Une personnalité surpuissante, plus puissante même que l’envie. Quoique… elle en serait un constituant ; elle en serait le soluté tandis que le solvant serait le courage, et le soluté ou le solvant ne seraient jamais plus puissants que leur produit, à moins qu’il n’y ait une raison comme l’oxygène triomphe sur l’eau pour faire vivre les poissons ; la curiosité triompherait sur l’envie pour faire apprendre aux enfants. Voilà une réflexion qui prenait petit à petit une logique, mais elle servait plus d’excuse à Endless pour ouvrir cette porte qu’une nouvelle façon de distinguer l’envie de la curiosité. Et quand il y a une excuse, il y a aussi une envie que l’on peut appeler « cause » : Est-ce Sherkan avait été englouti par cet étrange bâtiment qui trônait à la place de la bibliothèque ? – L’envie allait donc avec la curiosité ? Laquelle incita Endless à entrer ? Le courage, quant à lui, finit par remonter d’un trou invisible grâce à elles.
Ainsi, Endless se perdit dans sa formule : étaient-ce la curiosité et l’envie qui donnaient le courage ou le courage et la curiosité qui donnaient l’envie ? Un cercle vicieux.
Tant pis, il poussa la porte après avoir toqué sans se poser davantage de questions.
Il tomba sur une grande pièce sombre où les meubles n’étaient pas très présents – le peu qu’il y avait arrivait à passer inaperçu grâce à l’ombre de la crainte et de l’ombre elle-même : de cette façon, il ne prêta pas attention au tableau. Si cela n’avait tenu qu’à lui, Endless aurait fait demi-tour - une manière de fuir la peur qui l’envahit au contact de cette étrange atmosphère qui, à elle seule, semblait mélanger des milliers d’univers dans une petite marmite, un seul petit endroit sur cette petite Terre dans le seul univers auquel il croyait. Rien, absolument rien dans ce bâtiment ne l’inspirait confiance ; ni les couloirs sombres, ni la grande porte de bois qu’il venait de passer, ni ses propres pensées qui résonnaient et raisonnaient seules dans le vide de cet air lourd.
D’où venait donc ce bâtiment ?
Endless déglutit et posa la question qu’il trouva obligatoire, bien que bête ; il savait que, dans ce vide visible pour son âme et invisible pour ses yeux, personne ne lui aurait répondu.
- Y a-t-il quelqu’un, ici ?
Pourtant, il espéra entendre la petite voix de Sherkan l’appeler et lui dire que tout allait bien. Mais Sherkan ne répondit pas. De toute façon, sa petite touffe flamme aurait été facile à repérer parmi ses objets lugubres, peu importe lesquels, et ses pensées incertaines.
Sherkan doit forcément être quelque part si ce bâtiment a remplacé la bibliothèque… il m’aurait prévenu sinon. Il doit juste être dans une autre pièce.
Sur cette hypothèse, Endless ferma la porte et fit quelques pas en avant, interdit, en observant les lieux. Ses pas furent les seuls bruits qui lui parvenaient désormais : ses pensées perdues s’étaient éteintes une par une, laissant place à l’inquiétude et à l’hésitation – ah ! l’hésitation, l’une des sensations des plus désagréables qui mettent en querelle notre cœur et notre instinct. Non, dit le cœur : Sherkan attend là-bas ! Mais l’instinct dit qu’il vaut mieux que l’un meurt au lieu des deux. Or, ajoute le cœur, il serait plus vaillant de mourir à ses côtés ! Mais l’instinct prétend que s’il devait mourir, Sherkan voudrait qu’Endless vive. Et ainsi de suite : le cœur est inconscient, l’instinct est hypocrite ; puis le cerveau, incertain, cherche à rendre immobile et l’âme, crédule, arrive à faire bouger le corps. Voici la ronde qui le faisait avancer lentement.
- Etrange… dit-il tout haut – dans le but de briser ce silence pesant - en voyant les couloirs apparaître.
Endless tourna à droite et, soudain, (« Hein ?») au fond du sinistre couloir dans lequel il comptait s’engouffrer, un tigre blanc, grand, massif, immergea de l’obscurité et parut se précipiter vers lui. Sur le coup, l’instinct gagna, le cœur s’enfouit et Endless fit volte-face pour s’enfuir, sentant ses jambes balancées par son sang qui circulait violemment dans ses veines. La première issue de secours qui lui vint à l’esprit était la grande porte d’entrée ; et alors, que ce fût l’obscurité ou l’ambiance funeste, plus rien ne pouvait le préoccuper à part cette porte et la peur.
La grande porte effrayante qui rassure quand on la voit.
La peur d’un enfant au fond de sa chambre alors qu’il attend les monstres de la nuit, les genoux ramenés à son torse, sa peluche dans ses bras – et bientôt, il serait le seul à pouvoir les voir et à comprendre pourquoi il crie.
Il sentait que le tigre le suivait ; le courage lui manqua cependant pour s’en assurer – car il lui manquait l’envie de le savoir et la curiosité.
Il parvint rapidement dans le grand hall et s’acharna sur la porte en vain ; il l’avait fermée et elle ne voulait plus s’ouvrir. Alors, à bout de souffle, il se retourna pour coller son dos à la porte, comme si quelques millimètres en plus entre ce grand prédateur et lui pouvaient le sauver d’un coup de griffe.
Le félin, quant à lui, avait arrêté de courir et s’avançait lentement vers lui, la tête assez haute pour qu’Endless puisse remarquer ses deux prunelles d’une couleur idem aux siennes.
Le tigre finit par s’arrêter à quelques de pas de lui.
Endless sentait son malheureux cœur se fatiguer à battre autant. Mais dans la lueur des yeux ambrés du tigre, il eut l’intuition que celui-ci ne lui voulait aucun mal – intuition qui calma ses battements et qui l’encouragea à observer plus attentivement. Une image ; un souvenir lui revint alors et il reconnut, abasourdi, son ami imaginaire auquel il avait cessé de croire il y avait bien longtemps.
- Either ?
A l’entente de ce nom, le tigre se coucha sur le ventre comme pour affirmer, puis il resta immobile. Après quelques secondes passées inutilement, Endless s’accroupit pour poser sa main tremblante entre les deux oreilles du félin afin de lui donner quelques caresses ; il sentit la douceur de sa fourrure et la douceur de son âme.
- Ce… C’est impossible.
Mais il y crut ; il crut à la douce fourrure d’Either, à l’obscurité qui régnait sur les lieux, à sa peur d’être enfermé dans un rêve qu’il croyait être la réalité.
Où avait-il donc atterri ? Sans retirer sa main, Endless ne dit rien et ne bougea plus, fixant le tigre de ses prunelles remplies de désespoir et d'angoisse.