé Décisif' :
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--------------------------------

#2 'Dé Dégâts' :
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Et là, Nii' fait 1 ! 8DDD
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MessageSujet: Re: Asphyxie.   Asphyxie. Icon_minitimeVen 8 Mar 2013 - 20:04

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MessageSujet: Re: Asphyxie.   Asphyxie. Icon_minitimeVen 8 Mar 2013 - 20:04

Le membre 'Kélian Ael' a effectué l'action suivante : Lancer de dés

#1 'Dé Décisif' :
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#2 'Dé Dérobé' :
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MessageSujet: Re: Asphyxie.   Asphyxie. Icon_minitimeSam 9 Mar 2013 - 6:15

Claris acquiesça ; c'est un peu mieux, c'est déjà ça et, le regard voilé, Kélian s'en contenta. Qu'elle sache ou non se servir de l'arme qu'elle tira de sa sacoche importait peu – il avait juste besoin de se persuader que la fillette possédait un moyen, même précaire, de se défendre. Il ne voulait pas la savoir démunie, désarmée – ne voulait pas l'imaginer en danger de mort. C'est qu'une gamine, merde. Il baissa les yeux, absent, tentant tant que bien que mal de se raccrocher à une réalité où cet argument aurait un quelconque poids. On bute pas un enfant. On bute personne. Ça devait encore avoir du sens, être valable : ça devait être possible, compréhensible. Tuer de sang-froid relevait de la démence pure et simple. Or à part ce type, dans le cimetière...
Ils n'en étaient pas rendus là, non ?
Ses talons frôlèrent le sol au rythme de ses pas maladroits et hésitants. Heather derrière, Claris devant ; yeux bandés dans la fosse au serpent. Il pouvait les entendre respirer, marcher, vivre – sans penser un seul instant que, peut-être, sa vie finirait par dépendre de leurs morts. C'était le cas, pourtant. Le message avait été on ne peut plus clair. On joue par équipe, pas de triche et tant pis pour les balles perdues : tant que Claris serait en vie, la sienne serait menacée. Impossible de savoir pour son autre amie mais, pour l'instant, au moins pour l'instant, il préférait oublier l'image de son poignet à vif pour se concentrer sur le chemin à suivre. Ils devaient se mettre à l'abri. Se cacher. Trouver une solution.
Sans fuir, cette fois. Sans abandonner qui que ce soit derrière lui, sans faire d'erreurs.
Il avait encore le choix. Tout n'était pas perdu.
Trop naïf, trop lent. A trop craindre la lumière, il n'en vit pas les menaces tapies dans l'ombre ; quand il sentit l'air vibrer près de lui, c'était déjà trop tard. Trop tard, trop tard, toujours trop tard.

T'as perdu, cette fois.

Le mouvement d'Heather fut imprécis, hasardeux ; et ces blessures, ces bleus et ces coupures qu'il avait détesté voir sur ce corps d'ordinaire si soigné, cette attelle et ce coude en morceaux furent pourtant la seule chose qui lui évitèrent un coup probablement fatal à la nuque. Elle est blessée, Heather, elle est abîmée, elle a mal. Elle a pleuré et lui, le visage décomposé par une sincère compassion, l'a aidée à se relever. A laissé le couteau près d'elle. Ne le lui a pas repris des mains.
Et là, à demi retourné vers elle, incapable de tenir compte du sang qui coule sur sa peau diaphane, il pourrait en mourir sans s'en rendre compte.
Parce que c'est Heather ; Heather. Il ne comprit pas plus qu'il ne cria.
Et puis, subitement, son corps se réveilla.
Le visage crispé par la peur, il voulut reculer – et si ses genoux n'avaient pas cédé les premiers, sans doute serait-il tombé de toute façon. Merde, merde – MERDE ! C'était douloureux, insupportable, impossible, impossible. Il devait cauchemarder, délirer, être sous l'emprise d'un putain de pouvoir stupide qui s'amusait à lui faire vivre les pires des scénarios. Refus de la réalité ; il ferma les volets, vira toute les lampes et les chandeliers, les lustres et les bougies. Dégagez, merde, j'ai pas besoin de ça – je veux pas de vos conneries d'ombres, foutez moi la paix. J'en veux pas j'en veux pas j'en veux pas –
Main droite appuyée sur sa blessure, il tenta en vain de faire taire l’hémorragie et la douleur ; Claris, le jeu, Heather, plus rien n'avait d'importance et plus rien n'était réel – ce n'étaient que des ombres, des ombres, rien que des ombres. Il n'aurait même pas su dire où il était. Il n'y avait plus que cette peine omniprésente qui électrisait son corps et embuait ses yeux, cette terreur glaciale qui paralysait ses membres et lui interdisait d'accepter le coup qu'on venait de lui porter : tout le reste avait été balayé, emporté sous un torrent de doute et d'incompréhension.
Non. Non. Non, non, non non non. Yeux écarquillés, il crut bien que cette scène durait depuis une éternité déjà.
En tout, ça n'avait pas du excéder les quatre secondes.

« Heather ! Arrête, merde, qu'est-ce que tu fous – Oh putain... » Il appuya plus fort sur sa blessure, plus terrorisé que jamais. «  Tu – »

Il voulut dire « c'est moi » ; n'eut pas la force de prononcer ces quelques syllabes. Elle devait être sous l'emprise d'un pouvoir, ce n'était pas normal, pas crédible – parce que, elle – elle
Elle...
Incapable de regarder la réalité en face. Heather ne le poignarderait jamais. Jamais. Plus son sang coulait, plus il s'en persuadait ; plus il craignait de ne jamais réussir à se relever, plus il y croyait. Elle ne ferait jamais ça.

Pitié, réveillez-moi.

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MessageSujet: Re: Asphyxie.   Asphyxie. Icon_minitime

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